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RENAPSUD – 04 décembre 2007
Familles et addictions :
Clinique des relations
Myriam Cassen
Psychologue clinicienne, thérapeute familiale
Institut Michel Montaigne, 1 rue Charles Laterrade 33400 Talence
tél: O5 56 37 90 95 e mail: [email protected]
Approche familiale des
addictions
Modèle de Denise Kandel (1975) :
alcool, tabac : social
Cannabis : pairs
autres drogues illicites : familial
Description « typique » de la famille
« addict » :
Mère hyperprotectrice, permissive…
Père absent, détaché ou violent, imprévisible…
Homme de paille
Taux très élevés de séparations/pertes
Un exemple de modèle
systémique
Salvador Minuchin, Jay Haley
M. Duncan Stanton & Thomas Todd
Heroin addiction as a family phenomenon (1978)
The family therapy of drug abuse and addiction
(1982)
Au-delà des particularités déjà relevées, ces
auteurs notèrent l’extrême fréquence des
interactions, souvent conflictuelles, entre les
jeunes addicts et leur famille, des longues
cohabitations, etc.
Approche familiale
des addictions
Stanton & Todd
(1978, 1982)
Hypothése homéostatique
L’addiction protégerait la famille en donnant à
l’addict une raison externe de ne pas
s’autonomiser
L’angoisse fondamentale de séparation
alimenterait des mécanismes de
codépendance
Nous accepterons tout plutôt que de te voir
nous quitter
Tentation de la parentectomie
Le choix du symptôme
Familles déjà exposées à des usages
Ou à d’autres pratiques addictives
Familles collées avec de forts liens
d’étayage réciproque
Relation mère-enfant symbiotique
Forte présence des décès
Familles en cours d’acculturation
Fonction du symptôme
Psychobiologie : plaisir régressif infantile,
anxiolyse, mise à distance des affects tout en
étant présent
Comportemental : indépendance apparente
dans le monde de la drogue, oppositions
dévaluées (la drogue est responsable)
Une solution paradoxale, une pseudoindividuation, qui permettent d’être à la fois
dedans et dehors où l’on s’émancipe
apparemment de sa famille tout en y restant.
Limites du modèle
Il s’agit d’un modèle descriptif et non
étiologique
D’autres facteurs de vulnérabilité
interagissent
Beaucoup d’addicts, à l’inverse, ont connu
des expériences précoces de séparation, de
placement, de ruptures…
Mais quand les familles sont présentes, ce
modèle nous rappelle qu’elles peuvent être
un support essentiel de changement
Alliance
Approches collaboratives
Travailler avec et non sur la famille
William R. Miller
A collaborative approach to working with
families
(Addiction, 2003, 98(1), 5-6)
Rappel neurobiologique
L’initiation du processus est plutôt
socio-environnementale
La dépendance semble plutôt liée à une
psychopathologie préalable et/ou à des
facteurs biologiques et génétiques
Qui va succomber ? Qui est résilient ?
Vulnérabilité(s) ?
Principales théories
Neurones dopaminergiques
Cortex préfrontal et fonctions
exécutives
Circuits associés à la rechute
Circuits associés au stress
(vulnérabilités initiales, différences inter-individuelles)
Niveaux cellulaires et moléculaires
Cortex préfrontal et fonctions
exécutives
Les régions préfrontales sont impliquées dans
des mécanismes essentiels de contrôle et
d’inhibition
Ces mécanismes sont affectés par une
exposition importante et prolongée aux
drogues
Ces dysfonctions cognitives provoquent
notamment une incapacité à inhiber les
réponses associées aux drogues
Réponses impulsives-compulsives
Cortex préfrontal et contôle
inhibiteur
Le dérèglement fonctionnel du cortex
préfrontal serait à l’origine des conduites
impulsives-compulsives
(Jentsch & Taylor, Psychopharmacology, 1999)
Les états de motivations internes qui
orientent le sujet vers la consommation de
renforceur primaire (ex. drogue) sont régulés
par un contrôle inhibiteur puissant préfrontal
Son dérèglement amène à une concentration
des conduites sur les stimuli de dépendance
Imagerie cérébrale dans
l’addiction
Convergence des données expérimentales
(animales) et de l’imagerie cérébrale
Anomalies graves du fonctionnement des
cortex préfrontal et cingulaire
Détérioration des contrôles inhibiteurs et des
prises de décision
Choix sans cesse répété des récompenses
immédiates
Incapacité à différer une conduite
Applications…
Le développement de l’addiction entraîne un
dérèglement de la capacité d’attribuer à un
renforceur commun une valence attractive
normale en raison de l’usurpation de ces
valences par les drogues d’usage au
détriment des capacités de choix -ou de libre
arbitre- du sujet (Volkow et al, Am J Psychiatry, 2002)
Ces circuits de contrôle inhibiteur doivent
avoir été sollicités régulièrement pour être en
mesure de fonctionner
Rôle des parents, de la famille…
Evolution des concepts et des
pratiques (1)
Longtemps le paradigme dominant en
addictologie a été celui de l’abstinence totale
et définitive comme seule voie de guérison
(de rédemption?) possible.
Aucun intermédiaire possible et acceptable
entre dépendance et abstinence
Certains pensaient que, même abstinent, le
dépendant restait un malade et ne pouvait
jamais véritablement « guérir » (AA, CT…)
Evolution des concepts et des
pratiques (2)
En toxicomanie tout d’abord, une approche
plus nuancée s’est développée en
reconnaissant l’utilité et la légitimité
d’objectifs intermédiaires qui introduisaient
une dimension comparative (aller mieux) et
non plus absolue (tout ou rien)
Prendre moins de produits différents, moins
illégaux, en prendre moins souvent, en moins
grandes quantités, avec des modes
d’administration moins périlleux (IV) …
La rechute
Dans cette perspective, même la « rechute »
n’était plus perçue comme une fin du monde,
un nouvel échec rédhibitoire
Mais comme une étape dans le parcours de
soins dont il convient de tirer les leçons pour
aller plus loin
C’est souvent l’expérience de la rechute qui
met le patient sur la voie de ses propres
vulnérabilités psychologiques, familiales,
sociales…Le produit n’explique pas tout.
La politique de réduction des
risques et des dommages
Cette politique (1987) entérine cette nouvelle
approche pragmatique : distribution de
seringues, PES, « boutiques », substitution
etc.
On renonce à l’idéal d’abstinence immédiate
pour que les patients « aillent mieux » (VIH,
insertion sociale, appui psychologique…) avec
des objectifs plus rapidement « atteignables »
Et les autres addictions ?
Alcool : toutes les études indiquent
également que la réduction des quantités
d’alcool consommé et/ou du nombre de jours
de consommation ont un effet bénéfique
Tabac : ce n’est pas vrai pour le risque cancer
mais c’est exact pour les problèmes
respiratoires, le risque cardio-vasculaire…
Il est donc légitime de prescrire des gommes
même à un fumeur qui ne veut pas
totalement arrêter, pour qu’il aille mieux…
Une approche globale
L’évaluation des progrès n’est donc plus
fondée sur la seule approche toxicologique
Elle prend en compte des paramètres biomédicaux, psychologiques, socioenvironnementaux et de qualité de vie
Cette dynamique souvent plus proche des
attentes des patients permet de bâtir plus
aisément une alliance thérapeutique
Prise en charge globale et individualisée
Efficacité/dépendance
Cette approche progressive permet
également de prendre en charge des
personnes qui fuyaient les soins parce
qu’elles ne voulaient pas arrêter ou ne
pensaient pas pouvoir y arriver
Beaucoup de personnes arrivent à arrêter
quand elles ne se sentent pas acculées à le
faire (par rapport à leur propres idéaux, à des
pressions de l’entourage, aux attentes
prêtées aux soignants…)
Un paradoxe clinique
C’est souvent quand on renonce à
arrêter, en visant plus simplement à
aller mieux grâce à toutes sortes de
petits objectifs accessibles
Qu’on finit à terme par renoncer aux
produits…
Cela nous amène à la perspective
systémique !
Perspective systémique
« Le psychiatre est formé pour aborder un
cas particulier avec un modèle de maladie
mentale (…) il essaye de se l’expliquer grâce
à ce modèle.
Bateson ne s’est pas demandé pourquoi cette
personne s’est comportée de manière folle
mais dans quel système humain, dans quel
contexte, ce comportement peut faire sens. »
Paul Watzlawick
Les prophéties
auto-réalisatrices
Si le modèle social ou médical pense
que la rechute est assurée et l’évolution
nécessairement péjorative (« Qui a bu
boira ! », « Ces alcoolos –ou ces
toxicos-, ils ne s ’en sortent jamais, ils
n’ont pas de volonté »)
Alors, il y a de fortes chances que les
patients se conforment à ce modèle
Qu’est-ce qu’un système ?
Un ensemble d’éléments en interaction
Principe de totalité
Principe de non-sommativité
Homéostasie
Circularité
L’interaction
Construction commune et simultanée
d’une information et d’un
comportement
Importance fondamentale de la rétroaction ⇒ possibilités de changement
Co-construction de la relation
Les conditions du soin
dans une perspective systémique, pour une
famille (ou un système) dont un membre est
alcoolo-dépendant :
Permettre la reconnaissance du trouble par
l’ensemble des personnes concernées
Ouvrir la possibilité d’en parler et de le
dénommer
Repérer les interactions qui sont des facteurs
aggravants, pérennisants ou au contraire qui
favorisent une évolution positive
Co-construction du système
thérapeutique
Le thérapeute avec la famille et le
patient désigné va construire un
protocole de soins à chaque fois
différent, chaque système est singulier.
Le protocole peut comporter jusqu’à 6
étapes.
Les étapes du protocole
A/ Exploration du problème
B/ Tentatives de solution
C/ Co-construction de contextes
différents
D/ Prescription de tâches
E/ Co-évaluation des changements
F/ Poursuite ou remise en cause du
protocole de soins.
Exploration du problème
« Quel est le problème pour vous ? »
« D’après vous, pour l’autre ? »
Travail sur la représentation que je me
fais des autres, circularisation des infos
Qui en souffre ?
Qui demande quoi ?
Tentatives de solution
Toutes les tentatives de solution mises
en place par la famille sont explorées,
ainsi que les alliances ou coalitions
cachées.
Le thérapeute souligne le :
toujours plus de la même chose
Co-construction de contextes
différents
Cesser le « Toujours plus de la même
chose »
Et le bras de fer avec le patient désigné
Anticiper les contextes de facilitation
Eviter les situations à risque
Les prescriptions de tâches
Les travaux de Nardone sur les
patientes boulimiques
Pour le patient désigné
Pour la famille
Co- évaluation des
changements
Qu’est-ce qui a changé? Pour qui?
Qu’est-ce qui est privilégié dans ces nouvelles
interactions? Ou bien qui?
Y a-t-il des perdants?
Des nouveaux problèmes?
Quelles stratégies la famille va-t-elle
développer pour retrouver l’état antérieur?
PRESCRIPTION DE LA RECHUTE
Poursuite ou remise en cause
du protocole de soins
Quels sont les nouveaux problèmes?
Sur quoi va-t-on travailler?
Avec qui?
Comment?
Les Groupes Multifamiliaux
Entre 5 et 8 familles
Un seul trouble
Familles d’une grande diversité
Groupe fermé
Structuration du groupe par
des règles précises
Assiduité
Sujets abordables et non-abordables
Confidentialité
Temps de parole
Respect des autres
Pour chaque pathologie ou
problème
Privilégier des thèmes spécifiques
- Gestion des interdits
- Gestion du symptôme addictif
- Problème de la confiance, du pouvoir,
du contrôle
Techniques processuelles et
thématiques
Ecoute, apprentissages mutuels
Résolution des problèmes
Ouverture à différents points de vue,
etc…
Equilibre approches verbales et
approches actives (non-verbales)
Jeu du cercle
Exercice de collaboration : développer
la collaboration intra et inter-familiale
en situation de crise et dans la vie
quotidienne
Croisements parents/enfants (crossparenting) ou technique d’adoption
Le « groupe dans le groupe » ou
« poisson dans le bocal », etc…
Evaluation des thérapies
multifamiliales
Réalisées par les familles
Basées sur les évaluations cliniques
Mesures répétées des progrès : échelle
de stress post-traumatique, anxiété,
fonctionnement familial (pré-test et
post-test)
Exemple de la schizophrénie
Travaux de Mc Farlane : avec un
groupe contrôle
Au bout de 4 ans, taux de rechute :
- 50% avec les groupes multifamiliaux
psycho-éducatifs
- 57% avec thérapie multifamiliale
systémique
- 78% thérapie unifamiliale
L’alcoolo-dépendance
Recommandations de l’Inserm (2004)
Approche multiconjugale et
multifamiliale
Taux d’abstinence plus élevé après 6
mois de suivi que dans des approches
unicouples
A lire absolument !
Thérapies
multifamiliales et
addictions
Myriam Cassen &
Jean-Michel Delile
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