Cour de cassation de Belgique Arrêt

publicité
20 MARS 2003
C.01.0269.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.01.0269.F
1.
ROSSEL & Cie, société anonyme dont le siège social est établi à
Bruxelles, rue Royale, 120, inscrite au registre du commerce de Bruxelles
sous le numéro 6.596,
2.
SOCIETE ANONYME D’INFORMATION ET DE PRODUCTION
MULTIMEDIA, dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard
Emile Jacqmain, 127, inscrite au registre du commerce de Bruxelles sous
le numéro 185.436,
3.
MEDIABEL, anciennement dénommée Vers l’Avenir, société anonyme
dont le siège social est établi à Namur, boulevard E. Mélot, 12, inscrite au
registre du commerce de Namur sous le numéro 1.188,
4.
EDITECO, société anonyme dont le siège social est établi à Anderlecht,
rue de Birmingham, 131, inscrite au registre du commerce de Bruxelles
sous le numéro 407.519,
20 MARS 2003
5.
C.01.0269.F/2
BLC MEDIA, société anonyme dont le siège social est établi à Liège, rue
de la Régence, 55, inscrite au registre du commerce de Liège sous le
numéro 198.112,
demanderesses en cassation,
représentées par leur mandataire ASSOCIATION BELGE DES EDITEURS
DE JOURNAUX (ABEJ), association sans but lucratif dont le siège est établi à
Anderlecht, boulevard Paepsem, 22,
représentées par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection
de domicile,
contre
RADIO-TELEVISION BELGE DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE
(RTBF), entreprise publique autonome dont le siège est établi à Schaerbeek,
boulevard Auguste Reyers, 52,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Liège, boulevard Emile de Laveleye, 14, où il est fait
élection de domicile.
I.
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 31 janvier
2001 par la cour d’appel de Bruxelles.
20 MARS 2003
II.
C.01.0269.F/3
La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L’avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
III.
Le moyen de cassation
Les demanderesses présentent un moyen libellé dans les termes
suivants :
Dispositions légales violées
- articles 170, spécialement § 2, et 173 de la Constitution ;
- articles 17, § 1er, et 18, § 1er, de la loi du 6 février 1987 relative aux
réseaux de radiodistribution et de télédistribution et à la publicité commerciale
à la radio et à la télévision (tant dans la version initiale dudit article 17, § 1er,
que dans son texte modifié par le décret de la Communauté française du 19
juillet 1991) ;
- article 1er de l’arrêté de l’Exécutif de la Communauté française du 31
août 1989 autorisant la Radio-Télévision belge de la Communauté française à
insérer de la publicité commerciale dans ses programmes télévisés ;
- articles 1er, 2 et 3 de l’arrêté du 21 novembre 1989 de l’Exécutif de la
Communauté française fixant pour l’année 1989 les modalités de la répartition
des revenus en provenance de la publicité commerciale au profit de la presse
écrite ;
- articles 1er, 2 et 3 de l’arrêté du 28 décembre 1990 de l’Exécutif de la
Communauté française fixant, pour l’année 1990, la répartition des revenus en
provenance de la publicité commerciale au profit de la presse écrite ;
- articles 1er et 2 de l’arrêté de l’Exécutif de la Communauté française
du 24 décembre 1991 fixant, pour l’année 1991, les modalités de la répartition
des revenus en provenance de la publicité commerciale au profit de la presse
écrite ;
20 MARS 2003
C.01.0269.F/4
- articles 1er, 2, 3 et 4 de l’arrêté de l’Exécutif de la Communauté
française du 24 décembre 1991 fixant les modalités de la répartition des
revenus en provenance de la publicité commerciale au profit de la presse
écrite.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que l’article 17, § 1er, de ladite loi du 6 février
1987 a organisé au profit de la presse écrite, regroupée au sein de l’a.s.b.l.
Abej, un prélèvement sur les recettes provenant de la publicité commerciale
diffusée à la radio et à la télévision ; « qu’il n’est pas contesté que l’aide à la
presse écrite ne se calcule que sur la base des seules recettes de la publicité
commerciale, à l’exclusion des recettes de la publicité non commerciale et du
parrainage » ; qu’un certain nombre de « spots publicitaires ne correspondent
pas à la définition du parrainage » et avaient donc été erronément facturés à
titre de parrainage ; « que, pour que [cette] facturation erronée (…) puisse
être constitutive d’une faute à l’égard de [l’a.s.b.l. Abej] et lui avoir causé un
préjudice, il faut (…) que [l’a.s.b.l. Abej] puisse effectivement prétendre à une
compensation financière pour la perte de revenus consécutive à l’introduction
de la publicité commerciale à la télévision »,
l’arrêt attaqué décide que les prélèvements mis à charge de la
défenderesse ont « la nature d’un impôt ; que, conformément à l’article 170 de
la Constitution, cet impôt aurait dû être établi par une loi ou un décret ; que,
cependant, le législateur a délégué à l’Exécutif la mission d’identifier les
redevables et de déterminer le taux d’imposition, voire la base imposable ;
qu’il n’est pas exclu que l’article 17 de la loi du 6 février 1987 viole les
articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 170 de
celle-ci, en ce qu’ils soumettent à un traitement différencié injustifié les
redevables de la compensation forfaitaire au profit de la presse écrite, fixée
par de simples arrêtés d’exécution, et les personnes soumises aux impôts dont
le législateur détermine tous les éléments essentiels »,
20 MARS 2003
C.01.0269.F/5
aux motifs « que l’impôt constitue un prélèvement pratiqué par voie
d’autorité par l’Etat, les provinces ou les communes sur les ressources des
personnes, qu’elles soient de droit public ou de droit privé, des sociétés sans
personnification civile et des associations de fait ou communautés, existant sur
leur territoire, ou y possédant des intérêts, pour être affecté aux services
d’utilité générale (…) ; que ces caractéristiques sont réunies en l’espèce
puisque le prélèvement est pratiqué par voie d’autorité par la Communauté
française sur les ‘ revenus provenant de la publicité commerciale’ de la
personne morale qu’est la [défenderesse], pour être affecté au maintien de la
presse écrite et donc de la liberté d’opinion d’utilité générale ; que [l’a.s.b.l.
Abej] conteste cette analyse de la contribution qui lui est imposée au motif que
l’autorité n’agirait pas en l’espèce dans le but de couvrir des dépenses de
l’autorité publique mais uniquement pour assurer la répartition des fonds
recueillis, sans toutefois en disposer, ce qui lui ôterait le caractère d’impôt ;
qu’il est exact qu’un prélèvement à destination spéciale n’est pas un impôt si
l’autorité n’intervient que pour la répartition des fonds recueillis, sans
toutefois en disposer (…) ; que la nature juridique du prélèvement n’est
cependant, en règle, influencée ni par la destination des ressources qu’il
procure à l’autorité publique, ni par le motif invoqué pour introduire l’impôt
(…) ; que la circonstance que, comme en l’espèce, le prélèvement est affecté à
un fonds budgétaire en vue de la réalisation des objectifs décrits lors de la
création de ce fonds ne permet en tout cas pas de dénier à ce prélèvement la
qualité d’impôt (…) ; qu’en l’espèce, la Communauté française n’agit pas
comme simple comptable des fonds prélevés sur les ressources de [la
défenderesse] puisque ces fonds sont inscrits à son budget (au départ au
budget des services du Premier ministre) et que c’est son Exécutif qui fixe,
d’une part, la partie des revenus de la publicité commerciale affectée à la
presse écrite à titre de compensation forfaitaire et, d’autre part, les critères et
les modalités de répartition de ce prélèvement ; que, comme exposé
précédemment, [l’a.s.b.l. Abej] ne peut faire valoir aucun droit subjectif au
paiement de la compensation directement contre la [défenderesse] ; que l’on
ne peut déduire du seul fait que, après avoir décidé à quoi ces fonds allaient
servir, la Communauté exécute sa décision qu’elle n’a pas la disposition des
fonds inscrits à son budget et qu’elle n’a donc pas prélevé un impôt ; que si
20 MARS 2003
C.01.0269.F/6
l’on acceptait cette thèse, toute recette de la Communauté perdrait la nature
d’impôt dès qu’elle recevrait sa destination, ce qui n’est évidemment pas
concevable ; que, surabondamment, les prélèvements litigieux ne peuvent pas
non plus être qualifiés de redevances ; que la redevance est la contrepartie
d’un service accompli par l’autorité au bénéfice du redevable considéré
isolément (…) ; qu’en l’espèce, les prélèvements ne sont la contrepartie directe
et individualisée d’aucun service accompli par la Communauté française au
bénéfice spécial de la [défenderesse] ; que la seule autorisation accordée à
[la défenderesse] d’effectuer de la publicité commerciale à la télévision sur le
territoire de la Communauté ne peut être considérée comme un ‘service’
accompli par la Communauté ; que ces prélèvements ont pour but de
compenser la perte de revenus à subir par la presse écrite, compensation dont
la [défenderesse] ne retire aucun avantage (…) ; qu’en outre la redevance doit
être proportionnée au coût du service fourni spécialement au payeur ; qu’en
l’espèce, il n’existe aucune proportionnalité entre le prélèvement imposé à [la
défenderesse] et le coût de l’autorisation accordée à [la défenderesse]
d’effectuer de la publicité commerciale ; qu’en revanche, une telle
proportionnalité existe, dans une certaine mesure, entre le prélèvement imposé
à [la défenderesse] et la perte de revenus à subir par la presse écrite ; que dès
lors, même s’il fallait admettre que le prélèvement opéré sur les revenus de la
[défenderesse] est la contrepartie de l’avantage que celle-ci retire de
l’autorisation de faire de la publicité commerciale à la télévision, encore ce
prélèvement ne pourrait-il être qualifié de redevance à défaut de
proportionnalité avec l’avantage accordé ».
Griefs
L’article 17, § 1er, de ladite loi du 6 février 1987 confie à l’Exécutif
compétent le soin de déterminer « les modalités selon lesquelles une partie des
revenus bruts provenant de la publicité commerciale peut être affectée à la
presse écrite en tant que compensation forfaitaire de la perte de revenus due à
l’introduction de la publicité commerciale à la radio et à la télévision ». Les
20 MARS 2003
C.01.0269.F/7
paiements effectués en vertu de cette disposition constituent une rétribution
prévue par ladite loi et établie en vertu de celle-ci et non un impôt au sens des
articles 170 et 173 de la Constitution. En effet, la rétribution est
essentiellement une somme que l’autorité réclame à certains redevables en
contrepartie soit d’une prestation spéciale qu’elle a effectuée à leur profit
personnel soit d’un avantage direct et particulier qu’elle leur a accordé. Le
montant d’une rétribution doit présenter un rapport raisonnable avec l’intérêt
du service presté ou de l’avantage accordé, faute de quoi la redevance perdrait
son caractère de rétribution et devrait être considérée comme un impôt.
L’autorisation conférée à la défenderesse par ledit arrêté du 31 août 1989
d’émettre de la publicité commerciale constitue un avantage direct et
particulier accordé à la défenderesse par l’Exécutif de la Communauté
française. La « compensation forfaitaire » organisée par l’article 17, § 1er, de
ladite loi du 6 février 1987 organise le droit pour l’Exécutif compétent de
prélever une rétribution pour l’octroi de cet avantage direct et particulier. La
rétribution est fixée en fonction de la charge supplémentaire que l’Exécutif
compétent doit supporter pour accorder à la presse écrite une compensation de
la perte de revenus qui résulte de l’avantage accordé à la défenderesse.
L’arrêt attaqué reconnaît lui-même qu’il existe une « proportionnalité »
« entre le prélèvement imposé à [la défenderesse] et la perte de revenus à subir
par la presse écrite », perte que la rétribution est destinée à indemniser
forfaitairement. En attribuant la nature d’un impôt au prélèvement prévu par
l’article 17, § 1er, de ladite loi du 6 février 1987 (dans sa version initiale et
dans son texte modifié par ledit décret du 19 juillet 1991), en contrepartie de
l’autorisation de la publicité commerciale donnée à la défenderesse par
l’article 1er dudit arrêté de l’Exécutif de la Communauté française du 31 août
1989, l’arrêt attaqué méconnaît la distinction constitutionnelle entre
imposition au profit de la Communauté et rétribution (violation des articles
170, § 3, et 173 de la Constitution) et viole les articles 17, § 1er, et 18, § 1er, de
ladite loi du 6 février 1987 et 1er dudit arrêté de l’Exécutif de la Communauté
française du 31 août 1989 ainsi que les autres dispositions visées en tête du
moyen.
20 MARS 2003
IV.
C.01.0269.F/8
La décision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le ministère public et
déduite de l’irrecevabilité du pourvoi :
Attendu que le pourvoi est dirigé contre la décision de l’arrêt d’attribuer
la nature d’un impôt au prélèvement prévu par l’article 17, § 1er, de la loi du 6
février 1987 relative aux réseaux de radiodistribution et de télédistribution et à
la publicité commerciale à la radio et à la télévision ;
Que les juges d’appel ont posé à la Cour d’arbitrage la question de
savoir si cet article 17 viole ou non les articles 10 et 11 de la Constitution lus
conjointement avec l’article 170 de celle-ci ; qu’ils ont précisé les limites de la
question préjudicielle, posée uniquement en ce que l’article 17 établit un
impôt ;
Attendu qu’en considérant que l’article 17 établit un impôt, les juges
d’appel ont donné de cette disposition une interprétation définitive dont ils ne
pourraient s’écarter en vertu de l’article 19 du Code judiciaire ;
Attendu qu’il appartient à la Cour de vérifier la légalité de cette
interprétation ;
Que la fin de non-recevoir ne peut être accueillie ;
Sur le moyen :
Attendu que l’arrêt constate que le litige a trait à l’attribution par la
Communauté française d’une partie des ressources provenant de la publicité
commerciale faite à la radio et à la télévision aux organes de la presse écrite
groupés au sein de l’Association belge des éditeurs de journaux ;
Attendu que l’article 17, § 1er, de la loi du 6 février 1987, dans sa
version applicable au litige, dispose que le Roi détermine annuellement, par
arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités selon lesquelles une
partie des revenus bruts provenant de la publicité commerciale peut être
20 MARS 2003
C.01.0269.F/9
affectée à la presse écrite en tant que compensation forfaitaire de la perte de
revenus due à l’introduction de la publicité commerciale à la radio et à la
télévision ;
Que l’article 18, § 1er, de cette loi prévoit que la partie des revenus
provenant de la publicité commerciale obtenue en application de l’article 17,
§ 1er, est inscrite comme crédit au budget des services du Premier ministre à
titre de compensation pour la presse écrite francophone, néerlandophone ou
germanophone, et est répartie selon les critères et les modalités fixés par arrêté
royal délibéré en Conseil des ministres ;
Qu’il résulte tant des termes de ces dispositions légales que des travaux
préparatoires de la loi du 6 février 1987 que le législateur a entendu, par le
prélèvement qu’il organise, aider la presse écrite dans l’intérêt général, en vue
d’assurer l’exercice effectif de la liberté de la presse ;
Attendu que l’impôt est un prélèvement pratiqué par voie d’autorité par
l’Etat, les régions, les communautés, les provinces ou les communes sur les
ressources des personnes qui y vivent ou y possèdent des intérêts, pour être
affecté aux services d’utilité publique ;
Attendu que l’arrêt relève que « le prélèvement est pratiqué par voie
d’autorité par la Communauté française sur les ‘revenus provenant de la
publicité commerciale’ de la personne morale qu’est la [défenderesse], pour
être affecté au maintien de la presse écrite et donc de la liberté d’opinion
d’utilité générale » ;
Qu’il considère que « les prélèvements ne sont la contrepartie directe et
individualisée d’aucun service accompli par la Communauté française au
bénéfice spécial de la [défenderesse] ; que la seule autorisation accordée à [la
défenderesse] d’effectuer de la publicité commerciale à la télévision sur le
territoire de la Communauté ne peut être considérée comme un ‘service’
accompli par la Communauté ; que ces prélèvements ont pour but de
compenser la perte de revenus à subir par la presse écrite, compensation dont la
[défenderesse] ne retire aucun avantage » ;
Attendu que, sur la base de ces énonciations, l’arrêt décide, sans violer
aucune des dispositions légales visées au moyen, que les prélèvements
20 MARS 2003
C.01.0269.F/10
litigieux, qui ne rétribuent pas l’autorisation accordée à la défenderesse de
diffuser de la publicité commerciale, ont la nature d’un impôt ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demanderesses aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de six cent dix euros cinquante et un centimes
envers les parties demanderesses et à la somme de deux cent septante-cinq
euros quatre-vingt-six centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe
Echement,
Didier Batselé, Daniel Plas et Sylviane Velu, et prononcé en
audience publique du vingt mars deux mille trois par le président de section
Claude Parmentier, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec
l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Téléchargement