Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, les trois rapporteurs viennent de présenter de manière claire, complète et poétique – je pense à la référence biblique au chiffre sept, par exemple les analyses et les amendements de la commission spéciale sur le projet de loi qui est soumis au Sénat. Je ne reviendrai donc pas sur ces sujets, sauf en ce qui concerne quelques points. Je tiens, moi aussi, à souligner l'important travail qui a été mené. À cet égard, je veux remercier nos collègues du groupe de travail, puis de la commission spéciale ainsi que les rapporteurs de l'engagement qui a été le leur tout au long des trois mois d'audition. Je souhaite également remercier le président Jean-Paul Emorine d'avoir suggéré la mise en place d'une telle commission spéciale. Je veux maintenant vous faire part du regard que je porte sur ce texte et des réflexions qu'il m'inspire. Au-delà des mesures qu'il propose, le projet de loi lance un appel à une adaptation accentuée de notre pays à la mondialisation. Ceux d'entre nous qui ont accompli des missions hors de nos frontières n'en reviennent-ils pas souvent avec le sentiment que le reste du monde bouge plus vite que nous ? Il suffit d'entendre ceux qui ont vu les chantiers ouverts en Russie, au Brésil, en Inde, mais aussi dans le reste de l'Asie ou de l'Amérique du Sud, pour se rendre compte de ce décalage. Il suffit d'avoir perçu l'appétit au travail, à la création de richesses pour ressentir l'impression d'un certain assoupissement français. Il y a quelques années, cet assoupissement paraissait participer d'un engourdissement européen. Aujourd'hui, une telle explication n'est plus pertinente. Les États providence d'Europe du Nord ont fait leur aggiornamento budgétaire ; l'Allemagne a rétabli sa productivité et a repris ses conquêtes exportatrices ; la Grande-Bretagne a reconstruit ses services publics et Londres est le pôle magnétique de la finance européenne ; les pays d'Europe de l'Est et du Centre avancent à bon pas dans la voie du rattrapage économique et social. En comparaison, malgré des efforts conduits depuis quelques années, notre pays semble encore engoncé dans des problèmes que d'autres ont résolus. Nos finances publiques portent le poids de la dette, notre déficit extérieur se réduit trop peu, nos grandes réussites industrielles – le nucléaire, le train à grande vitesse ou l'avionique – reposent sur des percées de notre appareil de recherche qui remontent à deux, trois, voire quatre décennies. Nos concitoyens perçoivent d'ailleurs davantage la constitution d'un marché mondial comme une menace dont il convient de se protéger que comme une opportunité à saisir. C'est une vraie différence avec nombre de nos partenaires de l'Union. Je le constate dans les pays que je visite dans le cadre de la mission sur la flexsécurité que je conduis actuellement, à la demande du conseil des ministres du travail des Vingt-sept, en observant la manière dont les partenaires sociaux abordent la globalisation. Nous sommes encore trop frileux, alors même que la globalisation peut constituer un outil de sortie du sous-développement pour les trois quarts de la planète. Nous avons besoin de services publics efficaces, expression de la solidarité collective et ciment de la cohésion territoriale et nationale. C'est indéniable ! Mais, dans le tourbillon concurrentiel qui balaye le globe, nous avons aussi besoin d'entrepreneurs et d'entreprises à même d'assurer le maintien et le développement non seulement de notre niveau de vie, mais également de notre influence. Ayons-le à l'esprit ! De ce point de vue, le projet de loi dessine les conditions d'un réveil de la vitalité économique nationale. Face à la menace d'assoupissement économique, il nous faut organiser la levée en masse d'entrepreneurs ; depuis cinq ans, le nombre de créations d'entreprises est un signe positif. Nous avons donc besoin de plus de liberté. Un tel objectif suppose une pédagogie, une valorisation de l'esprit d'entreprise et de ses réussites afin de favoriser l'évolution des mentalités. Un tel objectif impose une facilitation de la vie de l'entrepreneur, une politique plus favorable à l'éclosion des petites et moyennes entreprises et à leur croissance afin d'encourager également le « rebond », c'est-à-dire l'acceptation d'un éventuel échec, qui n'est pas la condamnation définitive de l'entrepreneur. Il exige une plus grande ouverture des marchés publics et privés aux petites entreprises. Celles-ci en sont souvent écartées pour cause de taille et, du coup, elles ne peuvent pas grandir. Il commande aussi des stratégies de développement de nos entreprises de taille médiane, à l'instar, comme le disait Laurent Béteille, du modèle allemand d'entreprises moyennes fortes, innovantes et exportatrices. Ces Mittelstand, dont le tissu serré fait la force industrielle de notre grand voisin, ne sont pas directement « avalées » par les multinationales et, grâce à leur identité, elles peuvent répondre au combat de la globalisation. Cette orientation structure l'un des volets du projet de loi. Néanmoins, je ne crois pas que le dispositif proposé épuise le sujet. Il constitue un pas dans la bonne direction. D'autres devront suivre. Aujourd'hui, pour assurer notre avenir, il nous est nécessaire d'opposer au choc de la mondialisation des bataillons d'entreprises inventives et libérées de certains carcans. Pour cela, il nous faut alléger les feuilles de marche des entreprises conquérantes à l'export. Ayons aussi conscience que, pour mieux se projeter dans le lointain, notre économie doit davantage s'enraciner dans les activités de proximité. Cette économie de proximité est en effet un concept qu'il nous paraît essentiel de prendre en compte. Le territoire national est le socle à partir duquel nos entreprises peuvent se déployer hors de nos frontières. C'est ma conviction. C'est aussi une conviction largement partagée par la commission spéciale. Il importe donc, avec un double souci d'équilibre, comme le soulignait Élisabeth Lamure, et de spécialisation optimale, de valoriser nos territoires urbains tout comme nos territoires ruraux. La plus large diffusion de l'Internet à haut débit et une meilleure couverture des régions par les technologies de l'information et de la communication sont des moyens qu'il s'agit de promouvoir en priorité. L'irrigation financière en est une autre. De ce point de vue, la volonté de faire figurer Paris parmi les places financières mondiales les plus attractives est essentielle. L'objectif poursuivi par ce texte de lui donner les moyens de concurrencer directement Londres me semble particulièrement bienvenu. Il n'y a pas de grand pays sans grande capitale économique, et comment avoir l'ambition d'une capitale économique de rayonnement international sans place financière de premier plan ? L'irrigation commerciale des territoires est, elle aussi, un facteur de leur développement et de maîtrise des prix. Cependant, quand il s'agit de grandes surfaces, c'est un flux qu'il convient de canaliser avec doigté, car il ne faudrait pas qu'il fasse plus de ravage que d'usage ! C'est pourquoi la commission spéciale proposera en la matière un triptyque équilibré de mesures qui se complètent : la prise en compte de la diversité de nos territoires dans le cadre des schémas de cohérence territoriale, pour donner aux élus locaux les moyens d'exercer leurs responsabilités en matière d'aménagement, la création d'une Autorité de la concurrence dotée de pouvoirs importants pour contrôler efficacement les concentrations et les pratiques anticoncurrentielles qui pénalisent le pouvoir d'achat des Français ; un FISAC renforcé par des moyens financiers garantis et la création d'un conseil stratégique composé d'élus ainsi que de représentants du monde économique. Le commerce n'est pas la seule activité de proximité à privilégier, même s'il peut être un vecteur majeur de la diffusion des bénéfices de la globalisation dans tout le pays, notamment au travers des avantages de prix. Les services à la personne, notamment à celles de grand âge, les prestations touristiques qui mettent en valeur le patrimoine local, la logistique agricole, si nécessaire dans nos territoires ruraux, les transports, collectifs ou individuels, doivent notamment être intégrés dans nos schémas de développement. J'y ajouterai les activités de recherche. Le projet de loi les aborde de manière limitée. Mais elles sont « le carburant de notre croissance » : sans elles, le moteur de l'activité économique se grippera. C'est pourquoi je tiens à saluer le succès de l'ancrage de notre effort de recherche dans les territoires. Je veux parler des pôles de compétitivité mis en place il y a trois ans. Cette formule nouvelle et originale paraît fonctionner. C'est ce que confirme l'évaluation rendue il y a quelques jours par un grand cabinet international. C'est ce que démontre également la décision que vient d'annoncer le Président de la République de reconduire, pour trois ans, les soutiens budgétaires qui leur sont apportés. Il me semble, d'ailleurs, que la Haute Assemblée gagnerait à dresser le bilan de l'autre volet de cette politique d'enracinement territorial de la recherche, je veux parler des pôles d'excellence rurale. L'objectif à atteindre est la construction d'une économie de services encore plus efficace, mais qui continue à s'appuyer sur une base industrielle forte. Ayons présent à l'esprit que le premier consommateur de services est le secteur industriel. Ne l'oublions pas dans nos réflexions d'aujourd'hui ni dans celles de demain ! Le grand chantier de la modernisation économique de la France ne sera pas achevé avec ce texte. Il devra être remis sur l'ouvrage dans les prochaines années. De fait, il ne s'agit pas seulement d'ajuster en permanence nos structures et nos règles économiques à leur nouvel environnement international. Il s'agit également d'aider nos concitoyens à accomplir une « mue culturelle » à travers le regard qu'ils portent sur l'entreprise et sur le monde qui les entoure. Dans notre vieux pays colbertiste, c'est une œuvre à multiples facettes et de longue haleine. C'est pourquoi le débat sur la modernisation de nos relations sociales est si important pour accomplir ensemble cette mutation. Le concept de flexsécurité, qui n'en est qu'à ses débuts dans notre pays, doit devenir une réalité qui contribuera à réaliser cette mue afin que les perdants de la globalisation ne soient pas toujours les mêmes, ce qui est source d'incompréhension. C'est, me semble-t-il, un rendez-vous tout à fait essentiel, car on ne peut pas parler de modernisation de l'économie sans modernisation de nos relations sociales. Notre assemblée peut dans le domaine du développement économique jouer un rôle important. Beaucoup d'initiatives très diversifiées ont déjà été prises en ce sens au cours des dernières années. Nous devons les amplifier et les coordonner avec les travaux législatifs de notre assemblée, pour mieux épauler l'implantation de petites et de moyennes entreprises françaises dans les régions, en Europe et hors de nos frontières. Nous pourrions, par exemple, mettre à disposition des créateurs d'entreprise les dernières informations législatives pouvant leur être utiles, notamment sous forme de base de données ciblée. Dans cet ordre d'idée, le Sénat aurait à être un observateur prospectif et un incubateur législatif, mais aussi un promoteur de l'innovation et des modèles de réussite entrepreneuriale. Il devrait également, bien sûr, être attentivement à l'écoute des acteurs économiques et des partenaires sociaux, pour s'appuyer sur les leçons de l'expérience et dégager des consensus. Pour conclure, je tiens à remercier de leur contribution les trois rapporteurs de ce texte, Élisabeth Lamure, Laurent Béteille et Philippe Marini, et à leur exprimer ma gratitude pour le travail qu'ils ont conduit, dans des conditions qui n'étaient pas faciles ; nous allons maintenant passer avec eux quelques heures de débat sans doute nourries et passionnantes ; mes remerciements vont également à tous les membres de la commission spéciale, de quelque sensibilité politique soient-ils. Les conditions de notre travail n'ont pas été si aisées car si, en effet, nous avons entamé notre réflexion il y a trois mois, le temps s'est précipité à la fin. Or, le temps se précipitant, l'examen serein d'un certain nombre d'articles s'en est trouvé compliqué, d'autant que, partis 44, ils arrivèrent 122 ! Nous espérons qu'au bout du compte nous arriverons à libérer des énergies : tel est l'intérêt de notre pays et de nos concitoyens !