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Lebruitdissymétrique
ducourantélectrique
Julien Gabelli
gabelli@lps.u-psud.fr
Bertrand Reulet
reulet@lps.u-psud.fr
LaboratoiredePhysiquedesSolides,UMR 8502,CNRS/UniversitéParis-Sud11,Orsay
Lesfluctuationsducourantélectrique,phénomènesgénéralementqualifiésde «bruit»,ne sontpastoujours le
résultatde lanégligencedeceluiquilesobserve. Lebruitélectroniquenaîtde ladansedesélectronsdansles
conducteurs.Leconsidérercomme une cacophonie,c’est oublierquelanaturenefaitquesuivrelapartition
dictée parlamécaniquequantique. Adapternosoreillespour reconnaîtrecettemusique,tel est l’undesenjeux
de laphysiquemésoscopiquemoderne. Endéveloppantlesoutilsadaptéspour mesureretcomprendrecebruit,
on peut remonteraux principesfondamentaux dutransport électronique.
premièrevue,le bruitélectroniqueest unphéno-
mène néfaste,quinefaitquedégraderl’informa-
tion portée parle signal. Ildoitdoncêtretraqué
puiséliminé. Dansle casdesmicro-processeurs,cœur de
nosordinateurs,cebruitpeut êtreresponsable d’erreurs
de calculetpour mieux le combattre,nous avonsapprisà
le caractériseretàremonteràsesorigines.C’est ainsique
lesmicro-processeurs sontrefroidisen partie afin de limi-
terle bruitthermique ,qu’ilssontfabriquésdansdesmaté-
riaux semi-conducteurs de plus en plus purs pour réduire
le bruitdittélégraphique ,dûaux mouvements aléatoires
desimpuretés.Cependant,en yregardantde plus près,le
bruitélectroniquepeut s’avérerutile lorsqu’il est par
exemple àl’origine de laréalisation de thermomètrespri-
maires(cesthermomètresne nécessitentaucune calibra-
tion carlatempératuremesurée découle directement
d’une loi physiquefondamentale) fonctionnantsur plus
de 5décadesde température,oulorsqu’il constitueune
solution de remplacementdesgénérateurs de nombres
pseudo-aléatoiresdansl’élaboration de protocolesde cryp-
tographie. Enréalité,au-delàde cetteutilité,le bruitélec-
troniques’avèreêtreunformidable outil d’investigation
desmécanismesde conduction. C’est danscetespritque
le physicien américain Rolf Landauer,l’undespèresde la
physiquemésoscopique,aaffirmé il yaune trentaine
d’années:«Noiseisthe signal»!Ilexprimaitainsiclaire-
mentqu’une compréhension profonde desfluctuations
de courantélectriqueconstituaitune sourceprécieuse
d’informationssur lesmécanismesde conduction. Les
fluctuationsde courantsonten effetle fruitdesnatures
statistiqueetquantiquedutransport électroniquedansles
conducteurs etleur mesureconstitueuntest poussédela
théorie. Alors quelesmesurestraditionnelless’intéres-
sentaucourantmoyen Iausein d’unéchantillon polarisé
parune tension V(cequipermetde définirlaconduc-
tanceG=I / V),nous allonsnous concentrersur lesproprié-
tésstatistiquesdesfluctuationsducouranti( t )en fonction
dutemps.Une mesuredesfluctuationsest donnée parla
distribution de probabilitéP ( i )ducourantmesurésur un
intervalle de tempsΔ t .P ( i ) di est laprobabilitédemesurer
uncourantde valeur compriseentreieti+di aucours de la
mesureeffectuée pendantΔ t .CherchantàcaractériserP ( i ) ,
nous commençonsparsavaleur moyenne I=〈i( t )〉etsa
varianceΔ I 2=〈δ i 2 〉(oùδ i( t )=i( t )−I)quidonne lalargeur
de ladistribution P(i ) .Cettedernièrequantitéacom-
mencéàêtreétudiée il yaunsiècle environ,etnous rap-
pelleronsquelques-unsdesprincipaux résultats dansle
casdubruitthermique. Une étude plus fine desproprié-
tésde P( i )conduitàs’intéresseraux moments d’ordre
supérieur de ladistribution :〈δin 〉,n≥3.Sicetteétude n’a
débutéquetrèsrécemment(premièremesurede〈δi3 〉en
2003),c’est en partie en vertu duthéorème de lalimite
centrale,quistipule queladistribution de probabilitéd’un
trèsgrand nombred’événements indépendants tend vers
une distribution gaussienne (voirencadré1). Eneffet,
cettedistribution limiteétantsymétriqueautour de sa
moyenne,le momentd’ordretrois〈δi3 〉de ladistribution
P( i )tend vers zéro. Nous allonsmontrerque,en réalité,
〈δi3 〉est non nuletquesamesureest influencée par
l’environnementélectromagnétiquedel’échantillon,
c’est-à-direparle dispositif de mesurelui-même. Nous le
montreronstout d’aborddansle casd’une simple
«résistancechauffante»puisnous nous intéresseronsau
casd’unconducteur àl’échelle mésoscopique,oùla
naturecorpusculairedesélectronsest àl’origine dubruit.
Nous montreronsenfin lesrésultats d’une mesuredu
troisième momentdanslalimitequantique,àtrèsbasse
températureethautefréquence.
A