PÉRIODES ET REPRÉSENTATIONS GALOISIENNES, NOTES DU COURS DE M2 3
La géométrie algébrique fournit des représentations p-adiques de GQen abondance (coho-
mologie étale des variétés algébriques définies sur Q), et l’étude de ces représentations s’est
révélée être une aide précieuse pour des tas de questions de théorie des nombres. Par exemple,
la démonstration de Wiles du théorème de Fermat s’appuie de manière cruciale sur l’étude des
représentations de GQattachées aux courbes elliptiques et aux formes modulaires.
Maintenant, si on fixe un plongement de Qdans Q`, pour tout nombre premier `, on peut
voir GQ`comme un sous-groupe de GQ, et les GQ`engendrent topologiquement GQ. La manière
dont les GQ`se mélangent dans GQ, est très mystérieuse, mais on peut obtenir énormément
d’informations sur une représentation p-adique de GQen regardant sa restriction à GQ`, pour `
premier. Pour des raisons topologiques, c’est la restriction à GQpqui fournit les renseignements
les plus subtils.
Ces notes se veulent une introduction à ce sujet difficile à travers l’exemple concret du module
de Tate des courbes elliptiques. L’étude de ce cas particulier permet d’illustrer un grand nombre
de phénomènes généraux en réduisant le bagage de géométrie algébrique à un strict minimum.
2iπ et le caractère cyclotomique. — L’exemple le plus simple de telles représentations est le
module de Tate(2) Tp(Gm)du groupe multiplicatif(3) Gm, c’est-à-dire l’ensemble des suites u=
(1, u1, . . . , un, . . . ), où unest une racine p-ième de l’unité dans Ket up
n+1 =unpour tout n. Si K
n’est pas de caractéristique p, le groupe µpndes racines p-ièmes de l’unité est cyclique isomorphe
àZ/pnZ, et stable par GKqui agit par un caractère à valeurs dans (Z/pnZ)∗. En passant à la
limite projective, cela montre que Tp(Gm)est un Zp-module de rang 1muni d’une action de GK
agissant par un caractère χ: GK→Z∗
pappelé le caractère cyclotomique. Il est d’usage de noter
Zp(1) la représentation de GKainsi obtenue.
Pour faire le lien avec les périodes des courbes elliptiques, remarquons que Gm(C) = C∗n’est
pas simplement connexe (le lacet correspondant au cercle unité parcouru dans le sens direct n’est
pas contractile dans C∗, et il engendre le groupe H1(C∗,C)∼
=Zdes lacets à homotopie près
dans C∗[rendu abélien, sinon on a défini π1(C∗), mais ce dernier est déjà abélien]). Par ailleurs,
si on note Xla variable de la droite affine, la forme différentielle dX
Xest homolorphe sur Gmet
invariante par translation par un élément de Gm(i.e. par multiplication). L’intégration d’une
forme différentielle le long d’un chemin fournit alors une application u7→ Ru
dX
Xde H1(C∗,Z)
dans Cdont l’image est Λ = 2iπZ, et l’exponentielle z7→ ezest un isomorphisme de groupes
(et de surfaces de Riemann) de C/Λsur C∗. On dispose alors d’une application naturelle de
H1(C∗,Z)dans Zp(1), à savoir celle envoyant usur (1, u1, . . . , un, . . . ), où unest la racine
(2)Si Aest un groupe abélien (i.e. un Z-module), le module de Tate Tp(A)de Aest l’ensemble des suites u=
(0, u1,...,un,···)d’éléments de Avérifiant [p]·un+1 =un, pour tout n, où [p]désigne la multiplication par p
dans le Z-module A. C’est aussi la limite projective (les applications de transition étant la multiplication par p)
des A[pn], où A[pn]désigne le noyau de la multiplication par pdans A, et c’est un Zp-module de manière naturelle
comme limite projective de Zp-modules, l’action de Zpsur A[pn]se faisant à travers Zp/pnZp=Z/pnZ.
Si Gest un groupe algébrique défini sur un corps K, on note Tp(G)le module de Tate de Tp(G(K)).
(3)C’est la droite affine privée de 0muni de la loi de groupe donnée par la multiplication.