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Introduction
Comment la critique hölderlinienne de la raison ouvre t-elle la possibilité d’une
habitation poétique de l’homme sur terre ? Quel est le rôle de la parole poétique et quel-
le est sa signification pour la modernité ? Ce sont pour nous deux faces de la même ques-
tion chez Hölderlin.
Contrairement à Rousseau, retrouver l’état de nature, l’union d’avec elle nous est
impossible pour Hölderlin ; si tel est le cas, comment du moins avoir un rapport vivant
avec la nature, retrouver en quelque sorte le « pathos sacré » à l’exemple des Grecs ? De
là vient la question de l’habitation poétique.
Il est nécessaire de libérer le langage de la dictature de la raison, et c’est la parole
poétique qui saisit l’essence de l’histoire et qui permet une habitation véritable. Nous
voulons penser la possibilité d’une habitation poétique sous l’angle du langage. En quoi
le langage poétique, contrairement au langage rationnel, permet-elle un rapport vivant
avec le tout ? Cela concerne pour ainsi dire le destin d’Occident.
Le langage rationnel est constitué de jugements (Ur-teil), il a un caractère essentiel-
lement séparant ; tandis que le langage poétique est intuitionnel, le poète se lie aux élé-
ments, à l’univers, non pas séparé de la nature et des autres, clos en lui-même comme
l’atome, mais il s’oublie en tant que sujet, est lié à une vie supérieure et antérieure, celle
de l’univers. Il est libre dans cette intuition. (Zhuang Zi, le Taoïste romantique).
Difficile est le libre usage de ce qui nous est propre. Hölderlin dit que nous n’avons
rien de commun avec les Grecs, alors ils nous sont des exemples. Tout le problème c’est
la façon de les considérer. La tragédie est morte, mais les poètes errent de pays en pays
en la nuit sacrée. Si la tragédie est deuil, la poésie est lamentation. Nous voyons le statut
de la poésie pour la modernité, lamentation de ne pas pouvoir retrouver le lien une fois
pour toutes perdu avec la nature. En ce sens, toute poésie est de nature élégiaque. La
poésie est en même temps compromis et l’outil de l’auto-pardon des Modernes car im-
possible d’imiter les Anciens et renouer le lien brisé d’avec la nature-mère; elle est atten-
te—c’est en ce sens qu’elle est plus adaptée au retournement des Modernes que la tragé-
die. La poésie est endurance de la séparation d’avec le divin et sa lamentation. Par
contre, ce qui nous est propre, la clarté de présentation, notre rationalité a été mal-et
sur-utilisée. « Le propre » ne désigne en aucun cas la nature humaine, mais bien notre
point de départ culturel en tant qu’Hespérides. La rationalité est pour ainsi dire le départ
culturel des modernes, mais n’est en aucun cas notre nature humaine naturelle. Comme