A - Compte-rendu d`entretiens avec des profes

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III - QUELLES PRATIQUES DECOULENT DES THEORIES
A - COMPTE-RENDU D’ENTRETIENS AVEC DES PROFESSIONNEL ET DISCUSSION
1) Rencontre avec Claude VEDEILHE, psychiatre
a) Son cadre de travail :
Claude VEDEILHIE est psychiatre, il intervient auprès de patients
toxicomanes depuis plus de 20 ans. Il dirige le Centre régional de Soins en
Pharmacodépendances et Toxicomanies. L’ « Envol », où nous l’avons
rencontré, est une antenne dépendant du CHS G. REGNIER de Rennes et
accueille des patients toxicomanes pour des cures de sevrage, des suivis de
traitements de substitution et des bilans médicaux.
La durée se séjour moyenne des patients est de 3 mois, et varie d’une
quinzaine de jours à 6 mois maximum.
Le Centre est financé par le Ministère de L’emploi et de la Solidarité dans le
cadre de la lutte contre la toxicomanie, il bénéficie aussi du soutien de la
MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la
Toxicomanie) et du CFES (Comité Français d’Education à la Santé).
Dans ce cadre, l’addiction est considérée d’après le Dr VEDEILHIE comme
une dépendance pathologique à un produit, ce qui rejoint la définition que
l’OMS donnait à la dépendance en 1964.
b) Sa vision de l’addiction
Dans sa pratique, C.VEDEILHIE distingue quatre types de
comportements liés à la consommation de drogue(s) :
_ l’usage épisodique.
_ l’abus dangeureux.
_ l’abus nocif qui à long terme entraîne des problèmes
psychopathologiques et somatiques.
_ la dépendance, qui est synonyme d’addiction dans ce cas.
Dans ce contexte, l’addiction est en fait une « palette » de
comportements plus ou moins dangereux, importants et fréquents pour
l’individu, sa santé et son entourage.
Notre psychiatre parle aussi de trois groupes de patients, ce qui
permet de mieux comprendre les problématiques addictives :
_ Un premier groupe de personnalité de type « névroticonormale », très peu représenté à l’Envol, peut bénéficier d’une prise en
charge psychothérapeutique.
_ Un second se compose d’adolescents et de jeunes adultes
qui tentent de colmater une problématique souvent psychotique par l’usage
de cannabis et d’alcool en priorité. Il constate que ces patients sont de plus
en plus souvent rencontrés dans la pratique.
_ Le dernier groupe est celui où les sujets ont une
« problématique narcissique ou états-limite ». Ils se caractérisent par une
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problématique identitaire (clivage, déni, dette symbolique et inversée,
insécurité, tout ou rien…).
L’addiction toxicomaniaque aurait alors un rôle majeur de défense.
Les sujets addictés ont en effet très souvent des difficultés de symbolisation
( « Penser c’est douloureux » nous a fait remarquer le Dr VEDEILHIE) et
fonctionneraient plutôt sur un registre des sensations où les réponses se
situent dans l’agir ( utiliser un produit et sentir son corps en mouvement).
Le produit, la drogue a alors une fonction de dynamisation, de
reconnaissance pour les sujets et permet parfois, voire souvent, de masquer
un autre problème : par exemple, masquer un trouble d’ordre psychotique en
consommant du cannabis, de l’alcool…
C.VEDEILHIE remarque également que régulièrement, plusieurs
dépendances sont associées, avec selon les moments, la dominance de l’une
sur l’autre : par exemple, le jeu peut être associé à l’alcool ou aux drogues.
Pour ce qui est de la prise en charge, elle est de deux ordre à
l’Envol :
_Dans un premier temps, forger une « alliance
thérapeutique », établir du lien entre le patient et l’équipe soignante. Ce
travail en transferts latéraux, avec une prise en charge multidisciplinaire
permet d’éviter d’éventuelles difficultés liées à des processus de séparation
ou de persécution.
_ Ensuite, dans le cadre de la politique d’accès aux soins, un
traitement de substitution (pour les dépendances aux opiacés) est proposé
(Méthadone et Subutex). De même, il est possible d’effectuer un bilan
médical pour chaque patient de façon à détecter d’autres problèmes que la
dépendance ( infections, VIH, hépatites, problèmes dentaires…).
Pour résumer, l’approche psycho-socio-thérapeutique de ce centre ne
prétend pas à une guérison totale de la problématique addictive mais elle a
pour but de permettre au patient de retrouver un équilibre lui assurant au
mieux de ne plus être en souffrance, sans être exclu socialement et /ou
psychologiquement.
Dans ce contexte, C.VEDEILHIE utilise souvent une métaphore :
« La prise en charge des toxicomanes n’est pas une traversée de
l’Atlantique mais du cabotage. » Il sous-entend par-là, que la majorité des
personnes étant demandeuses de soin ou d’aide, il est nécessaire qu’elles
s’approprient cette démarche. Tout au long de leur séjour, cette première
demande doit toujours se structurer pour s’affiner progressivement. Cela
devrait permettre à chaque patient de se fixer, avec l’équipe soignante, des
objectifs à la hauteur de ses possibilités et capacités du moment.
Ainsi, la rechute auparavant tant redoutée, n’est plus liée à un échec
mais à la possibilité de faire des étapes successives dans un parcours semé
d’embûches. Le patient peut alors revenir au centre, si besoin, avec une
demande différente et sans sentiment d’avoir échoué.
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c) Notre point de vue
Nous avons voulu mettre en avant certains aspects de l’entretien qui
ont particulièrement retenu notre attention.
Premièrement, les références théoriques utilisées par les professionnels de ce centre ne se cantonnent pas à une seule approche mais sont
plutôt multivariées. Elles proviennent de la psychiatrie, de la psychanalyse,
de la neurobiologie et d’une approche plus comportementale.
Ensuite, le concept de la dette inversée nous a semblé intéressant en
ce qui concerne notre démarche de recherche. Cela fait référence directe,
selon nous, à la définition de « l’addiction moyenâgeuse » à une nuance
près : alors que l’individu avait une dette envers autrui, il s’agit ici de la
société qui est redevable à l’addicté. Un sentiment de haine et de violence
apparaît chez le sujet qui veut faire payer une injustice dont il serait ou est
victime.
Enfin, le plus marquant pour nous relativement aux addictions ont été les
buts que se fixent et se donnent les soignants dans la démarche de soins. En
effet, il n’est plus question d’effacer l’addiction comme on guérirait un
rhume mais au contraire de la contrôler et de « mieux vivre avec ».
Supprimer une dépendance toxicomaniaque entraînerait son déplacement
vers une autre dépendance, parfois plus nocive ou mortelle.
L’objectif envisagé est, comme nous l’avons vu précédemment, que chaque
patient parvienne à contrôler, dompter son addiction afin de trouver ou
retrouver une certaine stabilité dans sa vie psychique, sociale, affective et
professionnelle.
2) Rencontre avec Didier RICHARD, psychologue
Nous avons également pu rencontrer M. Didier RICHARD,
psychologue diplômé de l’université de RENNES II, qui exerce dans
différentes structures telles que le CCAA, les Iris, l’escale, et le SPIP 35 . Il
intervient aussi à l’université dans le cadre de l’option « psychologie sociale
de la santé». Son activité professionnelle est surtout axée sur la prise en
charge de malades alcooliques.
Pour lui, il n’y a pas de définition de la dépendance qui puisse être
totalement acceptable, car il pense que la dépendance ne se vérifie pas par
des critères objectifs : ce serait le patient qui présente une problématique
addiction qui s’identifierait ou non comme dépendant.
Voilà l’une des premières limites de la théorie qui, à l’aide de critères plus
ou moins observables, tente d’enfermer les sujets dans des « cases » ne leur
correspondant pas forcément.
Alors, comment aborder la clinique du sujet si la théorie n’apparaît
pas toujours suffisante ?
La première chose qui semble importante pour M. RICHARD, c’est
la place que choisi le thérapeute et le sujet dans la relation qu’ils vont
entretenir. En effet, face à une situation, le psychologue à plusieurs grilles
de lecture possibles. Pourtant, la lecture que le professionnel va faire de son
point de vu d’homme est tout aussi importante que celle qu’il peut faire avec
ces grilles très structurées et très théoriques. Bien sûr, ces dernières vont
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servir pour dépasser le stade de la première impression et vont venir étayer
un diagnostique ou une proposition de travail avec le sujet.
Didier RICHARD nous a appris que ce qui a influencé son travail et
l’approche qu’il en a aujourd’hui est de trois ordres :
- il cite en premier lieu les lectures de Karl RODGERS sur les
différentes conduites d’entretiens,
- Puis, les rencontres auprès des différents groupes et associations
qui lui ont permis d’appréhender la problématique de l’alcoolisme
différemment,
- enfin, les théories d’orientation analytique lui permettant de mettre
du sens sur tout ce qu’il a pu observer.
D’après lui, il est également très important d’avoir une « lecture
sociale » de la problématique que l’on va rencontrer, car s’il existe des
dépendances prenant leurs origines sur la base de traumatismes dans
l’enfance, il y a néanmoins beaucoup de personnes développant ces
dépendances sur une base socioculturelle. C’est, semble-t-il, la majorité du
public qu’il rencontre.
Evoluant avec l’idée que le psychologue est garant du cadre dans
lequel il évolue, Mr RICHARD pense que les structures d’accueil
vieillissent et ne correspondent plus vraiment aux populations et pathologies
rencontrées.
En ce qui concerne le travail thérapeutique, l’objectif n’est pas la rémission
totale mais il convient de créer une « bonne relation » entre le sujet et le
thérapeute pour élaborer, par la suite, la meilleure stratégie
d’accompagnement du « malade ».
Il ne parle pas de « neutralité bienveillante »( en référence à certaines
pratiques appliquées) mais compare plutôt la relation avec le patient comme
un duel, un sport de combat, une opposition de deux forces qu’il faut
essayer d’harmoniser pour trouver un équilibre prompt à l’évolution de
chacun des protagonistes et de la thérapie.
Sur la question de la rechute, Didier RICHARD parle de « claque
narcissique » pour le patient et il semble que cela soit un sujet difficile à
aborder avec lui. Pourtant, il ne considère pas la rechute comme un
problème, mais plutôt comme une opportunité à entamer un nouveau
travail : Cela serait une étape comme une autre, importante pour le sujet qui
doit en faire l’expérience afin qu’il ne croie pas à une guérison trop facile.
Enfin, à la question concernant la légitimité de l’utilisation du terme
générique d’Addiction, il reste prudent, voire sceptique, quant à un tel
regroupement de conduites ; Notamment, pour ce qui est de la pratique et
de l’identité du sujet . En effet, il lui semble que cela soit trop tôt, d’un point
de vue purement pratique, de faire se rejoindre des malades ayant des
problématiques différentes, s’identifiant de surcroît au travers de leur
maladie. Ainsi, un alcoolique se présente et va jusqu’à se revendiquer
comme alcoolique : il n’est peut-être pas près à lâcher ce que l’on pourrait
appeler une « identité prothèse » ? Toutefois, Mr RICHARD acquiesce
quant à l’utilité que prend ce concept, d’un point de vue politique et social,
permettant de rendre l’accès au soins probablement plus facile. De la même
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manière, cela pourrait permettre de « dé diaboliser » certains produits et
leurs utilisateurs ainsi que de rétablir un certain équilibre dans le
financement des prises en charge.
Le psychologue clinicien Robert LEBORGNE, rencontré à
l’université lors d’une intervention sur la présentation de son service,
intervient au CHGR, au sein du service du professeur JAGO. Il rencontre
tout type de population ayant des problèmes psychiatriques. Au cours de sa
pratique, il lui a été permis de faire certaines constatations qui recoupent
celles que font d’autres professionnels : notamment que parmi les jeunes
psychotiques, plus de 50% auraient une problématique addictive. Il observe
en effet, dans cette population, une progression importante dans la
consommation de produits tels que l’alcool, le cannabis et les médicaments.
L’approche qu’il a vis-à-vis de ces patients, il la tient des théories
psychiatriques et psychanalytiques. Ceci dit, il s’interroge beaucoup sur
l’influence du cadre (du service) et parle de « lecture institutionnelle » du
patient. Toutefois, même si la théorie et le cadre ont un rôle effectif dans la
prise en charge du sujet, il précise que c’est aussi de par les affects que le
patient est capable de mobiliser chez le psychologue, et inversement, que la
relation débute et s’enrichie.
Pour lui, tout cadre, quel qu’il soit, à ses limites . Cependant, même si un
cadre institutionnel ou une pratique ne répond pas à la demande d’un sujet,
cela n’est pas un échec en soi dès lors qu’il puisse être orienté vers une autre
structure, pratique, plus adaptées.
Robert LEBORGNE se pose le problème d’un manque de retour
quant à sa pratique dans le cadre hospitalier, qui n’a pas en charge le suivi
des patients sur l’extérieur. Le seul retour qu’il a c’est lorsqu’un patient
revient et, c’est en général signe d’échec de la thérapie précédente.
Ce qui semble important de retenir de ces deux entretiens, c’est qu’il
n’existe pas une seule façon d’appréhender le sujet, ni un seul cadre disposé
à le prendre en charge. Ainsi, pour Robert LEBORGNE, il semble très
important que le psychologue ne soit pas le seul référant thérapeutique d’un
sujet mais qu’il se créé autour de celui-ci un réseau pluridisciplinaire. De
même que pour Claude VEDHEILLE, Didier RICHARD ne conçoit pas la
guérison comme un objectif majeur de la thérapie, du fait de la complexité
de la problématique abordée. La thérapie serait plus à considérer comme un
accompagnement dans « la reconstruction identitaire » du sujet, donc dans
la recherche d’un équilibre.
B - LES PRATIQUES A L’EGARD DE L’ADDICTION
Etant donné le grand nombre d’approches des addictions, nous avons
choisi de nous intéresser aux pratiques les plus représentatives nous
permettant d’appréhender une certaine identité spécifique de « l’addict ».
Du malade au défenseur d’un mode de vie minoritaire, en passant par
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l’individu en souffrance qui exprime son symptôme…l’identité du sujet sera
dès lors très différente face à l’objet de l’addiction.
On peut ainsi distinguer deux grands champs au sein de ces
pratiques :
_ Une addictologie clinique, centrée sur l’accompagnement
et le soin aux personnes dépendantes. Elle propose une importante variété
de pratiques.
_ Une addictologie de santé publique, essentiellement axée
sur la prévention et dont l’objet n’est pas l’addict lui-même mais une
recherche d’évitement destiné à la population quant au passage de l’usage à
l’abus puis de l’abus à ma dépendance ; c’est-à-dire, l’objet de l’addiction.
1) L’addictologie clinique
a) Les groupes d’entraide
Au sein des traitement de conversion, ces groupes d’inspiration religieuse
ont une place de choix. Citons les « Alcooliques Anonymes », un des
premiers qui n’est pas d’inspiration catholique (contrairement aux tous
premiers groupes) mais qui dit agir au nom d’une puissance supérieure non
définie à laquelle peuvent se référer les membres du groupe.
Dans ce contexte, l’entraide est selon l’alcoologue P. FOUQUET a relier au
terme grec « Néphalisme » qui rappelle que certains groupes de l’Antiquité
célébraient l’abstinence par des fêtes appelées Néphalides.
Le traitement proposé se compose de douze étapes successives que les
membres doivent atteindre et dépasser. La première étant d’admettre son
impuissance face à l’objet d’addiction, l’abstinence devient le moyen de
guérison de la dépendance.
En complément, sont apparus des groupes de « codépendance » basé sur
l’idée que vivre avec une personne dépendante constituait aussi une
maladie. Citons ALANON et ALATEEN( groupes de conjoints et d’enfants
d’alcooliques), NARANON ( groupes de parents de toxicomanes).
Le succès de ce type de groupe semble tenir à plusieurs facteurs :
_ Le caractère religieux paraît favoriser le maintien de l’abstinence
par l’abandon de l’objet d’addiction en se référant à une puissance
supérieure.
_ La notion de groupe, de par ses réunions régulières, semble être u
support affectif suffisant, une proximité affective s’y jouant.
Souvent, l’encouragement à l’abstinence et surtout les renforcements
positifs associés (anniversaires de l’abstinence) incitent certains à qualifier
ces groupes de comportementalistes. Cependant, la philosophie semble plus
spirituelle que comportementale ou behavioriste.
De même, les risques de (trop) forte dépendance aux autres peuvent laisser
penser à une « prothèse de socialisation de sujets infantilisés »
(M.
VALLEUR & C. MARTYSIAK). On parle ici d’un déplacement d’une
addiction vers une autre. En pratique, la majorité des sujets ne sont pas hors
société mais bien plutôt intégrés dans une vie affective et sociale
indépendante. La question de la dérive sectaire peut aussi se poser et est
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illustrée malheureusement par SYNANON, une communauté américaine
pour toxicomanes. Ce groupe thérapeutique totalitaire et maltraitant était en
fait une secte paramilitaire. Ceci dit, une certaine garantie chez les vrais
groupes d’entraide consiste en l’adoption de « traditions » où tout échange
d’argent est prohibé, une hiérarchisation du groupe est respectée, etc.
b) Les groupes d’auto-support
Nés d’un contexte politique de réduction des risques liés à l’usage de
drogues illicites, ce modèle apparaît aux Pays Bac en 1980. La création des
« junkie bonds », associations voire syndicats de « drogués » se défendent
d’être des minorités à cause de leur choix de vie différent de celui de la
majorité de la population.
La réduction des risques, la lutte contre le SIDA, les préventions, etc. vont
être leur cheval de bataille ; leur but étant d’encadrer, d’informer et de
former les plus jeunes ou novices et de leur éviter les pièges menant à
l’addiction.
c) La psychothérapie
Guidée par les approches psychanalytiques, cette approche considère
les addictions comme des symptômes de difficultés plus profondes et dont il
convient de trouver la source.
Proposées sous de multiples formes et contextes (cabinet individuel, centre
de post-cure, hospitalisation…), elle peut aussi s’adresser à la famille. Ainsi
sur le modèle systémique, la thérapie familiale pourra déceler un
dysfonctionnement dû au patient désigné, la personne addictée.
d) La chimiothérapie
Dans des centres spécialisés, les traitements de substitution
(Méthadone et Subutex) sont un accès au soin(des médicaments)et non un
produit pour un produit.
Préconisée pour la dépendance aux opiacés, la Méthadone agit comme
l’héroïne mais sur une duré beaucoup plus importante (24 heures). Le
Subutex (Buprémorphine), pris par voie orale, agit de façon antagoniste car
plus la dose augmente et plus les récepteurs opioïdes sont saturés, ce qui
limite les risques d’overdose. Son inconvénient en pratique est qu’il est
« shootable » et peut donc être détourné de son utilisation.
L’intérêt de ces traitements ne tient pas seulement à la substitution d’un
produit illicite par un médicament délivré sur ordonnance mais bien plus
encore, au lien qui s’établit entre le consommateur et son médecin. La
démarche de soin est complémentaire à une réduction des risques : pour la
société ( délinquance, contamination par le VIH…), pour le sujet (course au
produit, souffrance psychique et physique…).
Ce moyen n’est il donc pas l’espoir d’une socialisation ou d’une démarche
d’une resocialisation ?
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e) Le sevrage
Remis en question par certains, valorisé par d’autres, le sevrage
apparaît comme une étape capitale pour le sujet. Possible en cure
ambulatoire, les « puristes » pensent qu’il s’agit d’un moment d’expériences
qui va permettre à l’individu de prendre du recul sur sa pratique addictive.
En hospitalisation ou en post-cure, le sujet peut s’évaluer à distance. Il
mesure ainsi la place prise dans son existence ainsi que ses enjeux.
Ceci dit, une limite reste tout de même que le changement de contexte est
rarement définitif, un retour à la vie non hospitalière arrivera et le risque de
rechute reste présent.
f) La question de la rechute
Selon le Petit Larousse de Médecine (Hachette), la rechute est « une
nouvelle poussée évolutive d’une maladie chez un sujet qui en avait déjà été
atteint et qui n’était pas bien guéri ». Etymologiquement, ce terme vient de
l’ancien verbe « rechoir » signifiant retomber.
Dans le sens médical comme dans l’esprit populaire, la rechute n’apparaît
pas souhaitable pour le sujet et, est même connotée plutôt négativement,
renvoyant à un retour à zéro.
La question qu’on pourrait se poser est de savoir à partir de quel moment il
est question de rechute ? Pour un alcoolique, est-ce d’avoir reconsommé de
l’alcool ou bien seulement d’avoir fortement pensé le faire ? Cela sous-tend
un aspect comportementaliste d’un côté, et un aspect plus psychologique de
l’autre.
Nous l’avons vu, pour les groupes d’entraide, la rechute est plutôt
dramatisée, seule l’abstinence permettant la rémission. La culpabilité
ressentie par le sujet signe la crainte du retour de la maladie et son
incurabilité.
Au contraire, certains auteurs et praticiens posent la rechute comme une
étape éventuelle, non dramatique et culpabilisante, du processus engagé par
les addictés. A. MARLATT & J. GORDON (in Les addictions chez Armand
Colin). Ils proposent une stratégie thérapeutique de « prévention des
rechutes » : afin d’éviter le drame de la première rechute qui entraînera le
sujet dans une « replonge » extrême, il est proposé au sujet d’adopter des
stratégies qui vont lui permettre de palier au comportement addictif. Par
exemple, éviter certains éléments de contexte, apprendre à repérer les
situations stressantes…Dans tous les cas, il s’agit d’un moyen opérant à
long terme, où le sujet expérimente autant de rechutes que de « victoires »
sur son objet d’addiction.
En somme, aborder la question de la rechute revient à s’interroger sur les
objectifs que l’on se donne : _ l’abstinence face au comportement addictif,
considérée par certains auteurs et praticiens comme pathologique
(C.VEDEILHIE par exemple).
_ la démarche de soin du patient.
_ la mise en évidence d’une problématique plus profonde, découlant d’un
fonctionnement de mise en échec perpétuel.
Autant d’objectifs différents qui sont basés sur des fondements et des
valeurs
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différents mais qui viendront donner du sens, autrement que négativement à
la question de la rechute.
Pour conclure sur l’addictologie clinique, deux choses essentielles
ressortent :
_ Il n’existe pas de prise en charge unique de l’addict, mais
une variété car chacune porte sur des objets différents. On s’intéresse aussi
bien au comportement du sujet qu’à ses difficultés psychologiques.
L’addiction étant définie par la théorie de laquelle elle
découle, l’addict sera, quant à lui, défini par la pratique auquel il aura accès.
Tantôt malade, tantôt représentant une minorité ou encore, être en
souffrance qui manifeste un symptôme…ce sont autant de possibilités qui
vont justifier des pratiques thérapeutiques variées mais aussi un regard
particulier sur la personne.
_ Il est intéressant de noter que la diversité des propositions,
la relative souplesse dans l’application des « programmes » reflètent la
liberté de choix des patients concernant la mise en œuvre des moyens. On
peut bien sûr formuler des critiques ou des réserves cependant, cet éventail
de possibilités semble être du sur-mesure pour le sujet et lui apporter au
final, une qualité de vie mailleure.
2 ) L’addictologie de Santé Publique
Cet aspect concerne essentiellement la prévention.
Quand on parle de cette notion, il est souvent question de LEDERMAN, un
démographe français, qui en 1956 proposa un modèle statistique faisant un
lien entre la consommation générale d’alcool dans la population et la
quantité de problèmes de santé consécutifs. Plus l’offre serait abondante,
plus le nombre de consommateurs augmenterait. De même, le
développement d’un usage nocif d’un objet ou produit entraînerait
l’apparition de la problématique de dépendance.
De nombreux constats ont pu valider ce modèle concernant l’alcool, les
substances psychoactives mais aussi pour les addictions sans drogue comme
le jeu pathologique ( plus fréquent à proximité des villes de casino).
Auparavant aux Etats-Unis, dans les années 1919 à 1933, la Prohibition
avait donné un exemple différent : interdire l’alcool a entraîné de la
délinquance et du traffic de contrebande et a fait de cette « politique » une
sorte « d’illégalisme populaire », plus dangereux encore poour la société et
les personnes.
En matière de prévention, s’occuper des addicts n’est pas l’objectif principal
mais plutôt, lutter pour la diminution globale de la consommation de la
population générale. C’est une politique de Santé Publique s’intéressant à
tous et non pas à une minorité touchée par les « gros problèmes ». Les
instances préfèrent viser les conduites ayant des conséquences directes,
visibles et nocives pour les individus, tant sur son état physique que sur ce
qu’il peut représenter comme danger pour autrui. Ainsi de nombreuses
actions, publicités et campagnes sont essentiellement axées sur les ravages
du tabac, de l’alcool et du cannabis, en France. Il existe pourtant beaucoup
d’autres conduites dangereuses mais, semble t il moins inquiétantes pour la
société si on analyse correctement les volontés politico-sociales.
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Réduire les risques, éviter que l’usage ne devienne abusif et que l’abus signe
la dépendance est l’objectif visé. Concernant la politique de réduction des
risques liés à la toxicomanie s’axe en partie, sur une politique « hygiéniste »
plus générale car elle lutte contre les problèmes de contaminations du VIH,
des hépatites par la mise en place de distribution de seringues et de
préservatifs (Stéribox).
En outre, la prévention passe aussi en France par une réglementation
« stricte » (ou qui tend à le devenir) à l’égard des produits « possiblement
addictifs ». Ainsi la commercialisation du tabac, de l’alcool, des
médicaments psychoactifs (prescrits) sont concernés, tout comme les
publicités qui s’y rapportent ; le but semblant être de réduire les tentations.
Par exemple, la Loi Evin sur le retrait du prix du tabac du calcul des indices
de consommation serait une politique dissuasive.( !) Enfin une large part
concerne une prévention plus répressive : la sécurité routière, la protection
des mineurs et depuis quelques années le dopage.
L’addictologie de Santé Publique s’axe donc essentiellement sur une
politique de réduction des risques. Parce que certaines « dépendances »
peuvent comporter un aspect positif et constituer des compromis existentiels
valides, à un moment donné de la vie du sujet, elle tente d’imaginer des
stratégies particulières visant à prserver certaines formes de dépendances
pour limiter au maximum les plus extrêmes.
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