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transcendant et dou´e de qualit´es comparables `a celle de l’homme, il est per-
mis de consid´erer Spinoza comme un ath´ee, et en ce sens Spinoza revendique
cet ath´eisme et l’assume pleinement ; s’il faut entendre par ath´eisme le refus
de croire au surnaturel et de se soumettre `a toutes les superstitions qui accom-
pagnent cette croyance, alors oui, Spinoza est ath´ee et d´efend au nom de la raison
la primaut´e des causes mat´erielles et efficientes contre la croyance aux causes
finales dans l’explication de la nature, dans la compr´ehension de la n´ecessit´e
naturelle2.
Mais il n’empˆeche que Spinoza emploie pour d´esigner la substance unique le
terme de Dieu qu’il utilise indiff´eremment, il est vrai, comme synonyme de celui
de Nature, la question se pose donc de savoir ce que signifie l’usage de ce terme
ainsi que la volont´e de Spinoza de se d´efendre contre les accusations d’ath´eisme
qu’il semble juger injustes et ill´egitimes.
On peut, il est vrai, interpr´eter cette utilisation des termes emprunt´es `a la
religion et `a la th´eologie comme un moyen pour notre auteur d’exprimer sa
v´eritable pens´ee en m´enageant les autorit´es en place et en sauvant en quelque
sorte les apparences. Cela dit, si l’argument de la prudence peut ˆetre retenu, il
semblerait que cette vertu n’ait pas toujours conduit Spinoza car de nombreux
textes, principalement dans le Trait´e Th´eologico-Politique, ne m´enagent ni les
autorit´es politiques ni les autorit´es religieuses en place.
Il semble donc envisageable de supposer que ce n’est pas seulement la pru-
dence qui a guid´e Spinoza dans l’emploi du mot de Dieu, mais qu’il fut aussi
guid´e par le souci de ne pas r´eduire sa pens´ee `a une simple th´eorie de la Nature,
`a une m´etaphysique sans ˆame en quelque sorte et qu’il ait souhait´e donner `a sa
pens´ee une dimension spirituelle et religieuse (au sens o`u nous l’entendons dans
notre travail, sens que d’ailleurs nous pr´eciserons `a nouveau ult´erieurement).
2Spinoza se d´efend d’ailleurs d’ˆetre ath´ee stricto sensu dans une lettre `a Oldenburg (Lettre
XXX) dans laquelle, expliquant les raisons qui l’ont conduit `a r´ediger le Trait´e th´eologico-
politique, il ´ecrit : ” Je compose actuellement un trait´e sur l’Ecriture et en voici les raisons :
1◦Les pr´ejug´es des th´eologiens : je sais, en effet, que ce sont eux surtout qui empˆechent les
hommes d’appliquer leur ˆame (animus) `a la philosophie ; je m’efforce donc de d´evoiler ces
pr´ejug´es et d’en d´ebarrasser les esprits les plus avertis. 2◦L’opinion qu’a de moi le public,
qui ne cesse de m’accuser d’ath´eisme : je suis contraint de la combattre le plus possible. 3◦La
libert´e de philosopher et de dire notre sentiment : je d´esire la d´efendre par tous les moyens,
car elle est supprim´ee par le prestige et l’insolence abusive des pr´edicants. ”
(O.C. Lettre XXX - Au tr`es noble et tr`es sage Henri Oldenburg).
Nous citerons ´egalement la traduction propos´ee par Ch. Appuhn qui est un peu diff´erente
et qu’il cite dans la Notice sur le Trait´e Th´eologico-Politique publi´ee aux ´editions Garnier-
Flammarion : ” Je m’occupe `a pr´esent `a composer un trait´e o`u j’exposerai ma mani`ere de
voir sur l’Ecriture, les motifs qui m’ont fait entreprendre ce travail sont : primo, les pr´ejug´es
des th´eologiens : `a mes yeux le plus grand empˆechement qui soit `a l’´etude de la philosophie ;
je m’efforce donc de les rendre manifestes et d’en d´ebarrasser l’esprit des hommes un peu
cultiv´es ; secundo, l’opinion qu’a de moi le vulgaire ; on ne cesse de m’accuser d’ath´eisme,
et je suis oblig´e de redresser autant que je le pourrai l’erreur faite `a mon sujet ; tertio, mon
d´esir de d´efendre par tous les moyens la libert´e de pens´ee et de parole que l’autorit´e trop
grande laiss´ee aux pasteurs et leur jalousie menacent de supprimer dans ce pays. ”