les nègres - Comédie de Clermont

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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
LES NÈGRES
JEAN GENET
ROBERT WILSON
14 et 15 décembre 2015
COPRODUCTION LA COMÉDIE DE CLERMONT-FERRAND
ÊTRE NÈGRE
La scène contemporaine monte peu le théâtre de Jean
Genet : théâtre de texte, profus, lyrique, ultra-littéraire ;
théâtre coûteux également parce qu’il nécessite une
distribution nombreuse, théâtre licencieux surtout qui,
bien au-delà de la provocation, joue à déconstruire nos
représentations sociales et culturelles. Pourtant, monter
Les Nègres est un défi de notre temps. Qu’est-ce qu’être
Nègre ? Beaucoup pourront dire que ce mot méchant
est galvaudé ; Jean Genet lui-même pensait qu’il
n’aurait plus lieu d’être débattu. Le sens de l’histoire lui
donne à la fois raison et tort tant la question de la haine
raciale s’impose à la fois comme interdit irrépressible et
illustration de clichés encore bien tenaces et prolifiques.
Jean Genet avait compris que le théâtre était l’espace
privilégié de destruction des anciennes représentations
parce que le théâtre est par essence le lieu de la vérité et
de l’illusion.
« QUE DEVIENDRA CETTE PIÈCE
QUAND AURONT DISPARU
D’UNE PART LE MÉPRIS ET LE
DÉGOÛT, D’AUTRE PART LA
RAGE IMPUISSANTE ET LA HAINE
QUI FORMENT LE FOND DES
RAPPORTS ENTRE LES GENS DE
COULEUR ET LES BLANCS, BREF,
QUAND ENTRE LES UNS ET LES
AUTRES SE TENDRONT DES LIENS
D’HOMMES ? ELLE SERA OUBLIÉE.
J’ACCEPTE QU’ELLE N’AIT DE SENS
QU’AUJOURD’HUI. »
Faire le simulacre non pour le dénoncer mais au contraire
pour explorer la vérité sous le mensonge, tel est aussi le
projet artistique de Bob Wilson. En 1971 Regard du
Sourd est un geste artistique magistralement novateur
qui balaye d’un revers de main le vieux théâtre. Le
metteur en scène est plasticien, chorégraphe. La scène
se fait territoire vivant d’explorations sensorielles. Notre
relation intelligible au monde est rompue au profit d’une
rencontre avec l’irrationnel et l’effroi de nos structures
les plus profondes. Bob Wilson et Jean Genet ont ceci
de commun qu’ils ont défait l’art théâtral de ses vieux
rituels pour déshabiller l’homme de toutes es parades
culturelles dont il se protège et l’amener à s’affronter
seul et nu face à lui-même.
PRÉFACE DE JEAN GENET
POUR LES NÈGRES
À l’image des artistes dont il est question ici, ce dossier
pédagogique, est pensé pour inviter les disciplines au
dialogue naturel. Activités de recherches, propositions
d’ateliers, explorations à travers les arts, il s’agit ici
d’accompagner les élèves à ouvrir leur réflexion et leur
regard sur les signaux complexes de l’image mais aussi
de les libérer par la pratique de leurs propres codes de
représentation. L’école du spectateur est un jeu d’écluses :
la réflexion théorique peut naître de l’expérience du
plateau, les arts graphiques et publicitaires éclairer une
œuvre d’art ou un phénomène historique. L’école du
spectateur n’appartient à aucune école. Entrer dans le
spectacle vivant, c’est aussi se construire, à son image,
dans un dialogue libéré entre les arts et les pratiques.
Amélie Rouher
2
SOMMAIRE
PARTIE # 1
AVANT LA REPRÉSENTATION
PARTIE # 2
APRÈS LA REPRÉSENTATION
I. « ET D’ABORD NÈGRE,
C’EST DE QUELLE COULEUR ? »
I. PROPOSITION DE RÉFLEXIONS GUIDÉES
POUR UNE ANALYSE CHORALE
A. 1959, année électrique
B. La séquence du cinéphile : Bardot, femme Nègre
C. Qu’est-ce qu’être nègre ?
Analyse d’image : Et n’oublie pas ton Banania !
A. Atelier de prise de parole
« Ce que j’attendais, ce qui m’a surpris… »
B. « Ça me fait penser à… »
C. Le prologue
D. Un Cabaret exotique
E. Plastique-Palace !
F. Un noir ? C’est de quelle couleur ?
L’esthétique des contraires.
G. Le jeu des acteurs. Cabaret Vogue !
II. JEAN GENET, POÈTE CANNIBALE
A. Portrait de l’artiste par ses (auto)-portraits
B. Atelier de pratique artistique : Genet à voix haute
C. Atelier de pratique artistique
II. ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE.
UNE RÉPONSE ENGAGÉE À LA MISE EN SCÈNE
DE BOB WILSON ?
III. BOB WILSON, ARTISTE TOTAL
A. Le Regard du sourd
B. Atelier de pratique artistique
C. Bob Wilson, plasticien et sculpteur de l’espace
D. Bob Wilson, poète et sculpteur de la lumière
E. L’atelier du plasticien-scénographe
ANNEXES
1. Jean Genet, petit florilège
2. Les Nègres : résumé et extraits
3. Mettre en scène Les Nègres
4. Les Nègres, extrait de synopsis en 20 tableaux établis
par Robert Wilson
3
PARTIE # 1
AVANT LE SPECTACLE
Les formes artistiques sont naturellement bousculées
dans leurs conventions. Au Nouveau Roman qui
déconstruit la structure classique du roman, répond au
cinéma le mouvement de la Nouvelle Vague. Tout cela
fleure le scandale. En 1959 toujours : Jean Luc Godard
réalise À bout de Souffle où l’on voit Jean Paul Belmondo
assassiner un policier ; Raymond Queneau publie Zazie
dans le Métro, roman violent et transgressif qui peine à
cacher sous les jeux de morts oulipiens la crise d’une
France qui étouffe sous le poids des conventions.
I. ET D’ABORD NÈGRE,
C’EST DE QUELLE COULEUR ?
A. 1959 ANNÉE ÉLECTRIQUE
Jean Genet écrit Les Nègres en 1956. La pièce ne sera
jouée en France qu’en 1959.
Que se passe-t-il dans le monde, en France, dans
le monde à ce moment précis ? Quels romans lit-on ?
Quelles œuvres s’exposent ? Que va-t-on voir au
cinéma ? Quelles chansons fredonne-t-on ? Inviter
les élèves à opérer des analogies entre le contexte
historique et la création contemporaine de cette
période. Quels thèmes sont traités, que soustendent-ils et que révèlent-ils de cette période ?
Déjà le changement est en marche et prépare l’explosion
qui aura lieu dix ans plus tard en 68.
Sur le terrain de la politique internationale, l’année
1959 est une année électrique : les Russes envoient
la première fusée lunaire, la révolte cubaine éclate,
le Congo se soulève pour finalement proclamer son
indépendance. En orient, la guerre du Vietnam s’étend
au Cambodge.
En France, le premier ministère la Culture est créé en
France sous l’égide d’André Malraux, en même temps
que de Gaulle qui vient d’être réélu à la Présidence de la
Rébublique prononce l’autodétermination de l’Algérie.
Mais derrière le masque de l’ordre gaulliste et la montée
en masse de la société de consommation que Barthes
s’amuse à dénoncer dans son essai Mythologies (1957),
un vent de transgression et de révolte souffle sur l’année
1959. À Saint Germain, on fredonne « la complainte
du Progrès » de Boris Vian, les caves font remonter
les trompettes jazz de Sydney Bechet et pleurent Billie
Holliday qui vient de disparaître. Au théâtre, si on se
vante d’aller voir jouer « du Claudel », si Jean Anouilh
est parmi les auteurs les plus populaires, la scène française
est déjà imprégnée des textes de Samuel Beckett. ^ De haut en bas et de gauche à
droite : Affiche d’À bout de Souffle
réalisé par Jean-Luc Godard, 1959
/ De Gaulle réélu, photographie
officielle, 1958 / Publicité pour
Moulinex. 1959 / Couverture
du Times du 26 juillet 1950,
la révolution cubaine.
Aux romans de la vacuité existentielle (Molloy en 1951
et Malone meurt en 1956) répond très vite ce théâtre
dit de « l’absurde » qui réduit l’être à une machine
verbale, tourne à vide dans un ici et maintenant aussi
matérialiste que creux. En 1953, En attendant Godot est
mis en scène par Roger Blin, celui-là même qui en 1959
s’attache à monter Les Nègres.
4
B. LA SÉQUENCE DU CINÉPHILE…
BARDOT, FEMME NÈGRE
C. QU’EST-CE QU’ÊTRE NÈGRE ?
• Montrer l’extrait de Et Dieu créa la femme de
Roger Vadim. Demander aux élèves de réagir sur
cette séquence et d’imaginer la réception du film à
sa sortie en 1956, la même année que Jean Genet
rédige Les Nègres.
• Avant d’avancer plus avant dans des recherches
documentaires, on demandera aux élèves de réagir
sur le terme de « Nègre ». Dans un second temps,
on leur demandera d’analyser l’image des noirs des
années 30 aux années 60. Nous proposons ici à titre
indicatif trois documents de nature différente.
Analyse d’image : Et n’oublie pas ton Banania !
https ://www.youtube.com/watch?v=gaFTmZ4zQCU
L’expression « Nègre » est appréhendée aujourd’hui
comme un terme discriminant et péjoratif.
Cette prise de conscience est cependant lente. Les
arts figuratifs sont des témoins intéressants de cette
évolution. Le fameux tirailleur sénégalais de la publicité
Banania est évolué au cours des années sans pour autant
réussir à évincer la figure symbolique du Noir. On sait
que la tentative de remplacement du carabinier par un
enfant blanc a été un fiasco commercial. Ce sont les arts
graphiques qui ont trouvé la solution en désincarnant
la figure du noir africain pour s’en tenir à une forme
épurée, proche du logo. Ainsi garde-t-on la signature de
la marque en l’épurant de ses connotations colonialistes.
En 1956 Roger Vadim réalise Et Dieu créa la femme,
film irrévérencieux et scandaleux qui place la figure
féminine comme principe dévastateur de domination
en réponse à la domination masculine. Le mythe de la
femme fatale et de la femme objet s’incarne ici dans la
figure de Brigitte Bardot qui retourne ces clichés de
genre pour créer l’image de la femme libre et insoumise.
À la fin du film, la danse à laquelle elle se livre au milieu
d’un orchestre de musiciens de jazz noirs, est une sorte
de transe à la fois érotique et expiatoire qui la pose
comme modèle insoumis et indomptable de la femme
moderne.
> Bardot dans Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, 1967
CITATION
À mettre en relation avec l’extrait de Et Dieu créa la
femme
1. Le cours d’histoire sur la Belgique de la version
originale (1931) se transforme en un cours d’arithmétique
dans la version de 1946.
La Reine : (…) Moi aussi je vais descendre aux
Enfers. J’y conduirai mon troupeau de cadavres
que vous ne cessez de tuer pour qu’ils vivent
et que vous ne cessez de faire vivre afin de les
tuer. (…) Il vous était facile de me transformer
en Allégorie, mais j’ai vécu, j’ai souffert pour
en arriver à cette image… et même, j’ai aimé…
aimé.
5
II. JEAN GENET, POÈTE CANNIBALE
A. PORTRAIT DE L’ARTISTE
PAR SES (AUTO-)PORTRAITS.
• Rapidement, demander aux élèves d’exprimer
leurs impressions sur les diverses photos de Jean
Genet. Insister avec eux sur l’interprétation qu’en
fait Alberto Giacometti. En parallèle, faire lire aux
élèves l’autoportrait de Jean Genet dans Le Journal
du voleur (annexe 1). Quels liens peuvent-ils faire
entre l’image de l’artiste et celle qu’il renvoie de
lui-même ?
2. Stylisation progressive du
tirailleur sénégalais des boîtes
de Banania (en 1936, 1959,
et 1967).
3. Un geste de résistance à
l’apartheid consiste à brûler
son passeport intérieur ici
Nelson Mandela brûle son
passeport en 1960.
De gauche à droite
et de haut en bas
1. Portrait de Jean
Genet enfant
2. Couverture de
L’Enfant criminel,
édition de l’Arbalète.
3. Jean Genet à 30 ans
4. Jean Genet et Elbert
Big Man Howard à
un meeting des Black
Panthers, 1er mai 1970
(photo David Fonton/
Getty images) in Lire,
décembre 2010
6
CITATION
« Je nomme violence une audace au repos
amoureuse des périls. On la distingue dans
un regard, une démarche, un sourire, et c’est
en vous qu’elle produit les remous. Elle vous
démonte. Cette violence est un calme qui vous
agite. » Le Journal du Voleur On s’étonnera déjà de l’expression du visage triste et
doux, aussi que l’extrême solitude qui se dégage du
visage de l’enfant. Le jeune adulte paraît au contraire
avec un visage et une stature solides, un mélange de
virilité à la fois sauvage et étudiée.
On peut retrouver dans le portrait d’Alberto Giacometti
une esthétique du contraste et du paradoxe qui est aussi
un des traits majeurs des préoccupations littéraires de
Jean Genet.
Une image de la solitude se dégage de cette silhouette
d’homme sans visage à demi fondue dans un décor
lui-même à demi distinct. La chaise elle-même, ne se
déduit que de la position du corps du modèle. Ainsi,
les rapports Sujet/Objet, fond/formes se confondent
pour créer une sorte de trouble de la perception chez
le spectateur. La marque du crayon est visible, crée un
effet paradoxal : face au caractère magistral, quasi figé
de la pose, surgissent des zones sensibles : mouvements
circulaires, comme spontanément surgi de la main du
peintre stabilité et fragilité, autorité et solitude, violence
et calme sont autant de tensions paradoxales qui animent
le tableau.
• Approfondir les recherches par une lecture rapide
d’une biographie de Genet, avec pour fil conducteur
l’image de la fleur de genet.
En quoi peut-on dire que toute la vie de Genet
s’illustre dans et par la métaphore de cette plante ?
Rapprocher les éléments biographiques par les
thèmes recueillis à la lecture des extraits des œuvres
proposées dans l’annexe 1.
CITATION
« Au peuple des morts, l’œuvre de Giacometti
communique la connaissance de la solitude
de chaque être et de chaque chose, et que
cette solitude est notre gloire la plus sûre. »
Jean Genet, L’atelier d’Alberto Giacometti.
En quoi la vie et l’œuvre de Genet peuvent-ils être
perçues comme les deux faces d’un miroir réversible ?
Les photographies de Jean Genet prise tout au long
de sa carrière sont intéressantes dans la mesure où
elles permettent d’une part de percevoir l’ampleur
médiatique du personnage et d’autre part de constater
à quel point l’Œuvre est indissociable du personnage
littéraire. Ce phénomène est assez rare pour être
remarquable. La nuance est cependant intéressante : si
l’on prend par exemple les figures de Françoise Sagan ou
plus récemment celle d’Amélie Nothomb, on constatera
aisément que la fascination pour le personnage peut
surpasser la fréquentation de l’Œuvre. Chez Jean
Genet, ce phénomène est parfaitement concomitant et
équilibré.
7
LE POINT SUR…
B. ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE :
Jean Genet, portrait libre de l’artiste en funambule. GENET, À VOIX HAUTE
• Lire à haute voix est sûrement le meilleur moyen
d’entrer dans le lyrisme et la variété musicale de la
langue de Jean Genet. De nombreux chanteurs et
musiciens se sont emparés de cette matière, de Léo
Ferré à Mouloudji jusqu’aux Têtes Raides qui ont
porté Le Condamné à mort sur une partition rock à
la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon en
juillet 2014.
Fleur sauvage et profane, fragile et épineuse, herbe
gracieuse, inutile et mauvaise qui fleurit les fossés,
on retrouve dans le genet, tous les paradoxes qui
constituent le caractère et la vie de Jean Genet :
enfant de l’assistance, voleur, bagnard, homosexuel,
marginal absolu et revendiqué, mais également
écrivain de génie maniant une langue virtuose et
ciselée jusqu’à la grâce, lecteur de Proust et ami
reconnu des plus grandes figures littéraires de
son temps : Jean Cocteau, Jean Paul Sartre, toute
l’œuvre et la vie de jean Genet convergent vers le
signe d’une mystique de la turpitude. traître par
principe édifié de la trahison, Genet trahit ses
amis, ses amants, se joue des honneurs en y cédant
parfois de manière aussi aléatoire qu’arbitraire.
Être bâtard en tout est une raison d’être au monde
où le sacré puise dans le sacrilège.
https ://www.youtube.comwatch?v=kDqnF4T_C70
• Dans ce prolongement, une classe ou un
groupe d’élèves musiciens peuvent proposer un
accompagnement musical d’une lecture à voix haute.
CITATION
Si nous allons au théâtre c’est pour pénétrer
dans le vestibule, dans l’antichambre de cette
mort précaire que sera le sommeil. Car c’est
une Fête qui aura lieu à la tombée du jour, la
plus grave, la dernière, quelque chose de très
proche de nos funérailles. Quand le rideau se
lève, nous entrons dans un lieu où se préparent
les simulacres infernaux. C’est le soir afin
qu’elle soit pure (cette fête) qu’elle puisse se
dérouler sans risquer d’être interrompue par
une pensée, par une exigence pratique qui
pourrait la détériorer… Jean Genet.
Toute l’œuvre de Jean Genet est conçue à l’image
de sa vie, par un jeu de masques et de faux-semblants
dont il doit être impossible d’établir le dessin
définitif : Être c’est se construire authentiquement
par le mensonge ; aimer follement c’est être à la
fois cruel et cruellement quitté ; triompher c’est
revendiquer l’échec ; vivre c’est s’enrôler dans un
frôlement avec la mort sans certitude du retour.
Ainsi, l’autre image qui, peut-être, peint le
mieux Jean Genet est celle du Funambule. Cette
figure réunit comme magiquement l’être aimé,
Abdhalah et le statut de l’artiste, tous deux livrés
aux puissances vertigineuses et instables qui relient
l’art à l’amour : « J’éprouve comme une curieuse
soif, je voudrais boire, c’est-à-dire souffrir, c’est-àdire boire mais que l’ivresse vienne de la souffrance
qui serait une fête. Tu ne saurais être malheureux
par la maladie, par la faim, par la prison, rien ne t’y
contraignant, sois-le par ton art. »
Héritier de Sade, Rimbaud, Artaud, l’orphelin de
l’assistance publique s’est trouvé une légitimité
chez les poètes de la cruauté. Lire Jean Genet
c’est entrer dans les régions réprouvées les plus
vertigineuses de notre être.
• Sans qu’il soit nécessaire de faire lire le texte
intégral des Nègres, proposer aux élèves de lire
à voix haute les deux premières pages de la pièce.
(prologue, didascalies initiales, distribution, scène
d’exposition). Les laisser définir leurs propres
horizons d’attente sur la pièce. On travaillera autour
de deux axes de questionnement :
— Qu’est-ce que Jean Genet entend par être Nègre ?
— Comment représenter le blanc et le noir au
théâtre ?
8
• À partir de la lecture des documents étudiés
précédemment, demander aux élèves de formuler
des hypothèses sur la position de Genet par rapport
à la question « Nègre »
CITATION
« L’art est le refuge le moins vil des esclaves.
Mais il ne faut pas qu’il demeure désintéressé
et destiné seulement à amuser le repos du
Jean Genet n’entend pas dans le terme de Nègre la seigneur. Il se justifie qu’il incite à la révolte
question unique de la négritude et de la condition des active, ou, à tout le moins s’il introduit dans
Noirs. Pour lui sont « nègres » tous les réprouvés, les l’âme de l’oppresseur le doute et le malaise de
exclus, tous ceux qui ont été mis au banc. Être nègre est sa propre injustice. » Préface de Jean Genet
plus une posture d’empathie sociale et existentielle, une
pour Les Nègres, 1988.
manière de se placer dans le monde des exclus qu’une
position militante et engagée. Il ne faut pas non plus
cacher que c’est aussi très simplement pour Jean Genet,
un objet de fascination pour la virilité sexuelle des noirs.
POUR ALLER PLUS LOIN…
Être Nègre pour Jean Genet est aussi une métaphore
d’ordre esthétique : être Nègre c’est être un être de
fiction. Pour Jean Genet en effet, les Nègres n’existent
que comme une construction culturelle et imaginaire
des Blancs. En ce sens, il existerait une condition
noire, et une condition nègre qui est une imagerie, une
mythologie culturellement fabriquée par les blancs.
C’est de cette manière que l’on peut comprendre le fait
que le catafalque en avant-scène soit finalement vide. Le
message de Genet n’est pas un plaidoyer militant sur la
condition noire, il est une invitation à réfléchir sur nos
représentations culturelles.
Maria Casares, comédienne
Pour comprendre l’esthétique dramaturgique de
Jean Genet, on montrera avec profit un extrait des
Paravents, mise en scène par Roger Blin, ainsi que
l’entretien de Maria Casarès qui interprète Warda,
la patronne du bordel.
http://fresques.ina.fr/en-scenes/liste/recherche/
Jean%20genet%20/s#sort/-pertinence-/direction/
DESC/page/1/size/10
Les Nègres est peut-être la pièce la plus hétérogène et
hétéroclite de Jean Genet. Sa lecture peut légitimement
nous laisser une sensation de confusion tant l’intrigue
à tiroirs multiples, les tonalités d’écriture changeantes,
et le mélange des genres y sont nombreux. On peut
lire la pièce de toutes les manières possibles : comme
une farce sociale, une pure clownerie qui ouvre à des
jeux de situations burlesques. Genet semble signifier
que l’on peut envisager toutes les voix sauf une : un
plaidoyer en faveur des noirs. Il est important d’évacuer
la question militante. Jean Genet se place dans un
rapport symbolique qui se trouve bien en amont de la
question de l’engagement politique. L’art est relié à
nos puissances obscures et inconscientes. En effet, pour
Jean Genet, les Noirs n’existent que par les Blancs ; ils
sont une fabrication sociale, culturelle, politique des
Blancs. C’est la raison pour laquelle le catafalque ne
peut être que vide. C’est au spectateur de le remplir par
la fabrication imaginaire qu’il se fait des Noirs.
9
LE POINT SUR…
C. ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE :
VISAGES BLANCS, MASQUES NOIRS
Jean Genet et le théâtre : une cérémonie
de la mort.
Le meilleur moyen de comprendre l’esthétique de
Genet est encore de s’en emparer sur le plateau.
A priori obscure, le sens du texte s’éclaire surtout
comme une matière à jouer.
Dans le sillage d’Antonin Artaud, Jean Genet
considère la scène comme l’espace à la fois sacré et
profanable d’une cérémonie. Il rêve d’un théâtre
à la fois hiératique et majestueux mais tout autant
sacrilège. Le risque de la scène est un rendezvous pris avec les forces noires que chacun porte
en soi, que les conventions aussi bien sociales
qu’esthétiques musellent : celle du sexe et de la
mort. Dans Les Bonnes, en 1947 la scène est le lieu
réalisé de tous les fantasmes. Solange et Claire,
les deux bonnes libèrent leurs pulsions dans la
mise en scène d’un rituel masochiste et sadique :
pendant que l’une se déguise en Madame, l’autre
joue le rôle de la bonne. Dans une confusion des
rôles/identités, Claire-Madame meurt sur scène,
empoisonnée par Solange. Jean Genet revendique
ici un théâtre funèbre qui avance selon le principe
de la dégradation dans le mouvement d’une lente
descente aux Enfers. Dans Les Paravents, en 1961,
Arabes et Français, colons et militaires vivants et
morts sont tous affectés par le mal. Là aussi la scène
est l’autel d’une cérémonie : crevant des paravents
de papier, les morts ont surgi et forment sur scène le
public qui regarde les vivants – Warda, la patronne
du bordel, Saïd, voleur, délateur, assassin – se livrer
à la comédie de l’abjection.
• Proposition 1
Faire lire l’étrange et célèbre « avertissement » de
Jean Genet au sujet de la mise en scène du public.
Demander aux élèves de préparer une improvisation
en s’inspirant de la situation décrite par Jean Genet.
La question à la laquelle doit répondre la mise en jeu
est la suivante : Comment représentez-vous le Noir
et le Blanc au théâtre ?
Cette question soulève l’enjeu essentiel du théâtre
qui est la question de la représentation et du caractère
symbolique du signe théâtral. Inviter les élèves à réfléchir
sur cette question blanc/noir c’est aller au-delà de la
question Nègre mais c’est aussi les amener à penser le
théâtre comme art de la représentation du réel. Ainsi il
ne faut pas se déguiser en Noir pour jouer le Noir, il faut
trouver d’autres signes qui éloignent des clichés tout en
réfléchissant le pouvoir symbolique de la représentation.
Des bas noirs ou blancs enfilés sur la tête, une torche
éclairée sur un visage dans le noir, de la farine blanche
saupoudrée dans un rayon de lumière, les solutions
sont infinies pour signifier la relation Noir/Blanc au
théâtre. Le théâtre avance par trouvailles. Représenter
n’est pas imiter, encore moins singer. Les simulacres et
l’hyperthéâtralité qui font l’esthétique de Genet n’ont
rien à voir avec des jeux potaches qui consisteraient par
exemple à prendre un soi-disant accent « noir »…
Une dramaturgie rituelle
Comme la plupart de ses contemporains, Jean Genet
intervient dans l’esthétique de la dramaturgie de
ses pièces en affirmant la négation de toute forme
de naturalisme. Masqués, chaussés de cothurnes,
somptueusement vêtus, les acteurs doivent
accomplir une gestuelle surthéâtralisée. Ils doivent
ainsi incarner les silhouettes d’un autre monde,
symbolique, porteurs des pulsions fondamentales
de la pulsion de mort rejoint l’énergie anarchique
des désirs.
• Proposition 2
Demander aux élèves de choisir une réplique courte
des Nègres (annexe 2) et d’en proposer, sous forme
improvisée, une mise en situation théâtrale.
Cet exercice assez classique est particulièrement
intéressant dans le cadre d’une préparation à la
représentation dans la mesure où il permet aux élèves
d’une part de comprendre la multiplicité des champs
des possibles de la mise en scène mais aussi de se définir
un horizon d’attente.
Lors de la représentation, les élèves ne pourront qu’être
plus attentifs aux extraits qu’ils ont déjà joué et dont ils
ont proposé un axe d’interprétation personnel.
10
Spectacle sans parole, ce dernier se voulait l’exploration
de l’univers d’un enfant sourd, Raymond Andrews, qui
« pensait en images ». D’où cette dimension onirique qui
règne dans Le Regard du sourd, succession de tableaux
vivants fonctionnant sur une logique d’association
d’images pourtant hétérogènes. Le spectacle se construit
ainsi par des effets de condensation et de déplacement.
Les soixante-dix acteurs présents sur le plateau sont
traités sur le même plan que l’espace, la musique, les
lumières. Robert Wilson évacue l’expressivité au profit
du pur mouvement, manifestant une méfiance à l’égard
de toute logique interprétative.
III. BOB WILSON, ARTISTE TOTAL
Voici quelques activités qui permettent d’entrer dans
l’esthétique de Bob Wilson. Dans la mesure, où le
metteur en scène construit son esthétique à partir de
figurations plastiques et visuelles, l’essentiel des exercices
proposés aux élèves sera de nature pratique.
CITATION
« C’est le rêve de ce que nous fûmes, c’est
l’avenir que nous prédisions »
À propos du Regard du sourd Louis Aragon, in
Lettre ouverte à André Breton, 1971
A posteriori, Le Regard du sourd peut se lire comme
le manifeste d’un créateur dont toute l’œuvre est
marquée par l’exigence d’une recherche théâtrale où
l’émotion esthétique naît de la puissance visuelle.
A. LE REGARD DU SOURD, 1971
• Montrer le reportage INA sur Le Regard du sourd
http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/
Scenes00415/le-regard-du-sourd-de-robert-wilson.
html
• Demander aux élèves d’exprimer ce qui distingue
cette expression théâtrale de leur conception du
théâtre. Sur quels principes inattendus repose Le
Regard du sourd ? À quels genres artistiques et à
quel registre littéraire ces expressions dramatiques
nouvelles leur fait-il penser ?
Entre mouvements joués et expression dansée, Le
Regard du sourd semble ouvrir la voie nouvelle entre
théâtre et danse. D’emblée on serait tenté de parler de
spectacle plutôt que de pièce tant les scènes se succèdent
comme des tableaux en mouvement qui jouent de
l’étirement du temps. L’effet produit semble plus proche
de l’expérience sensible plutôt qu’intelligible. Certaines
images, par leur lenteur, rapproche le spectateur d’une
expérience de méditation qui encourage les visions
intérieures et fait la part belle à l’imagination. Le temps
est laissé au temps. Le geste se déploie, l’image apparaît
et disparaît. Interdisciplinarité, rapport privilégié à
l’image, œuvre ouverte à l’interprétation du spectateur,
l’onirisme qui se dégage de l’ensemble nous rapproche
de l’expérience surréaliste.
> Sheryl Sutton dans Deafman Glance (Le Regard du sourd)
de Robert Wilson © Ivan Farkas, 1971
Ce principe se comprend mieux quand on connaît le
projet qui présida à la création du Regard du sourd.
11
B. ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE :
CRÉER DES IMAGES SCÉNIQUES
À LA MANIÈRE DE BOB WILSON…
• Proposition 1
Construire un tableau choral
• Proposition 2
Approche des Nègres
Bob Wilson aime à travailler avec les rythmes et sa mise
en espace par les corps. Les mouvements des acteurs
font alterner accélérations, stases, ralentis extrêmes ou
progressifs. Cette pratique peut tout à fait constituer
un échauffement préparatoire à une séance d’approche
de l’esthétique et de la manière de travailler de Bob
Wilson. On demandera donc aux élèves d’opérer une
traversée du plateau à partir de l’endroit de leur choix
en accomplissant et répétant invariablement le même
geste qu’ils devront déplier jusqu’à l’immobilité. Les
gestuelles et trajectoires individuelles forment un
tableau choral, un paysage mobile et changeant. Un
accompagnement musical très lent sur un mode adagio
ou pianissimo est nécessaire pour les aider à trouver
la lenteur et la concentration collective nécessaire à la
réalisation de l’exercice.
Dans son avant-projet pour Les Nègres, Bob Wilson
réalise un Synopsis de la pièce : le spectacle se structure
en 20 tableaux plus un Prologue. On demandera aux
élèves de choisir un tableau parmi ceux proposés en
annexe 4.
Ils doivent réaliser la trame de la situation en 10 tableaux
figés. L’exercice s’accomplit par groupes de 4-5 élèves
mais peut tout à fait si la situation l’exige se jouer à plus
encore. Les tableaux réalisés sans accessoires doivent
reconstituer la trame dramatique, mais c’est le geste
qui en figure l’intensité. À la différence de l’exercice
précédent, cette approche favorise l’immobilité et la
fixation d’une image par le geste. Il constitue également
une bonne préparation à la représentation. En effet, on
vérifiera lors du spectacle que le Prologue fonctionne
exactement sur ce principe du récit construit en images
arrêtés. Les élèves, ainsi préparés par cette expérience,
seront disponibles et sensibles à l’esthétique wilsonienne
proposée le soir de la représentation.
Le travail peut être réalisé en demi-groupe, un groupe
étant spectateur de celui qui travaille au plateau.
L’objectif est double : il s’agit de rendre des jeunes
acteurs conscients, à chaque instant, de l’activité de leur
propre corps, conscients du fait même de marcher, dans
chaque phase infinitésimale du mouvement que décrit
par exemple le pied avant même d’être en contact avec
le sol.
Une étape de retour vers la formulation verbale peut être
enrichissante. On invitera les élèves à se questionner sur
les enjeux émotionnels et visuels de l’image construite.
Contre toute idée reçue, l’ensemble de gestes
insignifiants fait surgir une expression dramatique. Le
geste devient sujet d’un récit. Ainsi, cet exercice de
pratique permet de comprendre de manière sensible
l’esthétique de Bob Wilson.
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C. BOB WILSON, PLASTICIEN ET
SCULPTEUR DE L’ESPACE
Comment s’élabore la conception du plateau et de la
scénographie chez Bob Wilson ?
• Montrer aux élèves un extrait d’Orlando (1989)
et un extrait d’Hamlet : a monologue (1995) (sur le
site Ina en scène). Puis leur demander de repérer
les structures récurrentes dans les scénographies
(composition des tableaux, matériaux, formes
privilégiées). Leur montrer également l’univers du
plasticien à travers, par exemple la série des Chairs.
Bob Wilson est plasticien de formation. Il réalise de
nombreuses pièces et installations qui très souvent
servent de préparation à la conception du projet
scénique. Il est notamment connu pour les fameuses
Chairs, à mi-chemin entre l’installation, l’art mobilier et
la sculpture. Dans le même, principe, les échafaudages
travaillés à partir de structures métalliques sont un
matériau d’exploration privilégié. Bob Wilson travaille
ses images comme des compositions picturales qui
jouent sur un équilibre savant entre formes géométriques
et volutes qui peuvent parfois rappeler l’esthétique
du Bauhaus. Il faut comprendre ainsi l’originalité de
l’approche esthétique de Bob Wilson : l’image est une
finalité qui s’élabore à partir d’une structure formelle.
L’art scénographique chez Bob Wilson est le résultat
d’une installation plastique. Par exemple, le lit d’Orlando
relève autant du design mobilier que de l’accessoire de
théâtre. Peut-on du reste encore parler d’accessoire ? Ici,
il semble que l’acteur lui-même devienne un élément de
structure dans la structure.
> En haut, Einstein
on the Beach, 1979 @
David Ruchenberg
> Chairs, chaises conçues
par Bob Wilson
CITATION
« Dans un travail avec Bob Wilson on apprend
à trouver des partenaires inhabituels qui
sont la lumière, que sont l’espace. L’espace
est proprement une matière. J’ai l’impression
d’être dans une matière vivante que je sculpte.
Tout a un sens puisque tout est forme. »
Isabelle Huppert à propos d’Orlando.
13
> Le lit d’Orlando, Isabelle Huppert dans Orlando, 1989
@ Tilde De Tullio
14
Le travail de la lumière est à rapprocher de celui
qu’entretient le peintre avec sa toile. Bob Wilson
traite les éclairages de ses spectacles avec une précision
chirurgicale. Cent ans après Adolph Appia, la lumière
n’est pas utilisée comme un appoint mais le principe
structurant de l’espace scénographique. La lumière
génère une atmosphère uniforme en même temps
qu’elle isole un détail. Elle nimbe le sujet en même
temps qu’elle en dessine les contours par de puissants
effets de contrastes.
Plus subtil encore est le savant jeu d’illusion qui
s’accomplit en les pleins et les vides. Les deux
techniques les plus utilisées par Bob Wilson sont d’abord
l’utilisation savante et systématique du cyclorama (vaste
écran placé en fond de scène qui sert à rétroprojeter des
effets lumineux) et les tubes fluorescents qui permettent
de dessiner des structures lumineuses précises et
épurées. Cette austérité stylistique minimaliste rappelle
indubitablement l’esthétique du peintre Kazimir
Malevitch.
D. BOB WILSON, POÈTE ET SCULPTEUR
DE LA LUMIÈRE
À partir des différents extraits et photos montrés,
faire observer et décrire aux élèves le rapport
qu’entretiennent l’espace et la lumière.
> Macbeth de Verdi, mise en scène Bob Wilson, Opéra de
Bologne, 2012 © Rocco Casaluci
> Macbeth de Verdi, mise en scène Bob Wilson, Opéra de
Bologne, 2012 © Rocco Casaluci
CITATION
« La forme m’ennuie. Ce qui compte, c’est la
manière de remplir la forme. » Bob Wilson.
> Kazimir Malevitch (1878-1935)
Suprematisme (Supremus n° 58. Jaune et noir), 1916
15
ZOOM SUR…
E. L’ATELIER DU
PLASTICIEN-SCÉNOGRAPHE
Adolph Appia
• Proposition 1
À l’orée du XXème siècle, Adolph Appia est le
premier à expérimenter l’éclairage électrique au
théâtre à des fins artistiques et non pas seulement
techniques et spectaculaires. Pour Adolph Appia,
la lumière ne doit pas être au service d’un vérisme
mais au contraire doit viser à vider la scène des fatras
de décors qui surchargent la scène et bloquent
considérablement le jeu de l’acteur. L’espace est
pour la première fois pensé d’un point de vue
métaphorique, la lumière étant ici suggestion et
allusion plutôt qu’illusion. Les structures scéniques
sont composées de plateformes qui se rejoignent
par plusieurs escaliers. La lumière ne sert pas
seulement à structurer l’espace mais crée des
atmosphères qui permettent à l’acteur d’explorer
plus en grandeur le jeu. La couleur est également
importante. Elle permet de créer des températures.
Jean Vilar, puis Giorgio Strehler, Peter Brook
vont utiliser ce principe fondateur de la mise en
scène contemporaine : pour la première fois, c’est
l’imaginaire du spectateur qui invente l’espace de
la mise en scène.
Réaliser une esquisse pour un projet scénographique.
À partir des didascalies initiales des Nègres de Jean
Genet, réaliser un projet de décor pour une mise
en scène des Nègres à la manière de Bob Wilson.
Utiliser les structures et motifs caractéristiques de
l’esthétique wilsonnienne (ligne, courbe, diagonale,
volute etc.)
• Proposition 2
Réaliser une esquisse pour un projet d’affiche.
Réaliser une affiche pour le spectacle en réinvestissant
les éléments caractéristiques de l’esthétique
wilsonnienne.
Cet exercice peut être réalisé à partir du logiciel
gratuit glogsterEDU dont nous conseillons vivement
l’utilisation. Plus simple d’utilisation que les logiciels de
retouche d’image classiques, il a l’avantage de permettre
une diffusion et une mutualisation en ligne des projets
des élèves. (http://edu.glogster.com/?ref=com)
> Adolph Appia,
Dessin pour Orphée, 1913
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LE POINT SUR…
Bob Wilson. Vers une écriture scénique totale
Bob Wilson qui est plasticien et chorégraphe
de formation révolutionne le paysage de la
scène internationale en affirmant que l’image au
théâtre est un texte absolu. Elle peut et doit être
considérée comme une œuvre d’art à part entière
au même titre qu’un tableau ou qu’une œuvre
cinématographique.
Le spectacle se construit comme une succession
d’images que Bob Wilson appelle des « paysages ».
Non seulement il rejette le principe épique fondé
sur la narration ainsi que le principe dramatique
fondé sur l’action mais en plus il affirme le caractère
arbitraire absolu des images qu’il invente. L’image
se veut « œuvre totale », entièrement déterminée
par l’acte créatif du metteur en scène, assumée
dans sa pure subjectivité.
Bob Wilson est chorégraphe. On comprend alors
que le travail obéit à un principe de mouvementvariation et de répétition. Mouvements lents, étirés
à l’extrême. La primauté est donnée au geste ;
quant à la parole elle s’exerce avant tout dans un
bannissement du discours articulé. On se tient
ici dans un héritage fort d’Antonin Artaud : le
mot est utilisé en fonction de l’énergie physique
qu’il diffuse ; le cri ou la psalmodie s’ajoute à la
composition de mouvements instrumentaux
eux-mêmes fondés sur la répétition. L’objectif
est d’atteindre un champ hallucinatoire. Le
théâtre opère alors par la fascination et l’onirisme.
quant au texte, il faut l’entendre au sens le plus
ouvert possible : c’est le discours que construit le
spectateur au contact de l’agencement de signes
énigmatiques, que lui propose la succession des
images.
> Robert Wilson © Lucie Jansch
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PARTIE II
APRÈS LA REPRÉSENTATION
Voici la description détaillée de l’atelier :
• Temps 1
Par groupes de 3 ou 4, on demande aux élèves de
reformuler leur horizon d’attente et d’exprimer
l’écart que le spectacle a créé par rapport à celui-ci.
Chacun doit sélectionner un aspect précis du
spectacle. Cela peut porter sur le jeu d’un acteur,
l’interprétation d’un personnage, un choix de
lumière, de scénographie, l’interprétation d’une
scène en particulier, un accompagnement musical
etc.
I. PROPOSITION DE RÉFLEXIONS
GUIDÉES POUR UNE ANALYSE
CHORALE
Nous présentons ici une proposition d’étape guidée
pour une analyse chorale. Les interprétations que
nous donnons ici ne sont en aucune manière des
analyses dogmatiques à caractère définitif. Il est juste
de rappeler aux élèves que les signes au théâtre sont
et doivent rester ouverts à l’interprétation subjective.
S’il est important de les inviter à suspendre leur
jugement pour entrer dans une réflexion plus avancée,
il est tout aussi important de reconnaître avec eux le
caractère polysémique des signes théâtraux.
• Temps 2
Chaque élève prendra ensuite la parole sous la forme
de deux phrases « Ce que j’attendais sur cet aspect
c’est… Ce qui m’a surpris sur ce point c’est… »
L’étape 1 est importante notamment pour les groupes
nombreux où la prise de parole en public est plus
difficile à organiser. Elle permet également de mesurer et
d’équilibrer le temps de parole de chacun mais aussi pour
chaque intervenant de sélectionner rigoureusement et
synthétiquement le contenu de son propos. L’échange
collectif permet de montrer la diversité des perceptions
chez chaque spectateur, que la communauté est faite
d’individus qui n’attendent pas et ne voient pas la même
chose.
A. ATELIER DE PRISE DE PAROLE :
« CE QUE J’ATTENDAIS, CE QUI M’A
SURPRIS… »
Qu’elle se fasse par la pratique ou de manière plus
théorique, la préparation à la représentation a la vertu de
créer un spectateur plus actif pendant la représentation.
L’avantage – qui peut aussi être un inconvénient – est
de créer un horizon d’attente fort. Qu’il le formule ou
non, chaque spectateur arrive avec des connaissances,
des exigences, mais aussi des attentes en matière
esthétique et artistique. Dans le cadre de la préparation
d’un spectacle en amont, l’horizon d’attente sera
d’autant plus précis que les jeunes spectateurs auront
eux-mêmes expérimenté les enjeux et les possibles de la
mise en scène.
B. « ÇA ME FAIT PENSER À »
• Demander aux élèves de décrire plus précisément
possible le décor initial. À l’issue de cette étape
descriptive, les inviter à essayer de définir plus
précisément la nature du lieu présenté. Comment
relient-ils leur vision de la didascalie de Jean Genet :
« Une maison africaine en torchis ».
L’œil est plus aiguisé mais il est aussi plus prompt
au jugement. C’est ce dernier écueil qu’il faut éviter.
L’objectif de cet atelier court est d’amener les élèves
à transformer l’attitude immédiate du jugement en
attitude d’étonnement.
Le plateau est nu. Le seul élément de décor se
trouve au milieu du plateau. C’est un large panneau
rectangulaire qui occupe la quasi-totalité du plateau.
La rétroprojection par l’arrière d’une lumière bleutée
signale qu’il s’agit d’un cyclorama. Ce panneau dispose
d’ouvertures de tailles diverses. Une ouverture centrale
peut laisser penser qu’il s’agit d’un bâtiment, un
immeuble peut être une habitation collective si l’on se
fie aux nombreuses ouvertures.
Le texte de Jean Genet parle d’une « maison africaine
en torchis ». On ne retrouve rien d’explicite qui
Ce travail peut être mené en atelier de prise de parole.
Chaque groupe de 3 à 4 élèves échange sur son
horizon d’attente et formule sa réception du spectacle
sur un point précis de son choix. La seule contrainte
donnée est de suspendre tout jugement de valeur. Une
confrontation collective a lieu dans un second temps.
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correspondrait à cette représentation si ce n’est peutêtre la forme arrondie des fenêtres et des portes qui font
penser peut-être aux maisons troglodytes. Il s’agit donc
d’une évocation de bâtiment, d’un artefact d’habitation
qui ne renvoie pas expressément à une géographie
africaine.
Il semble d’emblée que le prologue mette en place un
contrat de rupture fort avec le texte de Jean Genet. La
scène d’exposition est retardée pour laisser place à un
tableau inédit. À chaque bruit violent de déflagration
(émis en off) surgit un acteur entièrement vêtu de
noir qui se fige ensuite dans une attitude d’immobilité
totale. Entrée après entrée, la scène crée un vaste
tableau figé qui semble évoquer de manière suggestive
diverses postures défensives : certaines expriment la
peur, la terreur, le défi, la soumission, l’attente…
Seul élément dissonant au tableau : l’acteur noir
présent pendant toute l’installation du public se
tient encore là et continue invariablement de sourire.
Ce sourire tout à l’heure plutôt accueillant dans
son hyperthéâtralité, révèle à présent des indices
d’inquiétude et d’effroi.
De même, le rapport de lumière s’est inversé sur le
cyclorama. Aussi retrouve-t-on des éléments forts de
l’esthétique de Bob Wilson : primeur de la lenteur,
primeur du geste sur la parole, de l’image arrêtée et
du corps chorégraphié. Le contrat de mise en scène
semble dire très tôt au spectateur que l’approche de
la pièce de Jean Genet se fera de manière très libre
et sur un mode avant tout esthétique. Si ce tableau
introduit de manière visuelle un conflit entre le
blanc et le noir, le langage des corps des acteurs
demeure encore suggestif. Le contrat posé avec le
spectateur est plus celui
d’une approche sensible
et sensorielle qu’une
approche intelligible et
intellectuelle.
Par ailleurs, le cadre de scène est habillé d’une large
dorure éclairée. Cette référence, cette fois-ci très
explicite au théâtre nous indique donc que nous sommes
bien dans un lieu de représentation. L’acteur noir en
avant-scène qui regarde s’installer le public en souriant
nous renvoie également à notre statut de spectateur.
La représentation commence donc avant le spectacle
lui-même. À ce stade de l’analyse, il apparaît d’emblée
que la référence à la mise en abîme du théâtre, telle que
Jean Genet la met en œuvre dans Les Nègres est un axe
dramaturgique à retenir.
C. LE PROLOGUE
• Demander aux élèves de décrire la mise en place
du premier tableau. En s’appuyant sur leurs
connaissances, analyser l’originalité de la démarche
de Bob Wilson par rapport à la pièce de Jean Genet.
> Les Nègres © Lucie Jansch
19
D. UN CABARET EXOTIQUE
Chez Bob Wilson la scénographie renvoie doublement
à l’hyperthéâtralité et à l’univers du Cabaret.
• Faire décrire de manière précise l’espace
scénographique (à partir des trois photos ci-après).
Puis demander aux élèves d’établir des comparaisons
avec les didascalies initiales de Jean Genet (annexe
2) puis avec le projet scénographique de Roger Blin
en 1959 et celui de Gilles Chavassieux (annexe 3)
Dans quel univers particulier Bob Wilson décide-t-il
de transposer l’action des Nègres ?
Promontoires métalliques, passerelles, néons lumineux
qui s’enroulent en volutes, paillettes, décolletés, costumes
de gala, tous les signes sont réunis pour redessiner la
scène en plateau de Cabaret. Les nombreux intermèdes
chantés et dansés interprétés par les acteurs eux-mêmes
vont aussi dans le sens d’un spectacle total, brillant,
> Les Nègres © Lucie Jansch
spectaculaire et divertissant. L’omniprésence des néons
lumineux qui surlignent les structures en promontoire
ou dessinent des palmiers renvoie explicitement aux
devantures de cabaret et des bars à cocktails californiens.
Comme Jean Genet le désirait, Bob Wilson transpose
l’univers des Nègres dans un espace référentiel à la fois
défini par le théâtre et puissamment codé.
Comme Jean Genet pensait un décor atemporel, irréaliste
qui transcrive la séparation violente entre le monde
des Blancs et le monde des Noirs tout en inscrivant
l’ensemble dans une hyperthéâtralité, Gilles Chavassieux
fait le choix en 1991 de transposer cet espace de manière
plus sobre et restrictive dans « un lieu clandestin ». Le
hors lieu pour signifier l’espace intermittent des horsla-loi renvoie entre autres à l’univers carcéral, familier
de Jean Genet. La question Nègre est alors traitée d’un
point de vue plus philosophique que social, comme
question du rapport à l’Autre et à l’Étranger.
20
> Les Nègres © Lucie Jansch
E. PLASTIQUE-PALACE !
• Repérer dans la scénographie les motifs et
structures caractéristiques de l’univers de plasticien
de Bob Wilson.
Ici l’esthétique du cabaret croise celle du design. La
dimension scénique est conditionnée par la dimension
plastique d’où le caractère sculptural des formes et de la
gestuelle des acteurs.
L’ensemble de la scénographie est très stylisé. Bob
Wilson confirme ici son approche plasticienne du plateau.
Certains objets, ou certains motifs peuvent même être
considérés comme des autoréférences à des spectacles
précédents. On retrouve par exemple les fameuses Chairs
qui paraissent des duplications des prototypes originaux.
De même, les structures métalliques à échafaudages qui
permettent de structurer l’espace et surtout de servir de
promontoire aux acteurs font penser aux cubes sur lequel
se tient Bob Wilson incarnant Hamlet dans Hamlet
a Monologue ou encore au promontoire cubique sur
lequel se tient Isabelle Huppert dans Orlando. Néons
et Volutes lumineuses cyclorama rétroréfléchissants des
variations chromatiques complexes sont encore des
motifs récurrents de l’esthétique de Bob Wilson.
21
de manière mécanique, toujours de profil ou face public
comme des pièces d’échec ou des figures sur les jeux de
carte. Plus que de personnages, il s’agit bien d’archétype.
Il semble ici que l’on soit plus proche d’une esthétique de
carnaval où chaque déguisement est censé faire la satire
d’une figure sociale. Ces fantômes d’Halloween qu’on
aurait trempé dans le blanc renvoient de manière certaine
à l’univers de Jean Genet dominé par la double fascination
pour la mort et ses rituels : image double d’une carnavalisation de la mort et d’une carnavalisation du théâtre qui
doit sans cesse révéler ses codes et ses effets.
F. UN NOIR ? C’EST DE QUELLE
COULEUR ?
L’ESTHÉTIQUE DES CONTRAIRES
• On demandera aux élèves de relever les systèmes
d’opposition entre le monde des faux blancs – La
Cour – et le monde de vrais Noirs. Comment Bob
Wilson transcrit-il l’opposition entre les deux
mondes et que traduisent-ils de l’univers de la pièce
de Jean Genet ?
> Les Nègres © Lucie Jansch
En bas, sur le plateau principal se tiennent les Noirs.
Les acteurs noirs joués par des acteurs noirs font ici
triompher la couleur. Quand la Cour se tient dans une
rigidité mécanique et des costumes paralysants jusque
dans l’hyper-géométrisation des formes, les costumes des
Noirs rivalisent de magnificence et d’explosion joyeuses :
place aux décolletés, aux robes fendues, aux vestes
déboutonnées, voir au jeu torse nu. L’espace d’en bas est
à la fois le lieu du spectacle, celui où s’abandonnent les
chants et les danses mais plus largement, celui de la liberté.
En haut, debout sur le promontoire supérieur se tient la
Cour. Ce sont de faux Blancs, c’est-à-dire des noirs qui
jouent des Blancs. Les personnages qui incarnent des allégories sont uniformément masqués d’un loup blanc très
stylisé qui redessine les formes élémentaires d’un crâne
humain. Un accessoire symbolique vient désigner la fonction de chacun : la reine porte une longue coiffe à plume,
le juge, une perruque à la façon des farandoles de papier
que découpent les enfants, le valet est habillé comme le
Clown Blanc des cirques. Les personnages se meuvent
22
À l’esthétique du carnaval de papier répond celle du
cabaret ; deux univers codés qui s’opposent ici pour
déterminer le conflit qui se tient entre Blancs et Noirs.
Aux uns, une esthétique du faux théâtre, aux autres
une esthétique du corps dansé et libéré, l’espace du vrai
théâtre.
Dans une mise en scène de Bob Wilson, le travail du
texte vient en dernier. D’abord il conçoit l’espace
scénographique dans lequel vont travailler les acteurs.
Ces derniers sont sollicités sur leurs compétences
physiques, autrement dit, le jeu de l’acteur est avant
tout chorégraphique. Lorsque le texte est travaillé, la
gestuelle est toujours dissociée afin d’éviter toute forme
d’incarnation psychologique.
G. LE JEU DES ACTEURS.
CABARET VOGUE !
Dans Les Nègres, on retrouve dans le jeu extrêmement
stylisé, minutieux et précis des comédiens des formes
d’expressions très proches du nô japonais dont Bob
Wilson revendique absolument l’influence. La direction
de l’acteur rappelle également les sur-marionnettes
de Gordon Craig. Dans ce spectacle, une autre forme
d’expression dansée plus récente apparaît : le Voguing,
danse urbaine qui apparaît dans les milieux gays sud
américains dans les années 70. Cette danse s’inspire des
pauses mannequin des défilés de mode dont le magazine
Vogue était spécialiste : mouvements angulaires, linéaires,
rigides des corps, position toujours face public-caméra.
Madonna d’abord, Lady Gaga ou Beyonce plus
récemment, ont façonné leurs spectacles avec ce type de
danse. De là à dire qu’il y a du show dans cette mise en
scène des Nègres ? Certainement, dans la mesure où Bob
Wilson introduit de manière très assumée des références
claires à la culture américaine du spectacle.
• On demandera aux élèves d’être attentifs au jeu des
acteurs. Comment décrire la gestuelle, la position
des corps ? À quelles autres formes d’expression
artistique cela leur fait-il penser ?
> Ci-dessus, figures de Voguing
> Ci-contre, Les Nègres
© Lucie Jansch
23
ZOOM SUR… GORDON CRAIG
II. ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE.
UNE RÉPONSE ENGAGÉE À LA MISE EN
SCÈNE DE BOB WILSON ?
Gordon Craig met en avant la souveraineté totale de
ce qu’il appelle « le régisseur ». Le metteur en scène est
conçu comme un créateur à part entière qui opère la
synthèse de toutes les compétences technique en jeu
sur un plateau. L’auteur ne peut être qu’un fournisseur
au service du régisseur, le texte est utilisé de manière
souveraine au service d’une création qui se veut
finalement essentiellement « plastique ».
Cette esthétique trouve ses limites dans le travail de
l’acteur à travers le principe de la « surmarionnette ».
Image d’un acteur sculpté dans l’intention du régisseur
qui ne laisse aucune place au libre arbitre, à la créativité du
comédien. On est proche d’un théâtre chorégraphique.
C’est cette forme qui va exploser dans les années 80
avec Bob Wilson.
La question du racisme noir et des discriminations
raciales est vive aujourd’hui. Comme le jazz en
son temps, de nombreuses formes d’expressions
artistiques contemporaines s’inventent pour exprimer
des revendications identitaires et culturelles. Le
mouvement des Gumboots, danse des mineurs Sud
africain est aujourd’hui devenu une pratique reconnue
à part entière. Dada Massilo, jeune chorégraphe sud
africaine bouleverse la scène contemporaine avec sa
réécriture du Lac des cygnes entre danse africaine et
danse classique.
• Demander aux élèves de proposer une improvisation
autour des Nègres en jouant sur le principe du « à la
manière de ».
Voici quatre domaines culturels, mais il est entendu que
les élèves peuvent amener leurs propres références.
— la référence aux Gumboots (danse urbaine)
— la référence à Swan Lake à la manière de Dada Massilo
(ballet – danse classique revisitée)
— la référence au personnage de l’esclave Django dans
Django Unchained (cinéma et western parodique)
— la référence à l’affaire Michael Brown, jeune noir
américain (fait divers et presse documentaire)
> À droite, de haut en bas : Un badge à l’effigie de Michael
Brown, sur le torse d’un habitant de Ferguson (Photo Scott
Olson. AFP) / Swan Lake, chorégraphie de Dada Massilo ©
John Hogg /Ouvriers danseurs de Gumboots.
> Ci-dessus : Photogramme de Django Unchained,
réalisation Quentin Tarentino /
24
PETITE BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
ŒUVRES DE JEAN GENET
Théâtre
• Les Bonnes, Gallimard, Collection Folio Théâtre No. 55 (1997)
• Le Balcon, Gallimard, Collection Folio Théâtre No. 74 (1997)
• Les Nègres, Gallimard, Collection Folio Théâtre No. 94 (2005)
• Les Paravents, Gallimard, Collection Folio Théâtre No. 69 (1997)
Romans
• Notre-Dame-des-Fleurs, Gallimard, Collection Folio No. 960 (1976)
• Journal du voleur, Gallimard, Collection Folio No. 493 (1982)
Poésie
• Le Condamné à mort et autres poèmes suivi de Le Funambule, Gallimard,
Collection Poésie No. 332 (1995)
SUR JEAN GENET
• Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr, Gallimard,
Collection Tel No. 377 (2011)
• Edmund White, Jean Genet, Gallimard, Collection NRF Biographies (1993)
• Arnaud Malgorn, Jean Genet. Portrait d’un marginal exemplaire, Gallimard,
Collection Découvertes No. 425 (2002)
• Préface au Théâtre Complet, Gallimard, Collection de la Pléiade,
sous la direction de Michel Corvin et d’Albert Dichy (2002).
SUR BOB WILSON
• F. Quadri, F. Bertoni et R. Stearn, Robert Wilson, Plume (2011)
• Frédéric Maurin, Robert Wilson, Le temps pour voir, l’espace pour écouter, Actes Sud,
Collection Temps du théâtre (2010)
• Margery Safir, Robert Wilson, Flammarion, Collection Monographies (2011)
25
ANNEXES
26
ANNEXE 1.
JEAN GENET, PETIT FLORILÈGE
Notre-Dame-des-Fleurs (1943)
Weidmann vous apparut dans une édition de cinq
heures, (…) un jour de septembre pareil à celui où fut
connu le nom de Notre-Dame-des-Fleurs. Son beau
visage multiplié par les machines s’abattit sur Paris et
sur la France, (…) révélant aux bourgeois attristés que
leur vie quotidienne est frôlée d’assassins enchanteurs,
élevés sournoisement jusqu’à leur sommeil qu’ils vont
traverser, par quelque escalier d’office qui, complice
pour eux, n’a pas grincé. Sous son image, éclataient
d’aurore ses crimes : meurtre 1, meurtre 2, meurtre 3
et jusqu’à six, disaient sa gloire secrète et préparaient sa
gloire future.
Le Condamné à mort (1942)
LE VENT qui roule un cœur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d’azur qu’entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.
Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d’un œil endormi sur le mur,
Et ce point douloureux qui menace l’azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.
(…) J’ai tué pour les yeux bleus d’un bel indifférent
Qui jamais ne comprit mon amour contenu,
Dans sa gondole noire une amante inconnue,
Belle comme un navire et morte en m’adorant.
Un peu plus tôt, le nègre Ange Soleil avait tué sa
maîtresse.
Un peu plus tard, le soldat Maurice Pilorge assassinait
son amant Escudero (…) puis on lui coupait le cou pour
l’anniversaire de ses vingt ans (…).
Toi quand tu seras prêt, en arme pour le crime,
Masqué de cruauté, casqué de cheveux blonds,
Sur la cadence folle et brève des violons
Égorge une rentière en amour pour ta frime.
Enfin, un enseigne de vaisseau, encore enfant, trahissait
pour trahir : on le fusilla. Et c’est en l’honneur de leurs
crimes que j’écris mon livre.
(…) Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Cette merveilleuse éclosion de belles et sombres fleurs,
je ne l’appris que par fragment (…).
(…) Divague ma Folie, enfante pour ma joie
Un consolant enfer peuplé de beaux soldats,
Nus jusqu’à la ceinture, et des frocs résédas
Tire ces lourdes fleurs dont l’odeur me foudroie.
Les Bonnes (1947)
La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond,
une fenêtre ouverte sur la façade de l’immeuble en face.
À droite, le lit. À gauche, une porte et une commode. Des
fleurs à profusion. C’est le soir. L’actrice qui joue Solange
est vêtue d’une petite robe noire de domestique. Sur une
chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une
paire de souliers noirs à talons plats.
Arrache on ne sait d’où les gestes les plus fous,
Dérobe des enfants, invente des tortures,
Mutile la beauté, travaille les figures,
Et donne la Guyane aux gars pour rendez-vous.
Ô mon vieux Maroni, ô Cayenne la douce !
Je vois les corps penchés de quinze à vingt fagots
Autour du minot blond qui fume les mégots
Crachés par les gardiens dans les fleurs et la mousse.
Claire, debout, en combinaison, tournant le dos à la
coiffeuse. Son geste – le bras tendu – et le ton seront d’un
tragique exaspéré. – Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je
t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec ça,
sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non,
ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier.
Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas
être souillée ? Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine
est crachat. Sors. Et remporte tes crachats ! Mais cesse !
(…) IL PARAÎT qu’à côté vit un épileptique.
La prison dort debout au noir d’un chant des morts.
Si des marins sur l’eau voient s’avancer les ports,
Mes dormeurs vont s’enfuir vers une autre Amérique.
27
et d’un ton plus bas.) On s’encombre inutilement. Il y
a trop de fleurs. C’est mortel. (Elle se mire encore.) Je
serai belle. Plus que vous ne le serez jamais. Car ce n’est
pas avec ce corps et cette face que vous séduirez Mario.
Ce jeune laitier ridicule vous méprise, et s’il vous a fait
un gosse…
Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de
gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt
en bouquet, tantôt en éventail.
Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas,
nous avons le temps. Sors !
Solange – Oh ! Mais, jamais je n’ai…
Solange change soudain d’attitude et sort humblement,
tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc. Claire
s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets
de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage.
Claire – Taisez - vous, idiote ! Ma robe !
Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas
là ? (Elle se retourne.) Claire ! Claire !
Entre Solange.
Solange – Que Madame m’excuse, je préparais le tilleul
(Elle prononce tillol.) de Madame.
Claire – Disposez mes toilettes. La robe blanche
pailletée. L’éventail, les émeraudes.
Solange – Tous les bijoux de Madame ?
Claire – Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup
d’hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux
que vous convoitez depuis des années.
Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre
et dispose sur le lit.
Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a
séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le !
Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des
escarpins vernis.
Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils
dorment en vous, ma fille, qu’ils y croupissent. Ah ! ah !
vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et
vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que
Solange examine.) Pensez-vous qu’il me soit agréable
de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre
salive ? Par la brume de vos marécages ?
> Les Bonnes, mise en scène de Louis Jouvet, 1947
Solange, à genoux et très humble. – Je désire que
Madame soit belle.
Claire, elle s’arrange dans la glace. – Vous me détestez,
n’est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous
votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève
28
Journal du voleur (1949)
Je suis né à Paris le 19 décembre 1910. Pupille de
l’Assistance Publique, il me fut impossible de connaître
autre chose de mon état civil. Quand j’eus vingt et un
ans, j’obtins un acte de naissance. Ma mère s’appelait
Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. J’étais venu
au monde au 22 de la rue d’Assas.
Le vêtement des forçats est rayé rose et blanc. Si,
commandé par mon cœur l’univers où je me complais,
je l’élus, ai-je le pouvoir au moins d’y découvrir les
nombreux sens que je veux : il existe donc un étroit
rapport entre les fleurs et les bagnards. La fragilité, la
délicatesse des premières sont de même nature que la
brutale insensibilité des autres. Que j’aie à représenter
un forçat – ou un criminel – je le parerai de tant de fleurs
que lui-même disparaissant sous elles en deviendra une
autre, géante, nouvelle. Vers ce qu’on nomme le mal,
par amour j’ai poursuivi une aventure qui me conduisit
en prison. S’ils ne sont pas toujours beaux, les hommes
voués au mal possèdent les vertus viriles. D’euxmêmes, ou par le choix fait pour eux d’un accident,
ils s’enfoncent avec lucidité et sans plaintes dans un
élément réprobateur, ignominieux, pareil à celui où,
s’il est profond, l’amour précipite les êtres. (…) Niant
les vertus de votre monde, les criminels désespérément
acceptent de s’organiser un univers interdit. Ils
acceptent d’y vivre. L’air est nauséabond : ils savent le
respirer. Mais - les criminels sont loin de vous - comme
dans l’amour ils s’écartent et m’écartent du monde et
de ses lois.
— Je saurai donc quelques renseignements sur mon
origine, me dis-je, et je me rendis rue d’Assas. Le
22 était occupé par la Maternité. On refusa de me
renseigner. Je fus élevé dans le Morvan par des paysans.
Quand je rencontre dans la lande — et singulièrement
au crépuscule, au retour de ma visite des ruines de
Tiffauges où vécut Gilles de Rais — des fleurs de genêt,
j’éprouve à leur égard une sympathie profonde. Je les
considère gravement, avec tendresse. Mon trouble
semble commandé par toute la nature. Je suis seul au
monde, et je ne suis pas sûr de n’être pas le roi — peutêtre la fée de ces fleurs. Elles me rendent au passage
un hommage, s’inclinent sans s’incliner mais me
reconnaissent. Elles savent que je suis leur représentant
vivant, mobile, agile, vainqueur du vent. Elles sont mon
emblème naturel, mais j’ai des racines, par elles, dans ce
sol de France nourri des os en poudre des enfants, des
adolescents enfilés, massacrés, brûlés par Gilles de Rais.
Par cette plante épineuse des Cévennes, c’est aux
aventures criminelles de Vacher que je participe.
Enfin par elle dont je porte le nom le monde végétal
m’est familier. Je peux sans pitié considérer toutes les
fleurs, elles sont de ma famille. Si par elles je rejoins
aux domaines inférieurs — mais c’est aux fougères
arborescentes et à leurs marécages, aux algues, que je
voudrais descendre — je m’éloigne encore des hommes.
De la planète Uranus, paraît-il, l’atmosphère serait
si lourde que les fougères sont rampantes ; les bêtes
se traînent écrasées par le poids de ces gaz. À ces
humiliés toujours sur le ventre, je me veux mêler. Si
la métempsycose m’accorde une nouvelle demeure,
je choisis cette planète maudite, je l’habite avec les
bagnards de ma race. Parmi d’effroyables reptiles, je
poursuis une mort éternelle, misérable, dans les ténèbres
où les feuilles seront noires, l’eau des marécages épaisse
et froide. Le sommeil me sera refusé. Au contraire,
toujours plus lucide, je reconnais l’immonde fraternité
des alligators souriants.
Je nomme violence une audace au repos amoureuse des
périls. On la distingue dans un regard, une démarche,
un sourire, et c’est en vous qu’elle produit les remous.
Elle vous démonte. Cette violence est un calme qui
vous agite. On dit quelquefois : « Un gars qui a de la
gueule. » (…)
Cependant, qu’est leur violence [celle des criminels] à
côté de la mienne qui fut d’accepter la leur, de la faire
mienne, de la vouloir pour moi, de la capter, de l’utiliser,
de me l’imposer, de la connaître, de la préméditer, d’en
discerner et d’en assumer les périls ?
Les poux nous habitaient. (…) Nous aimions savoir et sentir - pulluler les bêtes translucides qui, sans être
apprivoisées, étaient si bien à nous que le pou d’un autre
que de nous deux nous dégoûtait. Nous les chassions
mais avec l’espoir que dans la journée les lentes auraient
éclos. Avec nos ongles nous les écrasions sans dégoût
et sans haine. Nous n’en jetions pas le cadavre – ou
dépouille – à la voirie, nous le laissions choir, sanglant de
notre sang, dans notre linge débraillé. Les poux étaient
le seul signe de notre prospérité, de l’envers même de la
prospérité, mais il était logique qu’en faisant à notre état
opérer un rétablissement qui le justifiât, nous justifiions
du même coup le signe de cet état. (…) Nous en avions
à la fois honte et gloire.
Gravement, avec une solennelle lenteur, avec prudence,
nous descendions cet immense pot de chambre de
métal où toute une nuit des policiers costauds s’étaient
soulagés d’une matière et d’un liquide alors chauds,
ce matin refroidis. Nous le vidions dans les chiottes de
29
la cour et nous remontions à vide. Nous évitions de
nous regarder. Si j’avais connu Andritch dans la honte,
et si je ne lui eusse donné de moi une radieuse image
eussé-je pu rester calme en portant avec lui la merde des
geôliers, mais pour le tirer de l’humiliation, je m’étais
raidi jusqu’à devenir une sorte de signe hiératique, un
chant pour lui superbe, capable de soulever les humbles :
un héros.
sans les confondre, il les accepte tous dans leur égale
nudité. Puis il refuse de les vêtir. Ainsi ne veux-je plus
écrire, je meurs à la Lettre.
Le ton de ce livre risque de scandaliser l’esprit le meilleur
et non le pire. Je ne cherche pas le scandale. Je groupe
ces notes pour quelques jeunes gens. J’aimerais qu’ils
les considérassent comme la consignation d’une ascèse
entre toutes délicate. L’expérience est douloureuse et
je ne l’ai pas encore achevée. Que son point de départ
soit une rêverie romanesque, il n’importe, si je la
travaille avec la rigueur d’un problème mathématique ;
si je tire d’elle les matériaux utiles à l’élaboration d’une
perfection morale (à l’anéantissement peut-être de ces
matériaux eux-mêmes, à leur dissolution) proche de
cette sainteté qui n’est encore pour moi que le plus beau
mot du langage humain.
(…) Je nomme sainteté, non un état, mais la démarche
morale qui m’y conduit. C’est le point idéal d’une
morale dont je ne puis parler car je ne l’aperçois pas.
Il s’éloigne quand je m’approche de lui. Je le désire et
je le redoute. Cette démarche peut paraître imbécile.
Cependant encore que douloureuse, elle est joyeuse.
C’est une folle. Sottement elle prend la figure d’une
Caroline enlevée sur ses jupes et hurlant de bonheur.
Je fais, non tellement de la solitude, mais du sacrifice la
plus haute vertu. C’est la vertu créatrice par excellence.
Il devrait y avoir damnation. S’étonnera-t-on quand
je prétends que le crime peut me servir à assurer ma
vigueur morale ?
Quand pourrai-je enfin bondir au cœur de l’image, être
moi-même la lumière qui la porte jusqu’à vos yeux ?
Quand serai-je au cœur de la poésie ?
Je risque de me perdre en confondant la sainteté avec
la solitude. Mais par cette phrase, ne risqué-je pas
de redonner à la sainteté le sens chrétien que je veux
détacher d’elle ?
Cette recherche de la transparence est peut-être vaine.
Atteinte elle serait le repos. Cessant d’être « je », cessant
d’être « vous », le sourire subsistant c’est un sourire égal
posé sur les choses.
L’assassinat n’est pas le moyen le plus efficace de
rejoindre le monde souterrain de l’abjection. Au
contraire, le sang versé, le danger constant où sera
son corps qu’on peut un jour ou l’autre décapiter (le
meurtrier recule mais son recul est ascendant) et l’attrait
qu’il exerce car on lui suppose, pour si bien s’opposer
aux lois de la vie, les attributs les plus facilement imaginés
de la force la plus grande, empêchent qu’on méprise ce
criminel. D’autres crimes sont plus avilissants : le vol, la
mendicité, la trahison, l’abus de confiance, etc., c’est
ceux-là que j’ai choisi de commettre, cependant que
toujours je demeurais hanté par l’idée d’un meurtre qui,
irrémédiablement, me retrancherait de votre monde.
Parler de mon travail d’écrivain serait un pléonasme.
L’ennui de mes journées de prison me fit me réfugier
dans ma vie d’autrefois, vagabonde, austère ou
misérable. Plus tard, et libre, j’écrivis encore, pour
gagner de l’argent. L’idée d’une œuvre littéraire me
ferait hausser les épaules. Cependant si j’examine ce
que j’écrivis j’y distingue aujourd’hui, patiemment
poursuivie, une volonté de réhabilitation des êtres, des
objets, des sentiments réputés vils. De les avoir nommés
avec les mots qui d’habitude désignent la noblesse,
c’était peut-être enfantin, facile : j’allais vite. J’utilisais
le moyen le plus court, mais je ne l’eusse pas fait si,
en moi-même, ces objets, ces sentiments (la trahison, le
vol, la lâcheté, la peur), n’eussent appelé le qualificatif
réservé d’habitude par vous à leurs contraires. Sur-lechamp, au moment que j’écrivais, peut-être ai-je voulu
magnifier des sentiments, des attitudes ou des objets
qu’honorait un garçon magnifique devant la beauté de
qui je me courbais, mais aujourd’hui que je me relis, j’ai
oublié ces garçons, il ne reste d’eux que cet attribut que
j’ai chanté, et c’est lui qui resplendira dans mes livres
d’un éclat égal à l’orgueil, à l’héroïsme, à l’audace. Je
ne leur ai pas cherché d’excuses. Pas de justification. J’ai
voulu qu’ils aient le droit aux honneurs du Nom. Cette
opération, pour moi n’aura pas été vaine. J’en éprouve
déjà l’efficacité. En embellissant ce que vous méprisez,
voici que mon esprit, lassé de ce jeu qui consiste à
nommer d’un nom prestigieux ce qui bouleversa mon
cœur, refuse tout qualificatif. Les êtres et les choses,
30
Interview pour Playboy, édition U.S.
d’avril 1964 (retraduit de l’anglais)
Il est vrai que dans mes écrits autobiographiques –
rappelez-vous qu’ils ont été écrits il y a vingt ans – j’ai
accentué les qualités que vous venez de mentionner
[l’homosexualité, la trahison, le vol et la lâcheté], et
je l’ai fait pour des raisons qui n’étaient pas toujours
pures ; je veux dire qu’elles n’étaient pas toujours de
nature poétique.
(…) J’aime être exclu (…) Mais c’est par orgueil, et ce
n’est pas mon meilleur côté. C’est un peu idiot. C’est
une attitude romantique naïve. Je ne devrais pas en
rester là.
(…) Je ressens encore une certaine rancune à l’égard de
la société, mais de moins en moins, et j’espère qu’elle
aura totalement disparu d’ici peu. Au fond, je m’en
fous. Mais quand j’écrivais ces mots, j’étais rancunier,
et la poésie me permettait de transformer, par les voies
du langage, une matière réputée vile en une matière
considérée comme noble. (…) Je pense désormais que
si mes livres excitent sexuellement mes lecteurs, c’est
qu’ils sont mal écrits, car l’émotion poétique devrait être
si forte qu’aucun lecteur ne puisse être sexuellement
touché.
31
EXTRAIT 1
ANNEXE 2.
LES NÈGRES, RÉSUMÉ ET EXTRAITS
PRÉSENTATION
RÉSUMÉ
UN SOIR, UN COMÉDIEN ME DEMANDA
D’ÉCRIRE UNE PIÈCE QUI SERAIT JOUÉE PAR
LES NOIRS. MAIS, QU’EST-CE QUE C’EST DONC
UN NOIR ? ET D’ABORD C’EST DE QUELLE
COULEUR ?
J.G.
Dans Les Nègres, le jeu se joue ouvertement entre la scène
– noire – et la salle – blanche. Les spectateurs blancs
font face à la Cour comme à un miroir. Archibald, en
meneur de troupe annonce que des acteurs noirs vont
interpréter le drame du meurtre d’une femme blanche.
Or, il s’avère bientôt que le catafalque est vide et que
la représentation donnée par Archibald et sa troupe de
comédiens devant le public blanc n’est qu’un cérémoniel
destiné à dissimuler un acte proprement révolutionnaire
censé s’accomplir en coulisses : l’exécution d’un Noir
traître à la cause noire par des révolutionnaires noirs.
Cette pièce, je le répète, écrite par un Blanc, est destinée
à un public de Blancs. Mais si, par improbable, elle était
jouée devant un public de Noirs, il faudrait qu’à chaque
représentation un Blanc fût invité – mâle ou femelle.
L’organisateur du spectacle ira le recevoir solennellement,
le fera habiller d’un costume de cérémonie et le conduira
à sa place, de préférence au centre de la première rangée
des fauteuils d’orchestre. On jouera pour lui. Sur ce
Blanc symbolique un projecteur sera dirigé durant tout
le spectacle.
Et si aucun Blanc n’acceptait cette représentation ? Qu’on
distribue au public noir à l’entrée de la salle des masques
de Blancs. Et si les Noirs refusent les masques, qu’on utilise
un mannequin.
J.G.
Le rideau est tiré. Non levé : tiré.
LE DÉCOR
Des rideaux de velours noirs. Quelques gradins avec
paliers de différents plans, à droite et à gauche. L’un
d’eux, très au fond vers la droite, est plus élevé. Un
autre allant jusqu’aux cintres, et semblable plutôt à une
galerie, fait le tour de la scène. C’est là qu’apparaîtra
la COUR. Un paravent vert est disposé sur un palier
supérieur, à peine moins élevé que celui décrit plus
haut. Au milieu de la scène, directement sur le plancher,
un catafalque recouvert d’une nappe blanche. Sur le
catafalque, des fleurs en bouquets : Iris, roses, glaïeuls,
arums. Au pied du catafalque, boîte de cireur des rues.
La lumière est une lumière de néon, très violente.
Quand le rideau est tiré, 4 Nègres en frac – non, l’un
de ces Nègres, Ville de Saint-Nazaire, sera pieds nus et
en chandail de laine – et quatre Négresses en robe du
soir dansent autour du catafalque une sorte de menuet
sur un air de Mozart qu’ils sifflent et fredonnent. Le
> Les Nègres, mise en scène de Roger Blin, 1959
32
frac – et cravate blanche des messieurs – est accompagné
de chaussures jaunes. Les toilettes des dames – robes
du soir très pailletées – évoquent de fausses élégances,
le plus grand mauvais goût. Tout en dansant et sifflant,
ils arrachent des fleurs de leurs corsages et habits, pour
les poser sur le catafalque. Soudain, sur la plateforme en
haut à gauche, entre la Cour.
saluez, madame, c’est un jeu (Neige s’incline)… Madame
Félicité Gueuse-Étiennette-Vertu-Rose-Secrète. Vous
le voyez, mesdames, messieurs, comme vous avez vos
lis et vos roses, pour vous servir nous utiliserons nos
fards d’un beau noir luisant. C’est monsieur Dieudonné
Village qui recueille le noir de fumée et madame Félicité
Gueuse-Pardon qui le délaie de notre salive. Ces dames
l’aident. Nous nous embellissons pour vous plaire. Vous
êtes blancs. Et spectateurs. Ce soir nous jouerons pour
vous…
—
LES PERSONNAGES
LA COUR : Chaque acteur sera un Noir masqué dont
le masque est un visage de Blanc posé de telle façon
qu’on voit une large bande autour, et même les cheveux
crépus.
EXTRAIT 3
LE MISSIONNAIRE : Aurait-il permis, jeune efféminé,
aurait-il permis le miracle grec ? Depuis deux mille ans
Dieu est blanc, il mange sur une nappe blanche, il essuie
sa bouche blanche avec une serviette blanche, il pique
la viande blanche avec une fourchette blanche. (Un
temps) Il regarde tomber la neige.
—
LA REINE : Masque blanc et triste. Bouche aux coins
tombants. Couronne royale sur la tête. Sceptre en main.
Hermine au manteau à traîne. Robe superbe. À sa droite
SON VALET : Gringalet maniéré, gilet rayé des valets
de chambre. Serviette sur le bras, dont il joue comme
d’un foulard, mais avec lequel il essuiera les yeux de Sa
Majesté.
EXTRAIT 4
ARCHIBALD, grave : Je vous ordonne d’être noir
jusque dans vos veines et d’y charrier du sang noir.
Que l’Afrique y circule. Que les Nègres se nègrent.
Qu’ils s’obstinent jusqu’à la folie dans ce qu’on les
condamne à être, dans leur ébène, dans leur odeur,
dans l’œil jaune, dans leurs goûts cannibales. Qu’ils ne
se contentent pas de manger les Blancs, mais qu’ils se
cuisent entre eux. Qu’ils inventent des recettes pour les
tibias, les rotules, les jarrets, les lèvres épaisses, que saisje, des sauces inconnues, des hoquets, des rots, des pets,
qui gonfleront un jazz délétère, une peinture, une dent
criminelle. Que si l’on change à notre égard, Nègres, ce
ne soit par l’indulgence, mais par la terreur !
—
LE GOUVERNEUR : Uniforme sublime. Tient une
paire de jumelles, ou une longue-vue de marine.
LE JUGE : Robe noire et rouge. À gauche de la Reine.
LE MISSIONNAIRE : Robe blanche. Bagues. Croix
pectorale. À gauche du juge.
—
EXTRAIT 2
EXPOSITION
Archibald : Mesdames, messieurs… : (La cour éclate
d’un rire aigu, mais très bien orchestré. Ce n’est pas un
rire en liberté. À ce rire, répond un même rire, mais plus
aigu encore, des Nègres qui sont autour d’Archibald.
Déconcentrée, la Cour se tait.)… Je me nomme
Archibald Absalon Wellington. (Il salue, puis il passe
devant ses camarades, les nommant tour à tour.)… Voici
monsieur Dieudonné Village (il s’incline)… Monsieur
Edgar-Hélas Ville de Saint-Nazaire (il s’incline)…
Madame Augusta Neige (elle reste droite)… eh bien…
eh bien, madame (en colère et tonnant) saluez ! (elle
reste droite)… Je vous le demande, saluez, madame !
(Extrêmement doux, presque peiné.) Je vous le demande,
EXTRAIT 5
FÉLICITÉ, se dressant soudain : Dahomey !…
Dahomey !… À mon secours, Nègres ! Tous. Sous vos
blancs parasols, Messieurs de Tombouctou, entrez.
Mettez-vous là. Tribu couverte d’or et de boue,
remontez de mon corps, sortez ! Tribu de la Pluie et
du Vent, passez ! Prince des Hauts-Empires, princes
des pieds nus et des étriers de bois, sur vos chevaux
habillés, entrez. Entrez à cheval. Au galop ! Au galop !
Hop ! Hop ! Hop-là ! Nègres des Étangs, vous qui
pêchez les poissons avec votre bec pointu, entrez.
33
Nègres des docks, des usines, des bastringues, Nègres
de chez Renault, Nègres de Citroën, vous autres aussi
qui tressez les joncs pour encager les grillons et les
roses, entrez et restez debout. Soldats vaincus, entrez.
Soldats vainqueurs, entrez. Serrez-vous. Encore. Postez
vos boucliers contre le mur. Vous aussi, qui déterrez les
cadavres pour sucer la cervelle des crânes, entrez sans
honte. Vous, frère-soeur emmêlé, inceste mélancolique
et qui marche, passez. Barbares, barbares, barbares,
venez. Je ne peux vous décrire tous, ni même vous
nommer tous ni nommer vos morts, vos armes, vos
charrues, mais entrez. Marchez doucement sur vos
pieds blancs. Blancs ? Non, noirs. Noirs ou blancs ? Ou
bleus ? Rouges, verts, bleu, blanc, rouge, vert, jaune,
que sais-je, où suis-je ? Les couleurs m’épuisent.
—
EXTRAIT 6
VILLAGE : Pour toi, je pourrais tout inventer : des
fruits, des paroles plus fraîches, une brouette à deux
roues, des oranges sans pépins, un lit à trois places, une
aiguille qui ne pique pas, mais des gestes d’amour, c’est
plus difficile… Enfin, si tu y tiens…
VERTU : Je t’aiderai. Ce qui est sûr, au moins, c’est
que tu ne pourras enrouler tes doigts dans mes longs
cheveux blonds…
34
MISE EN SCÈNE DE ROGER BLIN, 1959
ANNEXE 3.
METTRE EN SCÈNE LES NÈGRES
Extrait de Roger Blin : souvenirs et propos recueillis par
Lynda Bellity Peskine, Paris, Gallimard, Collection
Blanche, 1986.
JEAN GENET, POUR JOUER LES NÈGRES,
PARU DANS LA RÉÉDITION DES NÈGRES
EN 1960.
Pour Les Nègres, Acquart avait fait un très beau décor
qui montait assez haut, consolidé à l’arrière par des tas
de tubes sur lesquels pouvaient grimper les comédiens
pour réapparaître ensuite comme s’ils descendaient des
cintres.(...)
(…) Quand Bobo enduit de cirage la figure de
Village, elle doit le faire avec beaucoup de soin. Elle
peut utiliser des cirages noirs, jaunes, rouges, et
blancs, afin de réussir un maquillage assez sauvage.
Elle applique les couleurs comme le fait un peintre
sur sa toile, en se reculant pour apprécier. Les
autres Nègres, comme les visiteurs d’un musée,
apprécient aussi, la tête penchée…
Tout dans le spectacle est faux. Des comédiens jouent le
procès des Noirs par des Blancs, puis le procès des Blancs
par des Noirs, et ça c’est de l’ordre de la représentation.
Mais pendant ce temps, en coulisse, se déroule la seule
chose réelle et sérieuse, le jugement d’un Noir par
d’autres Noirs. Ville de Saint-Nazaire, qui est chargé
de rendre compte de ce qui se passe dehors, est le seul
personnage qui soit hors du jeu. (…)
Lorsque Village commence la tirade : « J’entre
et je m’apporte… », Archibald prendra les gestes
d’un chef d’orchestre, donnant la parole tantôt à
l’un tantôt à l’autre.
Les Nègres c’était en 1959, très peu de temps après
la tournée de de Gaulle en Afrique où il consentait à
l’indépendance de certains états. Le spectacle a donc eu
un impact extraordinaire et il a choqué beaucoup de
gens.(...) Dans l’ensemble, ce spectacle a été une sorte
de bombe. Nous n’avons pas eu une audience noire
très importante mais, ceux qui sont venus étaient aussi
choqués que certains Blancs. (…)
Toujours Village : lorsqu’il commence la tirade :
« Marchez ! Vous possédez ce soir la plus belle
démarche du Royaume… » Il faut allumer toutes
les lumières, y compris les lustres de la salle. Les
spectateurs doivent être inondés de lumière. Elle
reprendra son intensité normale quand le juge
dira : « Que distinguez-vous ? »
Mais alors, Village doit parler plus fort, éclater
même, avoir des gestes plus visibles afin de
reprendre sur lui une intention détournée un
instant par le flot des lumières.
Maintenant aucun des comédiens ne désire remonter
cette pièce. Il s’est en effet passé beaucoup de choses
depuis. La situation politique n’est plus du tout ce
qu’elle était. À l’époque c’était très clair, les Blancs et les
Noirs, les oppresseurs et les opprimés. On savait contre
quoi on se battait. Maintenant c’est très différent, il y
a eu entre-temps Amin Dada, Bokassa. L’analyse est
beaucoup plus confuse et je ne sais pas si le spectacle
aurait le même impact aujourd’hui. Je ne pense pas.
Si la pièce devait être jouée en plein air, j’aimerais
que la Cour s’installe sur la branche horizontale
(surajoutée) d’un gros arbre feuillu. Quand elle
doit venir parmi les Nègres, (en Afrique) la Cour
apparaîtrait dans les branches d’un autre arbre (à
droite) et descendrait jusqu’au sol au moyen de
lianes ou de branches souples.
GILLES CHAVASSIEUX,
THÉÂTRE DES ATELIERS, LYON 1991
Pour moi, Les Nègres devaient se dérouler dans un lieu au
caractère clandestin. Les lieux clandestins sont des lieux
de mémoire. J’ai donc pensé à un théâtre désaffecté.
André Acquart, qui avait fait le décor des Nègres et des
Paravents pour Roger Blin et avait accepté ce retour
à Genet en riant, a conçu un dispositif très simple :
(…) Il faudrait, aussi, que Village et Vertu quittent
vers la fin le rôle de convention qu’ils sont censés
tenir pour cette fête, et dessinent les personnages
plus humains de deux êtres qui s’aiment pour de
bon.
35
au balcon, 5 entrées pour permettre le passage des 5
Blancs ; en bas, les Noirs. Au début, une jeune fille aux
yeux bandés tâtait les visages des comédiens noirs qui,
assis en tailleur, regardaient le public – à l’aveugle, elle
faisait basculer leur tête, en choisissait 5 et les aspergeait
d’une poudre blanche : la jeune fille était leur destin – et
le hasard qui présidait à leur choix.
Ce qu’il fallait mettre en valeur, c’est que, plus cette
sorte de procès avance, plus les Noirs s’en désintéressent
et qu’à la fin, quand intervient le Valet qui a presque un
rôle de commissaire politique, les Blancs se démasquent
pour être les plus radicaux. Ils abandonnent leurs rôles
de Blancs pour en prendre la brutalité. Il fallait que leur
rôle et leur jeu les amènent à se comporter comme des
blancs, à être brutaux par rapport aux blancs, donc par
rapport à eux-mêmes, et aller au bout de leur propre
mort en tant que Blanc. Ce qui frappe beaucoup
aujourd’hui, c’est que bien des pays d’Afrique ont un
PIB qui grimpe au profit de Nègres blancs attachés à
leurs privilèges. Genet les démasque et, déjà en 1958,
nous raconte cela.
36
TABLEAU 11
Village invite Diouf à le précéder dans la chambre à
coucher, où il la rejoindra pour la tuer. Mais il hésite,
tremble d’effroi devant l’acte qu’il doit accomplir.
La reine noire exhorte pour la seconde fois tous les
Nègres de la terre à lui venir en aide et à prendre part
à la cérémonie. Les femmes encouragent Village en
entonnant un hymne religieux. Il disparaît avec Diouf
derrière la coulisse. Depuis la scène, le public blanc
cherche à voir le viol. Le Gouverneur s’enthousiasme
pour la puissance sexuelle des Noirs.
—
ANNEXE 4.
LES NÈGRES
EXTRAITS DU SYNOPSIS EN 20
TABLEAUX ÉTABLI PAR BOB WILSON
PROLOGUE
Les Nègres entrent sur scène en courant. Des coups de
feu sont tirés. Sans résister, ils lèvent leurs mains en l’air,
ils n’ont pas d’armes. Ils se réfugient ensuite dans une
maison africaine en torchis.
…
TABLEAU 16
Manifestement ivres, les titulaires de la Cour blanche
font leur entrée en scène dans le plus grand désordre.
Les Nègres cherchent à les effrayer en imitant des bruits
d’animaux. Des palmiers, une forêt vierge les enserre,
les Blancs sont pris au piège, aucune fuite possible. La
reine noire annonce l’aurore. Le juge ordonne qu’on
dresse le tribunal.
—
TABLEAU 3
Village, l’assassin, entame son premier récit : le meurtre
d’une vieille clocharde blanche, dont le cadavre est
maintenant allongé dans le cercueil. Les Nègres fument
pour lutter contre la puanteur qu’il dégage. Le public
blanc se concerte pour savoir par quels moyens il pourrait
corrompre les Noirs et les conduire à la trahison.
—
TABLEAU 18
Sur les hurlements d’un coyote, les deux Reines
s’affrontent pour leur pouvoir et se disputent à propos
de leur avenir, de leur beauté, de leur vie et de leur mort.
—
TABLEAU 5
Village et Vertu, la prostituée noire, jouent la scène de la
séduction mais en mélangeant la pièce avec leurs propres
sentiments, ce qui provoque aussitôt l’intervention
d’Archibald et de Bobo, la Négresse qui prêche la haine.
Pendant ce temps, le public blanc s’informe des cours de
la Bourse, et la Reine s’endort d’épuisement. Se glissant
dans le rôle de la reine blanche, Vertu récite à présent les
bonnes tirades, d’abord toute seule, puis accompagnée
de la reine, comme en transe, jusqu’à ce que celle-ci se
réveille, stupéfaite et mette fin à la scène.
—
TABLEAU 20
Village et Vertu, l’assassin et la prostituée restent seuls
en scène. Chacun s’efforce, avec gaucherie et embarras,
d’assurer l’autre de ses sentiments amoureux.
TABLEAU 7
Neige, qui aime Village et qui est jalouse de Vertu,
provoque une dispute en reprochant à Village d’avoir
tué la femme blanche non par haine, mais par amour.
—
37
NOTES
38
NOTES
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CONTACTS
Dossier réalisé par Amélie Rouher,
professeur de lettres correspondant culturel
auprès de la Comédie,
missionné par le rectorat
[email protected]
contact scolaire
Laure Canezin,
chargée des relations avec les publics
[email protected]
t. 0473.170.180
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