Mon espoir est, au bout de cette ´
etude, de conqu´
erir une vision plus englobante, plus
int´
egratrice, de cela qui est pens´
e depuis fort longtemps d´
esormais sous le mot d´
emon-
stration, en profitant de tout ce qui aura ´
et´
e rencontr´
e et r´
efl´
echi au fur et `
a mesure.
Mais aussi, sans doute, de mieux appr´
ecier l’h´
et´
erog´
en´
eit´
e des ´
el´
ements “nouveaux”
qui auront ´
et´
e interrog´
es.
Je commence donc par revenir, en tˆ
achant de viser `
a l’essentiel, sur quelques textes
ou th`
emes de Kant, Hegel et Husserl.
1 Compr´
ehension philosophique de r´
ef´
erence
de la d´
emonstration
1.1 D´
emonstration, construction et d´
emarcation (chez Kant)
Kant dit quelques mots de la d´
emonstration dans la Discipline de la raison pure dans
l’usage dogmatique. Il n’est pas permis, si l’on veut comprendre, d’ignorer ce qui
est le contexte de ce passage1: Kant y expose et y argumente la d´
emarcation entre
philosophie et math´
ematiques au nom du crit`
ere de la construction de concepts. La
philosophie est la connaissance rationnelle par concepts et la math´
ematique la connais-
sance rationnelle par construction de concepts, comme on le sait. Ce qui est dit de la
d´
emonstration est dit `
a la fin d’une ´
enum´
eration `
a trois termes (d´
efinitions, axiomes,
d´
emonstrations) visant les d´
emarches sp´
ecifiques de la math´
ematique non r´
ecup´
erables
dans l’enceinte de la philosophie. Conform´
ement `
a la vision encadrante de Kant, c’est
`
a chaque fois le crit`
ere de la construction de concepts qui ruine la possibilit´
e d’un usage
philosophique de la voie math´
ematique envisag´
ee.
La d´
efinition au sens math´
ematique est impossible en philosophie parce que toute
la valeur d´
eontologique de la d´
efinition math´
ematique r´
esulte de ce qu’elle institue le
concept. La d´
efinition est d´
ej`
a construction, non pas au sens pr´
ecis de la construction
de concept chez Kant, mais au sens de la prescription d’un contenu conceptuel par le
vouloir rationnel de la math´
ematique. La philosophie en revanche ´
elabore des con-
cepts donn´
es, elle les analyse et tente de d´
eterminer la somme de traits en lesquels se
r´
esoudrait le concept tel qu’il est commun´
ement compris, analyse toujours douteuse et
rectifiable selon Kant, qui ressemble fort `
a ce qu’on appelle une interpr´
etation2.
L’axiome au sens math´
ematique est l’affirmation d’une ´
evidence comme primitive
de la pens´
ee (math´
ematique). Elle est en surface un jugement, une synth`
ese de con-
cepts : seulement l’unification de cette synth`
ese est autosuffisante, ne renvoie pas `
a un
troisi`
eme terme qui ´
eclairerait l’union des synth´
etis´
es. Cela n’est possible que parce
que les concepts “montrent” leur liaison dans l’intuition o`
u ils sont construits : or il en
va seulement ainsi dans le champ math´
ematique, pr´
ecis´
ement. Donc, Kant consid`
ere
l’axiome comme la reprise judicative d’une ´
evidence acquise dans la construction de
concepts.
La d´
emonstration est ´
egalement d´
ecrite par Kant comme une d´
emarche propre `
a
la math´
ematique. Soyons attentifs `
a l’argumentation qu’il donne, puisque c’est de
1. Kant, E., Critique de la raison pure, trad. Tremesaygues-Pacaud, Paris, PUF, 1971, p. 493-507 ;
Pl´
eiade, vol. I, 1294-1316 ; A708-738, B736-766.
2. Cf. `
a ce sujet Salanskis (1997).
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