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dont a été victime, chacun le sait, en temps et en intensité, une fraction notable des Juifs
d’Europe. De plus, alors que le racisme dans le contexte du judaïsme est habituellement vu
comme étant à sens unique
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des agresseurs non-juifs contre des agressés juifs
–
nous
découvrirons ici un racisme spécifique, à savoir un double racisme dont les deux séquences
conjointes dépendent pour partie de la même source.
Si le judaïsme, comme toutes les entreprises humaines, porte des tares particulières dont
l’étude est à reprendre dans le sillage des grands critiques juifs que furent notamment
Spinoza
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d’abord ou, plus près de nous, Bernard Lazare, Maxime Rodinson et tant d’autres,
personne n’est plus convaincu que l’auteur de ces lignes que la pensée occidentale ne serait
pas ce qu’elle est sans l’apport éminent du judaïsme. Faut-il rappeler, dans le domaine de la
morale, que le commandement biblique « Tu ne tueras pas », même s’il fut inventé
précédemment par d’autres sociétés humaines et appliqué par les Hébreux aux seuls membres
de leur tribu, est devenu avec le relais du christianisme un monument de la conscience
universelle ? Faut-il rappeler l’apport du judaïsme dans le domaine de l’étude puisque nombre
de lauréats du Prix Nobel, même s’ils furent largement tributaires des cultures de voisinage et
notamment de celle de l’Occident, ont bénéficié pour une part notable d’une tradition d’étude
et de débat particulièrement active dans le judaïsme ? Mais le propos, ici, est tout autre. Par
delà les personnes et leurs responsabilités éventuelles, loin de toute idée d’offense et de
stigmatisation, et sans aucunement minimiser les souffrances qui leur furent infligées, il s’agit
de soumettre le judaïsme à un examen critique afin, notamment, d’apporter quelque éclairage,
d’une part sur l’antisémitisme considéré à tort par nombre d’auteurs comme largement
énigmatique dans son développement continu à travers les siècles, d’autre part sur le racisme
issu de cette tradition religieuse.
À cette méconnaissance du rôle néfaste de certaines données du judaïsme, deux raisons
paraissent primordiales. La première : le fait que le discours dominant, en rapportant
principalement les souffrances des Juifs donne à penser que le racisme n’existe pas chez eux.
Comme si le fait d’avoir souffert pendant très longtemps du racisme des non-Juifs excluait
pour eux toute responsabilité dans ce domaine et exonérait le judaïsme de transporter de
lourdes pesanteurs, comme si les Juifs ne faisaient pas partie du commun des mortels. En
effet, à l’idéologie perverse d’une culpabilité totale a succédé souvent celle, non moins
perverse, d’une innocence totale ! S’il est logique que l’histoire contemporaine soit
profondément marquée par le génocide, inédit à bien des titres, des Juifs européens par les
nazis, il reste que nombre d’auteurs sur le sujet omniprésent dans les médias de
l’antisémitisme se sont manifestement laissé subjuguer par le discours dominant, dans lequel
la mémoire récente se confond volontiers avec l’histoire.
La seconde raison permettant d’expliquer la méconnaissance du phénomène
« antisémitisme » réside, comme nous le verrons, dans le fait que les auteurs des multiples
travaux consacrés au racisme en général ne retiennent souvent comme critères du processus
que ses manifestations spectaculaires d’ordre physique en négligeant les multiples
manifestations d’un autre ordre (psychologiques, juridiques, diplomatiques, économiques,
verbales…) lesquelles, pour silencieuses, discrètes voire occultes qu’elles puissent être, pour
différentes qu’elles soient dans leurs expressions, n’en sont pas moins des violences
effectives, souvent plus efficaces que les premières quant au but poursuivi. Ici, la pensée
prévaut sur la force, la matière grise sur le muscle, le Verbe sur le poignard. Or, si le judaïsme
sioniste dans l’État d’Israël avec sa ségrégation institutionnelle, a généré depuis le milieu du
XX
e
siècle une explosion de violences de tous ordres que rapportent quotidiennement nombre
d’observateurs libres, nous dirons que le racisme juif n’avait guère comporté, pendant les dix-
huit siècles précédents, que des violences autres que physiques.
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On sait qu’il eut en effet à subir de la part des rabbins, l’équivalent de l’excommunication chrétienne, le herem.