Les combats pour les valeurs comme l`expression de l`essence juive

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Le combat pour les valeurs
comme l’expression de l’essence juive
Rav Prof. Eliahou ZINI
Le terme ‘Hébreu’, selon Manitou, désignait celui qui est capable de
deviner le dessein et la volonté de D. dans l’Histoire, alors que celui de ‘Juif’
révélait une appartenance nationale, et pourtant c’est pour défendre notre
état de Juif que nous nous sommes battu durant 2.000 ans. "Ne peut être
appelé Hébreu que celui qui se bat pour des valeurs." C’est la leçon que nous
devons tirer de l’enseignement de nos pères.
Entre l’Hébreu et le Juif
Nous avons été couronnés de deux titres dans l’histoire : celui d’Hébreu,
et celui de Juif. Du premier, à savoir celui d’Hébreu, indéniablement le plus
originel et le plus ancien puisque la Torah elle-même désigne sous ce titre
notre ancêtre Avraham, il ne reste quasiment plus aucune trace aujourd’hui. Il
a non seulement disparu de nos discours, mais son simple rappel provoque au
moins une profonde surprise. Par contre, phénomène fantastique, mais ô
combien déplorable, la dénomination de Juif, qui aura servi à nous bafouer
pendant plus de 2.000 ans d’exil, dans le monde chrétien comme dans le
musulman, est celle qui est restée la plus ancrée dans l’âme de nos frères, à tel
point que le plus éloigné parmi nous de tout comportement relevant du
judaïsme véritable se sentirait offusqué dès que l’on essaiera de lui dénigrer ce
titre.
Ce problème relève non seulement du paradoxal mais même de
l’absurde. La notion de Juif a désigné tout au long de l’histoire biblique une
appartenance à la tribu de Juda ou au royaume de Juda. Dans tous les cas, une
appartenance relevant du national. Et c’est justement ce titre que nous avons
conservé avec fidélité, honneur et fierté durant l’exil dans toute la Diaspora,
très précisément dans tout ce monde où il n’y avait aucune place pour une vie
nationale. Le titre d’Hébreu par contre, s’avère désigner non seulement le père
de notre nation, Avraham Avinou, mais depuis, tous ses descendants, non par
le biais d’une appartenance nationale – elle n’aurait aucun sens avant
l’apparition d’un Peuple Juif en Egypte – mais par le biais d’une identité avec
une foi particulière, identité que nous avons malheureusement piétinée sur
notre Terre, quasiment durant tout le temps du Premier Temple ainsi qu’une
partie du Second Temple, mais une identité qui n’a jamais été aussi
profondément ancrée que durant notre exil dans la Diaspora. C’est là-bas que
nous avons appris à nous attacher à la Torah et aux Mitsvot – pour nombre
d’entre nous en tant que Juifs de Sartre, ceux qui ne sont Juifs que grâce à
l’antisémitisme – et c’est là bas que nous avons réalisé ce qui relevait du titre
que nous portions dans notre Terre. Quel paradoxe !
Afin de résoudre cette énigme, ce grand personnage qu’était Manitou
zatsa’’l – cet article se veut être un hommage à cette personnalité
remarquable, grâce à qui le judaïsme n’a pas été effacé de la conscience des
Juifs francophones – avait l’habitude de préciser que le terme Hébreu désignait
celui qui est à même de deviner le dessein et la volonté de D. dans l’histoire.
Dans une telle conception, l’Hébreu est cette personne capable d’aborder
l’histoire par le prisme d’un esprit relevant du prophétique, donc du
transcendant. Ce statut particulier de l’Hébreu, Manitou l’avait essentiellement
compris par le biais des écrits du Rav Eliah Benamozegh zatsa’’l (entre autres
dans son livre ‘Morale juive et morale chrétienne’). Ce géant du judaïsme
italien, qui n’a jamais laissé place dans tout ce qui relevait des rapports du Juif
à D. au terme de judaïsme, parlait uniquement en terminologie d’Hébraïsme.
Effectivement, il serait tout ce qu’il y a de plus déplorable si notre identité
profonde s’exprimait par le biais de l’Etat, serait-ce l’Etat de notre pays que
nous aimons profondément. Mais si l’Hébreu est celui qui sait deviner les
desseins de D., comme l’affirmait Manitou, l’hébraïsme se doit d’englober dans
ses rangs même le dernier des Juifs qui ne serait pas à même de s’élever à de
telles hauteurs spirituelles.
Par conséquent, nous nous devons d’ajouter un appendice à cette façon
de concevoir notre hébraïsme. Rien de mieux que la précision du langage de la
Torah, ses allusions et indications fines et subtiles, pour nous faire prendre
conscience du sens véritable des concepts. On ne pouvait en attendre moins de
la parole de D. Observons bien à quel moment la Torah confère à Avraham
Avinou ce titre d’Hébreu : très précisément lorsqu’un rescapé de cette fameuse
guerre vient lui annoncer que son neveu Loth a été emmené en captivité avec
toute la population de Sodome.
Ne peut être appelé Hébreu que celui qui se bat pour des valeurs
Avraham Avinou réagit immédiatement en enrôlant tous ses fidèles et
proches, afin de porter secours à son neveu. En d’autres termes, il n’y a lieu de
désigner par Hébreu que celui qui, au nom d’une fidélité à une famille, à un
peuple, à leurs valeurs, est prêt à se porter au combat pour les défendre. Ce
n’est que dans un combat pour des valeurs que nous avons une quelconque
chance de pouvoir deviner les desseins de D. Effectivement, en observant de
près la vie d’Avraham Avinou, on n’y décèlera qu’une succession de combats.
Dès son apparition sur la scène de l’histoire, nous le trouvons s’élevant contre
l’hypocrisie de cette fameuse civilisation dominante de l’époque, celle d'Our
Kasdim, et le fait d’être jeté par elle dans la fournaise ne réussira pas à le
dissuader. Sans hésitation, il abandonne cette culture babylonienne, broyant
tout et brouillant toute distinction, tel que le précise bien le verset : "Toute la
Terre s’unissait dans une seule façon de parler et de concevoir les choses"
(Béréchit 11, 1).
Dans le cadre d’un esprit éliminant toute distinction, il ne peut rester de
place pour des valeurs. Il affrontera son propre neveu Loth, qu’il avait élevé
comme orphelin, dès l’instant où celui-ci n’arriva plus à dominer ses serviteurs
qui bafouaient justice et droiture. Il n’hésitera pas non plus à mener une
discussion assez âpre avec D. en personne – comportement scandaleux à priori
– lorsque la décision de détruire Sodome lui semblera incompatible avec la
justice divine. Il s’imposera des exigences surhumaines durant toute sa vie,
entre autres la Brith Mila à un âge aussi avancé que le sien, et bien plus que
cela, en se soumettant à l’injonction divine lui demandant de sacrifier son fils
aimé Its'haq. Il ne cédera pas non plus en ce qui concerne le choix de la
personne adéquate à constituer la famille hébraïque, celle qui épousera son
fils. Même dans ses discussions avec sa propre épouse Sarah, concernant celui
de ses descendants aptes à lui succéder dans l’histoire, il ne cédera que par
l’intervention divine en faveur de la position de Sarah. Combats contre le mal,
la corruption, contre soi-même, même contre les décisions divines qui lui
semblent injustifiées, ceci exprime bien son identité. C’est de façon très
judicieuse que nos Sages nous précisent qu’il est appelé Hébreu parce qu’il est
capable de se positionner dans un camp, à l’envers et à l’encontre du monde
entier (le terme ‘Hébreu’ est dérivé de l’expression ‘à l’envers et à l’encontre’).
Cette capacité de se maintenir sur ses positions, envers et contre l’humanité,
au nom de la justice et de la droiture, ne relève évidement pas d’un trait de
caractère d’une personne recherchant la bataille serait-elle spirituelle, mais elle
est l’expression de ce qui constituait toute son essence : une foi inébranlable
en D. En effet, son élection relevait de sa capacité à garder la voie de D., de
réaliser générosité et justice, tel que l’affirme D. lui-même (Béréchit 18, 19).
Son ‘militantisme’ n’est que la contrepartie de sa générosité : l’hospitalité, le
secours apporté à Loth au péril de sa propre vie, ses efforts pour défendre
même les plus corrompus de Sodome, son souci de l’avenir de sa famille. Et
ceci rejaillit tant autour de lui lorsque son serviteur Eliezer décidera d’une
qualité qui sera le signe que Rivka correspond à Its'haq, il n’en trouvera qu’une
seule : la générosité. Sans l’éducation d’Avraham Avinou, il n’aurait jamais
élevé une telle valeur au niveau de critère d’adéquation.
Qui est le véritable Hébreu ?
Nous pouvons maintenant répondre sans hésitation : c’est celui qui est
tout entier générosité et amour des créatures, mais qui, en parallèle, ne
laissera de place à aucun compromis sur le plan moral ou éthique, celui qui se
portera toujours au combat au nom de la foi, de la justice, si celui-ci est
nécessaire, même s’il fallait le mener contre l’humanité entière. L’hébraïsme
est en conséquence un lien particulier avec le divin, lien lui conférant une
sensation strictement naturelle de la volonté divine, au niveau du prophète
comme au niveau du simple Juif, et qui en fait n’est autre qu’une
compréhension profonde des objectifs. Il n’est donc point surprenant que
l’Hébreu ne puisse se révéler qu’en Terre d’Israël et le Juif qu’en Diaspora.
Cette dernière absorbe le Juif, comme l’affirmait Sartre, et met en danger son
hébraïsme. S’identifier en tant que Juif, c’est s’identifier avec une histoire, mais
s’identifier en tant qu’Hébreu, c’est s’identifier avec une foi et des valeurs. On
peut se permettre d’être Juif en Diaspora parce qu’il n’y existe aucune
possibilité d’être fidèle à son être véritable, mais en Terre d’Israël, nous avons
besoin d’Hébreux, capables de se battre pour des idéaux. Quoi de surprenant si
notre génération, complètement désorientée, élevée dans l’esprit d’une
culture broyant et brouillant tout, n’est plus à même de parler d’hébraïsme
mais seulement de judaïsme? Quoi de surprenant si la direction politique n’est
plus à même de comprendre la nature des combats que nous sommes tenus de
mener afin de maintenir une identité véritable, intérieure autant
qu’historique? Quoi de surprenant si elle manifeste une incapacité à défendre
ses positions envers et contre cette puissance dominante dont les délégués se
présentent comme amis et se comportent comme ennemis ? Pour pouvoir
affronter de tels combats, il ne suffit pas d’être Juif, il faut être Hébreu. Un
non-juif ami de notre Peuple, écrivait que seul un Etat comme les Etats-Unis,
imprégné de culture biblique, était à même de se battre partout pour la liberté
de l’humanité. Il y a beaucoup de vrai dans cela, mais ce rôle est le nôtre,
même s’il doit être réalisé un peu différemment. Il devient donc urgent de nous
restituer notre identité originelle. Ce serait la seule façon d’être véritablement
des Juifs libres, donc des Hébreux.
Pourim Saméah' à tous !
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