1 L'intention juste (samma sankappa), la pensée juste. Le noble octuple chemin du Bouddha vers la libération de la souffrance humaine comprend l’intention ou pensée juste. Sankappa signifie le fait de viser quelque chose, la détermination, la résolution ; la justesse samma, renvoie ici autant au choix de la cible qu'à l'état d'esprit de celui qui décide de l'atteindre ; la traduction par intention (la volonté que l'on a de faire quelque chose) est donc la plus pertinente. L'intention interagit avec la vue : les vues conditionnent les désirs et les décisions qui en découlent ; les désirs conditionnent les vues qui leur servent de justification. L'intention juste et la vue juste forgent donc ensemble les conditions d'un esprit correctement engagé sur la voie. L'intention juste est placée entre la vue juste et la triade des facteurs moraux parce que c'est bien la fonction intentionnelle de l'esprit qui constitue le lien entre la fonction cognitive et les modes actifs d'engagement dans le monde : lorsque prévaut une vue erronée, il s'ensuit une intention incorrecte qui se traduit en actions moralement non profitables ; lorsque les intentions sont justes, les actions seront profitables, une vue juste étant la plus sure garantie de la justesse des intentions. Compte tenu de l'interaction entre la vue et l'intention, il est inévitable que la vue juste, c'est-à-dire la connaissance des quatre vérités, détermine la nature des intentions justes : lorsque nous réalisons l'omniprésence de la souffrance et que nous comprenons qu'elle dérive du désir, notre esprit se tourne vers la renonciation ; telle est la première intention juste. Lorsque nous constatons que les autres êtres sont également soumis à la souffrance et aspirent comme nous à s'en libérer, notre esprit se tourne vers le souhait qu'ils soient heureux, et vers le souhait qu'ils ne soient plus exposés à la souffrance ; telles sont les deux autres intentions justes, la bienveillance et la non-violence. La première intention, celle de la renonciation (nekkhamma), prend le contrepied du premier des « trois feux » : le désir. La voie du monde est celle du désir et ceux qui suivent le courant du désir restent prisonniers du flot des renaissances. 2 L'enseignement du Bouddha est à contre-courant des tendances mondaines : il faut impérativement résister à l'attraction du désir et si possible y renoncer. Le désir doit être ainsi abandonné non pas parce qu'il est moralement « mauvais » mais parce qu'il est une racine de la souffrance. Tel est bien ce qu'énoncent les trois premières nobles vérités : Voici, bhikkhu, la noble vérité de la souffrance : (…) être séparé de ce que l'on aime ou de ce qui plaît est souffrance, ne pas obtenir ce que l'on désire est souffrance (…) Voici, bhikkhu, la noble vérité de l'origine de la souffrance : c'est le désir, lié au plaisir et à la convoitise, qui produit les renaissances. Il fait ses délices de ceci et de cela, autrement dit c'est le désir tendu vers le plaisir des sens, le désir de l'existence ou du devenir et le désir de la non existence ou de l'annihilation. Voici, bhikkhu, la noble vérité de la cessation de la souffrance : c'est éteindre complètement le désir, l'abandonner, y renoncer, s'en libérer, s'en détacher. Le Bouddha n'exige pas que tous les êtres quittent immédiatement la vie mondaine pour la vie « sans demeure » ; le degré de renonciation d'une personne dépend de ses dispositions et de sa motivation. Il n'en reste pas moins vrai que la libération exige la complète éradication du désir et que la rapidité de la progression sur le chemin dépend du degré d'abandon du désir. Se défaire de l'attraction du désir n'est certes pas chose aisée, mais la difficulté n'en abroge pas la nécessité. Une fois comprise la nécessité de briser les liens du désir se pose la question de la méthode à employer pour y parvenir. Le Bouddha, contrairement à tant d'autres religieux, ne choisit pas la voie de la répression, mais celle de la compréhension : nous n'avons pas à rompre brutalement avec tout ce que nous désirons ; il « suffit » d'examiner attentivement le désir et de réaliser sa véritable nature pour que celui-ci s'apaise et tombe de lui-même, quasiment sans combat. Réaliser la nature du désir, c'est naturellement mettre en lumière ses liens avec la souffrance et l'impermanence, une démonstration à laquelle est consacrée une large part des enseignements théoriques et pratiques. La seconde intention, celle de l'absence de malveillance (abyapada), donc de la bienveillance, prend le contrepied du second des «trois feux»: l'aversion. Pour combattre cette aversion, ici encore, le Bouddha ne choisit pas la voie de la répression car il sait qu'elle n'aurait pour effet que de détourner l'aversion vers l'intérieur de l'être, contre l'être lui-même, ce que la psychologie moderne connaît bien sous la forme de la dépression chronique, de l'autodénigrement ou des tendances aux accès de violence irrationnels. Le remède proposé par le Bouddha est le développement doux et progressif d'une qualité : metta. Dérivé du mot metti, « l'amitié », metta n'est ni un simple sentiment amical, ni une bonne volonté sentimentale, ni la réponse obligée à un impératif moral ou à un commandement divin : il s'agit d'une intense sensation d'amour non égoïste pour les êtres ; cette qualité est développée à travers une pratique méditative spécifique, metta-bhavana qui, à son apogée, donne accès à l'un des quatre « illimités », à l'une des quatre «divines demeures», une façon d'être centrée sur le vœu rayonnant du bonheur pour tous les êtres. 3 La troisième intention, celle de la non-violence (avihimsa), complète la seconde : guidée par la compassion (karuna), elle a pour fonction de s'opposer aux pensées violentes et agressives. Tout comme la bienveillance, la compassion apparaît lorsque l'on pénètre l'intériorité des autres êtres, lorsque l'on ressent leur souffrance comme semblable à la nôtre et que l'on souhaite ardemment les voir libérés de toutes les formes de dukkha. Ici encore, il ne s'agit pas d'un intérêt bénin pour les autres mais d'une qualité qui doit être développée à travers la méditation et qui, à son apogée, donnera également accès à l'un des quatre « illimités ». On aura observé que ces trois intentions sont « négatives » : tout simplement parce qu'avant de prendre leur autonomie et de « se positiver » elles se posent en s'opposant aux tendances naturelles de l'être. Parce qu'elles vont contre le courant, ces trois intentions ne peuvent donc pas faire l'objet d'une simple exploration intellectuelle : elles doivent être régulièrement et profondément cultivées par la méditation ; et cette culture produit des tendances, des inclinations qui donnent définitivement à l'esprit une direction positive. Tout ce à quoi un bhikkhu s'exerce par la pensée et la méditation, cela devient une tendance de sa conscience. Si un bhikkhu s'exerce de manière continue avec une pensée imprégnée par la renonciation, s'il abandonne toute pensée imprégnée par la sensualité, son esprit est modelé par cette pensée imprégnée par la renonciation. Si un bhikkhu s'exerce de manière continue avec une pensée imprégnée par l'absence de malveillance, s'il abandonne toute pensée imprégnée par la malveillance, son esprit est modelé par cette pensée imprégnée par l'absence de malveillance. Si un bhikkhu s'exerce de manière continue avec une pensée imprégnée par la nonviolence, s'il abandonne toute pensée imprégnée par la violence, son esprit est modelé par cette pensée imprégnée par la non-violence. Source: Phra Louis, site Bouddhisme Thailande