contemporaine de l’oubli cartésien et kantien du langage, et la critique du cogito comme vérité
pragmatique (cf. D. Vernant, Introduction à la philosophie de la logique, §§ 42 à 52).
Nietzsche inaugure une critique thérapeutique de la philosophie qui sera développée par Wittgenstein.
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Mais si la soupçon que Nietzsche porte nous est contemporain, sa manière de le justifier ne l'est pas
encore.
En dénonçant les falsification, Nietzsche inaugure une « activité thérapeutique », mais reste à savoir ce
qui fonde cette thérapie, ce qui justifie la critique de la grammaire.
Elle ne s'appuie pas, comme chez les contemporains, sur un usage réformé du langage. Par exemple, le
premier Wittgenstein se sert de la logique formelle pour opérer une critique d’un usage naïf du langage.
Nietzsche, au contraire, va trouver la justification de sa critique non dans un usage réformé du langage
(i.e. logique), mais dans l’expérience d’un « petit fait très bref ». Mais quel est ce fait ? De quelle nature
est cette expérience ?
Le fait est la manifestation d’une force vitale. En-deçà du rationalisme socratique, on retrouve un
rapport à la Vie. La force vitale « pense », affirme son vouloir, sa volonté de puissance. Cette volonté
n'est pas unifié, unique, elle se démultiplie. Affirmation dionysiaque d’un pur processus qui échappe à
tout sujet.
L'expérience est clairement antéprédicative, non discursive, qui met en jeu tout l'être. Elle est d’ordre
mystico-religieuse (influence de Schopenhauer). C’est l’expérience indicible de l’éternel retour. On
retrouve ici la vieille opposition discursif/non-discursif, et la valorisation de l’expérience intuitive
comme accès direct, immédiat au vrai, à l’essence ! Au fondement de la philosophie de Nietzsche, il y a
ce type de vérité qui disqualifie toutes les autres connaissances, tous les usages falsificateurs du
langage. On retrouve bien le schéma de l’epistemè classique, de ce que j’ai appelé philosophie sur le
langage par opposition à la philosophie contemporaine du langage (cf. Intro du cours).
Pour l’epistemè contemporaine, le langage est opaque, souvent falsificateur. Mais il ne saurait être
question de la disqualifier au nom d’une quelconque intuition. Toute connaissance est discursive et
rationnelle (il n'y a pas d'autre mode de connaissance). C’est donc dans le langage que l’on peut
critiquer le langage en opposant à un usage spontané un usage contrôlé, éventuellement formalisé.
Logique et sémiotique permettent un retour critique sur la « grammaire» naïve du langage. La pensée
est langage, la connaissance est symbolique. De même, et Nietzsche est là aussi précurseur, la pensée
est action. Mais il ne saurait y avoir d’action sans langage. Une pure action n’a pas de sens (cf.
D. Vernant, Du Discours à l’action).
CONCLUSION
Ne pas négliger la conclusion qui doit rappeler les grandes étapes de la réflexion, la thèse proposée, ses
présupposés et leur examen critique.
APPLICATION AU TEXTE DE NIETZSCHE
Nietzsche propose en trois étapes une thèse radicale, celle du caractère fallacieux de la croyance au
sujet. Celle-ci résulterait d’une antique « grammaire » conduisant à assigner un sujet, un agent à toute
action. Il lui oppose le « petit fait » qu’est la réalité ultime d’un pur procès de pensée sans sujet,
l’expérience d’un vouloir vivre universel.
La dénonciation du rôle métaphysique de la « grammaire », le soupçon jeté sur le langage annoncent
l’approche contemporaine, et, par exemple, le « premier » Wittgenstein qui concevait la philosophie
comme une activité thérapeutique visant à corriger l’usage défectueux du langage par les
métaphysiciens. De même, sa critique virulente de la philosophie du sujet et de la représentation rejoint
les thèses centrales de l’épistémé contemporaine.
Pour autant, Nietzsche ne saurait être notre contemporain en ce qu’il n’opère pas la réforme du langage
au moyen d’un autre langage : la grammaire formelle de la logique mathématique (cf. Frege, Russell)
ou au nom d’une connaissance sur le langage (linguistique pour Saussure et Benveniste, sémiotique
pour Peirce, pragmatique pour le « second » Wittgenstein). Il dénonce le rôle falsificateur du langage au
nom d’une expérience mystique nous permettant d’accéder à la réalité ultime d’un pur procès de