STRUCTURE DE LA
LETTRE A MENECEE
1) La philosophie (§ 1) comme eudémonisme ( = recherche du bonheur)
- Invitation à philosopher, comme invitation au bonheur.
- Jamais trop jeune ou vieux pour philosopher, c'est-à-dire pour
acquérir la santé de l’âme (ataraxie). La quête de bonheur se
justifie à tout âge. Ce que la philosophie apporte au vieillard
(pratique de la réminiscence affective) et au jeune homme (maturité
précoce face aux incertitudes de l’avenir).
- S’appliquer assidûment à tout ce qui peut nous procurer la
félicité. C'est-à-dire se nétrer de l’idée que le
« tetrapharmakos » (quadruple remède) nous met sur la voie du
bonheur et qu’il nous faut, par conséquent, en méditer longuement
les principes.
2) Les dieux (§ 2)
a/ N’attribuer à la divinité que ce qui convient à son immortalité
et sa félicité. « Car les dieux existent et la connaissance que l’on
en a est évidente ».
b/ Impiété de la foule dont les affirmations reposent sur des
conjectures trompeuses.
(Enjeu : montrer que les dieux ne sont pas à craindre. Argument : en
revenir à la vraie nature des dieux = comprendre qu’ils sont
bienheureux, donc nécessairement indifférents à notre égard. Croire,
comme la foule, que les dieux interviennent dans les affaires
humaines, répondent à nos prières, récompensent les bons et
punissent les méchants relève d’un grossier anthropomorphisme (=
oublier la vraie nature des dieux et se les représenter à l’image
des hommes). Puisque les dieux sont indifférents, nous pouvons et
nous devons vivre comme s’ils n’existaient pas.
3) La mort
a/ « La mort n’est rien pour nous », puisqu’elle est privation de
sensibilité. Cette connaissance nous délivre du vain désir
d’immortalité et des peurs eschatologiques (= la vie après la mort),
permettant ainsi de jouir véritablement de la vie éphémère.
- Réfutation d’une crainte/opinion vaine : la perspective de la mort
pourrait nous gâcher la vie. Il n’y a pas à craindre ce qui ne peut
causer aucun mal (= souffrance).
b/ Opposer sur cette question le point de vue du sage au point de
vue de la multitude.
Rapport contradictoire de la foule à la mort, mais aussi à la vie.
C’est en réalité notre rapport à la vie qui détermine notre rapport
à la mort. Le sage tient à la vie, mais ne craint pas de la perdre
et accepte la mort. Il ne souhaite pas une vie plus longue, voire
illimitée (point de vue quantitatif), mais travaille, dans le temps
qui lui est donné, à réussir sa vie au mieux (point de vue
qualitatif).
c/ Réfutation de deux vaines opinions.
d/ Attitude éthique à adopter face à l’avenir. Ne pécher ni par
optimisme (pour une bonne part, l’avenir ne dépend pas de nous et
nous échappe nécessairement), ni par pessimisme (l’avenir peut nous
être favorable et certains de nos projets sont susceptibles
d’aboutir).
(Enjeu : l’incertitude de l’avenir n’est-il pas nécessairement
facteur d’inquiétude, donc de trouble pour l’âme # ataraxie ? Le
texte statue sur cette question en plusieurs temps : la philosophie
précisément permet d’envisager l’avenir avec plus de sérénité -cf. §
1 cas du jeune homme - ; le sage réduit sa dépendance à l’égard de
la fortune en apprenant à se suffire à soi-même, en particulier en
sachant s’en tenir aux désirs naturels ; d’autre part, il ne fait
dépendre son bonheur que de ce qui dépend de lui, à savoir son
propre jugement. Si « ce qu’on peut souhaiter de mieux dans nos
actions, c’est que la réalisation du jugement sain soit favorisée
par le hasard » (§5,d/), l’essentiel pour le sage est le plaisir
d’avoir à chaque fois décidé et agi au mieux sans s’inquiéter outre
mesure de la réussite de son action dans la mesure celle-ci
dépend des circonstances.)
4) Le bonheur est à notre portée. Bonheur, plaisir et désirs. La
sagesse comme art de bien désirer.
a-e/ De la classification des désirs à la nécessité d’un calcul des plaisirs
-a/ Classification des désirs (naturels ou vains ; naturels et
nécessaires ou non nécessaires).
b/ Bien désirer revient à décliner à travers des désirs particuliers
un désir fondamental, à savoir le désir de bonheur, qui n’est que
désir d’aponie (absence de souffrance du corps) et d’ataraxie
(absence de troubles de l’âme). La recherche du plaisir est
recherche de la cessation de toute sensation douloureuse.
c/ Le plaisir est le souverain bien, « commencement et fin de la fin
heureuse ». (L’eudémonisme comme hédonisme). Légitime de prendre le
plaisir comme but et comme guide (Enjeu : hostilité aux morales
ascétiques qui culpabilisent la recherche du plaisir associée à
l’égoïsme et aux dérives du vice).
d/ Mais une prudente estimation des plaisirs et des peines doit nous
faire parfois préférer certaines douleurs à des plaisirs factices et
de courte durée : car de tels renoncements sont susceptibles de nous
procurer finalement un plaisir plus élevé. (Calcul des plaisirs et
des peines. Tout plaisir est un bien pris isolément, mais dans la
durée, d’un mal (= souffrance) peut naître un bien et inversement.
e-f/Se suffire à soi-même et se contenter de peu. L’hédonisme épicurien n’est pas un
immoralisme débridé.
e/ La véritable richesse consiste à réduire ses besoins. Souci de ne
pas se rendre dépendant par le biais de ce que l’on désire. Besoins
naturels aisément satisfaits, jouissance plus sereine quand
possibilité de s’en passer.
Réfléchir à la nature du plaisir : s’il procède de la cessation de
la souffrance (tension due à la sensation de manque), autant
privilégier les moyens les plus simples (un mets simple calme la
faim aussi bien qu’un mets raffiné) pour obtenir ce résultat.
L’intensité du plaisir tient moins à l’objet désiré qu’à l’intensi
du désir : plaisir intense de boire de l’eau en cas de vraie soif.
L’habitude de se contenter de peu confère quatre avantages : pleine
santé ; disponibilité pour se consacrer aux « devoirs de la vie » ;
intensification du plaisir en tant qu’il n’est pas altéré par la
crainte d’en être privé ; absence de crainte relative aux aléas de
la fortune.
(Enjeu : la liberté - sous la forme de l’indépendance - comme
composante du bonheur.
Possibilité de gagner simultanément en liberté et en jouissance).
f/ Faire du plaisir le souverain bien n’est pas inviter à vivre
comme un débauché, mais à rechercher l’absence de souffrances
corporelles et de troubles de l’âme en prenant pour guide la raison
vigilante, laquelle nous éclaire judicieusement sur ce qu’il faut
choisir et nous tourne des vaines opinions responsables du trouble
de l’âme.
5) La figure du sage. Le bonheur dans la sagesse
a/ La prudence (Phronèsis), sagesse pratique, vertu fondamentale et
source de toutes les vertus. Prudence = capacité à recourir, en
toute circonstance, à la vigilance de la raison pour choisir avec
justesse et ne pas se laisser égarer par de vaines opinions.
- Lien étroit entre bonheur et vertu.
b/ Enonciation des quatre préceptes du quadruple remède
(tétrapharmakos). Enoncé du quatrième précepte : possibilité de
surmonter la crainte de la douleur ; pourquoi tout mal est à
proprement parler « supportable » (quand le corps ne peut en être le
« support », je ne l’éprouve pas : évanouissement, mort).
c/ et d/ La croyance au destin et l’idée que la foule se fait de la
fortune (hasard) aboutissent au même résultat : l’attente craintive.
Le sage ne croit pas au destin et considère que le hasard ne peut
compromettre son bonheur puisque ce qui lui importe le plus, c’est
d’exercer au mieux son jugement en chaque occasion.
Enjeu :
Récuser deux conceptions du cours des choses incompatibles avec le
projet de maîtrise qu’implique la sagesse épicurienne.
•La physique atomiste d’Epicure est libératrice : elle constitue un
instrument précieux à l’encontre de bien des superstitieux. Mais la
physique des « physiciens » , avec sa notion de destin, voue au
désespoir. A cet égard, les croyances superstitieuses des religions
constituent un moindre mal, car si elles engendrent « ténèbres et
terreurs » (Lucrèce) dans les âmes, au moins laissent-elles
subsister une lueur d’espoir : possibilité d’influer sur la volonté
des dieux par des prières ou des actions vertueuses.
•N.B. : la doctrine des physiciens n’est à aucun moment examinée en
termes de vérité ou fausseté, mais uniquement en fonction de sa
capacité à rendre heureux /malheureux. Le critère de valeur d’une
doctrine, d’une théorie ou d’une croyance ne dépend donc pas pour
Epicure de sa vérité, mais la possibilité de l’intégrer comme
composante au bonheur que l’on construit.
6/ Le bonheur vécu du sage
- Invite Ménécée à méditer ces préceptes en lui et avec son
« semblable ». Prétention de la philosophie à apporter la paix avec
soi-même, ce, moyennant un travail permanent sur soi, mais aussi des
échanges réguliers avec autrui dans le cadre d’une amitié.
- L’intériorisation de ces enseignements permet de « vivre comme un
dieu parmi les hommes » car elle conduit à vivre au milieu de
« biens impérissables ».
(Formule provocatrice puisque précisément tout est périssable pour
un matérialiste.)
(La vie du sage, analogue à comme ») celle d’un dieu. Un dieu est
un être « immortel et bienheureux ». La question du bonheur du sage
a déjà largement été évoquée. En quoi sa vie est-elle « comme »
immortelle ? La « prudence » signifie un autre rapport au temps : ni
regret du passé, ni angoisse de l’avenir, ni peur de la mort. Le
sage n’accorde véritablement d’importance qu’à ce qui échappe à la
prise du temps : l’exercice judicieux, en toute circonstance, de sa
propre raison.
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