LOIS DES GRANDS NOMBRES POUR DES ÉLÉMENTS
ALÉATOIRES GÉNÉRAUX
ROBERT M. FORTET
1.
Préambule. Dans le Calcul des Probabilités classique, nous entendons
par là celui qui concerne les variables aléatoires numériques, on appelle loi des
grands nombres (du moins c'est le sens précis que nous donnerons ici à cette
expression) un énoncé affirmant, bien entendu sous certaines conditions plus ou
moins
larges,
qu'étant donnée une
suite
indéfinie
Xx, X2,
. . .,
Xj}...,
de variables
aléatoires, et si n
-> +
oo, la variable aléatoire
Yn
=
(Xx
+
X2
+ ... +
Xn)
n
converge stochastiquement vers une limite L (en général aléatoire); le cas ty-
pique est celui où les
Xn
sont en chaîne strictement stationnaire, et plus particu-
lièrement celui où elles sont mutuellement indépendantes. Suivant la nature de
la convergence stochastique impliquée dans l'énoncé, on peut distinguer les lois
des grands nombres en probabilité, presque-sûres, en moyenne d'ordre
oc,
etc . . .
Les lois des grands nombres sont sans doute un des éléments sur lesquels
repose le raisonnement inductif ; il est donc philosophiquement important d'é-
tendre les lois des grand nombres à des éléments aléatoires
Xx, X2,
. . .,
Xj}
. . .
de nature aussi générale que possible, c'est à dire prenant leurs valeurs non plus
dans l'ensemble des nombres réels, mais dans un espace
3£
de nature aussi géné-
rale que possible.
De toutes façons une telle extension est une idée qui vient naturellement
à
l'esprit,
et qu'impose aujourd'hui la théorie des fonctions aléatoires (éléments
aléatoires à valeurs dans un espace
fonctionnel),
et certaines applications statis-
tiques (définition de
1',,homme
moyen" de
Quetelet
et M. Fréchet, etc. . . .).
Toutefois il ne peut être question d'étendre les lois des grands nombres, au
sens un peu étroit que nous avons adopté plus haut, pour un espace
3£
tout à fait
quelconque: la formation de
Yn
exige que
3Ë
soit un espace vectoriel, et les con-
vergences stochastiques qui constituent les lois des grands nombres exigent que
3£
soit muni d'une topologie. En laissant de coté le cas assez évident des espaces
vectoriels à un nombre fini de dimensions, les espaces vectoriels topologiques où
la topologie est la plus facile à manier tout les espaces de Banach; aussi les
recherches dans cette direction ont commencé, et jusqu'à présent se sont pres-
que limité, au cas où
3£
est un espace de Banach; et naturellement les premiers
360
résultats ont concerné les espaces de
Hilbertx) :
l'existence d'un produit scalaire
permet alors de reprendre avec succès des modes de raisonnement classiques
dans le cas des variables aléatoires (cf. N. Glivenko [1], une allusion dans A.
Kolmogoroff
[1], et M. Fréchet [1]).
2.
Eléments aléatoires dans un espace de Banach. Supposons donc que
3£
est
un espace de Banach, réel pour fixer les idées, d'élément nul 0; deux topologies,
la topologie dite forte et celle dite faible, peuvent être considérées dans
X;
nous
désignerons:
par
%*
une fonctionnelle linéaire quelconque sur
,
continue avec la topo-
logie forte dans
;
pat
*
le dual (fort) de
,
c'est à dire l'ensemble des
x*;
par
<(%*,
x)
le nombre obtenu en appliquant à l'élément x de
3£
la fonction-
nelle linéaire
x*]
par
IX
l'ensemble des épreuves;
par u une épreuve ou élément quelconque de F.
On suppose défini sur U, dans les conditions habituelles, un corps de Borei
93
et, sur ce corps de Borei, une mesure de probabilité
//.
Un élément aléatoire X à valeur dans
3£
n'est autre qu'une fonction x(u)
de
ue)l,
dont la valeur x(u) e
.
Nous ne
considérerons
d'ailleurs que des
éléments X tels que, quelle que soit
x*
e
3£*,
(*x,
Xs) [c'est à dire
(x*,
x(u)y\
soit une fonction de u
mesurable-//;
rappelons qu'on appelle alors espérance
mathématique de X l'élément E(X) de
X,
unique s'il existe, tel que:
<#*,
E(X)y =
E((x*,
X})
pour tout
x*
e
S*;
c'est à dire que E(X) est l'inté-
grale de Pettis
I
x(u)djbi.
U
Si [| X || est
mesurable-//
(ce qui a nécessairement lieu si
3£
est
separable),
et si
E(||
X ||) <
+
oo, E(X) existe; ce fait, connue par ailleurs, peut aussi se
déduire des lois des grands nombres que nous allons indiquer.
On peut assez facilement obtenir des lois des grands nombres relatives à la
topologie faible
dans3£;
mais comme dans
3£
la convergence forte implique la
convergence faible, à notre connaissance les résultats établis dans cet ordre
d'idée sont conséquences immédiates des lois des grands nombres relatives à la
topologie forte, les seules dont nous allons parler.
I. Loi des grands nombres presque-sûre. Si
3£
est
separable,
si
XQ, X±1, X±2,
1)
Nous appelons espace de Hilbert un espace de Banach, separable ou non, muni d'un
produit scalaire ou hermitique avec lequel il est
norme.
361
. . .,
X±j,
... est une suite strictement stationnaire
2)
d'éléments aléatoires à
valeurs dans
,
et si E(\\
X5
||) <
+
oo, il y a une probabilité 1 pour que
Yn
tende fortement vers un élément aléatoire limite L, tel d'ailleurs que E(\\ L \\)
< + oo, E(L) =
E(Xj);
si en outre les
Xj
sont mutuellement indépendants,
L se réduit presque-certainement à l'élément certain E(Xj)
Ce théorème est une extension du théorème ergodique de Birkhoff au cas
de fonctions à valeurs dans
X
IL Loi des grands nombres en moyenne d'ordre
a.
Si
3£
est
separable,
si
X0, X±1, X±2,
. . .,
X±.,
. . . est une suite strictement stationnaire d'éléments
aléatoires à valeurs dans
,
et si E(\\
Xj ||a)
<
+
oo avec 1
^ a
< + oo, il
existe un élément aléatoire L à valeurs dans
,
tel que E(\\ L
||a)
< + oo,
E(L) =
E(Xj)
et que:
lim E(\\
Yn-i||»)
=0;
>+ao
si en outre les
Xô
sont mutuellement indépendants, L = E(Xj)
presque-sûre-
ment.
Pour a = 1, cet énoncé II peut d'établir directement; pour 1 < a < +
°°,
on peut utiliser un théorème ergodique de Yosida et Kakutani, après avoir
déterminé la forme des fonctionnelles linéaires continues sur les espaces
36^:
nous désignons par
(a)
l'espace de Banach des éléments aléatoires X à valeurs
dans
3£
pour lesquels E(\\ X
||a)
<
+
oo; ce problème est d'ailleurs
interessant
par lui-même.
3.
Précisions à
l'énoncéII.
Plaçons-nous
dans les hypothèses de l'énoncé II,
en supposant en outre que les
Xj
sont mutuellement indépendants, et (ce qui
ne restreint pas la généralités) que E(Xj) = L = 0; alors, et en écartant le cas
evident
où
Xj
= 0 presque-sûrement, on montre que:
Si
X*
est
separable
et si a
^
2, il existe une constante positive g telle que:
a
E(\\
Yn
||a) ^
gn~Y
pour tout n.
Mais pour obtenir pour E(\\
Yn
||a)
une limitation dans l'autre sens, il
semble nécessaire de faire sur
3£
des
hypothèses
d'une autre sorte. Disons d'un
espace de Banach
3£ (separable
ou non) que c'est un espace
&
s'il existe un
nombre positif A et une application G[x* = g(x)] de
3Ê
dans
3£*,
dite canonique,
tels que:
a)
Il g(*) Il
=
||*
||;
<£(*),*>
=11*
II2
pour tout x e
;
D) Il g(x) g (y) Il ^ A II * y II
quels que soient x, y e
.
2)
Nous passons sur la definition des suites d'éléments aléatoires dans X strictement
stationnaires, ou des suites d'éléments mutuellement indépendants; bien qu'il y ait lieu de
regarder ces définitions de
près,
elles ne soulèvent pas de véritables difficultés.
362
Nous ne connaissons pas de caractérisation générale des espaces ©; mais
il est prouvé que des espaces uniformément convexes à norme uniformément
régulière formant une classe assez large sont des espaces
&]
parmi eux se trou-
vent les espaces de Hilbert, et les espaces
La
pour
a ^
2, ce qui ouvre déjà un
vaste champ d'applications; pour
La,
le meilleur choix de A est:
A
=
{OL~
l)2a~2
(a
^2);
il semble bien d'après cela que la propriété, pour un espace de Banach, d'être un
espace
©
est une propriété de convexité.
On peut prouver que:
III.
Si 36 est un espace
&,
si les
Xj
sont mutuellement indépendants, si
pour tout
/
E(||
Xj
||2) < + oo et
E(Xi)
= 0, on a:
A
n
E{\\
Yn
) =g
V
£(||
X,
H2)
pour tout », (3,1)
n1
*-*
3=1
où le A est celui intervenant dans b) ci-dessus; de sorte que, si:
n
2
E(\\
Xj
||2)
=.
0(n8),
avec s < 2, pour n
->
+ oo,
3=1
a)
presque-sûrement
Yn
tend (fortement) vers 0 lorsque n
->
+ oo;
ß)
Yn
tend vers 0 en moyenne d'ordre 2 lorsque n
-> -p
oo, dans les con-
ditions précisées par (3,1).
On peut remarquer, par comparaison avec I et II, que dans III
36
n'est
pas nécessairement
separable,
ni les
Xj
de même loi de probabilité.
Les résultats exposés dans ces §§ 2 et 3 sont établis dans E. Mourier [1],
R. Fortet et E. Mourier [1], [2]; il conviendrait de les préciser et de les étendre,
mais tels quels nous avons déjà pu dans R. Fortet et E. Mourier [2], [3] en
déduire
d'intéressantes
applications, et nous comptons en développer encore
beaucoup d'autres.
4.
Un résultat de S. Doss. Nous connaissons un seul exemple de loi des
grands nombres concernant un élément aléatoire à valeurs dans un espace
36
qui n'est pas forcément de Banach, ni même vectoriel, à savoir le résultat
suivant de S. Doss (cf. S. Doss [1]). Comme
36
peut ne pas être vectoriel, il faut
substituer à
Yn
un élément aléatoire
Zn
dont la définition n'exige pas
l'existence
d'une addition dans
36
et par suite on déborde un peu le cadre des lois des
grands nombres au sens strict adopté plus haut.
Supposons
36
distancié; désignons par (x, y) la distance de 2 éléments x, y
de 36; ne donsidérons que des éléments aléatoires X[x(u)] tels que, pour tout
y
e diet
pour tout nombre positif g, l'ensemble des u pour lesquels (x(u), y)
^
g
appartient à
S3.
S. Doss appelle moyenne de X tout a e
36,
s'il en existe, tel que:
(a, y)
^
E[(X,y)] pour tout
y
e
36.
363
Soit alors
Xx, X9,
. . ., Xj, . . . une suite indéfinie d'éléments aléatoires
dans
36,
mutuellement indépendants, de même loi de probabilité, et tels que
Xj
possède une moyenne et une seule a.
S. Doss a montré que si les sphères de
36
sont compactes (ce qui implique
que 36 est
separable),
si presque-sûrement il existe pour tout n un élément
aléatoire
Zn
dans 36 tel que:
1
n
(Zn,
y)
<
y
(Xh
y) pour tout y
e
36;
n
*-**
3=1
alors,
presque-sûrement,
Zn
tend vers a [c'est à dire que presque-sûrement
(Zn,
a) tend vers 0].
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