au cours des deux guerres, la France a prélevé en Afrique les fameux tirailleurs sénégalais
pour servir essentiellement de chairs à canon (sic). C’était aussi de l’immigration choisie.
Lorsqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France et tous les pays ex-coloniaux ont eu
besoin de la main d’œuvre malléable et corvéable à merci (…) ils ont fait venir des ouvriers
maghrébins dans les chaînes de montage automobile, des éboueurs sénégalais, maliens,
voltaïques, nigériens et autres. Eux aussi étaient des ‘immigrés choisis’ pour le
développement économique de l’Europe. Tout comme ces fameux médecins daho-béninois de
la fameuse banlieue parisienne dont on dit toujours qu’ils sont plus nombreux que tous les
médecins dont le Dahomey Bénin n’a jamais disposé sur son sol »674.
L’indignation débordait les deux seuls pays que visitait Nicolas Sarkozy. En Côte
d’Ivoire, le chanteur Alpha Blondy confirmait que « cette notion d’immigration choisie et cet
apartheid migratoire renvoient au temps des esclaves, où les marchands choisissaient les plus
vigoureux, ceux qui avaient les meilleures dents pour les faire venir en Occident »675. Et à
Dakar, dans les couloirs de la Conférence de la French Colonial History ou dans les gargotes
du campus universitaire, l’on se réjouissait de l’ironie, peut-être apocryphe, du président
« ATT » qui avait (ou aurait) réservé le meilleur accueil au ministre français parce que le Mali
ne pratiquait pas l’« hospitalité choisie »…
L’ « origine » ou la « provenance », il faut choisir : « études
postcoloniales » versus sociologie historique du politique
Pour un chercheur s’interrogeant sur le « legs colonial » ces observations confirmaient
la pertinence de sa curiosité, mais laissaient entière la question : « De quel ’legs colonial’
parle-t-on ? » au juste, et comment 676 ? L’on voit d’emblée le parti que peuvent tirer de ce
genre d’énoncés les tenants des « études postcoloniales », eux qui précisément se repaissent
de discours plutôt qu’ils ne travaillent sur les pratiques sociales mises en situation historique.
L’« origine » (Ursprung) de la cité postcoloniale, qui en serait « le lieu de la vérité »677, se
674 Nouvelle Tribune [Cotonou], 2 juin 2006.
675 Fraternité-Matin [Abidjan], cité in Courrier international, 24 mai 2006, p. 38.
676 Jean-François Bayart, Romain Bertrand, « De quel ‘legs colonial’ parle-t-on ? », Esprit, décembre 2006, pp.
134-160, dans la continuité du premier volume de cette étude « Legs colonial et gouvernance contemporaine »,
Paris, FASOPO, décembre 2005.
677 Nous suivons ici la lecture, par Michel Foucault, de la généalogie nietzschéenne : « Nietzsche, la généalogie,
l’histoire » in Michel Foucault, Dits et écrits. 1954-1988, volume II : 1970-1975, Paris, Gallimard, 1994, pp.
136-156.