UNIVERSITÉ DE MARC-BLOCH – STRASBOURG
U.F.R. DE PHILOSOPHIE
THESE
Présentée en vue de l’obtention
du Doctorat en Philosophie
par
JO HYUN SOO
Titre
Durée et Métaphysique :
La conception bergsonienne de la métaphysique
Directeur de thèse :
Monsieur le professeur Jean Frère
Monsieur le professeur Jean-Luc Petit
2006
Introduction
La métaphysique comme connaissance absolue du réel
Commençons notre étude en examinant la définition bergsonienne de la métaphysique1.
Qu’est-ce que la métaphysique pour Bergson ? Quelle est la caractéristique essentielle de la
connaissance métaphysique qui la distingue des autres espèces de connaissance ? Selon Bergson,
il y a deux manières profondément différentes de connaître un objet. La première dépend du
point de vue où nous nous plaçons et des symboles par lesquels nous nous exprimons. La
seconde ne se prend d’aucun point de vue et ne s’appuie sur aucune symbole. Dans le cas de la
première connaissance, nous nous plaçons, dit Bergson, en dehors de l’objet lui-même2. En effet,
si nous regardons un objet d’un certain point de vue que nous adoptons arbitrairement, et que
nous l’exprimons par des symboles que nous lui appliquons de l’extérieur, ce que nous
connaissons ne serait pas l’essence objective de cet objet, mais, tout au plus, son aspect partiel
qui cadrerait bien avec le point de vue ou les symboles que nous lui appliquons de l’extérieur.
Nous infléchissons ici l’objet à notre commande. En revanche, la seconde connaissance, si elle
est possible, appréhend un objet dans son essence objective. Elle coïncide parfaitement avec ce
que cet objet a d’intérieur. Elle est libérée de la « relativité » due à la présence d’un certain point
de vue subjectif. Bref, elle atteint l’absolu de son objet. Donc, cette connaissance peut s’appeler
1 Pour la définition bergsonienne de la métaphysique, voir PM, pp. 1393-1396. – Nous citons les œuvres
de Bergson d’après des initiales. Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889 : DI. Matière et
Mémoire, 1896 : MM. Le rire, 1900 : R. L’Evolution créatrice, 1907 : EC. LEnergie spirituelle, 1919 : ES.
Durée et Simultaneité, 1922 : DS. Les deux sources de la morale et de la religion, 1932 : MR. La Pensée
et le Mouvant, 1941 : PM.- Nous citons DS d’après la première édition de Quadrige/Puf, 1968. Pour
toutes les autres œuvres, nos références renvoient à la pagination de l’édition du Centenaire (Presses
Universitaires de France).
2 PM, p.1393.
1
connaissance absolue. Par symètrie, la connaissance qui dépend d’un point de vue ou de certains
symboles peut s’appeler connaissance relative. Selon Bergson, par la connaissance absolue d’un
objet, nous entrons dans cet objet lui-même. La connaissance absolue d’un objet nous transporte
à l’intérieur de cet objet : nous ne le saisissons plus « du dehors et,en quelque sorte, de chez moi,
mais du dedans, en lui, en soi3 ». Nous pensons que, pour Bergson, la métaphysique est cette
connaissance absolue qui surmonte l’écart entre le sujet et l’objet, et atteint ainsi l’absolu. « S’il
existe un moyen de posséder une réalité absolument au lieu de la connaître relativement, de se
placer en elle au lieu d’adopter des points de vue sur elle, d’en avoir l’intution au lieu d’en faire
l’analyse, enfin de la saisir en dehors de toute expression, traduction ou representation
symbolique, la métaphysique est cela même. La métaphysique est donc la science qui pretend se
passer de symboles4 ». L’objet de la métaphysique est, bien entendu, le réel tout entier ou sa
structure fondementale. Nous croyons donc pouvoir dire que, pour Bergson, la métaphysique est
la connaissance absolue du réel.
Or, cette définition bergsonienne de la métaphysique nous amène naturellement à cette
question importante : quelle est la relation entre la métaphysique et la science positive? En effet,
comme la métaphysique, la science positive, elle aussi, prétend être capable d’atteindre
l’absolu : elle se figure pouvoir saisir un objet tel qu’il est en soi. Depuis que la physique
moderne a remporté un brillant succès dans son explication mathématique de l’univers, on se
trouve toujours confronté à la nécessité de reconsidérer la position de la métaphysique (ou la
philosophie)5 par rapport à la science positive, puisque cette dernière semble poursuivre le
3 PM, p.1394.
4 PM, p.1396.
5 Chez Bergson, ces deux termes « métaphysique » et « philosophie » sont échangeables. Bergson lui-
même les emploie alternativement, après avoir établi l’opposition entre la philosophie et la science
positive.
2
même but (la connaissance absolu du réel) que la métaphysiuqe et que, d’ailleurs, elle semble
montrer beaucoup plus d’habilité à réaliser ce but. Le succès de la science positive est si
frappante que les philosophes sont tentés de lui abandonner totalement la considération des faits.
C’est-à-dire les philosophes sont portés à croire que les faits objectifs sont en soi tels que la
science positive les décrit et s’abstiennent ainsi de se prononcer activement sur les questions de
fait. En revanche, ils essaient de rétablir la dignité de la métaphysique en la plaçant, pour ainsi
dire, au-dessus de la science positive : ils prétendent s’assigner pour travail d’éclairer les
principes sous-jacents à la science positive ou de synthétiser les résultats de son investigation
dans des principes plus généraux. Ainsi, ils croirent pouvoir affirmer la supériorité de la
métaphysique par rapport à la science positive ; mais, quant à la connaissance même des faits,
ils la tiennent pour affaire de science positive et non pas de métaphysique.
Mais comment ne pas voir que cette prétendue supériorité de la métaphysique par rapport à la
science positive n’est qu’une illusion, si l’on remet aux mains de la science positive la tâche de
déterminer et décrire les faits objectifs ? En effet, dans ce cas-là, tout ce que la métaphysique se
réserve de faire, elle va le recevoir tout fait de la science positive : tout ce qu’elle va développer
se trouve déjà contenu dans les descriptions et les analyses que la science positive donne de la
réalité. Comme elle s’abstient d’intervenir dans les questions de faits, son travail se trouve
réduit à approuver en termes plus précis et plus raffinés ce qui lui est livré irrévocablement de la
science positive6 . Or, pour faire ce travail d’explicitation, il ne faut pas une science sui generis
et distincte de la science positive, car pourquoi la science positive elle-même ne pourrait-elle
pas faire ce genre de travail par sa seule force sans avoir recours à une autre science
indépendante?
6 « Pour n’avoir pas voulu intervenir, dès le début, dans les questions de faits, il <le métaphysicien> se
trouve réduit, dans les questions de principe, à formuler purement et simplement en termes plus précis la
métaphysique et la critique inconscientes, partant inconsistantes, que dessine l’attitude même de la
science vis-à-vis de la réalité » – EC, p.660
3
Alors, selon Bergson, la métaphysique doit pouvoir intervenir directement dans les questions
de fait. La métaphysique ne peut être une science indépendante qu’à la condition qu’elle puisse
voir les choses autrement que la science positive. Selon Bergson, la science positive décrit et
analyse les choses avec un certain préjugé de leur nature intime et de leur organisation. Un
préjugé dont la validité est à examiner est déjà immanent aux descriptions scientifiques de la
réalité, c’est-à-dire aux faits « objectifs » que la science positive détermine. Donc, aux yeux de
Bergson, les connaissances scientifiques n’atteindent pas l’absolu. Elles sont relatives à un
préjugé profondément enraciné dans toute la pensée scientifique. Alors, pour la métaphysique
qui cherche à atteindre l’absolu, c’est-à-dire qui cherche à saisir la réalité telle qu’elle est en soi,
il faut d’abord mettre en évidence ce préjugé sous-jacent à la compréhension scientifique de la
réalité et délimiter sa portée veritable. En somme, la métaphysique doit pouvoir communiquer
avec la science positive « sur le même terrain » : elle doit pouvoir discuter les résultats acquis
par la science positive et en provoquer la révision, en même temps que, le cas échéant, elle
s’appuie sur eux et se vérifie par eux.
Parfois, Bergson explique l’indépendance de la métaphysique vis-à-vis de la science positive
comme provenant de leur différence d’objet : ce qui les distingue, ce n’est pas une différence de
portée, ce sont leurs objets : à l’une revient la matière, l’autre se réserve l’esprit7. Dans ce cas-là,
une ligne de démarcation nette est tracée entre la métaphysique et la science positive8. Et
Bergson semble ne vouloir accorder aucune différence de valeur entre elles : chacune peut bien
procéder suivant sa propre logique dans son domaine propre. Alors, la science positive peut,
7 « Nous assignons donc à la métaphysique un objet limité, l’esprit »- PM, p.1277. « Bien différente est la
métaphysique que nous plaçons à côté de la science. Reconnaissant à la science le pouvoir d’approfondir
la matière par sa seule force de l’intelligence, elle se réserve l’esprit » - PM, p.1284.
8 « Par là, nous distinguons nettement la métaphysique de la science » -PM, p.1277.
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