rôle habituel de Madame). Solange, refusant de tuer sa propre sœur, finit par lui obéir sous la pression psychologique
manipulatrice qu’elle exerce sur elle.
Cette fin tragique de la mort de Claire est très symbolique : elle représente à la fois la mort de Madame qu’elles rêvaient de tuer
(ironie du sort ici car Claire finit par programmer elle-même sa mort), et la libération de Solange du carcan de sa petite sœur, elle
retrouve alors enfin sa place d’ainée.
3) 1- Avis personnel
J’ai choisi ce livre tout d’abord car nous l’avions étudié en 1ère avec un professeur qui faisait des cours magistraux captivants et qui
avait fait bien ressortir justement, dans son étude les nombreux aspects psychologiques de la pièce et cela m’avait vraiment
passionné.
De plus, plus jeune, j’avais lu la biographie de Jean Genet de Edmund White et j’ai trouvé son existence passionnante. Pour moi,
c’est un être très torturé, sensible et poète intérieurement, mais qui mène sa vie toujours selon ses propres valeurs, qui ne sont pas
forcément celles de la société, et ses convictions très tranchées. Il « s’amuse » même à choquer la pensée collective par ses
provocations. Il se crée en fait une image aux yeux des gens, d’un être insupportable mais se fiche de ce qu’on peut penser de lui.
J’aime beaucoup sa personnalité atypique et son originalité.
2- Liens avec la psychologie
Crime des sœurs Papin : Il persiste concernant cette pièce de théâtre depuis sa parution, un mystère selon lequel l’histoire
serait totalement basée sur le fait divers du crime des sœurs Papin ; mais Genet niera toujours une quelconque inspiration.
Cependant la ressemblance est flagrante. Selon le Larousse (édition 2010), le crime se déroule au Mans le 2 février 1933. Les
cadavres de Mme Lancelin et sa fille sont retrouvés, les yeux arrachés, les cuisses et les fesses tailladées et couvertes de sang de
la tête aux pieds : un véritable carnage. Après enquête, la Police conclut sur la culpabilité des deux bonnes: Christine et Léa Papin
(28 et 30 ans) au service de la famille depuis plus de 7 ans qui auraient commis cette sauvagerie dans un accès de folie.
Par ailleurs, Paulette Houdyer, romancière, est la première qui s’est penchée sur les réelles causes de l’affaire Papin. Vivant elle-
même au Mans, elle avait 14 ans lors des faits et s’est toujours passionnée pour cette affaire. Elle décide donc d’entreprendre des
recherches plus poussées que celles de la police pour expliquer l’affaire de façon plus psychologique. Après avoir pris possession
des pièces du dossier et avoir recueilli divers témoignages pertinents, elle en vient à la thèse du « crime d’amour » : les deux
bonnes entretenaient une relation homosexuelle et incestueuse que la maitresse aurait découvert et il s’en serait suivi des
violences. Elle résume ses conclusions au sein de son livre L’affaire Papin, le diable dans la peau qui est d’ailleurs repris dans le
film Des blessures assassines (2000) avec Sylve Testud.
Ce fameux crime donnera lieu à de nombreuses reprises et analyses d’écrivains et de psychologues par la suite, passionnant
vivement les médias, le grand public et les intellectuels par ses causes plus qu’intrigantes.
Par ailleurs, à cette époque l’expertise réalisée n’était que biologique (dans le but de repérer la syphilis ou l’épilepsie) et le
contexte germanophobe et les théories du « criminel né » de Lombroso et Magnan étaient encore très dominantes. Mais il se
révèle par la suite que les deux sœurs souffraient en réalité de schizophrénie, psychopathologie qui n’était pas encore connue.
La schizophrénie se définit en effet (comme nous l’avons vu en Psychanalyse), comme une psychose dont symptômes principaux
sont : la dissociation ; l’incohérence de l’affectivité, de la pensée et de l’action ; le détachement de la réalité ; et l’activité psychique
intérieure livrée aux fantasmes et à une activité délirante. Cette définition concorde parfaitement au comportement des bonnes (et
surtout de Claire) dans la pièce comme on le voit de façon flagrante dans leur « cérémonies ». Allant plus loin que le simple jeu de
rôles, elles s’y perdent elles-mêmes jusqu’à s’y confondre, elles s’identifient tellement au rôle qu’elles jouent qu’elles n’arrivent plus
à s’en défaire ! On le voit notamment dans la scène finale de la mort de Claire jouant le rôle de Madame, qui en vient à se tuer elle-
même alors que c’est sa maitresse qu’elle a toujours voulu tuer. Plus qu’une symbolisation, une métaphore, on s’y perd aussi en
tant que lecteur (surtout la première fois) : qui est qui réellement ? Ces jeux de rôle incessants créent une confusion pour le lecteur,
mais rappelons que c’est au fond l’effet que voulait créer Genet sur le public.
(P23, l 260) « Qu’est-ce-que tu as ? Tu peux te ressembler maintenant. Reprends ton visage, redeviens ma sœur ! »
(P70) : « Nous sommes Solange Lemercier, LE meurtrier »
Enfin, on peut noter que Jacques Lacan se basera sur le rapport d’expertise même de l’affaire pour établir ses théories sur la
psychose paranoïaque, apportant une analyse psychanalytique de la personnalité des sœurs et du phénomène de passage à
l’acte dans le crime. (Article de 1933 dans la revue Minotaure).
D’un point de vue psychologique, on peut aussi noter le rapport de Madame avec ses bonnes qui, selon moi, est assez
intéressant à étudier car on peut l’assimiler au rapport mère-fille typique, entre haine et amour et dans la réciprocité : en effet les
bonnes disent des méchancetés sur Madame et la jalousent par sa condition sociale mais l’admirent aussi et rêvent de lui
ressembler comme en témoignent les « cérémonies » ; parallèlement Madame leur donne des ordres énoncés avec autorité
quand elle se laisse aller par moments à leur confier ses sentiments profonds de tristesse et de désespoir. Genet insiste d’ailleurs
bien sur ce point dans Comment jouer les bonnes ? justement car il ne veut pas en faire un rapport maitre/esclave de
dominant /dominé comme dans la plupart des pièces de son époque.Le rapport entre les deux bonnes est lui aussi conflictuel,
Solange étant l’ainée elle est totalement soumise par sa petite sœur qui la manipule sentimentalement et parfois elles se disent
ouvertement des mots d’amour, c’est un perpétuel passage de pulsions agressives à protectrices de l’une envers l’autre.
Des relations donc très paradoxales entre les trois personnages principaux de cette histoire, peu évoquées dans les études que j’ai
pu lire lors de mes recherches concernant cette pièce mais selon moi très intéressantes tout de même psychologiquement.