Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
I) Être maître de soi, c’est se connaître et savoir ce que nous sommes
Que signifie, en premier lieu, l’exercice d’un pouvoir sur soi, sur le sujet ? Que représente,
en première approche, cet effort de l’homme pour se faire lui-même que désignerait la
maîtrise de soi ? A côté de la maîtrise sur les choses (par la technique, le travail, par
exemple), du pouvoir politique (l’Etat, le gouvernement) et social (le pouvoir des classes
sociales, des groupes, etc.), on peut parler, en effet, d’un pouvoir sur soi : pour se gouverner
soi-même, se maîtriser, trouver une règle de conduite harmonieuse et résister aux forces de
dislocation (les troubles passionnels, l’angoisse de la mort, l’usure du temps, etc.), il convient
d’abord de se connaître, c’est-à-dire de savoir qui nous sommes et ce que nous sommes.
A) La non maîtrise de soi : l’exemple des passions
Qu’est-ce que maîtriser un processus quel qu’il soit ? C’est organiser une stratégie vitale
pour soumettre à une force ce processus. Or, qu’est-ce que le soi, dans la question “qu’est-ce
qu’être maître de soi” ? On entend par là le sujet lui-même, la conscience du sujet. Ce sujet
exige une maîtrise ou un pouvoir, c’est-à-dire l’exercice d’une force. Mais pour quelle raison
? Que serait ce “soi”, s’il n’était pas maîtrisé ? Il serait perdu dans le chaos ou le vide, dans
l’écoulement incessant du temps, des pulsions, des désirs ou des passions. Si je n’agis pas sur
le “soi”, alors je me perds moi-même, je m’égare : la non maîtrise de soi représente la forme
même de l’aliénation, de l’esclavage, de l’intempérance, de l’homme esclave de lui-même et
du monde. L’intempérance consiste, pour le soi, à se laisser emporter dans un flux et un flot
irrationnels, à vivre passivement, à être possédé par des forces qui aveuglent et produisent
désordre et incohérence.
Ainsi, pour toute la tradition antique et classique, les passions désignent-elles tous les
phénomènes passifs de l’âme, c’est-à-dire tout ce qui est subi par l’individu, échappe à sa
volonté et à sa raison. Dans cette perspective, la passivité n’est - elle pas la marque première
de l’esclavage et de la non maîtrise de soi ? La passion renvoie à la servitude que peut
entraîner le désir; elle est ce qui enchaîne l’homme à un objet; le désir ne s’accomplit pas, il
se fixe ou se pervertit : Harpagon aime l’or, il accumule ce métal qui n’est qu’un signe ou un
intermédiaire; le désir d”Harpagon, au lieu de se porter sur le plaisir lui-même, s’arrête sur ce
qui n’en est que le signe. Le désir est ainsi perverti, détourné de son but. Le passionné
poursuit un but qu’en réalité il n’a pas choisi. Il est en effet incapable d’en rendre raison : le
pouvoir, l’argent, le jeu s’imposent comme des absolus dont il est inadmissible de rendre
raison. Seul le froid raisonneur peut justifier le bien-fondé du but qu’il poursuit. Celui qui ne
sait pas pourquoi il agit a toutes les chances d’être en réalité contraint par des causes qui lui
échappent : ce n’est que dans la mesure où les motifs de mon action sont conscients que je
sais pourquoi j’agis, que je suis l’auteur de mon acte. Dans le cas contraire, je suis déterminé;
je ne me détermine pas : les circonstances choisissent à ma place.
B) Connaître ses passions pour les maîtriser et avoir un pouvoir sur soi
L’ignorance ou la méconnaissance de soi sont, dès lors, les premières causes de la non
maîtrise de soi, de l’intempérance, de l’aveuglement et de l’esclavage. C’est dire que la
connaissance constitue un véritable pouvoir et qu’elle est la condition sine qua non de la
liberté, de l’autonomie, voire du bonheur. En effet, qu’est-ce qu’être maître de soi ? N’est-ce
pas d’abord se saisir, se connaître, appréhender ses passions, mesurer leur impact et leur sens,
les interpréter, les comprendre ? Si l’on entend par connaissance, la fonction ayant pour effet
de rendre un objet présent aux sens et à l’intelligence, elle constitue un authentique pouvoir,