Phase prodromale du trouble bipolaire

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L’Encéphale (2010) Supplément 1, S8–S12
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Phase prodromale du trouble bipolaire
Prodromal phase in bipolar disorder
E. Fakra*(a), A. Kaladjian(a), D. Da Fonseca(b), M. Maurel(a), M. Adida(a),
N. Besnier(a), D. Pringuey(c), J.-M. Azorin(a)
(a) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 09
(b) Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 09
(c) Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale. Abbaye de St Pons, Pôle des Neurosciences Cliniques, CHU
Pasteur, Nice
Mots clés
Prévention
secondaire ;
Intervention
précoce ;
Trouble bipolaire ;
ADHD
KEYWORDS
Secondary
prevention ; Early
intervention ; Bipolar
disorder ; ADHD
Résumé La phase prodromale, décrite généralement comme une étape subsyndromique précédent
l’entrée dans la maladie, présente un intérêt essentiellement dans la prévention secondaire. Jusqu’à
présent, les recherches cliniques en santé mentale portant sur ce thème se sont essentiellement tournées
vers la schizophrénie. Sur les dernières années, certains travaux ont appliqué des méthodes similaires
afin de caractériser une phase préclinique dans les troubles bipolaires. Malgré le fait que cette stratégie
semble moins adéquate dans les troubles bipolaires, ces études ont toutefois pu démontrer l’existence
de signes prodromiques chez une majorité de patients. Cependant, les symptômes formant cette phase
prodromale n’apparaissent pour le moment ni suffisamment caractéristiques, ni suffisamment spécifiques
pour pouvoir donner lieu à des instruments de dépistage adéquats, ou pour susciter des recommandations
précises de prise en charge. La tactique consiste alors à se baser à la fois sur la notion de haut risque
génétique et de s’appuyer sur des symptomatologies limitrophes des critères des classifications actuelles
pour cerner les sujets candidats à une intervention précoce. Pourtant, même dans ce cadre, un traitement
pharmacologique ne semble pas montrer un avantage évident en termes de prévention.
Abstract The prodromal phase is generally described as a subsyndromal stage preceding the disease
onset. The characterization of such phase founds its main purpose in secondary prevention. Up to now,
clinical research relating to this topic in mental health has primarily focus on schizophrenic disorders.
Over the last years, some studies have applied similar methods in order to characterize a preclinical
phase in bipolar disorders. In spite of the fact that this strategy appears less adequate in bipolar disorders,
these studies have demonstrated the existence of prodromal signs in a majority of patients. However,
these features appear for the moment neither sufficiently characteristic, nor sufficiently specific to
allow the construction of suitable assessment instruments, or to suggest precise guidelines in the
management of these subjects. Also, these prodromal features show considerable overlap with other
psychiatric disorders, especially attention-deficit hyperactivity disorder (ADHD) and schizophrenia
Interestingly, a limited number of studies have looked at the number of patients considered in a prodromal
phase of schizophrenia which later developed a bipolar disorder and reported substantial proportions of
subjects in this case, further highlighting the obvious bias in favor of schizophrenia in the actual
prevention politics. In order to identify potential candidates at a prodromal phase of bipolar disorders
that could benefit from early intervention, studies have relied on both high genetic risk and symptoms
at the boundary of the actual classification. However, even within such approach, pharmacological
treatments have not proven obvious advantage in terms of prevention. It is suggested that adopting a
more longitudinal vision of the disease and, given the mean age of onset of bipolar disorder and a fortiori
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
Phase prodromale du trouble bipolaire
S9
of its prodromal phase, a more developmental perspective of individuals, could help lowering the
confusion in this field ; Also, given the considerable overlap in prodromal features between different
psychiatric disorders, early detection programs could benefit from implementing approach open to
multiple diseases assessment, rather than hyper-specialization in a specific disorder.
Introduction
Afin de mieux délimiter le champ de cet article, il paraît
important de différentier la phase prodromale d’une part
des signes prémorbides des troubles bipolaires (cf. article
Da fonseca et Fakra dans ce numéro) et d’autre part du premier épisode thymique (cf. article Kaladjian et al. dans ce
numéro). Les symptômes prodromiques, qui constituent la
phase prodromale, sont des signes précurseurs qui vont inéluctablement aboutir à l’entrée dans la maladie. Dans le
champ de la santé mentale, cette phase est souvent conçue
comme une étape préclinique où la symptomatologie est
présente mais ni assez caractéristique, intense et/ou durable pour remplir formellement les critères de la pathologie.
Il est bien entendu que l’enjeu essentiel du repérage de
cette phase est de proposer une prise en charge qui pourrait
différer, voire enrayer la survenue des troubles. Il s’agit donc
d’un objectif de prévention secondaire que nous avons proposé de plus largement traiter dans cet article.
La prévention secondaire est un thème médical interdisciplinaire pour lequel un certain nombre de critères ont
été fixés [3]. Ces critères servent à déterminer s’il est
avantageux ou non de mettre en place un plan de dépistage
et de traitement précoce de la maladie à large échelle.
Ainsi, il est nécessaire que 1) la maladie ait un impact
important en termes de santé publique. Ensuite, il faut
bien évidemment 2) qu’une phase préclinique existe et soit
adéquate, c’est-à-dire assez longue et caractéristique pour
permettre des tests de dépistage et des traitements préventifs. Bien sûr il faut que 3) des tests de dépistages existent et que ceux-ci fournissent des qualités psychométriques
suffisantes afin de détecter la maladie. Enfin il faut que ce
programme présente une acceptabilité en termes de 4) coût
pour la société, mais également 5) de stigmatisation pour
l’individu et la population concernée. Ces questions ont été
relativement peu examinées dans le domaine de la santé
mentale où la schizophrénie reste sans doute la pathologie
la plus explorée. Après un état des lieux rapide des données
actuelles dans la schizophrénie, nous nous proposons
d’aborder plus en détail ce thème dans les troubles bipolaires, tout en pointant les difficultés rencontrées dans le
cadre de cette pathologie.
Prévention secondaire en santé mentale :
l’exemple de la schizophrénie
Parmi les troubles retrouvés dans le champ de la santé
mentale, la schizophrénie a certainement été la maladie
pour laquelle la question de la prévention a été la plus
explorée. Ainsi les premières études rétrospectives à large
échelle ont pu confirmer l’existence d’une phase préclini-
que étendue, en moyenne de 2 à 5 ans, où s’installent les
signes prodromiques [19]. Ceux-ci sont constitués d’abord
de signes non spécifiques, c’est-à-dire thymiques, anxieux,
comportementaux ainsi que de symptômes plus proches de
la lignée négative (retrait social, isolement, anhédonie).
Puis, plus tardivement, apparaissent des symptômes de la
lignée positive (idées bizarres, délirantes, hallucinations).
Parallèlement, des arguments d’ordre clinique [16], neuropsychologique [26] et neuroanatomique [22] indiquent
qu’une phase précoce incluant les premières années d’évolution des troubles avec, très certainement, la phase prodromale constituerait une période critique ou s’installerait
l’essentiel de la détérioration de la maladie [1]. De surcroît, il semblerait que la rapidité de mise en place d’un
traitement antipsychotique lors de l’émergence des troubles psychotiques, ou en d’autres termes, la diminution de
la durée de psychose non traitée (DUP : duration of untreated psychosis), constituerait un facteur de bon pronostic de
la maladie [18]. Le pas a été facilement franchi et ces
développements ont pu être extrapolés à la phase prodromale de la pathologie, avec l’idée que la marge de prévention serait encore plus importante lors d’une intervention
plus précoce. Certains auteurs ont même proposé que
l’état psychotique en lui-même pouvait être à l’origine
d’une neurotoxicité [28] (mais voir [20]), renforçant l’argumentaire d’une intervention précoce. Toutefois, même
dans ce cadre de la schizophrénie, l’intérêt réel de mise en
place d’une politique de prévention à large échelle apparaît encore tributaire de la capacité des futures études à
démontrer la robustesse de deux points qui restent actuellement vacillants : le développent et l’applicabilité d’instruments de dépistage adéquats, et la démonstration de
l’efficacité des traitements durant cette phase prodromale
[24].
Prévention des troubles bipolaires
La question de la prévention secondaire des troubles bipolaires a suscité comparativement beaucoup moins d’engouement. Les modèles actuels s’influencent largement
des stratégies utilisées dans la schizophrénie, en transposant la prévention du premier épisode psychotique au premier épisode maniaque. Il existe pourtant de nombreux
obstacles prédisant que la simple reproduction de ces stratégies pourrait s’avérer bien moins pertinente dans le cadre
des troubles bipolaires. Tout d’abord, contrairement à la
schizophrénie, la maladie bipolaire se caractérise par deux
pôles comportant des symptômes d’expression opposée.
Les prodromes pourraient donc être très différents selon le
mode d’entrée dans la maladie, maniaque ou dépressif. Par
ailleurs, seul l’épisode maniaque définit véritablement
S10
l’entrée dans la maladie. La détection de signes prodromiques pourrait donc s’avérer beaucoup plus complexe pour
les formes cliniques de la pathologie où le premier épisode
se révèle être un épisode dépressif, voir pour les formes
s’apparentant durant les premières années à des troubles
dépressifs récurrents. Aussi, contrairement à la schizophrénie, les symptômes généralement rencontrés dans les troubles bipolaires peuvent, lorsqu’ils sont modérés, se
confondre plus facilement avec les fluctuations thymiques
rencontrées dans la population générale. Ainsi, si l’on s’attend à retrouver dans la phase prodromale des formes
symptomatiques atténuées de la pathologie, les prodromes
des troubles bipolaires seraient moins discriminatifs et
remarquables que ceux de la schizophrénie. En effet, les
symptômes de bizarrerie, d’étrangeté du comportement et
les symptômes positifs sont sans doute beaucoup plus facilement discriminants que des symptômes maniques ou
dépressifs à minima. Enfin, les troubles bipolaires n’évoluent pas d’un seul tenant. Par définition, les épisodes thymiques sont entrecoupés de périodes intercritiques avec
une rémission souvent considérée comme complète. Il est
donc possible que, comme les épisodes thymiques, les prodromes puissent d’abord être suivis par un rétablissement
complet avant une entrée dans la maladie. Dans ce cas, la
phase prodromale ne débouchant pas directement sur la
maladie, sa détection serait donc moins aisée.
Existence d’une phase préclinique ?
L’existence même d’une phase prodromale dans les troubles
bipolaires reste encore une question débattue. Deux types
d’études, prospectives et rétrospectives, ont tenté de
répondre à cette question avec un succès partagé. Une des
premières études rétrospectives ayant exploré cette question s’est basée sur un questionnaire portant sur les signes
précédant l’entrée dans la maladie de 500 personnes souffrant de troubles bipolaires, toutes faisant partie d’une
association de patients (National Depressive and ManicDepressive Association) [17]. Les résultats montraient
qu’une minorité d’entre eux (autour de 30 % pour les signes
les plus fréquents) rapportaient des troubles thymiques,
comportementaux ou beaucoup plus rarement, des symptômes psychotiques à type d’idées de persécution. Toutefois,
étant donné l’âge moyen d’entrée dans la maladie (17,5 ans)
[14] et la possibilité que les prodromes puissent précéder
l’entrée dans la maladie de plusieurs années, certains
auteurs ont proposé d’ajouter une dimension développementale à cette différentiation des possibles signes prodromiques. Ainsi, certaines constellations de signes prodromiques
pourraient être distinguées en fonction de l’âge du sujet
[8]. Plus en avant, une autre étude a tenté cette fois-ci de
discriminer en fonction de l’âge les symptômes prodromiques les plus caractéristiques de la maladie bipolaire [9]. En
appliquant un recueil de données similaire, c’est-à-dire
fondé sur des auto-questionnaires adressés aux parents
d’enfants souffrant soit de troubles bipolaire soit, dans
cette étude, de trouble de l’hyperactivité avec déficit de
l’attention (THADA) ou non malade, il apparaissait qu’une
association de signes incluant des troubles du caractère,
E. Fakra et al.
une impulsivité, une irritabilité, une hyperactivité et un
accroissement des comportements agressifs permettait de
différentier le plus précocement les enfants souffrant de
troubles bipolaires des autres groupes. Les groupes de symptômes comprenant les symptômes maniaques et dépressifs
pouvaient également séparer les groupes, mais à un âge plus
tardif (à partir de l’âge de 7/8 ans). Il est à noter cependant
qu’aucun taux de prévalence n’était noté dans cette étude
et la nuance entre signes prodromaux et signes prémorbides
paraît ici peu claire.
Une autre critique méthodologique de ces études est
que les réponses peuvent être biaisées ou limitées par la
nature même du questionnaire remis aux patients ou aux
parents, et qu’il existe peu d’indications sur la durée, l’intensité et l’impact de ces symptômes. Une étude plus
récente a tenté de répondre à ces limitations en proposant
un entretien semi-structuré (BPSS the Bipolar Prodromal
Symptom Scale) tentant de mieux cerner les signes prodromiques chez 52 enfants et adolescents avec un diagnostic
récent de troubles bipolaires, en particulier en évaluant la
fréquence, la sévérité, la durée et le moment de survenue
des symptômes [6]. Les résultats assez surprenant de cette
étude ont permis de conforter la notion de phase prodromale dans les troubles bipolaires. Ainsi, en considérant uniquement les symptômes d’intensité au moins modérée,
cette étude montre qu’une majorité des patients traversent une phase symptomatique préclinique avant la survenue du premier épisode maniaque. La symptomatologie
durant cette phase comprend des signes non-spécifiques
tels qu’une diminution du travail scolaire ou professionnel
(65 %), une labilité émotionnelle (58 %), des crises clastiques (48 %), un isolement social (44 %) ; des signes dépressifs subsyndromiques tels qu’une tristesse de l’humeur
(54 %), une anhédonie (40 %), un sentiment de dévalorisation (33 %) et des symptômes maniaques atténués tels
qu’une irritabilité (61 %), une hyperactivité (50 %) et une
agitation psychomotrice (48 %).
Enfin quelques études prospectives ont tenté d’examiner le taux de conversion de sujets supposés être en phase
prodromale. Ces travaux ont généralement calqué la définition de leur phase prodromale sur la classification DSM IV.
La plus large étude à ce jour [15] a inclus 893 adolescents
examinés une première fois (âge moyen 16,8 ans), puis
8 ans plus tard. 48 sujets dans cette cohorte présentaient
une phase prodromale définie comme une période distincte
et persistante d’humeur anormale, élevée, expansive ou
irritable et au moins un critère B (DSM IV) de la manie.
Parmi ces sujets, une personne a effectivement développé
une manie et 20 personnes ont présenté par la suite un épisode dépressif majeur. Une autre étude plus récente [2] a
choisi des critères plus sévères de phase prodromale. Les
92 enfants et adolescents suivis sur une période de 2 ans
présentaient les critères DSM IV d’un trouble bipolaire non
spécifié, c’est-à-dire se différentiant de l’épisode maniaque uniquement par la durée des symptômes. Par la suite,
25 % des sujets ont développé un trouble bipolaire de
types 1 ou 2. De manière intéressante, le fait d’avoir un
parent bipolaire n’augmentait pas le risque de développer
un trouble bipolaire chez l’enfant observé.
Phase prodromale du trouble bipolaire
Spécificité de la phase prodromale ?
Bien que la présence d’une phase prodromale semble assez
fermement établie pour une majorité de patients, il semble
pourtant, à la vue des symptômes formant cette phase préclinique, que la question de la spécificité d’une part dans la
population générale mais également parmi les autres troubles
psychiatriques, reste entière. Le diagnostic différentiel le
plus problématique lors de l’enfance et l’adolescence est sans
doute le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention [12].
La complexité à différentier ces deux troubles semblent
encore s’accentuer lorsqu’il s’agit de distinguer leurs phases
prodromales respectives. En effet, une étude récente qui a
tenté de répondre directement à cette question montrait
que, bien qu’il existait quantitativement plus de signes prodromaux chez les patients THADA que chez les patients souffrant de troubles bipolaires, il était impossible d’isoler les
deux troubles sur la base de leur phase prodromale [23]. De
manière fort intéressante, il est toutefois à noter que certaines études décrivent une comorbidité particulière entre troubles bipolaires et THADA dans certaines familles [5, 25]. Ainsi
cette association distincte pourrait constituer une forme singulière de troubles bipolaires marquée par une forte hérédité
et une apparition des troubles plus précoce. Dans cette forme,
les troubles débuteraient invariablement par le THADA pour
ensuite donner suite aux troubles bipolaires. Outre le fait que
dans le cadre de cette forme atypique, le THADA peut être
considéré comme constituant la phase prodromale de la maladie, cette association interroge également les interrelations
entre ces deux troubles, ainsi que leur éventuelle ethiopathogénie commune. L’autre diagnostic différentiel qui peut
s’avérer particulièrement délicat chez l’adolescent et
l’adulte, est celui de la schizophrénie. Certains signes prodromiques ont pu être rattachés plus fréquemment à l’une ou
l’autre de ces pathologies, comme par exemple une anxiété
réactionnelle [21] ou des symptômes de dépression, de désorganisation ou de manie [13] qui serait plus régulièrement
retrouvés chez les patients bipolaires que chez les patients
schizophrènes. Mais ici encore, les symptômes dans les deux
troubles semblent entièrement se chevaucher. Il est intéressant de noter à cet égard que le parti pris évident pour la
recherche clinique en faveur de la prévention de la schizophrénie plutôt que des troubles bipolaires a entraîné un biais
dans l’observation même des résultats. Ainsi, aux vues du
manque de spécificité de cette phase prodromale, on pourrait
s’attendre à ce que parmi les sujets présentant des prodromes de la schizophrénie, certains puissent développer des
troubles bipolaires plutôt qu’une schizophrénie. Étonnamment,
très peu d’études rapportent de tel cas de conversion. Deux
études font exception : un premier article [27] rapporte le
développement (sur une période d’1 an) d’un trouble bipolaire chez 3 des 47 sujets à haut risque génétique et symptomatique pour la schizophrénie examinée dans cette étude.
Les auteurs rapportent avoir observé initialement chez ces
3 patients une humeur dépressive, une fluctuation de l’humeur, un isolement social, une agitation psychomotrice, une
irritabilité, des difficultés de concentration et des troubles du
sommeil. Dans une deuxième étude plus récente [7],
26 patients considérés à haut risque pour la schizophrénie
S11
(c’est-à-dire présentant un trouble psychotique bref ou un
trouble psychotique non spécifié) étaient observés sur une
période de 6 mois. Parmi eux, 7 développèrent une schizophrénie et 4 un trouble bipolaire. Ces résultats illustrent une fois
de plus la similarité entre phases prodromales des deux troubles, et évoquent également la possibilité, voire la nécessité,
d’adopter des stratégies communes de prévention.
Traitement de la phase prodromale ?
Étant donné l’absence de spécificité de cette phase prodromale ainsi que les difficultés à proposer des instruments de
dépistage qui pourraient avoir une valeur prédictive positive satisfaisante, très peu d’études ont tenté d’évaluer des
traitements durant cette phase. Ces études ont bien évidemment maximalisé les chances de recruter des sujets au
cours d’une phase préclinique en sélectionnant des personnes à haut risque génétique et souffrant de symptômes
affectifs (enfants présentant une « cyclotoxie »). La présence de symptômes d’intensité importante justifiait éthiquement un traitement, ou un essai comparatif de
traitements. Une première étude suggère que le valproate
aurait une efficacité sur les symptômes affectifs [4].
Toutefois une deuxième étude randomisée [10] montre que
cette molécule ne présenterait pas plus de bénéfice que le
placebo. Cependant, si ce dernier résultat était indéniable
pour les enfants ayant un parent souffrant de troubles bipolaires, les enfants ayant leurs deux parents souffrant de
troubles bipolaires restaient plus longtemps dans l’étude
lorsqu’ils étaient sous divalproate, indiquant donc un effet
supérieur de ce traitement par rapport au placebo mais
limité aux sujets à très haut risque génétique. Enfin, une
dernière étude avec randomisation en double aveugle [11]
proposait de déterminer si un traitement par lithium chez
des enfants avec des antécédents familiaux de troubles
bipolaires et présentant un épisode dépressif majeur serait
plus efficace que le placebo, avec l’idée que ces patients à
haut risque de développer un trouble bipolaire avéré de
type 1 serait plus sensible à ce traitement. Aucune différence n’a pu être observée entre les deux groupes. Au total,
il semble donc que les preuves d’efficacité d’un traitement
pharmacologique durant la phase prodromale semblent pour
l’instant très limitées, mais bien sûr une large partie de
cette incertitude réside dans le fait que les critères de
phase prodromale proposés dans ces études sont très restrictifs. Aussi en sélectionnant des sujets ayant au moins un
de leurs parents souffrant de troubles bipolaires, le risque
pour le sujet de développer un trouble bipolaire est certes
plus élevé. Par contre, il pourrait alors s’agir de formes à
forte composante génétique qui serait minoritaires et pas
forcement représentative de l’ensemble des troubles bipolaires, notamment en termes de réponse au traitement.
Conclusions
Au total, il semble que bien qu’une phase prodromale semble effectivement exister chez les patients souffrant de
troubles bipolaires, les symptômes manifestés durant cette
phase ne seraient ni suffisamment caractéristiques, ni suffi-
S12
samment spécifiques pour donner lieu à des recommandations générales. Il reste qu’à un niveau individuel,
l’association d’antécédents familiaux importants avec des
symptômes affectifs justifie une intervention précoce. À cet
égard, il serait intéressant que des travaux sur l’action d’alternatives non pharmacologiques (psychothérapie, psycho­
éducation) durant cette phase puissent aider les cliniciens à
adopter la prise en charge la plus adéquate. Un des grands
obstacles qui semble limiter la portée de la recherche clinique actuelle est la difficulté à adapter des outils de dépistage au système de classification actuel. En effet,
particulièrement durant cette phase très précoce, la critériologie des troubles bipolaires semble impuissante à tenir
compte de la physiopsychopathologie du trouble et de l’aspect développemental du sujet. On remarque ainsi que les
outils de dépistage sont dès lors entièrement articulés autour
des délimitations de ces critères, plutôt que sur une vision
longitudinale du trouble, mêlant probablement ainsi des
populations très différentes de patients et de sujets à risques. Enfin, la constatation d’un chevauchement des symptômes prodromiques de plusieurs pathologies psychiatriques
incite également à raisonner cette question en terme plus
global et non en sur-spécialisation de la discipline comme
cela semble être le cas actuellement. Cette alternative,
proposée par certaines équipes, pourrait présenter l’avantage non seulement d’optimiser l’effort fourni à la mise en
place des programmes de prévention mais également de
renseigner plus avant sur la vulnérabilité au moins en partie
partagée par certains troubles psychiatriques.
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