résumé thèse Anne Le Goff - Université de Picardie Jules Verne

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Anne Le Goff (CURAPP-­‐ESS UMR 7319, CNRS, Université de Picardie Jules Verne) RESUME DE LA THESE L’être humain comme animal rationnel : l’idée de seconde nature de John McDowell Comment concevoir l’être humain comme un animal rationnel ? A cette question classique de la philosophie occidentale, le philosophe américain contemporain John McDowell tente d’apporter une réponse originale. La raison et le langage, affirme-­‐t-­‐il, sont naturels au sens où ils constituent la « seconde nature » des êtres humains. Dans cette thèse, nous nous attachons à la fois à élucider le naturalisme proposé par McDowell et à l’examiner de manière critique, au regard même des objectifs qu’il s’est fixés. Cela nous permet finalement de tracer les contours d’un naturalisme non réductionniste alternatif. La force de la notion de seconde nature est de s’émanciper du dualisme classique entre nature et raison et de revendiquer un élargissement du concept de nature aux propriétés normatives. Ces dernières ne sont pas réductibles aux propriétés physico-­‐
chimiques et biologiques. Néanmoins, elles sont bien naturelles au sens où elles sont développées par tout individu recevant l’éducation adéquate dans le monde humain. Ainsi, McDowell propose une conception forte d’un rationalisme engagé dans une vie. Mais parvient-­‐il réellement à dépasser le dualisme entre nature et raison qu’il identifie ? Nous soutenons qu’en réalité il le maintient, en maintenant une séparation radicale entre deux types mutuellement exclusifs de vie animale, celle des humains rationnels et celle des animaux non humains ou des êtres humains encore non initiés aux raisons. Outre la difficulté qu’elle pose pour la cohérence de sa conception, cette dichotomie ne résiste pas à une analyse approfondie, notamment à partir des découvertes de l’éthologie contemporaine. Nous proposons au contraire de saisir toute vie animale – humaine ou non-­‐
humaine – comme une certaine configuration de la vie, une forme de vie, qui combine inextricablement des éléments biologiques et sociaux. Ainsi, la vie humaine dans le langage est-­‐elle elle-­‐même une forme de vie naturelle. Composition du jury : Christophe AL-­‐SALEH, Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne Vincent DESCOMBES, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Piergiorgio DONATELLI, Professeur à l’Université La Sapienza de Rome (rapporteur) Claude GAUTIER, Professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (rapporteur) Sandra LAUGIER, Professeure à l’Université Paris 1 (directrice) Layla RAÏD, Professeure à l’Université de Picardie Jules Verne (présidente du jury) 1 PLAN DE LA THESE ET RESUME DES CHAPITRES INTRODUCTION GENERALE L’introduction pose le problème qui amène McDowell à proposer le concept de seconde nature : le dualisme entre nature et raison, dualisme classique dans la pensée occidentale. On présente également les caractéristiques que McDowell accorde à la notion de seconde nature ainsi que les problèmes qui apparaissent d’emblée à son propos. Enfin, on indique le corpus de textes utilisé, principalement composé de l’œuvre de McDowell (dans la majorité encore non traduite en français) et des œuvres de la philosophie américaine contemporaine et de la philosophie classique sur lesquelles il s’appuie. PREMIERE PARTIE : DEPASSER LE DUALISME ENTRE RAISON ET NATURE L’analyse de l’idée de seconde nature est fort elliptique au moment où McDowell en fait usage et tout un travail d’élucidation est nécessaire. Celui-­‐ci montre la richesse des réflexions rassemblées sous l’idée de seconde nature, et notamment la conception originale de la rationalité et de la vie humaine qu’elle implique. Nous soutenons que la notion de seconde nature est l’expression d’un renouvellement profond de la conception de la vie humaine, sous-­‐jacent aux thèses les plus connues de McDowell sur la pensée et l’expérience. CHAPITRE 1. ELABORATION DE L’APORIE ET RECHERCHE DE LA SOLUTION NATURALISTE Nous examinons d’abord le problème qu’est censé dissoudre la notion mcdowellienne de seconde nature et qui lui donne son sens : le dualisme entre nature et raison tel qu’il s’est constitué dans la philosophie moderne. Il est important de comprendre quels sont les concepts de raison et de nature avec lesquels McDowell formule le dualisme qu’il s’attache à dépasser. On distingue deux manières de répondre au dualisme, par rapport auxquelles McDowell construit son propre naturalisme, conçu comme une troisième voie. Ces réponses, développées dans le champ contemporain, ont une longue histoire philosophique. La première solution proposée est une naturalisation suivant le modèle scientifique. Contre ce naturalisme, que McDowell qualifie de « brut », valent les arguments du rationalisme kantien : la rationalité (la normativité) constitue un domaine autonome irréductible à des processus physiques ou biologiques. Il faut donc maintenir une dualité entre raison et nature. Mais dans le cadre de cette dualité, l’intentionalité aussi bien que l’action deviennent problématiques. Or, des penseurs rationalistes qui influencent McDowell – Kant, Sellars, Davidson – aucun ne parvient à résoudre de manière satisfaisante le dualisme. C’est qu’il faut, d’après McDowell, penser le rationalisme comme un naturalisme. Ce naturalisme se distingue fondamentalement du naturalisme scientifique en ce qu’il n’opère pas par une réduction de la normativité au physique. Reste à comprendre le sens de ce naturalisme « anthropologique » ou « de la seconde nature » et à montrer en quoi il opère véritablement une réconciliation de la nature et de la raison. Dans les deux chapitres suivants, nous élucidons l’idée de seconde nature proposée par McDowell. En quel sens peut-­‐on dire que la rationalité est une seconde nature pour l’être humain ? 2 CHAPITRE 2. LA VERTU COMME SECONDE NATURE : LE M ODELE DE L'ETHIQUE ARISTOTELICIENNE McDowell développe d’abord son idée de seconde nature à partir de l’éthique aristotélicienne. Il y trouve le modèle d’un concept de nature vierge du dualisme moderne entre nature et raison. La vertu aristotélicienne est l’association d’une face éthique (en quoi elle est le caractère ou la nature de l’individu) et d’une face intellectuelle (en quoi elle est véritablement rationnelle). Au lieu de penser l’une en opposition avec l’autre, Aristote montre qu’elles sont inséparables. L’éthique aristotélicienne fournit donc le modèle d’une rationalité acquise qui est bien en un sens naturelle. Cette lecture d’Aristote passe par de nombreux contentieux interprétatifs. McDowell défend sa lecture d’un côté contre une conception intellectualiste, et de l’autre contre une conception naturaliste. Ces lectures anachroniques témoignent de l’enracinement du schème dualiste de la raison et de la nature, dans le cadre duquel un élément ne peut être à la fois rationnel et naturel. Dès ce moment, on voit apparaître tous les enjeux et la fécondité de la notion de seconde nature. CHAPITRE 3. L’HISTOIRE NATURELLE DE L’ETRE HUMAIN : DANS LE SILLAGE DE WITTGENSTEIN Nous explorons ici l’autre voie qui permet à McDowell de développer l’idée de seconde nature : à savoir les réflexions de Wittgenstein sur ce qu’est suivre une règle. McDowell trouve chez Wittgenstein une conception de la rationalité très proche de celle d’Aristote mais qui, au-­‐delà de l’éthique, s’étend à toute la vie humaine dans le langage. Ce qui, d’après McDowell, est en jeu dans ces réflexions de Wittgenstein, c’est de montrer en quoi la vie humaine dans le langage est naturelle ou, en d’autres termes, peut être conçue comme une seconde nature. Là encore, les conflits d’interprétation font rage et toute la difficulté est de montrer en quoi l’idée de seconde nature permet bien de penser l’accord sur les règles. Wittgenstein est une référence essentielle pour McDowell et en particulier pour le problème qui nous occupe. Deux thèmes de réflexion croisés, dépendants l’un de l’autre, apparaissent dans ses écrits et influencent de manière décisive la conception mcdowellienne de la seconde nature : ce qu’est la vie humaine et ce qu’est la pratique de la philosophie, question que nous abordons dans le chapitre suivant. CHAPITRE 4. LA M EDIATION DIALECTIQUE DE LA SECONDE NATURE Nous précisons en quoi l’idée de seconde nature constitue bien une solution satisfaisante aux problèmes évoqués. L’idée de seconde nature ne peut fonder les normes. Mais tout l’enjeu est de comprendre que caractériser les capacités langagières et rationnelles comme seconde nature, ce n’est pas éviter de les fonder, c’est montrer que l’exigence de fondation est nulle est non avenue. Pour autant, la position que défend McDowell avec l’idée de seconde nature est-­‐elle simplement thérapeutique comme il l’affirme ? En vérité, cette idée dissout moins le conflit entre nature et raison qu’elle ne le dépasse de manière dialectique. La seconde nature est la forme prise par la raison dans le dépassement de l’immédiateté naturelle, de sorte que l’existence humaine est entièrement dans le concept. Nous montrons qu’avec sa conception de la seconde nature, McDowell ne se contente pas de rappeler une évidence, mais soutient bien une certaine thèse philosophique sur la nature de la vie humaine et le rapport au monde de l’individu qui en découle. Cette thèse présente des implications théoriques dont certaines sont problématiques et doivent être défendues pour que la thèse soit valide. D’abord, elle semble conduire à un idéalisme. Ensuite, cette thèse 3 signifie que le rapport de l’être humain au monde, tant dans l’expérience que dans l’action, est entièrement conceptuel. Cela ne semble pas permettre de penser adéquatement l’expérience et l’action. La réponse à ces objections permet de préciser le sens du naturalisme ainsi atteint. DEUXIEME PARTIE : LE DUALISME ENTRE NATURE ET SECONDE NATURE À ce stade, on voit que la notion de seconde nature est une notion complexe et solide. Elle permet bien de penser une naturalité de la vie humaine rationnelle et de réaliser une médiation entre nature et raison. Ce faisant, ce n’est pas simplement à une réalité évidente que l’on renvoie, mais à une conception philosophique bien précise, caractérisée par l’illimitation du conceptuel. Dans la deuxième partie, nous abordons plusieurs difficultés qui apparaissent dans cette conception et qui ont trait au rapport entre la seconde nature ainsi pensée et la première nature. Le problème apparaît en deux lieux principaux : au sein de l’être humain, qui semble appartenir à deux domaines de réalité hétérogènes, et à propos du concept d’animal, qui caractérise deux modes de vie radicalement différents. CHAPITRE 5. L’ETRE HUMAIN : DE LA PREMIERE A LA SECONDE NATURE Nous examinons de plus près la conception de la vie humaine soutenue à travers le concept mcdowellien de seconde nature, et en particulier le rapport entre la seconde nature et ce qu’on peut, par suite, appeler la « première nature ». La première nature dépassée par la seconde nature présente deux faces : d’une part, c’est la nature biologique de l’individu, d’autre part, c’est l’environnement social dans lequel se trouve l’individu qui va être éduqué aux raisons. Le rapport entre les deux natures est un point laissé obscur par McDowell. Cependant, l’enjeu n’est pas seulement exégétique : il semble que si l’on concède la persistance d’une première nature à côté de la seconde nature, cela remette en cause l’autonomie de la raison pensée comme seconde nature. En premier lieu, nous examinons le rapport de la seconde nature de l’individu à sa nature simplement biologique. Dans la conception de McDowell, la raison apparaît en fait comme la seule et véritable nature de l’être humain éduqué – c’est ce qu’indique notamment la notion de Bildung par laquelle il désigne le processus d’éducation. Bien entendu, cela implique une conception renouvelée des rapports entre l’esprit et le corps en l’être humain. En second lieu, nous examinons le rapport de la seconde nature de l’individu à l’environnement social qui la constitue. On voit apparaître un autre aspect de la seconde nature, comme « esprit objectif », pourrait-­‐on dire en reprenant le concept hégélien. Les problèmes posés par la constitution de la seconde nature rationnelle individuelle à partir de l’environnement social n’ont guère été explorés par McDowell. Il est toutefois nécessaire de montrer comment la rationalité individuelle peut émerger dans un contexte social. Cette double analyse montre que McDowell accorde bien un sens positif (et non simplement thérapeutique) à la notion de seconde nature. On peut toutefois se demander si le dualisme entre raison et nature se voit ainsi vraiment dépassé ; cette question se pose fortement dès qu’on s’intéresse plus précisément à la notion de vie, à partir de celle d’animal. 4 CHAPITRE 6. DES BETES AUX ANIMAUX RATIONNELS McDowell entend penser l’être humain comme un animal rationnel. Et pourtant, la seconde nature telle qu’il la conçoit rend impossible qu’aucun aspect de la vie de l’animal humain rationnel soit commun avec celle de l’animal non humain. Il y a là une double difficulté : d’une part, il faut concevoir de manière satisfaisante les animaux non humains, d’autre part, il faut pouvoir donner un sens à l’idée que l’être humain est bien un animal rationnel. Notre examen de la conception mcdowellienne de l’animal nous amène à conclure à son caractère insatisfaisant, sur la base notamment des découvertes de l’éthologie contemporaine. Ce défaut révèle un véritable point aveugle dans la conception naturaliste de McDowell : un défaut de conceptualisation de la nature, auquel les références mêmes auxquelles il puise indirectement (von Uexküll en particulier) permettraient pourtant de remédier. McDowell réinstaure un dualisme entre nature et seconde nature, entre les animaux non humains et les animaux humains. Ce problème n’est pas périphérique mais remet en cause la manière même dont on peut concevoir l’animal rationnel. CHAPITRE 7. QU’EST-­‐CE QU’ETRE UN ANIMAL RATIONNEL ? Pour tenter de dépasser le dualisme maintenu par McDowell entre deux formes d’animalité, nous examinons le point qui marque, d’après lui et de manière classique, la séparation radicale entre animalité rationnelle et « simple » animalité : la possession du langage, qui nous initie à l’espace logique des raisons. L’examen de la place du langage dans une vie animale, dans une perspective wittgensteinienne comme nous y invite McDowell, nous conduira à remettre en cause l’idée mcdowellienne selon laquelle la possession du langage crée cette rupture. Concevoir l’être humain comme un animal langagier et rationnel apparaît bien comme une piste fructueuse, mais dès lors que l’on part d’un concept d’animal adéquat. Pour le comprendre, on partira notamment des réflexions de Cora Diamond et d’analyses éthologiques contemporaines (Bateson, De Waal). Se dessine alors la voie vers un naturalisme et un réalisme non réducteurs, qui diffèrent de ceux défendus par McDowell. CONCLUSION GENERALE Notre travail propose une évaluation critique du naturalisme de McDowell et tente de dessiner des perspectives permettant de poursuivre dans la voie naturaliste, au-­‐delà des limites repérées chez ce dernier. Avec son idée de seconde nature, McDowell ne parvient pas à atteindre les objectifs qui sont les siens. Loin de dépasser le dualisme entre nature et raison, il le réitère en maintenant deux types d’animalité dont on ne peut concevoir un sens commun. Toutefois, les insuffisances de sa conception ne constituent pas une objection au projet d’un naturalisme alternatif au naturalisme scientifique. A cet égard, le travail de McDowell peut constituer le point de départ d’une réflexion sur les conditions d’un véritable naturalisme alternatif, non réducteur. Il montre avec une grande lucidité que la compréhension de l’être humain par lui-­‐même doit se faire dans le contexte d’une conception renouvelée de la nature et témoigne d’une conscience aiguë de l’urgence d’une telle réflexion. Mais alors qu’il développe une conception forte et originale de la rationalité, il ne va pas assez loin dans le renouvellement de l’idée de nature. Au contraire, c’est en prenant au sérieux la question posée du genre de vie qu’est la vie humaine et l’injonction de penser sa naturalité en même temps que sa rationalité que l’on pourra en venir à définir un naturalisme satisfaisant. 5 
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