LES NÈGRES
JEAN GENET
ROBERT WILSON
14 et 15 décembre 2015
COPRODUCTION LA COMÉDIE DE CLERMONT-FERRAND
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
« QUE DEVIENDRA CETTE PIÈCE
QUAND AURONT DISPARU
D’UNE PART LE MÉPRIS ET LE
DÉGOÛT, D’AUTRE PART LA
RAGE IMPUISSANTE ET LA HAINE
QUI FORMENT LE FOND DES
RAPPORTS ENTRE LES GENS DE
COULEUR ET LES BLANCS, BREF,
QUAND ENTRE LES UNS ET LES
AUTRES SE TENDRONT DES LIENS
D’HOMMES ? ELLE SERA OUBLIÉE.
J’ACCEPTE QU’ELLE N’AIT DE SENS
QU’AUJOURD’HUI. »
PRÉFACE DE JEAN GENET
POUR LES NÈGRES
ÊTRE NÈGRE
La scène contemporaine monte peu le théâtre de Jean
Genet : théâtre de texte, profus, lyrique, ultra-littéraire ;
théâtre coûteux également parce qu’il nécessite une
distribution nombreuse, théâtre licencieux surtout qui,
bien au-delà de la provocation, joue à déconstruire nos
représentations sociales et culturelles. Pourtant, monter
Les Nègres est un défi de notre temps. Qu’est-ce qu’être
Nègre ? Beaucoup pourront dire que ce mot méchant
est galvaudé ; Jean Genet lui-même pensait qu’il
n’aurait plus lieu d’être débattu. Le sens de l’histoire lui
donne à la fois raison et tort tant la question de la haine
raciale s’impose à la fois comme interdit irrépressible et
illustration de clichés encore bien tenaces et prolifiques.
Jean Genet avait compris que le théâtre était l’espace
privilégié de destruction des anciennes représentations
parce que le théâtre est par essence le lieu de la vérité et
de l’illusion.
Faire le simulacre non pour le dénoncer mais au contraire
pour explorer la vérité sous le mensonge, tel est aussi le
projet artistique de Bob Wilson. En 1971 Regard du
Sourd est un geste artistique magistralement novateur
qui balaye d’un revers de main le vieux théâtre. Le
metteur en scène est plasticien, chorégraphe. La scène
se fait territoire vivant d’explorations sensorielles. Notre
relation intelligible au monde est rompue au profit d’une
rencontre avec l’irrationnel et l’effroi de nos structures
les plus profondes. Bob Wilson et Jean Genet ont ceci
de commun qu’ils ont défait l’art théâtral de ses vieux
rituels pour déshabiller l’homme de toutes es parades
culturelles dont il se protège et l’amener à s’affronter
seul et nu face à lui-même.
À l’image des artistes dont il est question ici, ce dossier
pédagogique, est pensé pour inviter les disciplines au
dialogue naturel. Activités de recherches, propositions
d’ateliers, explorations à travers les arts, il s’agit ici
d’accompagner les élèves à ouvrir leur réflexion et leur
regard sur les signaux complexes de l’image mais aussi
de les libérer par la pratique de leurs propres codes de
représentation. L’école du spectateur est un jeu d’écluses :
la réflexion théorique peut naître de l’expérience du
plateau, les arts graphiques et publicitaires éclairer une
œuvre d’art ou un phénomène historique. L’école du
spectateur n’appartient à aucune école. Entrer dans le
spectacle vivant, c’est aussi se construire, à son image,
dans un dialogue libéré entre les arts et les pratiques.
Amélie Rouher
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SOMMAIRE
PARTIE # 1
AVANT LA REPRÉSENTATION
I. « ET D’ABORD NÈGRE,
C’EST DE QUELLE COULEUR ? »
A. 1959, année électrique
B. La séquence du cinéphile : Bardot, femme Nègre
C. Qu’est-ce qu’être nègre ?
Analyse d’image : Et n’oublie pas ton Banania !
II. JEAN GENET, POÈTE CANNIBALE
A. Portrait de l’artiste par ses (auto)-portraits
B. Atelier de pratique artistique : Genet à voix haute
C. Atelier de pratique artistique
III. BOB WILSON, ARTISTE TOTAL
A. Le Regard du sourd
B. Atelier de pratique artistique
C. Bob Wilson, plasticien et sculpteur de l’espace
D. Bob Wilson, poète et sculpteur de la lumière
E. L’atelier du plasticien-scénographe
PARTIE # 2
APRÈS LA REPRÉSENTATION
I. PROPOSITION DE RÉFLEXIONS GUIDÉES
POUR UNE ANALYSE CHORALE
A. Atelier de prise de parole
« Ce que j’attendais, ce qui m’a surpris… »
B. « Ça me fait penser à… »
C. Le prologue
D. Un Cabaret exotique
E. Plastique-Palace !
F. Un noir ? C’est de quelle couleur ?
L’esthétique des contraires.
G. Le jeu des acteurs. Cabaret Vogue !
II. ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE.
UNE RÉPONSE ENGAGÉE À LA MISE EN SCÈNE
DE BOB WILSON ?
ANNEXES
1. Jean Genet, petit florilège
2. Les Nègres : résumé et extraits
3. Mettre en scène Les Nègres
4. Les Nègres, extrait de synopsis en 20 tableaux établis
par Robert Wilson
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PARTIE # 1
AVANT LE SPECTACLE
I. ET D’ABORD NÈGRE,
C’EST DE QUELLE COULEUR ?
A. 1959 ANNÉE ÉLECTRIQUE
Jean Genet écrit
Les Nègres
en 1956. La pièce ne sera
jouée en France qu’en 1959.
Que se passe-t-il dans le monde, en France, dans
le monde à ce moment précis ? Quels romans lit-on ?
Quelles œuvres s’exposent ? Que va-t-on voir au
cinéma ? Quelles chansons fredonne-t-on ? Inviter
les élèves à opérer des analogies entre le contexte
historique et la création contemporaine de cette
période. Quels thèmes sont traités, que sous-
tendent-ils et que révèlent-ils de cette période ?
Sur le terrain de la politique internationale, l’année
1959 est une année électrique : les Russes envoient
la première fusée lunaire, la révolte cubaine éclate,
le Congo se soulève pour finalement proclamer son
indépendance. En orient, la guerre du Vietnam s’étend
au Cambodge.
En France, le premier ministère la Culture est créé en
France sous l’égide d’André Malraux, en même temps
que de Gaulle qui vient d’être réélu à la Présidence de la
Rébublique prononce l’autodétermination de l’Algérie.
Mais derrière le masque de l’ordre gaulliste et la montée
en masse de la société de consommation que Barthes
s’amuse à dénoncer dans son essai Mythologies (1957),
un vent de transgression et de révolte souffle sur l’année
1959. À Saint Germain, on fredonne « la complainte
du Progrès » de Boris Vian, les caves font remonter
les trompettes jazz de Sydney Bechet et pleurent Billie
Holliday qui vient de disparaître. Au théâtre, si on se
vante d’aller voir jouer « du Claudel », si Jean Anouilh
est parmi les auteurs les plus populaires, la scène française
est déjà imprégnée des textes de Samuel Beckett.
Aux romans de la vacuité existentielle (Molloy en 1951
et Malone meurt en 1956) répond très vite ce théâtre
dit de « l’absurde » qui réduit l’être à une machine
verbale, tourne à vide dans un ici et maintenant aussi
matérialiste que creux. En 1953, En attendant Godot est
mis en scène par Roger Blin, celui-là même qui en 1959
s’attache à monter Les Nègres.
Les formes artistiques sont naturellement bousculées
dans leurs conventions. Au Nouveau Roman qui
déconstruit la structure classique du roman, répond au
cinéma le mouvement de la Nouvelle Vague. Tout cela
fleure le scandale. En 1959 toujours : Jean Luc Godard
réalise À bout de Souffle où l’on voit Jean Paul Belmondo
assassiner un policier ; Raymond Queneau publie Zazie
dans le Métro, roman violent et transgressif qui peine à
cacher sous les jeux de morts oulipiens la crise d’une
France qui étouffe sous le poids des conventions.
Déjà le changement est en marche et prépare l’explosion
qui aura lieu dix ans plus tard en 68.
^ De haut en bas et de gauche à
droite : Affiche d’À bout de Souffle
réalisé par Jean-Luc Godard, 1959
/ De Gaulle réélu, photographie
officielle, 1958 / Publicité pour
Moulinex. 1959 / Couverture
du Times du 26 juillet 1950,
la révolution cubaine.
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B. LA SÉQUENCE DU CINÉPHILE…
BARDOT, FEMME NÈGRE
• Montrer l’extrait de Et Dieu créa la femme de
Roger Vadim. Demander aux élèves de réagir sur
cette séquence et d’imaginer la réception du film à
sa sortie en 1956, la même année que Jean Genet
rédige Les Nègres.
https ://www.youtube.com/watch?v=gaFTmZ4zQCU
En 1956 Roger Vadim réalise Et Dieu créa la femme,
film irrévérencieux et scandaleux qui place la figure
féminine comme principe dévastateur de domination
en réponse à la domination masculine. Le mythe de la
femme fatale et de la femme objet s’incarne ici dans la
figure de Brigitte Bardot qui retourne ces clichés de
genre pour créer l’image de la femme libre et insoumise.
À la fin du film, la danse à laquelle elle se livre au milieu
d’un orchestre de musiciens de jazz noirs, est une sorte
de transe à la fois érotique et expiatoire qui la pose
comme modèle insoumis et indomptable de la femme
moderne.
> Bardot dans
Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, 1967
CITATION
À mettre en relation avec l’extrait de Et Dieu créa la
femme
La Reine : (…) Moi aussi je vais descendre aux
Enfers. J’y conduirai mon troupeau de cadavres
que vous ne cessez de tuer pour qu’ils vivent
et que vous ne cessez de faire vivre afin de les
tuer. (…) Il vous était facile de me transformer
en Allégorie, mais j’ai vécu, j’ai souffert pour
en arriver à cette image… et même, j’ai aimé…
aimé.
C. QU’EST-CE QU’ÊTRE NÈGRE ?
Analyse d’image : Et n’oublie pas ton Banania !
• Avant d’avancer plus avant dans des recherches
documentaires, on demandera aux élèves de réagir
sur le terme de « Nègre ». Dans un second temps,
on leur demandera d’analyser l’image des noirs des
années 30 aux années 60. Nous proposons ici à titre
indicatif trois documents de nature différente.
L’expression « Nègre » est appréhendée aujourd’hui
comme un terme discriminant et péjoratif.
Cette prise de conscience est cependant lente. Les
arts figuratifs sont des témoins intéressants de cette
évolution. Le fameux tirailleur sénégalais de la publicité
Banania est évolué au cours des années sans pour autant
réussir à évincer la figure symbolique du Noir. On sait
que la tentative de remplacement du carabinier par un
enfant blanc a été un fiasco commercial. Ce sont les arts
graphiques qui ont trouvé la solution en désincarnant
la figure du noir africain pour s’en tenir à une forme
épurée, proche du logo. Ainsi garde-t-on la signature de
la marque en l’épurant de ses connotations colonialistes.
1. Le cours d’histoire sur la Belgique de la version
originale (1931) se transforme en un cours d’arithmétique
dans la version de 1946.
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