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L'enseignement du Bouddha est à contre-courant des tendances mondaines : il faut
impérativement résister à l'attraction du désir et si possible y renoncer. Le désir doit
être ainsi abandonné non pas parce qu'il est moralement « mauvais » mais parce qu'il
est une racine de la souffrance. Tel est bien ce qu'énoncent les trois premières nobles
vérités :
Voici, bhikkhu, la noble vérité de la souffrance : (…) être séparé de ce que l'on aime ou
de ce qui plaît est souffrance, ne pas obtenir ce que l'on désire est souffrance (…)
Voici, bhikkhu, la noble vérité de l'origine de la souffrance : c'est le désir, lié au plaisir
et à la convoitise, qui produit les renaissances. Il fait ses délices de ceci et de cela,
autrement dit c'est le désir tendu vers le plaisir des sens, le désir de l'existence ou du
devenir et le désir de la non existence ou de l'annihilation.
Voici, bhikkhu, la noble vérité de la cessation de la souffrance : c'est éteindre
complètement le désir, l'abandonner, y renoncer, s'en libérer, s'en détacher.
Le Bouddha n'exige pas que tous les êtres quittent immédiatement la vie mondaine pour
la vie « sans demeure » ; le degré de renonciation d'une personne dépend de ses
dispositions et de sa motivation. Il n'en reste pas moins vrai que la libération exige la
complète éradication du désir et que la rapidité de la progression sur le chemin dépend
du degré d'abandon du désir. Se défaire de l'attraction du désir n'est certes pas
chose aisée, mais la difficulté n'en abroge pas la nécessité.
Une fois comprise la nécessité de briser les liens du désir se pose la question de la
méthode à employer pour y parvenir. Le Bouddha, contrairement à tant d'autres
religieux, ne choisit pas la voie de la répression, mais celle de la compréhension : nous
n'avons pas à rompre brutalement avec tout ce que nous désirons ; il « suffit »
d'examiner attentivement le désir et de réaliser sa véritable nature pour que celui-ci
s'apaise et tombe de lui-même, quasiment sans combat. Réaliser la nature du désir,
c'est naturellement mettre en lumière ses liens avec la souffrance et l'impermanence,
une démonstration à laquelle est consacrée une large part des enseignements
théoriques et pratiques.
La seconde intention, celle de l'absence de malveillance (abyapada), donc de la
bienveillance, prend le contrepied du second des «trois feux»: l'aversion.
Pour combattre cette aversion, ici encore, le Bouddha ne choisit pas la voie de la
répression car il sait qu'elle n'aurait pour effet que de détourner l'aversion vers
l'intérieur de l'être, contre l'être lui-même, ce que la psychologie moderne connaît bien
sous la forme de la dépression chronique, de l'autodénigrement ou des tendances aux
accès de violence irrationnels.
Le remède proposé par le Bouddha est le développement doux et progressif d'une
qualité : metta. Dérivé du mot metti, « l'amitié », metta n'est ni un simple sentiment
amical, ni une bonne volonté sentimentale, ni la réponse obligée à un impératif moral ou
à un commandement divin : il s'agit d'une intense sensation d'amour non égoïste pour
les êtres ; cette qualité est développée à travers une pratique méditative
spécifique, metta-bhavana qui, à son apogée, donne accès à l'un des quatre « illimités
», à l'une des quatre «divines demeures», une façon d'être centrée sur le vœu
rayonnant du bonheur pour tous les êtres.