Un pas positif vers des capacités négatives…vers des transistors
moins énergivores
Une collaboration internationale impliquant des chercheurs de l’Université de Genève
ainsi que des collègues anglais, français, espagnols et luxembourgeois a démontré
que le fait de déstabiliser la polarisation spontanée d’une classe de matériaux appelés
ferroélectriques conduit à un phénomène de capacité négative. Cette recherche
publiée dans la revue Nature pourrait prochainement ouvrir la voie vers des
transistors consommant moins d’énergie
Les ferroélectriques sont une classe de
matériaux technologiquement très importants
déjà largement utilisés dans des applications,
comme les senseurs piézoélectriques, les
capteurs thermiques ou dans de nombreux
dispositifs employés en optique non-linéaire et
dans l’électronique. Les ferroélectriques ont
une polarisation électrique spontanée qui peut
être retournée par un champ électrique. Cette
polarisation ré-orientable peut par exemple
être utilisée pour encoder les 0 et 1 de notre
logique binaire – ce qui permet à ces matériaux
d’être exploités pour des applications dans le
domaine des mémoires non-volatiles.
Toutefois, lorsqu’un ferroélectrique est préparé
sous la forme d’une couche très mince, sa
polarisation devient instable. C’est une
mauvaise nouvelle pour les mémoires, mais
cette instabilité offre des perspectives très
intéressantes pour d’autres applications.
L’équipe de chercheurs a exploité la compatibilité structurale entre deux oxydes afin de créer
un cristal composé de couches alternées des deux matériaux – un super-réseau. Un des
matériaux est ferroélectrique tandis que le deuxième est un simple isolant diélectrique.
Lorsque les couches sont très fines, la polarisation ferroélectrique est déstabilisée et de petits
domaines périodiques se forment avec une polarisation pointant « en haut » et « en bas ».
Cette structure est extrêmement polarisable, le ferroélectrique ayant une énergie inférieure si
les conditions lui permettent de former un seul domaine. Grâce à des expériences et calculs
théoriques, les scientifiques ont démontré que dans la structure artificielle qui se comporte
comme des condensateurs en série, la capacité du ferroélectrique est négative. Bien qu’un
condensateur avec une capacité négative ne puisse pas exister car il violerait les lois de la
thermodynamique, une capacité négative peut être stabilisée dans la structure artificielle qui,
elle, a une capacité globale positive.
Les travaux sur des capacités négatives génèrent aujourd’hui beaucoup d’intérêt. En effet,
l’insertion d’un tel matériau entre deux isolants permet d’augmenter la charge électrique
stockée par unité de tension appliquée aux bornes du condensateur. La densité de transistors
- la brique de base de notre électronique – double tous les 18 mois (la fameuse loi de Moore).
Pour arriver à ces densités, l’épaisseur de l’isolant est aujourd’hui de quelques atomes
seulement et conduit à des courants de fuite qui dissipent beaucoup d’énergie – c’est l’origine
de la consommation élevée de nos ordinateurs qui pose un problème majeur aujourd’hui.
L’insertion de matériaux à capacité négative permettrait d’augmenter l’épaisseur de l’isolant et
donc de diminuer les fuites sans pour autant diminuer la charge stockée, pour une tension
donnée. Cette recherche met en lumière une nouvelle approche et ouvre la voie à de futurs
développements qui pourraient être extrêmement importants pour les générations de
processeurs à venir.
Contacts :
Jean-Marc Triscone : Jean-Marc.Triscone@unige.ch, +41 22 379 62 18
Stéphanie Fernandez : Stephanie.Fernandez@unige.ch, +41 22 379 35 40
Modèle de la structure atomique des super-réseaux
à base de ferroélectriques et de diélectriques
étudiés. La partie du bas (la structure réfléchie
comme dans un miroir) montre une carte couleur de
la réponse diélectrique calculée de la structure
artificielle. Les flèches indiquent les dipôles
électriques locaux.