Qu`est-ce qu`être maître de soi

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Cours Olivier Verdun
QU’EST-CE QU’ÊTRE MAITRE DE SOI ?
Analyse et compréhension du sujet en vue de dégager des éléments pour construire
l’introduction
1) Les termes du sujet
- maître : personne qui exerce une domination, une fonction de direction; celui qui possède
une chose.
- soi : pronom réfléchi de la 3e personne; ce que chacun est pour lui-même; la conscience de
soi.
2) Le sens du sujet
- Qu’est-ce qu’exercer une domination et un pouvoir sur la conscience de soi, sur ce que
chacun est pour lui-même, et ce par la médiation de cette même conscience de soi?
3) La problématique
- Comment conduire une vie, une existence, alors que tant de menaces pèsent sur le sujet, que
tant d’angoisses l’écrasent, de la terreur de la mort et du temps jusqu’aux troubles issus des
passions ? Comment assurer le salut de l’âme et échapper aux puissances de dislocation ?
Comment donc avoir un pouvoir sur soi, constituer un sujet autonome, un gouvernement de
soi-même permettant de se construire, de s’inscrire dans le temps, d’édifier une durée
psychique résistant aux troubles passionnels comme à l’angoisse de la mort ?
- Le problème est de savoir si le déploiement d’une force et d’un dispositif stratégique (notion
de pouvoir) peut s’appliquer au sujet lui-même. Le pouvoir, d’essence sociale, peut-il
concerner le sujet ?
- L’enjeu est évident : le sujet engage toute la pratique de notre vie, la maîtrise de soi formant
le noyau essentiel de notre vie. Comment se conserver soi-même et maintenir sa propre
existence, comment trouver une règle de conduite, une et harmonieuse ? Il en va de notre
liberté et de notre bonheur.
4) Choix du plan
- Plan progressif qui procédera par déploiement et analyse de plus en plus fouillée de la
notion de maîtrise de soi. Nous donnerons ici les idées principales qui auraient pu servir au
développement.
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I) Être maître de soi, c’est se connaître et savoir ce que nous sommes
Que signifie, en premier lieu, l’exercice d’un pouvoir sur soi, sur le sujet ? Que représente,
en première approche, cet effort de l’homme pour se faire lui-même que désignerait la
maîtrise de soi ? A côté de la maîtrise sur les choses (par la technique, le travail, par
exemple), du pouvoir politique (l’Etat, le gouvernement) et social (le pouvoir des classes
sociales, des groupes, etc.), on peut parler, en effet, d’un pouvoir sur soi : pour se gouverner
soi-même, se maîtriser, trouver une règle de conduite harmonieuse et résister aux forces de
dislocation (les troubles passionnels, l’angoisse de la mort, l’usure du temps, etc.), il convient
d’abord de se connaître, c’est-à-dire de savoir qui nous sommes et ce que nous sommes.
A) La non maîtrise de soi : l’exemple des passions
Qu’est-ce que maîtriser un processus quel qu’il soit ? C’est organiser une stratégie vitale
pour soumettre à une force ce processus. Or, qu’est-ce que le soi, dans la question “qu’est-ce
qu’être maître de soi” ? On entend par là le sujet lui-même, la conscience du sujet. Ce sujet
exige une maîtrise ou un pouvoir, c’est-à-dire l’exercice d’une force. Mais pour quelle raison
? Que serait ce “soi”, s’il n’était pas maîtrisé ? Il serait perdu dans le chaos ou le vide, dans
l’écoulement incessant du temps, des pulsions, des désirs ou des passions. Si je n’agis pas sur
le “soi”, alors je me perds moi-même, je m’égare : la non maîtrise de soi représente la forme
même de l’aliénation, de l’esclavage, de l’intempérance, de l’homme esclave de lui-même et
du monde. L’intempérance consiste, pour le soi, à se laisser emporter dans un flux et un flot
irrationnels, à vivre passivement, à être possédé par des forces qui aveuglent et produisent
désordre et incohérence.
Ainsi, pour toute la tradition antique et classique, les passions désignent-elles tous les
phénomènes passifs de l’âme, c’est-à-dire tout ce qui est subi par l’individu, échappe à sa
volonté et à sa raison. Dans cette perspective, la passivité n’est - elle pas la marque première
de l’esclavage et de la non maîtrise de soi ? La passion renvoie à la servitude que peut
entraîner le désir; elle est ce qui enchaîne l’homme à un objet; le désir ne s’accomplit pas, il
se fixe ou se pervertit : Harpagon aime l’or, il accumule ce métal qui n’est qu’un signe ou un
intermédiaire; le désir d”Harpagon, au lieu de se porter sur le plaisir lui-même, s’arrête sur ce
qui n’en est que le signe. Le désir est ainsi perverti, détourné de son but. Le passionné
poursuit un but qu’en réalité il n’a pas choisi. Il est en effet incapable d’en rendre raison : le
pouvoir, l’argent, le jeu s’imposent comme des absolus dont il est inadmissible de rendre
raison. Seul le froid raisonneur peut justifier le bien-fondé du but qu’il poursuit. Celui qui ne
sait pas pourquoi il agit a toutes les chances d’être en réalité contraint par des causes qui lui
échappent : ce n’est que dans la mesure où les motifs de mon action sont conscients que je
sais pourquoi j’agis, que je suis l’auteur de mon acte. Dans le cas contraire, je suis déterminé;
je ne me détermine pas : les circonstances choisissent à ma place.
B) Connaître ses passions pour les maîtriser et avoir un pouvoir sur soi
L’ignorance ou la méconnaissance de soi sont, dès lors, les premières causes de la non
maîtrise de soi, de l’intempérance, de l’aveuglement et de l’esclavage. C’est dire que la
connaissance constitue un véritable pouvoir et qu’elle est la condition sine qua non de la
liberté, de l’autonomie, voire du bonheur. En effet, qu’est-ce qu’être maître de soi ? N’est-ce
pas d’abord se saisir, se connaître, appréhender ses passions, mesurer leur impact et leur sens,
les interpréter, les comprendre ? Si l’on entend par connaissance, la fonction ayant pour effet
de rendre un objet présent aux sens et à l’intelligence, elle constitue un authentique pouvoir,
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c’est-à-dire une capacité de faire triompher la volonté et d’atteindre un but, une possibilité
effective de faire quelque chose, une faculté d’action et d’affirmation de soi (en ce sens, le
pouvoir est synonyme de puissance, à condition de ne pas réduire cette dernière à la seule
puissance physique). Connaître revient donc à agir, maîtriser, dominer, voire posséder, ce qui
est de l’ordre de l’inconnu, de l’irrationnel; c’est véritablement aller de l’opaque au
transparent.
Ici la philosophie spinoziste des passions et du désir pouvait servir de fil directeur. Nous
développerons ici exceptionnellement cette partie pour faire un rappel sur la philosophie de
Spinoza et reprendre un certain nombre de points qui avaient été abordés dans le cours sur le
désir.
En effet, une passion cesse d’être une passion quand nous en formons une idée claire et
distincte. Etre maître de soi consiste à se connaître de mieux en mieux, à forger des idées
adéquates du soi, à interpréter le sens de nos conduites, de sorte que l’interprétation est
d’abord connaissance. Le but de Spinoza est de rechercher un bien absolu, éternel, infini.
Apprendre à penser doit nous permettre de trouver le souverain Bien, un bien véritable qui
puisse se communiquer et donner le suprême contentement ou “béatitude” : ce bien, c’est la
vie selon la raison, qui nous sauve du trouble des passions. La vie de l’homme dépend de la
nature de sa connaissance. Sa servitude est due à l’infirmité de sa conscience, à ses erreurs
dans la connaissance de ses rapports avec le tout. La connaissance vraie est salvatrice : la
libération de l’homme est due à une purification de l’entendement, rendant possible son accès
à la connaissance vraie et au bonheur. Voir, à ce sujet, dans le cours sur le désir, la distinction
qu’établit Spinoza entre les trois genres de connaissance. C’est la connaissance qui détermine
notre mode d’existence et, notamment, la qualité de nos sentiments : la connaissance du
second et du troisième genre est le principe de nos vertus, conduisent à une régénération de
l’être, et lui assurent puissance et liberté.
Nos sentiments sont des passions lorsqu’ils ont leur source dans la connaissance du
premier genre, c’est-à-dire dans des idées confuses, mutilées, partielles ou inadéquates. Ce
sont des actions lorsqu’ils expriment le dynamisme de nos idées adéquates, lesquelles
procèdent de la connaissance du deuxième et troisième genre. La passion est ainsi ce que
nous éprouvons quand nous ne sommes pas la cause de nous-mêmes, lorsqu’une activité
étrangère à notre nature limite notre propre activité, lorsque nous sommes déterminés par des
causes extérieures. Ces passions s’expliquent par des causes naturelles, par la finitude de
notre être lorsque celui-ci est inconscient de lui-même. Spinoza pense néanmoins que nous ne
sommes pas condamnés aux passions, que nous pouvons récupérer et même augmenter les
puissances de notre être grâce au développement de notre pouvoir de comprendre. Nous
pourrions en quelque sorte nous affranchir de la servitude des passions, dans la mesure où
nous parviendrions à passer du plan de l’imagination au plan de la connaissance vraie. Si
l’homme pouvait comprendre la nature et les causes de ses passions, cette compréhension le
délivrerait de ce qu’il croyait être le principe de sa liberté. Notre pouvoir de comprendre
constitue le meilleur remède contre les passions et qui nous permet de passer du régime de la
passion au régime de la vertu.
Lorsque nous connaissons nos sentiments clairement et distinctement, lorsque les idées
que nous nous en faisons sont des idées totales et totalisantes, nous trouvons une satisfaction
absolue dans le vrai et sommes ainsi délivrés des passions. Lorsque nous comprenons nos
passions, lorsque nous intégrons l’objet de notre passion dans tout un système de choses, où il
perd son individualité et son prestige, nous nous libérons, en même temps, de son pouvoir
fascinant. En faisant de notre affectivité l’objet d’une connaissance vraie, la joie apaise les
tourments qui peuvent en résulter. La vertu est intelligence et l’intelligence est liberté qui est
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la nécessité comprise. Les passions se transforment ainsi en actions grâce à la connaissance
vraie.
La connaissance vraie nous sauve en nous unissant à nous - même et à autrui. Elle nous
unit d’abord à nous-même car la vertu est d’abord amour de soi. L’égoïste ne s’aime pas
vraiment, car ce qu’il aime c’est son esclavage et non pas ce qu’il est authentiquement. Si les
orgueilleux et les vaniteux délirent, c’est qu’ils aiment les bonnes opinions que les autres
pourraient se faire d’eux et non pas leurs qualités réelles. L’envieux se méprise en réalité, car,
autrement, les qualités d’autrui et les succès qui en résultent ne le feraient pas souffrir et il
n’aurait pas l’envie d’être à la place de l’autre. L’homme conduit par la raison s’aime
authentiquement, car il aime ce qu’il a de positif en lui-même. La connaissance nous unit
également aux autres. Rien ne nous est plus utile que le commerce avec les autres hommes.
Les hommes, unis par la raison, forment une seule communauté dont la seule loi est la
générosité, “désir par lequel chacun s’efforce d’après le seul commandement de la raison
d’aider les autres hommes et de se lier avec eux d’amitié”.
Dès lors, la raison ne réclame rien contre la raison et ne réclame rien qui soit en opposition
avec elle. Elle est aussi un effort vers la vie, vers une vie authentique, effort pour s’aimer plus
efficacement. La vertu n’est pas renoncement et fuite du monde. Il n’y a pas d’au-delà; c’est
ici-bas, dans ce monde, que se joue le problème de notre destinée, de notre bonheur et de
notre malheur. La sagesse exige certes un effort de purification et de réforme de soi-même,
mais il s’agit d’une réforme de notre mode de connaître, rendant possible la transmutation du
regard que nous jetons sur un monde qui reste toujours le même. D’où l’hostilité de Spinoza
vis-à-vis de l’ascétisme qui nous interdit de prendre plaisir. C’est le propre d’un homme sage
d’user des plaisirs autant qu’il peut. La santé et l’épanouissement du corps sont une des
conditions nécessaires au développement de notre pouvoir de compréhension. L’homme
vertueux cherche d’abord et avant tout son utilité propre. Est utile à l’homme, ce qui satisfait
l’effort même de la raison, l’effort pour comprendre, ce qui permet d’accroître son
intelligence.
De même, comme le pensaient déjà les stoïciens, étant donné que nous ne pouvons avoir
le pouvoir absolu sur les choses extérieures, il en résulte que lorsque des événements
défavorables nous arrivent, à condition que nous en comprenions la nécessité, nous les
supporterons, après avoir fait le nécessaire pour y échapper. Le sage est celui qui sait que
l’homme n’est qu’une partie de la nature et que la puissance de l’homme est limitée. Par le
fait qu’il comprend cela, il saisit l’intelligibilité et la nécessité d’un nombre de plus en plus
grand de choses et il trouve une satisfaction absolue dans le vrai. L’homme qui comprend ne
peut désirer que ce qui est nécessaire et trouve son bonheur dans un accord de son
intelligence avec l’ordre de la nature. Il ne s’agit pas d’une morale de résignation, mais d’une
morale d’affirmation de soi. En somme, notre liberté et notre bonheur dépendent uniquement
de la qualité de nos connaissances. Dans la mesure où comprenons les choses, le déploiement
de notre intelligence compense les inconvénients qui peuvent résulter du déterminisme des
choses.
On pouvait aussi évoquer la psychanalyse freudienne qui fait de la connaissance un
véritable instrument de pouvoir sur soi et de liberté (cf. Cours sur la conscience et
l’inconscient).
Transition :
Si la connaissance apparaît comme action et pouvoir sur soi qui nous libère de la servitude
des passions et permet au sujet d’exercer un gouvernement sur lui-même, la théorie et la
spéculation sont-elles néanmoins suffisantes ? Sans doute puis-je me connaître et interpréter
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mes passions ou désirs, sans nécessairement être maître de moi. La connaissance n’est peutêtre pas, malgré ce que nous venons d’établir, un pouvoir et un exercice actif. L’entendement,
la raison ne sont pas les seuls à être concernés. Comment cela est-il possible ? Quelles
seraient alors les autres formes et conditions de la maîtrise de soi ? La question centrale :
“qu’est-ce qu’être maître de soi ?”, subsiste par conséquent et nous invite à envisager une
définition plus riche, plus complexe du pouvoir sur soi.
II) Etre maître de soi, c’est atteindre l’ataraxie
D’où une deuxième définition de la maîtrise de soi que nous fournit la tradition
philosophique : la maîtrise de soi ne consiste pas uniquement dans la connaissance de soi;
elle signifie également un pouvoir de la volonté. Si l’intelligence et l’intellect sont
insuffisants, ne faut-il pas que la volonté, entendue soit comme qualité du caractère
caractérisée pas la fermeté dans la décision, la constance (faire preuve de volonté), soit la
disposition morale à choisir le bien ou à agir conformément à la loi morale (Kant), soit prise
en compte dans la maîtrise de soi ? C’est ce qu’ont réalisé les stoïciens notamment, qui ont
considéré que l’entendement était puissant, mais que la volonté devait aussi intervenir.
A) La maîtrise de soi comme thérapie
Les grands philosophes de l’Antiquité, les épicuriens et les stoïciens surtout, nous
enseignent que la capacité de se maîtriser s’avère vitale ; elle possède une fonction
thérapeutique. Notre équilibre intérieur se trouve, en effet, à la merci de tant d’ennemis
intérieurs (angoisse, insécurité, peur des dieux et de la mort, etc.), ce que souligne Epicure
dans La lettre à Ménécée. Il faut triompher de ces derniers et, pour survivre et être heureux,
acquérir la paix spirituelle ou ataraxie. Le pouvoir sur soi se confond avec une maîtrise des
forces obscures qui nous menacent. La philosophie épicurienne désigne une thérapie de
l’âme, à travers une domination spirituelle dissolvant les puissances qui pourraient dérégler
notre unité psychique.
Comme dans la partie précédente, rappel des grandes lignes de la morale épicurienne telle
qu’elle est exposée dans La lettre à Ménécée. Selon Epicure, le rôle de la philosophie
consiste à savoir rechercher d’une manière raisonnable le plaisir (hédonisme), c’est-à-dire en
fait à rechercher le seul plaisir véritable, le pur plaisir d’exister. Car tout le malheur des
hommes vient de ce qu’ils ignorent le véritable plaisir. Recherchant tous le plaisir, ils ne
peuvent l’atteindre, parce qu’ils ne peuvent se satisfaire de ce qu’ils ont, ou parce qu’ils
recherchent ce qui est hors de leur portée, ou parce qu’ils gâchent ce plaisir en craignant sans
cesse de le perdre. La souffrance des hommes vient pour ainsi dire de leurs âmes, de leurs
opinions vides. D’où la mission essentiellement thérapeutique de la philosophie : soigner la
maladie de l’âme et apprendre à l’homme à vivre le plaisir.
L’éthique épicurienne propose une définition du véritable plaisir et une ascèse des désirs:
l’homme, en supprimant l’état d’insatisfaction qui l’absorbe dans la recherche d’un objet
particulier, est libre de pouvoir prendre conscience de quelque chose d’extraordinaire, le
plaisir de son existence. Cet état de plaisir stable et d’équilibre correspond à un état de
tranquillité de l’âme et d’absence de trouble. La méthode pour atteindre à ce plaisir stable
consiste dans une ascèse des désirs. Si les hommes sont malheureux, c’est qu’ils sont torturés
par des désirs immenses et creux, la richesse, la luxure, la domination. L’ascèse des désirs se
fondera sur la distinction entre les désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels et non
nécessaires, les désirs vides, ceux qui sont ni naturels, ni nécessaires. Epicure prend comme
critère la nature qui par elle-même admet ordre et mesure. Le philosophe restitue au corps sa
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place dans l’ordre de la nature en reconnaissant que ses exigences sont saines, modérées et
vitales. Le désordre vient de certaines représentations de l’âme, de certains désirs. Revoir la
distinction qu’établit Epicure entre les désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels et
non nécessaires , désirs non naturels et non nécessaires .
L’ascèse des désirs va consister à les limiter, en supprimant les désirs qui ne sont ni
naturels, ni nécessaires. Quelle est la genèse de ces désirs ? Leur origine ? De vaines
opinions, du vide. Leur objet ? Du vide également. Leur processus ? Infini. C’est e fait la
crainte de la mort qui est finalement à la base de toutes les passions qui rendent les hommes
malheureux. En effet, la peur du néant se convertit ici-bas en peur de manquer; celle-ci
suscite des désirs multiples portant sur des biens palpables ou immédiats; ces désirs à leur
tour en créent d’autres et l’homme, constamment à la recherche d’un plaisir supérieur ou
nouveau, gâche sa vie en se privant du contentement. Ce sont les opinions fausses sur la mort
qui engendrent cette quête anxieuse d’un bien terrestre immédiat. Nos passions dérivent
toutes du refoulement de l’effigie menaçante de la mort et de la réalisation imaginaire du
désir d’immortalité. La connaissance du mouvement naturel de la vie et de la mort
dédramatise la mort et détruit les mythes de l’immortalité. La connaissance est ainsi une arme
contre l’investissement de l’homme dans des désirs vides et vains. Le vulgaire comble le vide
du néant qu’il redoute par le vide de ses désirs indéfinis; l’homme sage substitue au vide des
fantasmes démasqués le plein des jouissances de la vie; c’est la fonction réflexive de l’esprit
qui produit ce changement bénéfique.
En somme, pour parvenir à la guérison de l’âme, il faut s’exercer continuellement,
méditer, c’est-à-dire s’assimiler intimement les dogmes fondamentaux, notamment le
quadruple remède : “Les dieux ne sont pas à craindre, la mort n’est pas à redouter, le bien
facile à acquérir, le mal facile à supporter”. Il faut pratiquer la discipline des désirs, savoir se
contenter de ce qui est facile à atteindre, de ce qui satisfait les besoins fondamentaux de
l’être, et renoncer à ce qui est superflu : se contenter de mets simples, de vêtements simples,
renoncer aux richesses, aux honneurs, aux charges publiques, vivre retiré. Détente, sérénité,
art de jouir des plaisirs de l’âme et des plaisirs stables du corps. Mais ces méditations ne
peuvent être pratiquées dans la solitude : l’amitié est le chemin privilégié pour parvenir à la
transformation de soi-même. Plaisir donc de la connaissance; plaisir suprême de contempler
l’infinité de l’univers et la majesté des dieux; plaisir de la discussion et de l’amitié; plaisir
d’une vie en commun; plaisir en fin de prendre conscience de ce qu’il y a de merveilleux
dans l’univers dans l’existence. Savoir maîtriser sa pensée pour se représenter de préférence
les choses agréables, ressusciter le souvenir des plaisirs du passé et jouir des plaisirs du
présent, vivre dans une gratitude envers la nature. La méditation de la mort sert enfin à
éveiller dans l’âme une immense gratitude pour le don merveilleux de l’existence.
Au total, la maîtrise de soi s’acquiert par la connaissance de la nature, connaissance qui a
pour fin la sagesse, conçue comme un art de vivre; l’équilibre du corps et la sérénité de l’âme
procurent au sage le plaisir souverain. Celui qui l’atteint ne connaît ni espoir ni crainte; il
jouit d’un présent serein habité par le dynamisme joyeux de la vie. Régler donc l’usage du
désir pour atteindre le bonheur.
B) “La citadelle intérieure” (Pierre Hadot)
Reprenons la problématique : qu’est-ce qu’être “maître de soi“, alors que tant d’angoisses
écrasent le sujet, des troubles issus des passions jusqu’à la terreur de la mort ? Comment
assurer le salut de l’âme ? Qu’est-ce que se conserver soi-même et maintenir le sujet, le soi,
ferme et solide ? Ne faut-il pas se gouverner soi-même ?
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Le stoïcisme dévoile la même intention que l’épicurisme : le même vœu de pacification et
de pérennité spirituelle. La découverte du pouvoir que nous détenons de juger librement nous
sauve et se révèle principe de vraie vie, de vie maîtrisée, ordonnée, unifiée, récupérant et
dominant les forces de dispersion et d’aliénation. Comment survivre pleinement, sinon, par
l’entendement et la volonté, construire à notre usage une “citadelle intérieure”, nous
permettant de répondre à toutes les menaces de dislocation, quelles que soient les
circonstances ? Si l’essentiel est de conserver sa liberté sur le trône comme dans les chaînes,
c’est parce que cette indépendance s’avère condition même de notre survie authentique. En
nous préservant dans notre liberté, nous nous sauvons et construisons cette “citadelle
intérieure” : “Passer sa vie de la meilleure manière ; le pouvoir de le faire réside dans l’âme”.
Distinguons donc, nous dit Epictète dans ses Entretiens, ce qui dépend de nous (tout le
domaine de nos opinions, pensées, jugements, représentations, volonté, désirs, aversions) et
ce qui n’en dépend pas ( le corps, la beauté, la santé, la richesse, les honneurs…). Ce qui
dépend de moi, c’est ce qui m’appartient réellement et qui, de ce fait, est vraiment moi, ce qui
est ma propriété et sur quoi je peux agir immédiatement, ma faculté de penser les choses et de
les vouloir, mon jugement. Ce qui ne dépend pas de moi, c’est ce qui ne m’appartient pas
mais dépend toujours de circonstances extérieures situées au-delà de ma sphère d’activité :
comme elles ne sont pas en mon pouvoir, ces choses me sont étrangères. Hors de moi, rien ne
peut être bon ni mauvais, ni utile, ni nuisible. Tout est indifférent.
La tâche du sage est de bien faire la différence entre ces deux domaines, dessinant ainsi le
périmètre de sa liberté et de son action : il faut s’attacher à transformer son rapport aux
choses plutôt que les choses elles-mêmes (“changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde”,
dira Descartes) qui nous échappent toujours à certains égards. Le sage est celui qui vit selon
la raison et qui est exempt de passion; il est sans orgueil, sincère et pieux. Il règle ses désirs
sur ce qui dépend de lui. Le souverain Bien est l’accord de la volonté et de la raison. Il s’agit
de maîtriser des désirs qui entraînent à rechercher les “faux biens”, qui sont des biens
incertains. Tout le travail de la morale porte sur nos idées : se maîtriser consiste à opérer un
travail sur soi authentique. Il faut réfléchir à la relativité des valeurs, et nous convaincre que
c’est nous qui décidons du bien et du mal de ce qui nous arrive. On peut ainsi résister aux
outrages. Le sage éprouve les affections humaines, comme l’amour et l’amitié, mais pas au
point d’en être l’esclave, ni de croire qu’elles sont immortelles. Le sage sait compatir aux
douleurs d’autrui mais s’efforce de ne pas lui-même être malheureux. Cette maîtrise du désir
ne peut se faire que progressivement. Il faut s’exercer à agir en tout avec modération : “on
devient philosophe comme on devient athlète”. Ce travail sur soi-même est ardu car il faut
affronter le mépris de ceux qui s’attachent aux biens incertains. C’est pourquoi le sage n’est
jamais surpris par ce qui arrive, même par la mort. C’est celui qui supporte tout avec courage.
La volonté privilégiera ainsi le domaine du jugement libre. D’où la maîtrise de soi et la
domination spirituelle. Ainsi gagnons-nous l’apathie, l’ataraxie, l’indifférence spirituelle,
savoir la liberté et le bonheur.
Transition :
Etre maître de soi participe de toutes les forces de l’âme, de l’être, de l’entendement et de
la volonté. Comment, pour l’épicurisme et le stoïcisme, vivre humainement et heureux ? Par
le pouvoir sur soi, à savoir cette puissance d’accéder à des règles de pensée et d’action créant
un sujet autonome. Ici se dessinent une sagesse, une maîtrise de soi permettant d’échapper à
la dissolution qui nous menace. Cette maîtrise conditionne et autorise la survie du sujet. Sans
action de soi sur soi, comment dépasser le stade de l’animal et de la servitude, comment se
réaliser en tant qu’homme? Il nous reste toutefois à cerner encore davantage le noyau de la
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maîtrise de soi pour arriver à une ultime définition du pouvoir sur soi, acception qui sera la
plus riche et qui nous fera saisir toute la plénitude de notre sujet.
III) Etre maître de soi, c’est mépriser la mort
Nous aboutissons à une troisième définition possible du pouvoir sur soi. Qu’est-ce qu’être
maître de soi ? N’est-ce pas, en profondeur, mépriser et dédaigner la mort, comme nous
l’indiquent les grands sages et moralistes, de Platon à Hegel ? Le mépris de la mort ne formet-il pas le noyau de toute maîtrise de soi, si la mort, comme le souligne Hegel, semble être
notre plus grand ennemi et l’objet de nos angoisses les plus vives ? Vaincre la peur de la
mort, n‘est-ce pas, d’une certaine façon, s’approprier toutes les peurs et inquiétudes, et
accéder à la liberté et au bonheur absolus ? On pouvait donc ici mobiliser le cours sur la mort
et l’existence, notamment le corrigé de la dissertation donné au DS n° 1 : “faut-il redouter la
mort ?” D’où la nécessité de bien apprendre le cours et de lire attentivement les corrigés des
devoirs.
A) La maîtrise de la mort comme maîtrise spirituelle
Soulignons, avec Hegel, le rôle primordial que joue le rapport à la mort dans la genèse de
la maîtrise/servitude. C’est par le tête-à-tête avec la mort que l’homme se constitue comme
maître, comme Sage, comme Esprit se retrouvant soi-même : “C’est la mort qui fait
progresser l’homme jusqu’à sa destinée finale, qui est celle du Sage pleinement conscient de
soi, et donc conscient de sa propre finitude. Ainsi l’homme n’arrive pas à la Sagesse où à la
plénitude de la conscience de soi, tant qu’à la suite du vulgaire il feint d’ignorer la Négativité
qui est au fond même de son existence humaine, et qui se manifeste en lui et à lui non pas
seulement comme lutte et travail, mais encore comme mort et finitude absolue” (A. Kojève,
Introduction à la lecture de Hegel).
Le pouvoir apparaît ainsi, dans son essence, comme un rapport de domination de l’homme
sur l’homme : il s’agit d’une domination spirituelle, quand la mort, domptée et assumée, se
fait chemin de la reconnaissance. Dans La phénoménologie de l’esprit, le pouvoir est perçu
comme “maîtrise-servitude”, “maîtrise-obéissance”, relation inégalitaire entre deux
consciences. Deux consciences s’affrontent en une lutte à mort. La reconnaissance par l’autre
s’effectue sous la forme du défi ou du combat. Or, l’un des individus (l’esclave), glacé et
pénétré par l’angoisse de la mort, refuse de s’élever au-dessus de la vie naturelle en risquant
sa vie et ne peut que reconnaître la supériorité de l’autre conscience (le maître), qui risque
tout et mesure ainsi sa grandeur. Le pouvoir s’engendre par la lutte à mort des consciences de
soi opposées. Les hommes, en effet, sont mus par l’impérieux désir de se faire reconnaître
dans leur valeur souveraine. Où l’on voit que la genèse du pouvoir sur l’autre se manifeste à
travers un pouvoir sur soi-même : l’intériorisation, par un sujet, de sa mort, acceptée,
assumée, dépassée. Le pouvoir sur autrui s’avère alors inséparable de la domination
spirituelle, conçue comme renoncement à la vie naturelle. La mort méprisée et domptée,
dominée et vaincue, peut fonder le pouvoir social.
Etre maître de soi, c’est donc contempler la mort, mettre à distance l’angoisse, dédaigner
la simple existence biologique, accepter éventuellement de renoncer à la vie. Le maître,
comme nous venons de le voir, est celui qui accepte de renoncer à l’existence immédiate et
qui accède par-là à l’esprit. L’homme n’est pas une simple espèce biologique, il est esprit
méprisant la simple identité de vivant. Etre maître de soi, c’est accéder au spirituel.
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Mais ne peut-on pas mépriser la mort, la dominer, autrement que par la lutte de la
reconnaissance et par le sacrifice de la vie ?
B) Etre maître de soi, c’est réapprendre le sens de la mort
Reprenons ce que dit Epicure, lequel dessine une riche figure de la maîtrise de soi à
travers la démystification du pouvoir de la mort : se gouverner authentiquement, accéder à
une existence libre et épanouie revient à jouir pleinement de l’existence en conjurant les
fantômes de notre imagination et de nos angoisses les plus irrationnelles. En effet, notre
malheur, notre esclavage n’ont-ils pas leur source en nous-mêmes ? Etre maître de soi, c’est
donc prendre conscience que tout est affaire de perspectives intellectuelles et affectives, que
la signification des choses du monde est produite par le sujet et non pas imposée à lui. Tout
part du sujet et va vers les choses, même la souffrance morale . Le bonheur ressortit donc à
notre pouvoir créateur, notre liberté créatrice qu’exprime le renversement du regard sur le
monde et les êtres.
Ainsi la mort n’est - elle pas un mal et ne faut - il pas la craindre, car elle est dissolution
totale de l’être, de l’âme comme du corps. Selon Epicure, la mort n’est rien pour nous, elle ne
doit pas nous faire renoncer au bonheur, puisque la crainte de la mort est absurde. C’est
l’imagination qui nous abuse quand nous redoutons d’avoir à “vivre la mort”; l’imaginaire de
la mort nous effraie (les images de la mort : danse macabre, squelette armé de la faux), non la
mort elle-même. Si la mort est un fait qui ne dépend pas de nous, l’idée de la mort, elle,
dépend de nous. Si nous sommes convaincus que la mort est la fin de tout, nous n’aurons ni à
redouter ni à espérer une autre vie. Cette vie est alors la seule qui puisse nous apporter le
bonheur, pourvu qu’elle soit sereine face à la mort.
De même, pour Montaigne dans les Essais, il faut dédramatiser la mort, en réinscrivant
cette dernière dans la continuité de la vie, vie individuelle et naturelle. La crainte de la mort
est ce qui la rend horrible; une excessive préparation à la mort est plus pénible que la mort
elle-même. Montaigne fait cependant remarquer que c’est la mort qui donne son prix à la vie
: la valeur d’une vie ne réside pas dans sa durée mais dans l’usage qu’on en fait. Chacun est
seul face à sa mort, la mort n’est que l’expérience solitaire de notre unicité. Tout le sens de la
mort d’un individu vient de sa vie. Réfléchir sur la mort, c’est donc apprendre à retrouver le
chemin de nos existences singulières.
Mais comment s’exercer à la mort ? Il serait possible, selon Montaigne, d’approcher la
mort dans certaines expériences limites et réaliser ainsi sa douceur, sa proximité peu
dramatique à l’assoupissement. La mort n’est pas cet au-delà ni même ce point hors sensation
d’Epicure, mais plutôt ce temps d’arrachement à soi où l’on se sent défaillir. Il existe, dans la
vie, un échappement à soi susceptible d’un “après” et d’un souvenir : la perte de conscience.
Montaigne relate un spectaculaire accident de cheval qui va lui assurer une expérimentation
concrète des approches de la mort : évanoui, entre la veille et le sommeil, entre la vie et le
mort, Montaigne ressent cet intervalle comme très agréable. Cet état de bien-être, où
l’organisme s’abandonne à l’inconscience, Montaigne pense qu’il correspond à l’expérience
des agonisants. Il y aurait donc un plaisir de l’affaibli qui correspondrait à un désir de retour
vers l’inanimé : loin de ressembler à une lutte pour la vie, le fait de se laisser partir est la
chose la plus naturelle; alors que la vie prend souvent l’allure d’un combat, d’un mouvement
pénible contre les obstacles, le vivant cesse de résister à sa propre destruction en mobilisant
de l’énergie, cesse de désirer et retombe dans la matière inerte.
En somme, selon Montaigne, la mort n’est pas une séparation douloureuse; elle n’est un
combat, une résistance que pour le spectateur extérieur, alors que, pour l’agonisant, la vie
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semble déjà extérieure. Fermer les yeux, perdre la vie, c’est d’abord se libérer de la
conscience, du souci.
Dès lors, on peut aimer la vie, tout en la quittant sans regret, comme si aimer la vie
conduisait déjà à comprendre la mort, à refuser de demander à l’existence plus qu’elle ne
donne, à apprécier jusqu’à son risque et son caractère éphémère : qui aime la vie du jour
prend plaisir à s’endormir. Mourir est donc assimilable à un laisser-aller positif : oser
s’approcher de l’inconnu, c’est déjà démystifier et supprimer les frayeurs nées de l’ignorance
et de l’habitude.
Qui plus est, la nature nous habitue lentement au trépas, accoutumance qui prend la forme
de la maladie et de la vieillesse : “nature même nous prête la main et nous donne courage. Si
c’est une mort courte et violente, nous n’avons pas loisir de la craindre; si elle est autre, je
m’aperçois qu’à mesure que je m’engage dans la maladie j’entre naturellement en quelque
dédain de la vie…” (Essais, I, XX, 69). La maladie prépare avec une douceur diplomatique à
la mort; mourir n’est alors pas contraire à la vie, s’il existe une forme de vie - la maladie - qui
ouvre à la mort. La maladie n’est pas contraire à la vie, mais à la santé. La santé, en effet, est
l’excès qui rend la vie plus excitante et en augmente la joie, alors que la maladie représente
une vie qui se rend inhospitalière à elle-même. La vieillesse - ce néant dispensé à dose
homéopathique - est ce qui épouse le mouvement même du temps par sa progressivité : le
vieillard finit par se satisfaire de son présent de vieillard en y découvrant les plaisirs de la
vieillesse; la conscience du déclin finit par s’effacer au profit de la conscience pleine d’un
maintenant. Tout présent est nôtre, lorsque nous ne l’altérons pas par l’embellissement du
passé (tendance sénile) ou l’idolâtrie de l’avenir (tendance juvénile), et lorsque la souffrance
ne le désarticule pas.
Au total, maladie et vieillesse sont également deux initiations adaptées à la mort, le
renversement qu’elles instaurent est trop lent pour être vécu comme arrachement, perte
insupportable. Bref, on meurt toujours trop vite (choc, accident) ou trop lentement (maladie
ou vieillesse) pour mourir vraiment. En fait, nous nous détachons du monde insensiblement
dès notre plus jeune âge : la lente maturation du départ se prépare au fond de nous et il n’est
besoin que d’une chiquenaude pour que la vie nous quitte tout à fait. La mort, en réalité, ne
brise que les vivants : la mort qui survient existe si peu pour celui qui meurt, en comparaison
de ce qu’elle signifie pour celui qui vit.
Etre maître de soi, pour Epicure ou pour Montaigne, consiste donc à penser la mort en tant
que moment fort singulier à passer, comme objet d’un savoir ou d’une anticipation
imaginaire, en dégageant une conduite proche du laisser-être. Il s’agit, par la maîtrise de notre
représentation de la mort, de libérer la vie d’un fardeau insupportable pour en faire apparaître
toute la saveur et la beauté. Etre maître de soi, c’est non seulement dominer ses craintes et ses
anticipations imaginaires, construire sa vie comme une œuvre d’art, dans la splendeur, la joie
et l’autonomie, mais aussi jouir véritablement de l’existence et du monde tels qu’ils nous sont
donnés dans la matière du temps et de la mort. La philosophie est alors bel et bien une
réflexion rationnelle au service d’un art de vivre dont la finalité est le bonheur et la liberté, et
le chemin la vérité : penser sa vie pour la vivre mieux, vivre sa pensée pour lui donner un
véritable enracinement existentiel.
CONCLUSION GENERALE
Que pouvons-nous répondre à la question : “qu’est-ce qu’être maître de soi” ? Nous avons
rencontré trois riches figures de la maîtrise léguées par la tradition philosophique : être maître
de soi, c’est d’abord se connaître, savoir ce que nous sommes, comprendre et interpréter les
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causes qui nous déterminent souvent à notre insu; l’ignorance de soi est un facteur
d’aveuglement et d’esclavage, de sorte que la connaissance de soi constitue un authentique
pouvoir sur soi. Mais la connaissance ne suffit pas : il convient aussi d’exercer sa volonté,
d’atteindre la paix de l’âme en distinguant deux ordres de réalité - ce qui dépend de nous et ce
qui n’en dépend pas - et en construisant à son usage une citadelle intérieure : il faut à
l’homme une raison gouvernante, issue de la volonté et du jugement. Le pouvoir sur soi
prend enfin la forme d’une maîtrise de la mort ou plutôt de notre peur de la mort : être maître
de soi, c’est accéder au monde de l’esprit et de l’humanité en dédaignant la mort et la simple
existence biologique; c’est également émanciper la vie d’une pesanteur encombrante pour en
dégager la splendeur et en jouir pleinement, en acceptant ses limites et ses contraintes. Etre
maître de soi, se gouverner : cet exercice est possible et nécessaire. Le pouvoir peut
s’appliquer au sujet lui-même. Il constitue une tâche vitale permettant au sujet de conduire sa
vie, de résister aux forces de dislocation, d’accéder à la liberté et de s’inscrire dans la durée.
Le pouvoir sur soi est une véritable thérapie de l’âme dont la finalité est l’acquisition de la
paix spirituelle.
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