Conversion de dépendants de verbe en dépendants de nom en kryz
Des langues comme le français peuvent aisément utiliser comme dépendants de nom des groupes
prépositionnels dépendants de verbes. Cette latitude a son équivalent dans des langues à nombreux cas
et à postpositions, qui recourent pour cela à des morphèmes « adjectiviseurs » ajoutés à la forme
casuelle, ainsi en hongrois, en basque ou en turc, cf. Creissels 2006.
En Kryz, langue caucasique du Nord-Est parlée en Azerbaïdjan, les circonstants et régimes de verbes
sont exprimés par des syntagmes postpositionnels et par une vingtaine de cas spatiaux. D’un point de
vue syntaxique, la plupart des cas spatiaux et des syntagmes postpositionnels du kryz peuvent,
directement suivis d’une copule, constituer des prédicats de type « Il est-de-mon-village », « Il est-sur-
l’étagère », « Il est-avec-poils = velu ». D’un point de vue morphologique, la réduction discursive de
tels syntagmes déterminés par des circonstants adjectivisés fait apparaître une indication des genre et
nombre du nom sous-entendu, mais sans permettre de flexion casuelle car seul l’emploi prédicatif est
permis outre éventuellement un emploi épithétique, et les épithètes ne sont pas fléchis d’une façon
générale. La contribution proposée illustrera aussi, d’un point de vue sémantique, comment ce
mécanisme allié à la richesse de la flexion nominale contribue à suppléer la grande pauvreté
dérivationnelle de cette langue, sans aller jusqu’à créer des noms, mais au moins des groupes
qualificatifs.
On illustrera la formation de syntagmes adjectivaux à partir d’un constituant fléchi à un cas spatial, à
partir d’un syntagme postpositionnel et à partir d’un génitif permettant respectivement les opérations
de qualification et de quantification « (être) semblable à », « (être) aussi grand que » ou d’attribution
d’une possession ou de l’âge.
Le cas « Equatif » est marqué par un suffixe (-ğan) invariant. Ce morphème est complexe, et se forme
comme tous les cas spatiaux dans les langues daghestanaises (Comrie 1998), à savoir au moyen d’un premier
morphème (-ğ) marquant la localisation « sur (en contact) » et d’un second morphème marquant une orientation,
ici (-an) originellement « lative ». Il s’oppose donc morphologiquement aux cas « Superessif » en -ğ-∅ et au cas
« Superélatif » en -ğ-ar. Mais le sens du Superessif s’est étendu aux emplois latifs également, d’où un
« Superlocatif » actuellement employé pour la localisation « sur » avec ou sans mouvement. La forme en -ğan,
sans disparaître, s’est retranchée dans des emplois spécialisés de « complément d’échange » :
1. vul-bi haq-ar-ğan aqa-yc
ewe-PL salary-PL-EQU keep-INF
Garder les moutons contre salaire.
2. duru duğri.c-ğan uxşatmiş ar-ic
lie true-EQU comparing do-INF
Feindre de prendre un mensonge pour une vérité…
ou comme régime du verbe « (se) changer en » :
3. tuğli.c-ğan la-sl-ic
teg-EQU PV-turn-INF
Se changer en mouton.
Ce dernier emploi rend compte, sémantiquement, d’épithètes construits sur la forme casuelle et un marquage
morphologique au moyen du suffixe -a « adjectiviseur » permet de transposer en dépendants de nom ce
constituant dépendant de verbe. On pourra d’ailleurs traduire par un adjectif dans une langue comme le français
qui peut en dériver à partir de noms :
4. tuğli.c-ğan-a sa-d ğaya
teg-EQU-adj one-N rock
Un rocher en forme de mouton.
5. u-c cannat.ci-ğan-a sa-d ciga-ya
3-N paradise-EQU-adj one-N place-COP.N
C’était un endroit paradisiaque.
Le syntagme adjectival peut être substantivé et sert à traduire le verbe « ressembler » :
6. lu dix Nacaf fura-ğan-a-d şa-de-r
this son Nadjaf man-EQU-adj-notN be-Neg.PRS-M
Ce fils ne ressemblait pas à Monsieur Nadjaf.
Ces syntagmes similatifs ont les mêmes facultés de substantivation que les génitifs et les adjectifs proprement
dits mais limitée au cas absolutif. Le constituant auquel s’ajoutent le morphème -a garde la structure interne d’un
constituant nominal puisqu’ils peut être déterminé par des adjectifs qualificatifs et des démonstratifs :