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I Maladies
Prurit sine materia
F. CAMBAZARD et L. MISERY
Le prurit se définit comme « une sensation déplaisante qui provoque le désir de se gratter » [1]. Le prurit sine materia correspond à un prurit sans
dermatose associée et peut être aigu ou chronique [4,6]. Il peut survenir au cours de nombreuses circonstances : terrain atopique, cholestase ou
insuffisance rénale, maladies générales (hémopathies, maladies endocriniennes, etc.). Il peut également être induit par des agents exogènes (produits
chimiques, médicaments) ou encore être neurogénique ou psychogénique.
PHYSIOPATHOLOGIE
Les mécanismes du prurit sont moins bien connus que ceux de la douleur. Ainsi l’existence d’un récepteur spécifique est-elle discutée. Le prurit
semble naître dans les terminaisons nerveuses libres épidermiques ou sous-épidermiques. L’influx est ensuite conduit par les fibres Ad et surtout C,
puis suit les voies habituelles de la sensibilité et est transmis par les neuromédiateurs. L’intégration centrale est importante mais le centre du prurit
n’est pas clairement identifié. Un contrôle de porte existe probalement à différents niveaux, comme pour la douleur. D’ailleurs, le prurit sénile, mais
peut-être aussi le prurit diabétique et certains prurits neurologiques semblent être liés à une désafférentation.
L’histamine est loin d’être le seul médiateur impliqué dans le prurit et peut même ne jouer aucun rôle dans certains cas. La substance P, la
sérotonine et les prostaglandines ont un rôle pathogène important. Les morphiniques naturels (ou exogènes), les cytokines telles que l’interleukine 2
et l’interféron a,? ou encore certaines protéases (trypsine, papaïne) ou kinines (kallicréine, bradykinine) peuvent induire un prurit.
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
L’examen clinique montre les lésions de grattage (nombre, profondeur, localisation et disposition), des papules ou des nodules de prurigo, des
lésions de dermographisme, des lichénifications. Les signes cutanés ou généraux associés vont guider le diagnostic étiologique. Un aspect vernissé
des ongles est en faveur d’un prurit ancien et intense.
L’interrogatoire doit essayer de bien discriminer ce qui relève vraiment du prurit de ce qui correspond à des paresthésies ou des dysesthésies. Il doit
préciser les caractères du prurit :
date et mode de début (brutal ou progressif) ;
facteurs déclenchants (stress, irritants…) ;
évolution (aiguë, paroxystique ou chronique) ;
chronologie (heure de la journée, période de l’année) ;
intensité (gêne dans le travail, la vie quotidienne, la vie affective ou le sommeil) ;
topographie et extension ;
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facteurs aggravants (hypersudation, sport, bains, douches, repas) ou calmants (froid, détente) ;
contexte associé (maladies, toxiques) ;
liens avec des signes objectifs (avant, pendant ou après signes cutanés) ;
existence ou non d’un prurit collectif ;
effets des traitements.
Le diagnostic est en général posé grâce à l’interrogatoire et l’examen clinique. Selon leurs données, des examens complémentaires seront
demandés :
une biopsie cutanée ;
des examens biologiques : NFP, numération CD4/CD8, vitesse de sédimentation, protéine C réactive, urée, créatinine, bilan hépatique, glycémie à
jeun, calcémie, fer sérique, ferritine, TSH, électrophorèse et immuno-électrophorèse des protéines, sérologies VIH, VHA, VHB, VHC, amibe, douve,
Toxocara ;
un examen parasitologique des selles ;
une radiographie thoracique et une échographie abdominale.
Il est important de mener une enquête étiologique approfondie car le traitement du prurit est avant tout celui de sa cause
ÉTIOLOGIES
ORIGINE MÉDICAMENTEUSE
La liste des médicaments susceptibles d’induire un prurit sine materia est très longue. Il faut avoir le réflexe de prendre le dictionnaire Vidal® et de
rechercher tous les médicaments pris par le malade. La suppression d’un médicament peut alors permettre la disparition du prurit, mais il faut alors
savoir attendre plusieurs semaines.
PRURIT URÉMIQUE
Le prurit urémique est lié à une insuffisance rénale chronique mais pas aiguë. Il est localisé une fois sur deux. Le traitement est difficile ;
l’érythopoïétine, les émollients, les antihistaminiques, la cholestyramine ou l’héparine donnent des résultats très décevants. Le charbon activé à 6 g/j
serait efficace. Les antagonistes des récepteurs de type 3 de la sérotonine ont un intérêt dans les prurits d’origine rénale. La photothérapie UVB
permet souvent une diminution du prurit mais son utilisation doit être limitée chez ces patients immunodéprimés par l’insuffisance rénale et
d’éventuels traitements immunosuppresseurs. La ciclosporine permet parfois de diminuer l’intensité du prurit. La transplantation rénale permet la
disparition du prurit bien mieux que la dialyse.
PRURIT CHOLESTATIQUE
Le prurit est un signe précoce de cholestase chronique et précède parfois de plusieurs années les autres signes, cutanés ou non, des hépatopathies.
Il s’intensifie la nuit et s’accompagne souvent d’une pigmentation cutanée respectant la zone médio-dorsale. Les principales causes de prurit
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Il s’intensifie la nuit et s’accompagne souvent d’une pigmentation cutanée respectant la zone médio-dorsale. Les principales causes de prurit
cholestatique sont les hépatites virales et médicamenteuses et la cholestase de la grossesse. Il peut aussi être lié à une lithiase biliaire, une
pancréatite, une cirrhose biliaire primitive, une cholangite sclérosante primitive ou encore à une origine néoplasique, notamment les cancers du
pancréas, les métastases hépatiques et pancréatiques. La cirrhose éthylique et l’hémochromatose ne s’accompagnent habituellement pas de prurit.
En plus du traitement de l’étiologie, la cholestyramine (Questran®) est le traitement de référence, à la dose de trois sachets par jour. Une
amélioration est obtenue en 3 à 4 jours. Le traitement est contre-indiqué en cas d’obstruction complète des voies bilaires. Les effets secondaires
sont nombreux. On peut aussi préconiser les barbituriques ou surtout la naltrexone (Nalorex®, 50 mg/j) et la photothérapie. Des rémissions sous
traitement par des anti-émétiques de la classe des sétrons ont également été rapportées.
PRURIT HÉMATOLOGIQUE
Le prurit généralisé est un signe classique (30 p. 100 des patients) et précoce des lymphomes, en particulier de la maladie de Hodgkin. Il est
souvent plus intense la nuit et généralement classé, à tort, comme un prurit psychogène ou un prurigo nodulaire, il serait de mauvais pronostic. Il
s’associe souvent à des sueurs et disparaît lors des rémissions.
Au cours des polyglobulies, le prurit est souvent aquagénique ou lié à la chaleur. Il peut précéder le diagnostic de plusieurs années. Le traitement est
étiologique, mais aussi symptomatique par l’aspirine ou surtout la PUVAthérapie.
Les mastocytoses cutanées et systémiques peuvent s’accompagner de prurit, même en l’absence de lésion spécifique, du fait de la libération de
nombreux médiateurs, en particulier de l’histamine. Le traitement repose donc sur les antihistaminiques et/ou les traitements visant à diminuer la
charge mastocytaire (PUVAthérapie).
PRURIT PARANÉOPLASIQUE
Le prurit est rare au cours de cancers (0,67 p. 100). Les prurits peuvent être associés à des cancers « solides », essentiellement lorsqu’il y a
blocage des voies biliaires. Les tumeurs cérébrales peuvent s’accompagner d’un prurit généralisé ou, curieusement, limité au nez. Les carcinomes du
poumon anaplasiques à petites cellules peuvent exceptionnellement être à l’origine d’un prurit, par la sécrétion inappropriée de PTH. Le syndrome
des néoplasies endocriniennes multiples de type 2 peut être associé à un prurit localisé (amyloïdose cutanée ou notalgie paresthésique). Un prurit
généralisé a été observé au cours de tumeurs carcinoïdes, de cancers du sein, de la prostate, de l’utérus ou de la thyroïde, mais il s’agit de cas
isolés et l’on ne peut exclure une simple coïncidence.
PRURIT ENDOCRINIEN
Fréquent, le prurit gravidique est souvent associé à la cholestase et bénin, bien qu’invalidant. Il est surtout présent en fin de grossesse et guérit
quelques jours (parfois plus) après l’accouchement. Un prurit de ce type peut aussi être observé lors de la prise d’œstroprogestatifs ou lors du
syndrome prémenstruel.
L’hyperthyroïdie s’accompagne d’un prurit dans 10 p. 100 des cas. Il peut être isolé ou associé à une urticaire. L’hypothyroïdie peut s’accompagner
d’un prurit lié à la sécheresse cutanée.
Le diabète est une cause classique mais finalement rare de prurit sine materia généralisé. Le prurit serait plutôt associé à des hyperglycémies
modérées. Des démangeaisons localisées liées à une candidose semblent plus fréquentes. Les hyper- et hypoparathyroïdies peuvent être associées
à un prurit.
PRURIT D’ORIGINE MÉTABOLIQUE
Le prurit associé à une hypercalcémie survient généralement dans un contexte d’hyperparathyroïdie alors que celui lié à l’hyperuricémie est en fait
toujours lié à une hémopathie.
La carence en fer est une cause relativement fréquente de prurit, généralisé ou ano-génital. Le prurit précède ou accompagne l’anémie.
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PRURIT NEUROLOGIQUE
Plusieurs maladies du système nerveux central peuvent donner lieu à un prurit : tumeurs cérébrales, sclérose en plaques, accidents vasculaires
cérébraux et anévrysmes, abcès cérébraux, lésions ou compressions médullaires.
Au cours de la notalgie paresthésique, il existe un prurit et/ou des paresthésies localisés dans le dos. Des atteintes similaires ont été décrites dans
d’autres régions, comme par exemple la cruralgie paresthésique. Le traitement électif est la capsaïcine topique à raison de deux applications par jour.
PRURIT D’ORIGINE INFECTIEUSE
Au cours de l’infection par le VIH, le prurit est un signe fréquent, isolé ou associé à des signes cutanés variés. Un prurit isolé doit systématiquement
faire rechercher une infection par le VIH. Les prurits associés au VIH sont généralement traités par la photothérapie.
Un prurit isolé ou seulement associé à une hyperéosinophilie doit faire rechercher une parasitose : anguillulose, filariose, ascaridiose, oxyurose,
trichocéphalose, trichinose, larva migrans, distomatose, bilharziose, échinococcose, kyste hydatique, tæniase.
PRURIT AQUAGÉNIQUE
Survenant après le contact avec l’eau, il peut être isolé ou associé à une polyglobulie, à un syndrome hyperéosinophilique, à une leucémie
lymphoblastique ou à une myélodysplasie, ces hémopathies pouvant se révéler des années après le début du prurit. L’alcalinisation de l’eau peut
être utile (25 à 200 g de bicarbonate de soude dans une baignoire). Le prurit aquagénique peut être traité par anti-H1, photothérapie UVB ou UVA,
aspirine, propanolol ou capsaïcine topique.
PRURIT SÉNILE
Ce diagnostic est posé chez un sujet de plus de 70 ans, après avoir éliminé toutes les autres causes. Le prurit est déclenché par les stimuli
habituels (chaleur, laine, etc.) ou permanent. Sa physiopathogénie est discutée : sécheresse cutanée ?, désafférentation ?, accumulation de déchets
métaboliques dans la peau ou les nerfs ? Son traitement est pratiquement impossible, alors que son retentissement physique (prurigo) ou psychique
(dépression) peut être très important.
PRURIT PSYCHOGÈNE
Ce diagnostic doit être posé après l’élimination de toute cause organique et avec des éléments cliniques en faveur d’un trouble psychiatrique. Il doit
être systématiquement évoqué avec le patient, qui a souvent une opinion, justifiée ou non mais toujours intéressante. Le prurit psychogène peut être
isolé, associé à une carence affective, parfois à des signes de dépression ou plus rarement d’hypocondrie, d’anorexie mentale, d’hystérie ou de
psychose.
Un traitement par hydroxyzine ou doxépine est souvent efficace. On peut y associer des émollients ou apprendre au patient à remplacer le geste de
grattage par l’application d’un antiprurigineux. Une psychothérapie ou un traitement psychotrope peuvent être entrepris.
Quoiqu’il en soit, il existe une composante psychique pour tout prurit, organique ou non, dans la mesure le vécu d’un prurit est très variable d’un
sujet à l’autre et souvent sans rapport avec l’intensité supposée en fonction de l’étiologie.
TRAITEMENT
Dans la mesure du possible, il faut bien entendu supprimer la cause du prurit et commencer par un traitement étiologique. Certains traitements
symptomatiques seront eux aussi décidés en fonction de l’étiologie (voir ci-dessus).
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CONSEILS HYGIÉNO-DIÉTÉTIQUES
Il faut aussi éviter tout ce qui peut favoriser l’apparition ou l’exacerbation du prurit. Pour la toilette, il faut préférer les douches courtes aux bains,
éviter les détergents et les savons acides et privilégier les savons surgras ou alcalins. Des émollients doivent être appliqués après la toilette et les
applications peuvent être renouvelées dans la journée. Le coton est mieux adapté que d’autres textiles, en particulier la laine. Les vêtements trop
serrés ou trop chauds doivent être évités. Les excitants (alcool, café, thé, épices), les boissons chaudes et les fruits acides favorisent aussi le prurit.
Afin d’éviter les lésions de grattage, les ongles doivent être coupés courts.
TRAITEMENTS LOCAUX
Les antiprurigineux locaux apportent souvent un soulagement temporaire mais appréciable. En cas de prurit paroxystique, il faut apprendre au
malade à remplacer le grattage par leur application, ce qui peut permettre de casser le cercle vicieux prurit-grattage-prurit.
L’eau fraiche est le plus simple des antiprurigineux locaux. Des préparations magistrales à base de camphre, de menthol ou de phénol peuvent être
prescrites, ainsi que des produits commercialisés (Gel de Calamine®, Sédax®, Sédagel®, Trixera®, Pruriced®, Hydralin®, etc.). Ces produits
contiennent souvent du glycocolle, de la calamine ou des acides gras essentiels.
La capsaïcine [5] est très efficace. Elle n’est pas encore commercialisée en France mais des préparations magistrales sont possibles (teinture de
Capsicum Dolisos® 12,5 g et vaseline 37,5 g). Les premières applications sont un peu douloureuses mais la sédation est obtenue en quelques jours.
La doxépine [2], par son action antihistaminique et anticholinergique, est aussi efficace. Pour l’instant, cet antidépresseur n’est pas encore
commercialisé en France sous forme topique (préparation magistrale à 5 p. 100).
Les corticoïdes locaux sont essentiellement efficaces sur les lésions inflammatoires mais peuvent être utiles dans tous les types de prurit. Leur
utilisation doit toutefois être limitée dans le temps et l’espace.
Les ultraviolets A ou B ont une action antiprurigineuse dans des circonstances très variées. Les séances doivent être suivies de l’application
d’émollients car la xérose secondaire à la PUVAthérapie ou à l’UVB-thérapie est une cause classique de prurit.
TRAITEMENTS GÉNÉRAUX
L’histamine étant l’un des principaux médiateurs du prurit, les antihistaminiques sont les médicaments les plus utilisés. Néanmoins, ils sont
partiellement ou totalement inefficaces sur certains prurits. Ceux qui sont spécifiques des récepteurs H1 sont indiqués, les anti-H2 pouvant être
toutefois être utiles, à la différence des anti-H3. Les anti-H1 de première génération sont sédatifs, alors que ceux de deuxième génération ne le sont
pas. Néanmoins, ceux de première génération sont particulièrement indiqués en cas de composante psychogène. Les antihistaminiques sont très
bien tolérés. Ceux qui ont une action anticholinergique sont contre-indiqués en cas de glaucome ou d’adénome prostatique. Certains
antihistaminiques non sédatifs (floxafédine, bien que ce soit discuté, mizolastine) peuvent éventuellement allonger l’espace QT à l’ECG. Ils sont donc
contre-indiqués chez les sujets qui ont des troubles du rythme, et la co-prescription avec des inducteurs ou des inhibiteurs enzymatiques doit être
évitée. Pour l’instant, il n’est pas recommandé de faire un ECG systématique, même chez les sujets âgés.
Plusieurs psychotropes ont une action antiprurigineuse, qu’ils soient neuroleptiques (butyrophénone), anxiolytiques (hydoxyzine), antidépresseurs
(doxépine, fluoxétine), barbituriques (phénobarbital). Ils sont particulièrement indiqués lorsque la composante psychogène du prurit est importante.
La naloxone, antagoniste des opiacés, est essentiellement utilisée dans les prurits d’origine hépatique, mais ses indications devraient s’étendre à
l’ensemble des prurits sine materia grâce à la commercialisation de la naltrexone, son dérivé absorbable per os [3].
L’acupuncture, la crénothérapie, les techniques de relaxation, les psychothérapies (psychanalyse, psychothérapie de soutien ou comportementale) ou
même les placebos ont parfois un effet remarquable. Dans tous les cas, il est important d’écouter le patient et de démonter le cycle infernal prurit-
vécu anxiogène ou dépressogène-prurit.
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