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film « contre » la mémoire, dont l’objet
n’est pas tant « de nous apprendre
quelque chose sur le passé que de nous
rendre nous-mêmes, spectateurs pré-
sents, problématiques à nos propres
yeux » (p. 116).
À la lumière de ces échanges fruc-
tueux entre le philosophe et ces
cinéastes, on regrette que le corpus de
textes n’inclue pas d’autres écrits de
Foucault (par exemple sur le Corps uto-
pique et les Hétérotopies) qui, moins
directement intéressés à la pensée du
cinéma, contribueraient à nourrir ce
dialogue. L’ouvrage de Dork Zabunyan
et Patrice Maniglier entame sans nul
doute une réflexion qui en appelle beau-
coup d’autres et nous engage à explo-
rer plus avant ces chemins de traverse
où la pensée critique foucaldienne ren-
contre le cinéma.
Alice Leroy
Alexandre Matheron
ÉTUDES SUR SPINOZA
ET LES PHILOSOPHES
DE L’ÂGE CLASSIQUE
Lyon, E
NS
Éditions, 2011, 742 p.,
35 €
Depuis le début des années 1960,
Spinoza n’a jamais quitté la scène phi-
losophique française. Parmi les pen-
seurs classiques, il est certainement le
plus étudié, en tout cas le plus souvent
cité par les philosophes, comme si
l’épaisseur des siècles n’avait nulle-
ment altéré son actualité. Il y eut un
spinozisme de Deleuze, un spinozisme
d’Althusser, plus récemment un spino-
zisme de Toni Negri. Nous disons bien
un « spinozisme », et pas simplement
un « Spinoza » : cette philosophie pro-
duit de l’adhésion chez les contempo-
rains qui l’abordent, tout comme elle a
pu produire du rejet dans les siècles
passés. Le spinozisme n’est pas une doc-
trine dont on peut aisément retenir tel
ou tel aspect : avec elle, on entre dans
une logique du « tout ou rien1».
Il y a de nombreuses raisons à cette
actualité persistante, mais elles tien-
nent toutes à la radicalité de Spinoza.
Voilà un philosophe qui, en plein
XVIIesiècle, affirme l’identité de Dieu
et de la nature, rejette toutes les formes
de transcendance, envisage le désir
comme puissance et non comme
manque, proclame la séparation entre
la philosophie et la théologie, défend
une conception tout à fait originale de
la démocratie, énonce que le bonheur
est accessible par la connaissance. La
fascination ne provient pas seulement
de ces thèses, mais du fait qu’elles tien-
nent en un système déposé dans un seul
livre (l’Éthique) écrit suivant un ordre
démonstratif emprunté à la géométrie
d’Euclide. Si Spinoza transforme en pro-
fondeur notre manière de penser le réel,
il le fait dans un style d’une rigueur
implacable. En philosophie, il est l’ar-
tisan d’une révolution tranquille qui n’a
pas encore fini de produire ses effets.
Ce livre d’Alexandre Matheron vise
à nous faire redécouvrir Spinoza der-
rière les spinozismes. Non que l’auteur
se tienne à l’écart des interprétations
contemporaines (il en a même inspiré
plusieurs), mais il s’attache d’abord à
restituer la cohérence d’une œuvre en
l’inscrivant dans son contexte (« l’âge
classique ») et en clarifiant ses thèses
les plus difficiles. Ancien professeur à
l’École normale supérieure de Saint-
Cloud, A. Matheron a consacré une
grande partie de sa vie à Spinoza : le
présent recueil d’articles constitue le
meilleur hommage que l’on puisse
1. Parmi les dernières tentatives d’appro-
priation de Spinoza hors du champ strictement
philosophique, citons le livre du sociologue et
économiste Frédéric Lordon, Désir et servitude.
Spinoza et Marx, Paris, La Fabrique, 2010.
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