GROUPE DE QUESTION SUR L’UNION Que pensez-vous du concept de démocratie transnationale de Habermas? Pourquoi l'UE ne serait-elle pas une organisation internationale comme les autres ? N'y a t-il pas d'effet direct et de primauté dans les autres organisations internationales ? Qu'est-ce qui diffère entre un traité européen et un traité international ? Quelles sont les différences entre le droit de retrait d’un Etat d’une organisation internationale classique et celui de l’Union ? Que pensez-vous du concept de démocratie transnationale de Habermas? Ce concept a d’abord l’avantage de proposer une solution différente à la sempiternelle alternative de la construction politique européenne qui oppose partisans des Etats nations et d’un Etat fédéral Européen. Pour Habermas, l’indice le plus probant de l’émergence d’une démocratie transnationale dans l’UE est le développement d’un droit supranational contraignant. Les conditions dans lesquelles elle pourrait être mise en place ne semblent pas inatteignables : légitimation par une « souveraineté transnationale partagée » (appartenant aux citoyens représentés au Parlement, et aux peuples représentés par les exécutifs nationaux) ; revalorisation du Parlement ; ce qui socialement exigerait une homogénéité minimale. La juridicisation du politique que cela semble impliquer n’est pas discutée, et les solutions institutionnelles proposées paraissent parfois un peu sommaires, mais Habermas décrit bien les défis qui se posent à l’UE (dont celui d’un « autoritarisme post-démocratique », manifesté par le couple exécutif franco-allemand pour faire face à la crise) et évite tout pessimisme quant à son avenir. La mise en place de cette démocratie transnationale reposerait en partie sur un renforcement du Parlement européen, dont on peut toutefois se demander s’il n’est pas utopiste au vu du niveau actuel des débats et des travaux qui s’y tiennent, et de l’intérêt limité des citoyens européens pour l’élection des députés qui y siègent. Pourquoi l'UE ne serait-elle pas une organisation internationale comme les autres ? N'y a t-il pas d'effet direct et de primauté dans les autres organisations internationales ? Fondamentalement, l'Union européenne reste une organisation internationale qui a été fondée par un traité entre des Etats souverains. En revanche, elle affiche un niveau d'intégration bien plus élevé que les autres organisations, puisque ces Etats ont dévolu aux institutions de la communauté puis de l'Union des compétences extrêmement larges, parfois de manière exclusive comme la politique de concurrence, la politique commerciale commune, la politique monétaire etc. La compétence des institutions de l'UE est donc large et concerne des domaines très variés, ce qui leur donne une influence incomparable sur le droit des Etats membres eux-mêmes. En conséquence, l'UE se caractérise également par l'existence en son sein d'un Parlement dont les membres sont élus démocratiquement par les citoyens de l'Union. Cette construction originale et particulièrement poussée a notamment été permise d'un droit européen de plus en plus considérable et dont l'application a été de plus en plus effective, grâce à la montée en puissance du juge européen et son dialogue avec les juges nationaux. Ainsi, les principes de primauté du droit européen -primaire ou dérivé (ce dernier point crée fondamentalement l'originalité du droit européen par rapport au droit international – sur les lois nationales (mais pas les constitutions) ainsi que de son effet direct, sont désormais bien établis et acceptés par les Etats membres. De la même manière, les principes généraux du droit européen ont une primauté sur la loi nationale française (CE, 2001, SNIP). Dans le reste du droit international, les traités ont une primauté sur les droits internes des Etats au nom du principe « pacta sunt servanda » affirmé par la convention de Vienne de 1969, mais cette primauté (comme celle du droit européen) n'est généralement pas reconnue sur la loi fondamentale des Etats, comme c'est le cas en France (article 55 de la Constitution, CE, 1998, Sarran et CC, 2000, Pauline Fraisse). La principale différence avec le droit européen, c'est que le droit international ne dispose pas des mêmes armes pour s'imposer aux Etats, aussi bien du fait de l'absence de cours comparables à la CJUE ou la CEDH (les Cours internationales jugent généralement des Etats ou règlent des litiges entre Etats). Cette suprématie du droit international n'est reconnue que pour les traités. En ce qui concerne l'effet direct, les traités ont là encore un effet direct en France sauf s'ils ne sont destinés qu'à régir les rapports entre Etat (CE, 2012, GISTI). Là encore, le respect de l'effet direct dépend essentiellement de la bonne volonté des Etats, et des juges nationaux qui peuvent poser des limites à ce principe (ainsi, CE, 1984, madame Valton c/ ministère du budget : les stipulations non claires ne peuvent être invoquées par le justiciable) et il ne concerne que les traités, ce qui n'est pas le cas en droit européen. Autre réponse possible La différence essentielle entre l’Union européenne et une organisation internationale classique tient au caractère très intégré de l’Union. Contrairement aux organisations internationales de droit commun, l’Union dispose tout d’abord de compétences exclusives notamment pour la politique commerciale à l’égard des pays tiers, la politique monétaire, l’organisation du marché unique ou encore la politique de la concurrence. Cette centralisation des politiques économiques est une réalisation unique alors que les organisations internationales assument généralement des tâches techniques précises. D'ailleurs, bien que critiqué pour sa modestie, le budget de l'UE est sans commune mesure avec celui des organisations internationales de droit commun. A titre de comparaison, le budget annuel de l'UE était de 150 milliards d'euros en 2012 contre 5 milliards de dollars pour l'ONU (hors opérations de maintien de la paix). De même, sur le plan institutionnel, l’Union européenne dispose d’institutions indépendantes au service de l’intérêt européen qui bénéficient de larges compétences avec une Commission dotée du monopole de l’initiative et un Parlement européen élu au suffrage universel disposant d’un pouvoir de codécision. A contrario, dans la plupart des organisations internationales, ce sont essentiellement les institutions représentatives des Etats qui disposent du pouvoir de décision tandis que les secrétariats généraux n'ont qu'une mission de mise en œuvre des décisions adoptées par les États et de gestion administrative et budgétaire. Par exemple, le Secrétariat de l'OSCE a comme uniques activités la mise en œuvre des projets sur le terrain et la fourniture d’analyses et d’avis d’experts. Par ailleurs, le Conseil de l'Union européenne, institution représentative des États, statue à la majorité qualifiée sauf dans des cas prévus par les traités alors que c'est le vote à l'unanimité qui prédomine dans les organisations classiques. Le vote à la majorité qualifiée est d'essence fédérale puisqu'elle implique qu'un Etat doive appliquer une décision à laquelle il se serait opposé au Conseil. En ce qui concerne l'adoption et l'entrée en vigueur des traités originaires, le droit de l'Union obéit, dans ses rapports avec le droit interne, aux règles générales qui définissent l'autorité du droit international. Mais, avec les particularités et la place croissante du droit dérivé, et par l'effet de la jurisprudence de la Cour de justice, le droit de l'UE constitue de plus en plus nettement un ordre juridique autonome et intégré, qui occupe une place originale, à la charnière du droit international et du droit interne. Deux éléments illustrent tout particulièrement cette autonomie du droit de l'Union : l'effet direct des directives ainsi que la place particulière accordée par le juge administratif au droit communautaire par rapport au droit international. Tout d'abord, le droit dérivé de l'Union européenne, outre son importance (8400 règlements et près de 2000 directives sont en vigueur), occupe une place particulière dans l'ordre juridique interne. En théorie, les directives « lient tout Etat membre destinataire quant au but à atteindre, tout en laissant la compétence nationale quant à la forme et aux moyens » (article 288 du TFUE). Néanmoins, la Cour de justice a adopté une jurisprudence selon laquelle, même non transposée, une directive suffisamment précise est directement applicable dans tous les Etats membres (CJCE, 1970, Société SACE). Après une période d’opposition, le Conseil d'Etat s'est progressivement rallié à la jurisprudence européenne avant de pleinement l'appliquer dans un arrêt de 2009, Mme Perreux. Au contraire, le droit dérivé des organisations internationales a soit une portée non contraignante, soit une portée contraignante, dans quel cas il nécessite une ratification de la part des Etats. Par exemple, les instruments juridiques de l'OIT sont soit des conventions, qui sont des traités internationaux juridiquement contraignants devant être ratifiées par les États membres, soit des recommandations ayant un caractère non contraignant. L'autonomie de l'ordre juridique de l'Union au regard de l'ordre juridique international trouve également de nombreuses illustrations dans la jurisprudence du Conseil d’État. Par exemple, la responsabilité de l'Etat du fait des décisions de justices est normalement exclue lorsqu'est en cause une décision juridictionnelle définitive, comme un arrêt d'une juridiction suprême. Or il en va différemment en matière de droit de l'Union. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, 2003, Köbler), le Conseil d'Etat juge que la responsabilité de l'Etat serait engagée dans le cas où une décision de justice, même définitive, ferait apparaître une méconnaissance manifeste du droit de l'Union (CE, 2008, Gestas). Qu'est-ce qui diffère entre un traité européen et un traité international ? En vertu de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, un traité est un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international. Les traités européens sont, quant à eux, des accords contraignants adoptés par tous les États membres de l'Union européenne. Ils demeurent donc des traités internationaux au sens du droit international public. Pourtant, les traités européens eux-mêmes ainsi que la jurisprudence tant de la CJUE que des cours nationales ont accordé aux traités européens une autorité juridique supérieure à celle des traités internationaux tant dans l'ordre international que dans l'ordre interne des États. Tout d'abord, dans l'ordre juridique international, le TFUE accorde une autorité supérieure aux traités européens sur les accords internationaux que l'Union peut conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales. En effet, en vertu de l'article 218 du TFUE, alinéa 11, « un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité d'un accord envisagé avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités ». Il est intéressant de noter que cet article est rédigé dans des termes proches de l'article 54 de la Constitution qui consacre la supériorité de cette dernière sur les traités internationaux. Ensuite, dans l'ordre juridique interne des États-membres, la jurisprudence de la CJUE et des cours nationales a réaffirmé à de multiples reprises l'autorité supérieure qu'ont les traités européens sur les traités internationaux. Dans son arrêt 15 juillet 1964 Costa c/ Enel, la Cour de justice affirme qu’« à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres ». Alors que les Constitutions nationales ont une autorité supérieure à celle des traités internationaux (cf. article 54 de la Constitution de 1958), la CJCE a considéré dans un arrêt International Handelsgesellschaft, du 17 décembre 1970, que les États-membres ne pouvaient opposer aux traités européens leur droit interne, quel que soit sa nature : « le droit né du traité, issu d'une source autonome, ne peut, en raison de sa nature, se voir judiciairement opposer des règles de droit national quelles qu'elles soient ». Les cours nationales accordent également une place particulière aux traités européens au regard des traités internationaux. Par exemple, en matière de référés, le juge administratif, compte tenu de son office, et en particulier du bref délai dans lequel il doit statuer, n'exerce pas en principe, de contrôle de conventionnalité des lois. Or, une solution différente a été retenue pour le droit de l'Union : le juge des référés peut écarter une loi qui contreviendrait de manière manifeste à ce droit (CE, 2010, Diakite). Autre réponse possible Les traités européens sont des traités internationaux mais ils présentent certaines spécificités. Tout d'abord, ils peuvent faire l'objet de procédures de révisions spécifiques (prévus par l'article 48 du TUE) et internes à l'UE, faisant intervenir aussi bien les Etats parties que les institutions de l'UE (même si ces procédures restent majoritairement intergouvernementales) dans le cadre de conventions européenne. Ils peuvent en outre faire l'objet d'une révision simplifiée permettant à la commission ou au Parlement de proposer au Conseil une modification des traités Par ailleurs, la valeur de ces traités n'est pas, en droit interne, exactement la même. Ainsi, l'UE les fait prévaloir sur les stipulations de ses propres engagements externes (article 13 TUE), sur tous les traités signés entre eux par les Etats membres et sur les traités signés par les Etats membres avec tiers postérieurement à leur entrée en vigueur. En France même, la valeur du droit européen est supérieure à celle du droit international puisque le Conseil constitutionnel a jugé que le premier était consacré constitutionnellement, ce qui en faisait un ordre juridique à part et distinct du droit international pur (CC, 2004, LCEN et CC, 2004, TCE). Les traités internationaux ont un effet direct, mais lorsqu'il n'intéresse pas uniquement les relations entre Etats (CE, 2012, GISTI), tandis que les traités européens sont automatiquement d'effet direct. Enfin, le Conseil d'Etat reconnaît aussi la supériorité des traités européens communautaires sur les autres traités internationaux (CE, 2011, Kandyrine). Quelles sont les différences entre le droit de retrait d’un Etat d’une organisation internationale classique et celui de l’Union ? Normalement, tout Etat peut se retirer unilatéralement et volontairement d'une organisation internationale fondée par traité. Le droit de retrait volontaire est reconnu par l'UE mais il est fortement encadré selon une procédure mentionnée à l'article 50 du TUE et détaillée à l'article 218 du TFUE. Ce retrait doit être négocié avec l'Union et les autres Etats membres. Il fait donc l'objet d'une procédure qui peut durer assez longtemps et n'est donc pas aussi aisée que pour la plupart des organisations internationales. A la fin, un accord doit être conclu, adopté par le conseil de l'Union à la majorité qualifiée et approuvé par le Parlement. C’est seulement en l’absence d’accord qu’un véritable retrait unilatéral devient possible.