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Ohadata D-09-41
LE SORT DES TRAVAILLEURS DANS LES ENTREPRISES EN DIFFICULTE
DROIT OHADA
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Par Joseph ISSA-SAYEGH
Agrégé de droit,
Professeur
Les travailleurs, face à leur employeur en difficulou en cessation des paiements,
sont des créanciers et devraient être traités, a priori, comme les autres créanciers de
l’entreprise. Mais il ne peut en être ainsi pour deux raisons :
- en premier lieu, ils font partie de l’entreprise et constituent une de ses composantes
indissociables : l’élément humain, à côté de l’élément économique, l’activité
2
;
- en outre, le salaire est une ressource dont la nature alimentaire est d’autant plus forte
que son niveau est faible, surtout en Afrique.
Ces raisons font que le traitement des travailleurs ne peut être absolument identique à
celui des autres créanciers, fournisseurs de biens, de services ou de crédits qui ont accordé
leur confiance à l’entreprise en difficulté. La participation de l’élément humain à la
constitution et à la vie de l’entreprise implique son information, voire sa consultation sur les
questions vitales pour elle ; la sécurité de l’emploi et la garantie des revenus salariaux doivent
être également prises en compte. Ce sont là les idées fortes qui devraient imprégner le
traitement des travailleurs dans les entreprises en difficulté.
Bien que de telles considérations soient légitimes, il ne faut pas perdre de vue qu’elles
ne sont pas constamment ni pleinement compatibles avec les solutions que les difficultés des
entreprises appellent, d’autant plus que ces difficultés sont de nature et de degré variables et
constituent des menaces plus ou moins graves pour leur survie ou leur rétablissement.
Pour faire face aux difficultés des entreprises, le droit OHADA a instit des
procédures destinées à prévenir la cessation des paiements que sont les procédures d’alerte et
le règlement préventif et deux autres destinées à remédier à la cessation des paiements avérée,
à savoir le redressement judiciaire et la liquidation des biens.
La procédure d’alerte, organisée pour les seules sociétés commerciales
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est déclenchée
lorsque sont décelés des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de
l’entreprise. C’est une procédure totalement interne à la société.
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L’auteur regrette vivement de n’avoir pu, malgré ses efforts déployés dans tous les sens, se procurer les codes
du travail de la RCA et de la Guinée équatoriale. Il profite de la tribune que lui offre cette étude pour lancer un
appel à tous les juristes de ces pays afin de rejoindre la constellation de ceux qui constituent un réseau OHADA
(les forces vives de l’OHADA) pour manifester l’existence et la présence de leurs Droits et constituer des
personnes-ressources auprès de qui on peut se renseigner pour obtenir tous renseignements à l’alimentation du
site Ohada.com.
2
Voir Nicole CATALA, L’entreprise, Dalloz, 1980, n° 9 s.
2
Les trois autres procédures sont judiciaires et relèvent de l’Acte uniforme sur les
procédures collectives d’apurement du passif (AUPCAP). Elles s’appliquent à toute personne
physique commerçante et à toute personne morale, commerçante ou non.
Le règlement préventif est une procédure destinée à éviter la cessation des paiements
ou la cessation d’activité de l’entreprise et à permettre l’apurement de son passif au moyen
d’un concordat préventif
4
. Elle a pour but de laisser à l’entreprise débitrice un temps de répit
pour proposer et mettre en place un plan pour résoudre ses difficultés.
Le redressement judiciaire est une procédure de sauvegarde de l’entreprise et
d’apurement de son passif au moyen d’un concordat de redressement malgré la cessation de
ses paiements
5
, ledit concordat devant être approuvé par les créanciers et homologué par le
tribunal.
Enfin, la liquidation des biens suppose une cessation irrémédiable des paiements et
aucune chance de survie de l’entreprise. Elle doit aboutir à la alisation de l’actif et au
règlement du passif de l’entreprise
6
.
Comme on peut déjà s’en apercevoir à la définition de ces procédures, le sort des
travailleurs apparaît, a priori, plus ou moins fragilisé selon les chances de redresser ou non
l’entreprise. Notre propos est de mettre en évidence la situation particulière des travailleurs
dans de telles situations qui diffère, non seulement de celles des autres créanciers dans ces
procédures, mais également du sort qui leur est habituellement fait hors deS périodes de crise.
De ce fait, le sort des travailleurs face aux vicissitudes de l’entreprise doit s’analyser
sur trois plans du droit positif des procédures de solution de ces difficultés
7
:
- le rôle des travailleurs dans la mise en œuvre des procédures de glement des
difficultés;
- le sort des contrats de travail dans les procédures de règlement des difficultés ;
- le traitement des créances de salaires dans les procédures de règlement des
difficultés.
I. LE ROLE DES TRAVAILLEURS DANS LA MISE EN OEUVRE DES
PROCEDURES DE REGLEMENT DES DIFFICULTES DES ENTREPRISES.
Quel rôle peuvent ou doivent jouer les salariés d’une entreprise exposée à de sérieuses
difficultés, soit pour déclencher une procédure de solution des difficultés de leur entreprise,
soit pour en conduire ou suivre le déroulement ?
On peut supputer que les délégués du personnel pourraient avoir ce rôle. Mais les
codes du travail sont discrets, voire silencieux sur ce point. Tout au plus, relève-t-on, dans la
liste de leurs prérogatives qu’ils ont pour mission de communiquer à l’employeur toutes
3
Articles 150 à 158 AUSCGIE
4
Articles 2-1 et 5 à 24 AUPCAP
5
Articles 2-2 et 25 et suivants AUPCAP
6
Articles 2-3 et 25 et suivants AUPCAP
7
Nous renverrons aussi souvent que possible à l’ouvrage du Professeur Filiga Michel SAWADOGO, Droit des
entreprises en difficulté, Collection droit uniforme africain, Editions Bruylant, Bruxelles.
3
suggestions utiles tendant à l’amélioration de l’organisation et du rendement de l’entreprise
8
,
ce qui est loin de la possibilité de se substituer ou de se joindre à lui pour diagnostiquer les
maux de la gestion de l’entreprise, de sa solvabilité, de sa politique commerciale passée ou à
venir…
A. Rôle des travailleurs ans le déclenchement des procédures
Il convient d’examiner ce rôle à propos de chacune des procédures prévues par le droit
uniforme OHADA.
1. Le déclenchement de la procédure d’alerte (AUSCGIE)
La procédure d’alerte, prévue face à un fait de nature à compromettre la continuité de
l’exploitation de la société commerciale est déclenchée, soit par le commissaire aux comptes,
soit par les associés.
Le commissaire aux comptes dans les sociétés anonymes ou dans toute SARL en
comportant un
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qui découvre un tel fait dans les documents qui lui sont communiqués ou qui
en a connaissance demande des explications aux dirigeants de ces sociétés
10
, lesquels doivent
répondre à cette requête en faisant une analyse de la situation et en précisant le cas échéant,
les mesures envisagées pour y remédier. A défaut de ponse ou si la réponse est jugée
insuffisante, le commissaire aux comptes invite le dirigeant concerné à faire délibérer l’organe
collégial de gestion sur le ou les faits relevés. A faut d’une telle délibération, le
commissaire aux comptes constate que la continuation de l’exploitation est compromise et
établit un rapport spécial qui est présenté à la prochaine assemblée générale qui délibérera sur
ces faits, quitte à provoquer la convocation de cette assemblée en cas d’urgence.
Dans les sociétés pourvues ou non de commissaires aux comptes, les associés peuvent,
deux fois par an, interroger le gérant sur de tels faits et adressent une copie de leur(s)
question(s) au commissaire aux comptes s’il en existe un
11
. La suite de la procédure n’est pas
réglée par l’AUSCGIE. On imagine que le commissaire informé réagira comme prévu dans
les articles 150 à 156 précédents s’il en existe un ; mais s’il n’en existe pas, la convocation
d’une assemblée générale par les associés dans les conditions prévues spécifiquement à cet
effet est envisageable.
Quoi qu’il en soit, l’initiative de la procédure d’alerte est laissée à la seule initiative
des organes de contrôle de la société commerciale sans que l’intervention ou la consultation
des travailleurs soit prévue, voire pensable.
8
Codes du travail : nin : article 109; Burkina Faso : article 283 ; Cameroun : article 128 ; Centrafrique : ? ;
Comores : article 184 ; Congo : article 177 ; Côte d’Ivoire : article 61-8 ; Gabon : article 209 ; Guinée Bissau : ?;
Guinée-Conakry : article 283 ; Guinée équatoriale : ?; Mali : article L. 278 ; Niger : article 207; Sénégal : article
L.218 ; Tchad : article 388 ; Togo : article 216. Encyclopédie juridique de l’Afrique, édition 1982, Tome 8, p.
123, 2ème colonne, 4°.
9
Article 376 AUSCGIE
10
Le président du conseil d’administration ou le président-directeur néral ou l’administrateur général de la
société anonyme ou le gérant de la société à responsabilité limitée.
11
Article 157 AUSCGIE
4
2. L’ouverture des procédures de règlement préventif, de
redressement judiciaire et de liquidation des biens (AUPCAP).
Ces trois procédures sont judicaires et sont déclenchées soit par le débiteur
exclusivement pour l’obtention d’un glement préventif
12
, soit, pour les deux autres, par le
débiteur au moyen d’une déclaration au tribunal compétent
13
ou par assignation des créanciers
non payés
14
ou du tribunal par sa saisine d’office
15
.
Nulle part, il n’est prévu que les salariés de l’entreprise débitrice en difficulté puissent
initier une telle procédure à titre individuel ou collectif à travers les délégués du personnel ou
les représentants syndicaux.
Toutefois, il faut atténuer cette déception par trois remarques :
- dans la requête de glement préventif ainsi que dans la déclaration de la cessation
des paiements introduisant une demande de redressement judiciaire ou de liquidation des
biens, le législateur prévoit l’obligation d’indiquer le nombre des travailleurs et le montant
des salaires et des charges salariales ainsi que les noms et les adresses des représentants du
personnel
16
; il ne fait aucun doute que cette obligation est destinée à renseigner les créanciers
(y compris les travailleurs) et le tribunal sur le poids de la masse salariale et le montant des
salaires impayés, au besoin en effectuant un contrôle de ces informations auprès des
représentants du personnel ;
- en cas d’absence de toute initiative de leur employeur auprès du tribunal, on peut
parfaitement concevoir et admettre que les salaires impas des travailleurs de l’entreprise
justifient, de la part de ces derniers, une assignation en cessation des paiements ou constituent
une information suffisamment inquiétante sur la santé de l’entreprise pour être portée à la
connaissance du Parquet ou du tribunal compétent pour une saisine d’office de cette
juridiction, à condition, bien entendu, qu’il s’agisse de créances certaines, liquides et
exigibles ;
- enfin, il faut noter que dans les propositions contenues dans les concordats préventif
et de redressement, l’employeur doit faire état de ses projets de licenciements pour motif
économique, ce qui permet de mettre en mouvement la procédure relative à ce type de
licenciement
17
.
B. Rôle des travailleurs dans le déroulement des procédures
Les travailleurs peuvent jouer un rôle actif et efficace dans le déroulement des
procédures en tant que contrôleurs
18
. Certes, la désignation de contrôleurs est facultative pour
le juge-commissaire mais elle est obligatoire si la demande en est faite par des créanciers
représentant au moins la moitié des créances, ce qui peut être le cas, assez souvent, de la seule
12
Article 5 AUPCAP
13
Article 25 AUPCAP
14
Article 28 AUPCAP
15
Article 29 AUPCAP
16
Articles 6 et 26 AUPCAP.
17
Articles 7 et 27 AUPCAP. Ces licenciements pour motif économique sont réglés différemment par l’AUPCAP
selon qu’il s’agit d’une procédure de règlement préventif ou de redressement judiciaire. Voir infra Le sort des
contrats de travail.
18
Voir F.M. SAWADOGO, op. cit. 152, 155, 160, 187, 188, 191, 195, 213, 220, 280, 290, 293, 311, 318,
322.
5
masse salariale impayée. Dans ce cas, trois contrôleurs doivent être nommés, choisis
respectivement parmi les créanciers munis de sûretés réelles spéciales mobilières ou
immobilières, les représentants du personnel et les créanciers chirographaires.
La représentation des travailleurs dans le contrôle des procédures de redressement
judiciaire et de liquidation des biens n’est pas négligeable sur le bon déroulement de la
procédure et la protection des intérêts des créanciers et des leurs en particulier si on en juge
par tout ce que cela implique :
- leur avis est demandé sur la situation du débiteur avant le dépôt du rapport du
syndic
19
et, plus tard, sur les propositions concordataires
20
;
- ils ont le droit de vérifier la comptabilité et l’état de la situation présenté par le
débiteur, de demander compte au syndic de l’état de la procédure, des actes accomplis par lui,
des recettes et des débours ;
- ils participent à la vérification des créances ainsi que de la réalisation des biens
21
;
- ils peuvent contraindre le syndic, par décision du juge-commissaire, d’accomplir les
actes nécessaires à la gestion de l’entreprise ou d’exercer les actions en justice nécessaires au
recouvrement des créances de l’entreprise
22
;
- ils peuvent saisir le juge-commissaire de toutes contestations
23
;
- ils peuvent faire des réclamations contre le syndic auprès du juge-commissaire
24
;
- ils peuvent émettre leur avis sur la continuation de l’activité de l’entreprise
25
;
- ils sont informés des licenciements pour motif économique
26
;
- ils sont avisés du non respect du délai de production par les créanciers
27
;
- ils participent à la vérification des créances par le syndic
28
;
- ils peuvent être appelés au contrôle de l’exécution du concordat
29
;
- ils peuvent saisir le tribunal d’une demande de résolution du concordat
30
;
- ils sont informés, chaque semestre, sur la l’état de la liquidation des biens et la
répartition des deniers entre les créanciers
31
.
II. LE SORT DES CONTRATS DE TRAVAIL DANS LES PROCEDURES DE
REGLEMENT DES DIFFICULTES DES ENTREPRISES.
Il ne fait pas de doute que si la procédure d’alerte organisée par le droit des sociétés
commerciales est suivie de mesures de redressement impliquant des licenciements pour motif
économique, ceux-ci seront effectués selon les règles du code de travail de chaque pays,
spécifiques à ces licenciements.
19
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 155.
20
Article 122 AUPCAP. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 280.
21
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n°311et 318.
22
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 187 et 188. Articles 40, 43 et 53 AUPCAP
23
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 160.
24
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 152.
25
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 191. Articles 112 et 113 AUPCAP.
26
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 195.
27
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 213-1. Articles 36 et 37 AUPCAP.
28
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 220. Articles 84 et 85 AUPCAP.
29
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 290. Article 128 AUPCAP.
30
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 293.
31
V. F.M. SAWADOGO, op. cit. n° 323. Article 169 AUPCAP.
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