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Le premier projet — qui a débouché notamment sur la théorie des incitations ; cf. Hart &
Holmstrom [1987] — cherchait à rendre compte de la spécificité du mécanisme de formation
des prix dans une économie réellement décentralisée (c'est-à-dire dans une économie sans
"secrétaire de marché"). Il s'agit de comprendre comment se forme le prix d'une marchandise
dans le cadre d'une rencontre bilatérale. Analytiquement, le rôle du secrétaire de marché
walrassien est de fournir une information complète à tous les participants. Un prix d'équilibre
reflète, en effet, les rapports entre offre et demande sur le marché considéré, ainsi que sur tous
les autres marchés. Il reflète le désir pour et la rareté relative de la marchandise concernée,
compte tenu de toutes les interdépendances (substitution, complémentarités, etc.). Dans une
économie réellement décentralisée, cette information objective et complète n'est pas
disponible. Chaque participant au marché connaît une partie de cette information — ses désirs
et sa propension à payer pour les satisfaire, ses coûts de production, etc. —, mais personne ne
dispose de la totalité de l'information nécessaire à la fixation des prix et des quantités
d'équilibres. Pour rendre compte d'un tel monde, une économie "de l'information" ou "des
incitations" a été développée. Son objet a été de caractériser les conditions dans lesquelles les
agents s'échangent des biens et services. Ces conditions d'échange sont qualifiées de
"contrats". L'intuition est la suivante. Dans un échange bilatéral, l'une des parties connaît une
information — par exemple la qualité de la marchandise qu'elle détient — que l'autre ne
connaît pas ce qui rend a priori l'échange impossible car la partie sous-informée ne peut
accepter un prix en méconnaissant l'une des caractéristiques essentielles de l'objet de la
transaction. Le contrat — des conditions spécifiques d'échange — va alors constituer un
moyen — qui doit être crédible, car la partie informée peut avoir intérêt à tricher — pour que
la partie informée révèle son information à l'autre. La théorie montre alors que, moyennant le
paiement d'une "rente informationnelle" par la partie sous-informée — représentant le prix de
l'information non-biaisée – la partie informée peut avoir intérêt à révéler son information.
Cette "rente informationnelle" se manifeste concrètement sous plusieurs formes : proposition
d'un prix inférieur au "prix d'équilibre" walrassien" pour un niveau de service donné (ou, ce
qui revient au même, fourniture additionnelle d'un service — par exemple un service après-
vente — pour un prix d'équilibre donné,)1, adoption d'un schéma de rémunération basé sur des
primes indexées sur le résultat observé, etc. Dans tous les cas, la mise en place de contrats
"révélateurs" ou "incitatifs" abouti à la formation d'un prix d'échange différent de celui du
marché walrassien puisqu'au prix proprement dit de la marchandise s'ajoute celui de
l'information nécessaire à l'échange. Il suit que l'approche "contractuelle" fournit une théorie
des prix renouvelée. Son objet est donc moins de constituer une théorie économique des
contrats, que de refonder la théorie économique des prix (ou de la valeur). (Cf. Akerlof
[1970], Stiglitz [1977], Shapiro & Stiglitz [1984])
1 Notons que ce n'est ni nécessairement le "fournisseur", ni la partie sous-informée qui doit consentir à verser
une rente informationnelle à l'autre partie. La théorie envisage de nombreuses situations en fonction de la nature
de l'asymétrie d'information et de l'identité de la partie qui a intérêt à lever cette asymétrie