Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
QU’EST-CE QU’ÊTRE MAITRE DE SOI ?
Analyse et compréhension du sujet en vue de dégager des éléments pour construire
l’introduction
1) Les termes du sujet
- maître : personne qui exerce une domination, une fonction de direction; celui qui possède
une chose.
- soi : pronom réfléchi de la 3e personne; ce que chacun est pour lui-même; la conscience de
soi.
2) Le sens du sujet
- Qu’est-ce qu’exercer une domination et un pouvoir sur la conscience de soi, sur ce que
chacun est pour lui-même, et ce par la médiation de cette même conscience de soi?
3) La problématique
- Comment conduire une vie, une existence, alors que tant de menaces pèsent sur le sujet, que
tant d’angoisses l’écrasent, de la terreur de la mort et du temps jusqu’aux troubles issus des
passions ? Comment assurer le salut de l’âme et échapper aux puissances de dislocation ?
Comment donc avoir un pouvoir sur soi, constituer un sujet autonome, un gouvernement de
soi-même permettant de se construire, de s’inscrire dans le temps, d’édifier une due
psychique résistant aux troubles passionnels comme à l’angoisse de la mort ?
- Le problème est de savoir si le déploiement d’une force et d’un dispositif stratégique (notion
de pouvoir) peut s’appliquer au sujet lui-même. Le pouvoir, d’essence sociale, peut-il
concerner le sujet ?
- L’enjeu est évident : le sujet engage toute la pratique de notre vie, la maîtrise de soi formant
le noyau essentiel de notre vie. Comment se conserver soi-même et maintenir sa propre
existence, comment trouver une règle de conduite, une et harmonieuse ? Il en va de notre
liberté et de notre bonheur.
4) Choix du plan
- Plan progressif qui procédera par déploiement et analyse de plus en plus fouillée de la
notion de maîtrise de soi. Nous donnerons ici les idées principales qui auraient pu servir au
développement.
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I) Être maître de soi, c’est se connaître et savoir ce que nous sommes
Que signifie, en premier lieu, l’exercice d’un pouvoir sur soi, sur le sujet ? Que représente,
en première approche, cet effort de l’homme pour se faire lui-même que désignerait la
maîtrise de soi ? A côté de la maîtrise sur les choses (par la technique, le travail, par
exemple), du pouvoir politique (l’Etat, le gouvernement) et social (le pouvoir des classes
sociales, des groupes, etc.), on peut parler, en effet, d’un pouvoir sur soi : pour se gouverner
soi-même, se maîtriser, trouver une règle de conduite harmonieuse et résister aux forces de
dislocation (les troubles passionnels, l’angoisse de la mort, l’usure du temps, etc.), il convient
d’abord de se connaître, c’est-à-dire de savoir qui nous sommes et ce que nous sommes.
A) La non maîtrise de soi : l’exemple des passions
Qu’est-ce que maîtriser un processus quel qu’il soit ? C’est organiser une stratégie vitale
pour soumettre à une force ce processus. Or, qu’est-ce que le soi, dans la question “qu’est-ce
qu’être maître de soi” ? On entend par le sujet lui-même, la conscience du sujet. Ce sujet
exige une maîtrise ou un pouvoir, c’est-à-dire l’exercice d’une force. Mais pour quelle raison
? Que serait ce “soi”, s’il n’était pas maîtrisé ? Il serait perdu dans le chaos ou le vide, dans
l’écoulement incessant du temps, des pulsions, des désirs ou des passions. Si je n’agis pas sur
le “soi”, alors je me perds moi-même, je m’égare : la non maîtrise de soi représente la forme
même de l’aliénation, de l’esclavage, de l’intempérance, de l’homme esclave de lui-même et
du monde. L’intempérance consiste, pour le soi, à se laisser emporter dans un flux et un flot
irrationnels, à vivre passivement, à être possédé par des forces qui aveuglent et produisent
désordre et incohérence.
Ainsi, pour toute la tradition antique et classique, les passions désignent-elles tous les
phénomènes passifs de l’âme, c’est-à-dire tout ce qui est subi par l’individu, échappe à sa
volonté et à sa raison. Dans cette perspective, la passivité n’est - elle pas la marque première
de l’esclavage et de la non maîtrise de soi ? La passion renvoie à la servitude que peut
entraîner le désir; elle est ce qui enchaîne l’homme à un objet; le désir ne s’accomplit pas, il
se fixe ou se pervertit : Harpagon aime l’or, il accumule ce métal qui n’est qu’un signe ou un
intermédiaire; le désir d”Harpagon, au lieu de se porter sur le plaisir lui-même, s’arrête sur ce
qui n’en est que le signe. Le désir est ainsi perverti, détourné de son but. Le passionné
poursuit un but qu’en réalité il n’a pas choisi. Il est en effet incapable d’en rendre raison : le
pouvoir, l’argent, le jeu s’imposent comme des absolus dont il est inadmissible de rendre
raison. Seul le froid raisonneur peut justifier le bien-fondé du but qu’il poursuit. Celui qui ne
sait pas pourquoi il agit a toutes les chances d’être en réalité contraint par des causes qui lui
échappent : ce n’est que dans la mesure les motifs de mon action sont conscients que je
sais pourquoi j’agis, que je suis l’auteur de mon acte. Dans le cas contraire, je suis déterminé;
je ne me détermine pas : les circonstances choisissent à ma place.
B) Connaître ses passions pour les maîtriser et avoir un pouvoir sur soi
L’ignorance ou la méconnaissance de soi sont, dès lors, les premières causes de la non
maîtrise de soi, de l’intempérance, de l’aveuglement et de l’esclavage. C’est dire que la
connaissance constitue un véritable pouvoir et qu’elle est la condition sine qua non de la
liberté, de l’autonomie, voire du bonheur. En effet, qu’est-ce qu’être maître de soi ? N’est-ce
pas d’abord se saisir, se connaître, appréhender ses passions, mesurer leur impact et leur sens,
les interpréter, les comprendre ? Si l’on entend par connaissance, la fonction ayant pour effet
de rendre un objet présent aux sens et à l’intelligence, elle constitue un authentique pouvoir,
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c’est-à-dire une capacité de faire triompher la volonté et d’atteindre un but, une possibilité
effective de faire quelque chose, une faculté d’action et d’affirmation de soi (en ce sens, le
pouvoir est synonyme de puissance, à condition de ne pas réduire cette dernière à la seule
puissance physique). Connaître revient donc à agir, maîtriser, dominer, voire posséder, ce qui
est de l’ordre de l’inconnu, de l’irrationnel; c’est véritablement aller de l’opaque au
transparent.
Ici la philosophie spinoziste des passions et du désir pouvait servir de fil directeur. Nous
développerons ici exceptionnellement cette partie pour faire un rappel sur la philosophie de
Spinoza et reprendre un certain nombre de points qui avaient été abordés dans le cours sur le
désir.
En effet, une passion cesse d’être une passion quand nous en formons une idée claire et
distincte. Etre maître de soi consiste à se connaître de mieux en mieux, à forger des idées
adéquates du soi, à interpréter le sens de nos conduites, de sorte que l’interprétation est
d’abord connaissance. Le but de Spinoza est de rechercher un bien absolu, éternel, infini.
Apprendre à penser doit nous permettre de trouver le souverain Bien, un bien véritable qui
puisse se communiquer et donner le suprême contentement ou “béatitude” : ce bien, c’est la
vie selon la raison, qui nous sauve du trouble des passions. La vie de l’homme dépend de la
nature de sa connaissance. Sa servitude est due à l’infirmité de sa conscience, à ses erreurs
dans la connaissance de ses rapports avec le tout. La connaissance vraie est salvatrice : la
libération de l’homme est due à une purification de l’entendement, rendant possible son accès
à la connaissance vraie et au bonheur. Voir, à ce sujet, dans le cours sur le désir, la distinction
qu’établit Spinoza entre les trois genres de connaissance. C’est la connaissance qui détermine
notre mode d’existence et, notamment, la qualité de nos sentiments : la connaissance du
second et du troisième genre est le principe de nos vertus, conduisent à une régénération de
l’être, et lui assurent puissance et liberté.
Nos sentiments sont des passions lorsqu’ils ont leur source dans la connaissance du
premier genre, c’est-à-dire dans des idées confuses, mutilées, partielles ou inadéquates. Ce
sont des actions lorsqu’ils expriment le dynamisme de nos idées adéquates, lesquelles
procèdent de la connaissance du deuxième et troisième genre. La passion est ainsi ce que
nous éprouvons quand nous ne sommes pas la cause de nous-mêmes, lorsqu’une activité
étrangère à notre nature limite notre propre activité, lorsque nous sommes déterminés par des
causes extérieures. Ces passions s’expliquent par des causes naturelles, par la finitude de
notre être lorsque celui-ci est inconscient de lui-même. Spinoza pense néanmoins que nous ne
sommes pas condamnés aux passions, que nous pouvons récupérer et même augmenter les
puissances de notre être grâce au développement de notre pouvoir de comprendre. Nous
pourrions en quelque sorte nous affranchir de la servitude des passions, dans la mesure
nous parviendrions à passer du plan de l’imagination au plan de la connaissance vraie. Si
l’homme pouvait comprendre la nature et les causes de ses passions, cette compréhension le
délivrerait de ce qu’il croyait être le principe de sa liberté. Notre pouvoir de comprendre
constitue le meilleur remède contre les passions et qui nous permet de passer du régime de la
passion au régime de la vertu.
Lorsque nous connaissons nos sentiments clairement et distinctement, lorsque les idées
que nous nous en faisons sont des idées totales et totalisantes, nous trouvons une satisfaction
absolue dans le vrai et sommes ainsi délivrés des passions. Lorsque nous comprenons nos
passions, lorsque nous intégrons l’objet de notre passion dans tout un système de choses, où il
perd son individualité et son prestige, nous nous libérons, en même temps, de son pouvoir
fascinant. En faisant de notre affectivité l’objet d’une connaissance vraie, la joie apaise les
tourments qui peuvent en résulter. La vertu est intelligence et l’intelligence est liberté qui est
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la nécessité comprise. Les passions se transforment ainsi en actions grâce à la connaissance
vraie.
La connaissance vraie nous sauve en nous unissant à nous - même et à autrui. Elle nous
unit d’abord à nous-me car la vertu est d’abord amour de soi. L’égoïste ne s’aime pas
vraiment, car ce qu’il aime c’est son esclavage et non pas ce qu’il est authentiquement. Si les
orgueilleux et les vaniteux délirent, c’est qu’ils aiment les bonnes opinions que les autres
pourraient se faire d’eux et non pas leurs qualités réelles. L’envieux se méprise en réalité, car,
autrement, les qualités d’autrui et les succès qui en résultent ne le feraient pas souffrir et il
n’aurait pas l’envie d’être à la place de l’autre. L’homme conduit par la raison s’aime
authentiquement, car il aime ce qu’il a de positif en lui-même. La connaissance nous unit
également aux autres. Rien ne nous est plus utile que le commerce avec les autres hommes.
Les hommes, unis par la raison, forment une seule communauté dont la seule loi est la
générosité, “désir par lequel chacun s’efforce d’après le seul commandement de la raison
d’aider les autres hommes et de se lier avec eux d’amitié”.
Dès lors, la raison ne réclame rien contre la raison et ne réclame rien qui soit en opposition
avec elle. Elle est aussi un effort vers la vie, vers une vie authentique, effort pour s’aimer plus
efficacement. La vertu n’est pas renoncement et fuite du monde. Il n’y a pas d’au-delà; c’est
ici-bas, dans ce monde, que se joue le problème de notre destinée, de notre bonheur et de
notre malheur. La sagesse exige certes un effort de purification et de réforme de soi-même,
mais il s’agit d’une réforme de notre mode de connaître, rendant possible la transmutation du
regard que nous jetons sur un monde qui reste toujours le même. D’où l’hostilité de Spinoza
vis-à-vis de l’ascétisme qui nous interdit de prendre plaisir. C’est le propre d’un homme sage
d’user des plaisirs autant qu’il peut. La santé et l’épanouissement du corps sont une des
conditions nécessaires au développement de notre pouvoir de compréhension. L’homme
vertueux cherche d’abord et avant tout son utilité propre. Est utile à l’homme, ce qui satisfait
l’effort même de la raison, l’effort pour comprendre, ce qui permet d’accroître son
intelligence.
De même, comme le pensaient déjà les stoïciens, étant donné que nous ne pouvons avoir
le pouvoir absolu sur les choses extérieures, il en résulte que lorsque des événements
défavorables nous arrivent, à condition que nous en comprenions la nécessité, nous les
supporterons, après avoir fait le nécessaire pour y échapper. Le sage est celui qui sait que
l’homme n’est qu’une partie de la nature et que la puissance de l’homme est limitée. Par le
fait qu’il comprend cela, il saisit l’intelligibilité et la nécessité d’un nombre de plus en plus
grand de choses et il trouve une satisfaction absolue dans le vrai. L’homme qui comprend ne
peut désirer que ce qui est nécessaire et trouve son bonheur dans un accord de son
intelligence avec l’ordre de la nature. Il ne s’agit pas d’une morale de résignation, mais d’une
morale d’affirmation de soi. En somme, notre liberté et notre bonheur dépendent uniquement
de la qualité de nos connaissances. Dans la mesure où comprenons les choses, le déploiement
de notre intelligence compense les inconvénients qui peuvent résulter du déterminisme des
choses.
On pouvait aussi évoquer la psychanalyse freudienne qui fait de la connaissance un
véritable instrument de pouvoir sur soi et de liberté (cf. Cours sur la conscience et
l’inconscient).
Transition :
Si la connaissance apparaît comme action et pouvoir sur soi qui nous libère de la servitude
des passions et permet au sujet d’exercer un gouvernement sur lui-même, la théorie et la
spéculation sont-elles néanmoins suffisantes ? Sans doute puis-je me connaître et interpréter
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mes passions ou désirs, sans nécessairement être maître de moi. La connaissance n’est peut-
être pas, malgré ce que nous venons d’établir, un pouvoir et un exercice actif. L’entendement,
la raison ne sont pas les seuls à être concernés. Comment cela est-il possible ? Quelles
seraient alors les autres formes et conditions de la maîtrise de soi ? La question centrale :
“qu’est-ce qu’être maître de soi ?”, subsiste par conséquent et nous invite à envisager une
définition plus riche, plus complexe du pouvoir sur soi.
II) Etre maître de soi, c’est atteindre l’ataraxie
D’où une deuxième définition de la maîtrise de soi que nous fournit la tradition
philosophique : la maîtrise de soi ne consiste pas uniquement dans la connaissance de soi;
elle signifie également un pouvoir de la volonté. Si l’intelligence et l’intellect sont
insuffisants, ne faut-il pas que la volonté, entendue soit comme qualité du caractère
caractérisée pas la fermeté dans la décision, la constance (faire preuve de volonté), soit la
disposition morale à choisir le bien ou à agir conformément à la loi morale (Kant), soit prise
en compte dans la maîtrise de soi ? C’est ce qu’ont réalisé les stoïciens notamment, qui ont
considéré que l’entendement était puissant, mais que la volonté devait aussi intervenir.
A) La maîtrise de soi comme thérapie
Les grands philosophes de l’Antiquité, les épicuriens et les stoïciens surtout, nous
enseignent que la capacité de se maîtriser s’avère vitale ; elle possède une fonction
thérapeutique. Notre équilibre intérieur se trouve, en effet, à la merci de tant d’ennemis
intérieurs (angoisse, insécurité, peur des dieux et de la mort, etc.), ce que souligne Epicure
dans La lettre à Ménécée. Il faut triompher de ces derniers et, pour survivre et être heureux,
acquérir la paix spirituelle ou ataraxie. Le pouvoir sur soi se confond avec une maîtrise des
forces obscures qui nous menacent. La philosophie épicurienne désigne une thérapie de
l’âme, à travers une domination spirituelle dissolvant les puissances qui pourraient dérégler
notre unité psychique.
Comme dans la partie précédente, rappel des grandes lignes de la morale épicurienne telle
qu’elle est exposée dans La lettre à Ménécée. Selon Epicure, le rôle de la philosophie
consiste à savoir rechercher d’une manière raisonnable le plaisir (hédonisme), c’est-à-dire en
fait à rechercher le seul plaisir véritable, le pur plaisir d’exister. Car tout le malheur des
hommes vient de ce qu’ils ignorent le véritable plaisir. Recherchant tous le plaisir, ils ne
peuvent l’atteindre, parce qu’ils ne peuvent se satisfaire de ce qu’ils ont, ou parce qu’ils
recherchent ce qui est hors de leur portée, ou parce qu’ils gâchent ce plaisir en craignant sans
cesse de le perdre. La souffrance des hommes vient pour ainsi dire de leurs âmes, de leurs
opinions vides. D’où la mission essentiellement thérapeutique de la philosophie : soigner la
maladie de l’âme et apprendre à l’homme à vivre le plaisir.
L’éthique épicurienne propose une définition du véritable plaisir et une ascèse des désirs:
l’homme, en supprimant l’état d’insatisfaction qui l’absorbe dans la recherche d’un objet
particulier, est libre de pouvoir prendre conscience de quelque chose d’extraordinaire, le
plaisir de son existence. Cet état de plaisir stable et d’équilibre correspond à un état de
tranquillité de l’âme et d’absence de trouble. La méthode pour atteindre à ce plaisir stable
consiste dans une ascèse des désirs. Si les hommes sont malheureux, c’est qu’ils sont torturés
par des désirs immenses et creux, la richesse, la luxure, la domination. L’ascèse des désirs se
fondera sur la distinction entre les désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels et non
nécessaires, les désirs vides, ceux qui sont ni naturels, ni nécessaires. Epicure prend comme
critère la nature qui par elle-même admet ordre et mesure. Le philosophe restitue au corps sa
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