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Il n’y a pas de racisme sans race,
d’antisémitisme sans race juive…
Mais qu’est-ce qu’une « race » ?
PRÉFACE
L’ « antisémitisme » ! Il n’y a sans doute guère de sujet qui, depuis la fin du
XIX
e
siècle et
particulièrement depuis le nazisme, ait attiré autant les historiens et suscité un si grand
nombre d’études, d’ouvrages, d’articles divers. Pourtant, cette hostilité envers les Juifs en tant
que peuple, hostilité « que rien n'apaise, qui existe depuis qu'existent des Juifs, qui sévit chez
tous les peuples en contact avec les Juifs
1
», ce racisme spécifique, reste toujours, aux yeux de
multiples auteurs, largement mystérieux dans son déterminisme intime.
Quel est donc l’essence de ce phénomène qui, depuis les persécutions d’Assuérus et
d’Aman rapportées dans le Livre d’Esther jusqu’à ses multiples formes constatées en ce
XXI
e
siècle, est resté constant, en passant notamment par les persécutions des Romains, des
chrétiens et des musulmans, les pogroms de Russie et de Pologne et le génocide nazi ? A côté
des causes secondes et conjoncturelles décrites essentiellement par les historiens, quel est
donc en définitive la métaphysique
2
, le substratum des formes diverses d’antisémitisme ?
Face à cette situation exceptionnelle il est clair tout d’abord que la compréhension du
phénomène antisémite aux conditions de survenue si différentes et sur lequel les documents
sont particulièrement abondants et de sources multiples, ne saurait résulter d’études purement
historiques. Le génocide juif lui-même, malgré son caractère spécifique et les travaux
considérables qui lui ont été consacrés, ne semble guère avoir entraîné de progrès notable.
C’est que, comme l’écrit avec justesse l’historien Maurice Goguel : « L’histoire a pour seule
fonction de constater les faits et de chercher à découvrir les liaisons qu’il y a entre eux. Elle
n’a pas compétence pour en donner une explication dernière
3
. »
Il convient de constater par ailleurs, à propos de la question juive qui a fait couler tant
d’encre, que le plus grand nombre des auteurs depuis la fin du
XIX
e
siècle se répartissent
schématiquement en deux groupes distincts, les uns dirigeant essentiellement leur discours sur
les faits et gestes jugés fautifs des non-Juifs, les autres sur ceux des Juifs. Il en résulte que les
ouvrages publiés constituent souvent des compilations de données et d’arguments historiques,
religieux, sociaux, économiques…, qui déçoivent volontiers les lecteurs les plus intéressés.
Certes, les travaux des historiens, destinés à établir un inventaire aussi exhaustif que possible
des actes antisémites et à les restituer dans leur complexité, sont absolument nécessaires ;
certes les théories des divers philosophes et sociologues cherchant à réunir sous une même
rubrique des faits disparates quant à leur cause, telle celle, particulièrement répandue, du bouc
émissaire dans les périodes de crise
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, apportent un éclairage non négligeable, mais les
conclusions de ces auteurs, quelle que soit leur pertinence, sont manifestement insuffisantes.
En ne s’appliquant qu’à des configurations contingentes de l’antisémitisme, fonction des
temps, des lieux et des hommes (tels le contentieux religieux judaïsme/christianisme, la
1
. Edmond Fleg, dans son ouvrage Pourquoi je suis juif.
2
. Métaphysique est le nom donné à l’œuvre d’Aristote faisant suite à la physique. Par extension, c’est la
connaissance des causes, divines, premières ou finales constituant l’essence des phénomènes (Encyclopédie
Wikipedia).
3
Jésus, Paris 1950, p. 147.
4
. Idée particulièrement développée par plusieurs auteurs tels que Durkheim, Freud, Braudel, Sartre, Girard… et
qui est toujours reprise, commentée et critiquée