BOULARD Juliette – 1F LES BONNES de Jean GENET Collection

BOULARD Juliette 1F LES BONNES de Jean GENET
Collection Classico Lycée (72 pages) - Editions Gallimard-Belin 2001
ISBN 978-2-7011-5453-3 / ISSN 2104-9610
1) a- BIOGRAPHIE de l’auteur
Jean Genet a toujours été en décalage avec la société, depuis son enfance déjà. Né de père inconnu, sa mère l’abandonne très
tôt ; il est donc placé dans une famille d’accueil mais sa mère adoptive meurt à ses 12 ans. Il va alors dans une colonie
pénitentiaire mais commence à voler et fuguer… A 19 ans, il s’engage dans la légion étrangère puis déserte l’armée, dès lors il
mène une vie d’errance sans se soucier des normes de la société, dans la déviance, voyageant beaucoup, il vole et se prostitue
pour survivre. Il se plonge aussi dans la littérature française et découvre alors les grands auteurs.
C’est lorsqu’il est emprisonné un jour qu’il commence à écrire ses premiers poèmes , notamment Condamné à mort qu’il
adresse à Maurice Pilorge, son amant de l’époque ; et ses premiers romans : Notre-Dame des fleurs en 1942 puis Haute
surveillance.
C’est grâce à Jean Cocteau, qui s’intéresse à ses travaux qu’il est libéré de prison.
Jean Genet écrit par la suite Les Bonnes en 1947, puis son autobiographie romancée Le journal d’un voleur en 49 et en 58 : Le
funambule dédié à son second amant Abdallah Bentaga qui se suicidera d’ailleurs par la suite.
Dès le début de l’agitation de mai 68 en France, il commence ses activités politiques : il adhère aux idées dextrême droite,
anticolonialistes et racistes (il ira même jusqu’à rejoindre la cause des Black Panthers aux Etats-Unis). Il défend cependant avec
ferveur le mouvement homosexuel. Il meurt en 1986 d’un cancer dans sa chambre d’hôtel parisienne, laissant notamment comme
ouvrage posthume Le captif amoureux.
Pour conclure, Jean Genet est un auteur qui a toujours suivi son propre « chemin » de vie, comme il l’entendait et n’a jamais
cherché à être aimé des gens. Toujours dans l’opposition face aux valeurs de la société, il cherche même à créer le conflit en
jouant la provocation.
b- Contexte de l’œuvre
Les Bonnes est une pièce de théâtre éditée pour la première fois en 1947, sa toute première représentation a lieu le 19 avril de la
même année au théâtre de l’Athénée à Paris, sur commande du directeur Louis Jouvet. (Acteurs: Monique Mélinand, Yvette
Etiévant, Yolande Laffon). Celui-ci accepte de la faire jouer uniquement après des remaniements, jugeant certaines scènes
choquantes et c’est Cocteau qui va l’aider dans ce travail : on lui doit donc même le dénouement qu’on connait à la pièce
aujourd’hui.
La pièce est très mal accueillie par le public, elle crée un véritable malaise au sein de la salle mais Genet est satisfait car c’est
exactement l’effet qu’il recherchait. Elle sera violemment discutée et critiquée à l’époque, paradoxe, sachant qu’aujourd’hui c’est la
pièce de Genet la plus jouée en France et dans le monde !
Par ailleurs, en 1963 Genet décide suite à des interprétations théâtrales et à des mises en scène qu’il juge mauvaises, d’écrire
Comment jouer Les bonnes ? Il ne veut aucun contresens dans son texte et préfère donc expliquer lui-même sa propre pièce, ce
qui est assez original pour un auteur ! Enfin dès 68, il fera de nombreuses légères modifications de son texte.
2) Résumé de la pièce
Les personnages principaux sont les deux bonnes, qui sont sœurs : l’ainée Solange est paradoxalement soumise à sa petite sœur
Claire qui elle, est en rébellion et provocation perpétuelle face à sa grande sœur ; malgré tout, elles s’aiment énormément.
Elles travaillent dans l’appartement de leur maitresse (appelée « Madame » tout au long de la pièce), bourgeoise parisienne qui
sort beaucoup depuis que son mari, emprisonné puis déporté en Guyane, ne donne plus signe de vie. Mais ces sorties dans le
« grand monde » sont plus une fuite de la réalité car elle souffre terriblement de son absence.
Les bonnes ont l’habitude de jouer des sortes de « cérémonies » dans lesquelles elles changent de rôles : Claire devient Madame
tandis que Solange joue le rôle de Claire. Ces scènes « dans le théâtre » leur permettent de s’échapper quelques instants de leur
condition en portant les bijoux et les robes de leur maitresse et se maquillant à son image.
La pièce s’ouvre donc sur une de ces cérémonies le lecteur prend conscience du contexte ; mais un élément perturbateur
survient: Monsieur appelle pour avertir de sa liberté provisoire. Les sœurs décident alors de ne pas parler à Madame de son retour
car c’est en réalité Claire qui avait dénoncé Monsieur, tombant un jour sur des lettres compromettantes. Dès lors elles paniquent à
l’idée d’être découvertes et élaborent tout un stratagème pour tuer leur maitresse afin qu’elle ne l’apprenne jamais : mettre du
Gardénal (somnifère) dans le tilleul qu’elle boit tous les jours. (P37 : tirade de Claire qui dans un délire soudain s’excite en
imaginant la pire mort possible).Au retour de celleci, elles tentent donc de lui donner son tilleul, mais Madame s’effondre
semparée auprès de ses bonnes et leur confie toute sa tristesse face à l’absence de son mari et sa volonté de partir s’isoler à la
campagne et de les prendre sous son aile en leur donnant tous ses biens. Cette scène est je trouve très ironique car au moment
où les bonnes souhaitent la pire mort pour Madame, elle, leur offre tout ce dont elles ont toujours rêvé. De plus, au moment
elles redeviennent honnêtes envers elle et que Solange lui avoue enfin le coup de téléphone de son mari ; Madame échappe de
justesse à son empoisonnement, trop pressée et excitée à l’idée de le rejoindre, elle sort très vite sans boire son tilleul.
Dans la scène finale, Claire, toujours très sure d’elle jusque-là, se désespère soudain d’être découverte et perd tout espoir après
cette tentative d’empoisonnement ratée. Elle décide d’une ultime cérémonie où elle oblige Solange à lui donner son tilleul (jouant le
rôle habituel de Madame). Solange, refusant de tuer sa propre sœur, finit par lui obéir sous la pression psychologique
manipulatrice qu’elle exerce sur elle.
Cette fin tragique de la mort de Claire est très symbolique : elle représente à la fois la mort de Madame qu’elles rêvaient de tuer
(ironie du sort ici car Claire finit par programmer elle-même sa mort), et la libération de Solange du carcan de sa petite sœur, elle
retrouve alors enfin sa place d’ainée.
3) 1- Avis personnel
J’ai choisi ce livre tout d’abord car nous l’avions étudié en 1ère avec un professeur qui faisait des cours magistraux captivants et qui
avait fait bien ressortir justement, dans son étude les nombreux aspects psychologiques de la pièce et cela m’avait vraiment
passionné.
De plus, plus jeune, j’avais lu la biographie de Jean Genet de Edmund White et j’ai trouvé son existence passionnante. Pour moi,
c’est un être très torturé, sensible et poète intérieurement, mais qui mène sa vie toujours selon ses propres valeurs, qui ne sont pas
forcément celles de la société, et ses convictions très tranchées. Il « s’amuse » même à choquer la pensée collective par ses
provocations. Il se crée en fait une image aux yeux des gens, d’un être insupportable mais se fiche de ce qu’on peut penser de lui.
J’aime beaucoup sa personnalité atypique et son originalité.
2- Liens avec la psychologie
Crime des sœurs Papin : Il persiste concernant cette pièce de théâtre depuis sa parution, un mystère selon lequel l’histoire
serait totalement basée sur le fait divers du crime des sœurs Papin ; mais Genet niera toujours une quelconque inspiration.
Cependant la ressemblance est flagrante. Selon le Larousse dition 2010), le crime se déroule au Mans le 2 février 1933. Les
cadavres de Mme Lancelin et sa fille sont retrouvés, les yeux arrachés, les cuisses et les fesses tailladées et couvertes de sang de
la tête aux pieds : un véritable carnage. Après enquête, la Police conclut sur la culpabilité des deux bonnes: Christine et Léa Papin
(28 et 30 ans) au service de la famille depuis plus de 7 ans qui auraient commis cette sauvagerie dans un accès de folie.
Par ailleurs, Paulette Houdyer, romancière, est la première qui s’est penchée sur les réelles causes de l’affaire Papin. Vivant elle-
même au Mans, elle avait 14 ans lors des faits et s’est toujours passionnée pour cette affaire. Elle décide donc d’entreprendre des
recherches plus poussées que celles de la police pour expliquer l’affaire de façon plus psychologique. Après avoir pris possession
des pièces du dossier et avoir recueilli divers témoignages pertinents, elle en vient à la thèse du « crime d’amour » : les deux
bonnes entretenaient une relation homosexuelle et incestueuse que la maitresse aurait découvert et il s’en serait suivi des
violences. Elle résume ses conclusions au sein de son livre L’affaire Papin, le diable dans la peau qui est d’ailleurs repris dans le
film Des blessures assassines (2000) avec Sylve Testud.
Ce fameux crime donnera lieu à de nombreuses reprises et analyses d’écrivains et de psychologues par la suite, passionnant
vivement les médias, le grand public et les intellectuels par ses causes plus qu’intrigantes.
Par ailleurs, à cette époque l’expertise réalisée n’était que biologique (dans le but de repérer la syphilis ou l’épilepsie) et le
contexte germanophobe et les théories du « criminel né » de Lombroso et Magnan étaient encore très dominantes. Mais il se
révèle par la suite que les deux sœurs souffraient en réalité de schizophrénie, psychopathologie qui n’était pas encore connue.
La schizophrénie se définit en effet (comme nous l’avons vu en Psychanalyse), comme une psychose dont symptômes principaux
sont : la dissociation ; l’incohérence de l’affectivité, de la pensée et de l’action ; le détachement de la réalité ; et l’activité psychique
intérieure livrée aux fantasmes et à une activité délirante. Cette définition concorde parfaitement au comportement des bonnes (et
surtout de Claire) dans la pièce comme on le voit de façon flagrante dans leur « cérémonies ». Allant plus loin que le simple jeu de
rôles, elles s’y perdent elles-mêmes jusqu’à s’y confondre, elles s’identifient tellement au rôle qu’elles jouent qu’elles n’arrivent plus
à s’en défaire ! On le voit notamment dans la scène finale de la mort de Claire jouant le rôle de Madame, qui en vient à se tuer elle-
même alors que c’est sa maitresse qu’elle a toujours voulu tuer. Plus qu’une symbolisation, une métaphore, on s’y perd aussi en
tant que lecteur (surtout la première fois) : qui est qui réellement ? Ces jeux de rôle incessants créent une confusion pour le lecteur,
mais rappelons que c’est au fond l’effet que voulait créer Genet sur le public.
(P23, l 260) « Qu’est-ce-que tu as ? Tu peux te ressembler maintenant. Reprends ton visage, redeviens ma sœur ! »
(P70) : « Nous sommes Solange Lemercier, LE meurtrier »
Enfin, on peut noter que Jacques Lacan se basera sur le rapport d’expertise même de l’affaire pour établir ses théories sur la
psychose paranoïaque, apportant une analyse psychanalytique de la personnalité des sœurs et du phénomène de passage à
l’acte dans le crime. (Article de 1933 dans la revue Minotaure).
D’un point de vue psychologique, on peut aussi noter le rapport de Madame avec ses bonnes qui, selon moi, est assez
intéressant à étudier car on peut l’assimiler au rapport mère-fille typique, entre haine et amour et dans la réciprocité : en effet les
bonnes disent des méchancetés sur Madame et la jalousent par sa condition sociale mais l’admirent aussi et rêvent de lui
ressembler comme en témoignent les « cérémonies » ; parallèlement Madame leur donne des ordres énoncés avec autorité
quand elle se laisse aller par moments à leur confier ses sentiments profonds de tristesse et de désespoir. Genet insiste d’ailleurs
bien sur ce point dans Comment jouer les bonnes ? justement car il ne veut pas en faire un rapport maitre/esclave de
dominant /dominé comme dans la plupart des pièces de son époque.Le rapport entre les deux bonnes est lui aussi conflictuel,
Solange étant l’ainée elle est totalement soumise par sa petite sœur qui la manipule sentimentalement et parfois elles se disent
ouvertement des mots d’amour, c’est un perpétuel passage de pulsions agressives à protectrices de l’une envers l’autre.
Des relations donc très paradoxales entre les trois personnages principaux de cette histoire, peu évoquées dans les études que j’ai
pu lire lors de mes recherches concernant cette pièce mais selon moi très intéressantes tout de même psychologiquement.
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