proposition est vraie si l’objet « photo » et l’objet « lui » sont subsumés au concept « ne se
ressemblent pas ». La photo en elle-même n’est ni vraie ni fausse, elle est éventuellement ratée.
Le deuxième argument est qu’une pensée n’est pas une représentation, c'est-à-dire un phénomène
subjectif. Une représentation est le « tableau intérieur » (S&D p.105) qu’un sujet a. Cette notion
psychologique est subjective, c'est-à-dire qu’elle dépend de l’individu qui les a. Celui-ci est le porteur
de ses représentations. La représentation est donc dépendante de ce sujet. Cette représentation est non-
sensible, ce n’est pas un objet, on a dans son monde intérieur une sensation de froid, on n’a pas le
froid. La représentation est donc la représentation de quelque chose contenu dans la conscience du
sujet. Les choses sont indépendantes du sujet qui se les représente. Les représentations sont, elles,
dépendantes du sujet qui les a. Or comme il n’y a personne d’identique ; que si nos sens peuvent se
ressembler, nos sensations ne sont pas pour autant semblables ; alors chaque porteur a ses propres
représentations personnelles uniques. La pensée comme contenu de conscience privée aboutit à
l’aporie relativiste. Nous l’avons déjà vu : la vérité ne supporte pas la variabilité.
Si la pensée était le fruit des représentations subjectives comme le conçoivent les psychologistes
alors les significations qui sont elles-mêmes des pensées formées d’un sens et d’une dénotation, ne
pourrait qu’être la propriété de chaque individu. Cette variation des significations ne peut aboutir qu’a
l’impossibilité de communiquer pour les hommes. « Or, il [le porteur des représentations] ne peut
communiquer une pensée que lui seul peut saisir. » (P p.180). Car si toute pensée était représentation,
les signes de communication seraient propres à chacun. La communication repose sur la stabilité de la
signification publique. Les significations ne sont donc pas des représentations. La controverse qui
oppose Frege à Kerry illustre ce point. Kerry confond l’intuition psychologique et le sens logique du
terme « concept ». Il ne peut ainsi voir que le concept est prédicatif, mais que lorsqu’on utilise le mot
« concept » pour le définir, il n’est plus alors un prédicat mais un nom propre, ayant pour référence un
objet. « Le concept « grunf » est un concept obscure. »
¦ Objet ¦copule¦ Objet ¦
¦ = argument ¦= Fonction ou prédicat ¦
avoir la propriété de l’objet « concept obscure »
Frege distingue, sans l’appeler ainsi, le langage à propos du langage, le métalangage. Dans la première
occurrence du mot « concept » de l’exemple, le mot est employé comme objet. « On ne peut nier
qu’on se heurte à une difficulté linguistique inévitable quand on dit : le concept « cheval » n’est pas
un concept (…) » (C&O p.132). Cette difficulté est le fruit de l’intuition psychologique qui nous mène
vers une confusion dans ce cas. La distinction analytique est nécessaire pour y voir clair. “ Il faut
nettement séparer le psychologique du logique, le subjectif de l’objectif. On doit rechercher ce que les
mots veulent dire non pas isolément, mais pris dans leur contexte. Il ne faut jamais perdre de vue la
différence entre concept et objet. ” Frege 1883, Fondements de l’arithmétique (p122)
Le sens, quand à lui, est objectif, c'est-à-dire public. « Celui-ci [le sens] peut être la propriété
commune de plusieurs individus : il n’est donc pas partie ou mode de l’âme individuelle. » (S&D
p.106). L’individu a des représentations subjectives, l’observateur saisit des pensées objectives dont le
champ sémantique est public. « Le contenu d’une telle proposition [une proposition affirmative, prise
comme un tout] est une pensée*. », (en note) « *J’entends par pensée non pas l’acte subjectif de
penser mais son contenu objectif, lequel peut être la propriété commune de plusieurs sujets. » (S&D p.
108). Cette distinction fonde la discipline de la logique comme recherche non pas sur l’acte
psychologique subjectif de penser, mais sur la pensée juste, sur le penser vrai. La logique s’inscrit
dans la recherche de l’être vrai, sur ce que l’on doit penser, et non pas dans la quête d’une vérité à
propos de ce que l’on pense. Les significations et les contenus de pensées sont objectifs et non privés
ou subjectifs. La logique permet de distinguer les propositions vraies et les fausses, le rationnel de
l’irrationnel, ce sont des critères objectifs et non pas subjectifs.
Certains commentateurs, comme Engel dans « Psychologie et philosophie »1, présente
l’argumentaire de Frege contre le psychologisme dans le domaine de la pensée, comme une attaque
1 « C’est justement la tradition frégéo-husserlienne en philosophie (qui, comme je l’ai suggéré plus haut, a sans
doute ses racines dans la philosophie allemande du 19ème siècle) qui nous fait habituellement assimiler le
psychologique et le subjectif, le psychologique et l’individuel. (…) Par « psychologie » je désignerai non pas