Préambule : Qu’est-ce que l’économie ? Il y a deux conceptions de l’économie. Pour certains, l’économie est la « science économique », « science des choix », - c’est la définition de Stigler, qui reprend l’ancienne formation de Lionel Robbins pour qui « L'Économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usages alternatifs ». Cf. Essai sur La nature et la signification de la science économique, Paris Librairie Médicis 1947. Source :http://lemennicier.bwmmediasoft.com/article.php?ID=104&limba=fr. Karl Polanyi qualifie de « formelle » cette définition. Dans ce sens, il s’agit d’étudier l’usage optimal des moyens qu’on se donne ou qui sont disponibles pour réaliser une finalité, supposée donnée. L’acte est donc « économique » s’il y est « rationnel ». Pour d’autres, les économistes classiques du siècle et les économistes « hétérodoxe » contemporains, l’économie doit être comprise comme « économie politique », science de la production, de la circulation et de la répartition des richesses sociales. À la différence des néoclassiques, l’économie n’est une science que d’un domaine de la vie sociale et de son interaction avec l’environnement matériel. Karl Polanyi qualifie de « substantive » cette définition, qu’il a en commun avec Karl Marx ou Alfred Marshall. Ainsi, au chapitre 2 d’Avez-vous lu Polanyi (par J. Maucourant, La dispute, 2005), cette double signification de l’économie est ainsi présentée : « Polanyi qualifie de “ substantif ”, l’économie [qui] “ tire son origine de la dépendance de l’homme par rapport à la nature et à ses semblables pour assurer sa survie. [Ceci] renvoie à l’échange entre l’homme et son environnement naturel et social ” [et] permet d’appréhender les phénomènes économiques pour toutes les sociétés afin de réaliser des études comparées. En revanche, la conception de l’économie propre à la société de marché est très différente. Polanyi la qualifie de “ formelle ” : “ le sens formel dérive du caractère logique de la relation entre fins et moyens, comme le montrent les expressions “processus économique” ou “processus qui économise les moyens”. Ce sens renvoie à une situation bien déterminée de choix, c’est-à-dire entre les usages alternatifs des différents moyens par suite de la rareté des moyens ” […] Ainsi, l’économie d’échange économique généralisé confond ces deux sens de “ l’économique ” […] “Comme l’expliquait Menger, l’économie comportait deux “directions élémentaires” l’une était la “direction économisante”, provenant de l’insuffisance des moyens, tandis que l’autre, celle qu’il appelait “direction technico-économique”, provenait des exigences physiques de la production sans égard à l’abondance ou l’insuffisance des moyens ”. L’acte économique en général […] se distingue de sa conception formelle […] Il faut ici distinguer la finitude, le fait que le monde est fini, de la rareté, état social où les choix émergent à cause de l’insuffisance de moyen : “ Le sens substantif implique ni choix ni insuffisance. La subsistance de l’homme peut entraîner ou non le besoin de choisir. La coutume et la tradition, en général, éliminent le choix et, si choix il y a, il n’a pas besoin d’être causé par les effets limitants d’une quelconque “rareté” des moyens ». Ainsi, pour des économies qui ne sont pas dominées par le Marché, la “ situation de rareté ” n’est pas la règle qui détermine globalement le fonctionnement de l’économie ; il existe d’autres contraintes que nous qualifions pour ces sociétés, de “ politique ”, “ religieuse ” ou “ éthique ” – qui structurent l’économie. Ces contraintes ne peuvent pas être analysées en fonction de la logique coût-bénéfice, sauf à supposer que les acteurs sociaux déterminent les normes socioéconomiques en fonction de ce type de considération ». Cf. : http://www.scienceshumaines.com/avez-vous-lupolanyi_fr_5570.html Dans le cadre « substantif », ce sont les moyens institutionnalisés de la « subsistance de l’homme », et, plus généralement, le cadre même de la vie humaine qui est l’objet de la science. Or, nombre de peuples ne conçoivent pas l’économie selon le critère de la maximisation. Il ne s’agit pas de faire systématiquement « au mieux » mais d’utiliser les moyens, compte-tenu de contraintes sociales : les hommes n’ont pas toujours été des entrepreneurs capitalistes. Il faut se débarrasser de l’idée d’économie comme activité systématiquement basée sur la maximisation. AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 1 Introduction : Méthodologies de l’économie §1. L’individualisme méthodologique (IM) §2. Le holisme méthodologique (HM) L’ IM est un principe d’explication qui consiste à analyser un phénomène économique ou social comme étant le résultat des comportements individuels. La microéconomie se fonde ainsi sur cet individualisme méthodologique. Il existe également une sociologie qui se veut aussi individualiste dans sa méthode que la microéconomie : la « sociologie compréhensive » de Max Weber. En pratiquant la compréhension du sujet social, « en se mettant à sa place », on tente d’en arriver à une explication des comportements collectifs. Cette méthode serait propre aux sciences sociales car si on ne peut pas faire d’expérience sur les hommes, en général, nous sommes des hommes. On explique donc les comportements humains au niveau collectif en se fondant sur une logique des comportements individuels : il suffit d’attribuer aux individus certaines finalités, comme maximiser le profit monétaire, selon un mode de conduite : celui du comportement rationnel. On en examine, alors, les conséquences du fait que les individus poursuivent leurs objectifs. Il s’agit de rendre compte de la naissance des phénomènes collectifs (« supra individuels ») qu’on explique par des interactions des comportements individuels. On se méfie de certains concepts si l’on est partisan de l’IM. La « société » est ainsi une notion floue. Tout doit s’expliquer par des comportements individuels (Hayek parle donc de « supra individuel » au lieu de société). Comprendre l’action humaine présuppose la rationalité de celle-ci, bien évidemment ! Certes, l’homme n’est pas toujours rationnel. Mais, dans le cadre d’une économie de marché en situation de concurrence, les individus irrationnels peuvent être évacués de l’analyse : ainsi un entrepreneur fondamentalement irrationnel fait faillite … La concurrence comme fait collectif est l’aiguillon de la rationalité individuelle. Toutefois, les êtres humains ont des déterminations culturelles, extrêmement fortes : on a du mal à se mettre « à leur place » sans dommage ! Sauf à projeter violemment certains types de rationalité et d’image du monde social sur les acteurs du système étudié. Le holisme est un principe selon lequel les comportements individuels s’expliquent par référence aux structures sociales et au milieu dans lequel se situent les individus. Nous avons ainsi besoin de recourir aux « concepts « sociaux » (Wesley Mitchell) pour comprendre une réalité humaine qui est sociale. La microéconomie peut, certes, être utile sur quelques sujets : mais, à elle seule, c’est une fausse piste qui éloigne la science de son seul objet sérieux : la réalité. En effet, dans la réalité, les consommateurs et producteurs s’inscrivent dans des cadres sociaux, historiquement construits, qui modèlent les comportements des acteurs. Si l’on ne retient que l’épure rationnellement reconstruite de l’homo œconomicus, sans passé, sans influences sociales ni objectifs sociaux généraux, on risque de fabriquer une économie à faible contenu empirique. Le HM veut donc prendre au sérieux la richesse des contextes sociaux contre le « rationalisme » propre la méthode très abstraite de l’IM. Ainsi, on ne veut pas partir, dans le cadre de l’HM, de seules caractéristiques prétendues des individus ; certaines règles expriment des logiques du Tout sur les Parties de la société. Ainsi, Marx estime qu’il importe de découper la société en classes sociales pour expliquer les comportements, car le comportement individuel ne peut se comprendre sans la logique de classe, sans les conflits entre groupes humains liés au processus économique. La contradiction entre classes permet de comprendre la dynamique historique d’ensemble (le tout) qui anime une société divisée entre propriétaires des moyens de production et les non propriétaires (les parties). Néanmoins, Marx reste lucide : sans sentiment d’appartenir à une classe, sans conscience de classe, il n’y a pas de classe sociale, même si les fondements matériels de la classe existent économiquement. Pour Marx, sans le sentiment subjectif d’être membre d’une classe, l’objectivité de l’économie n’est pas un moteur décisif de l’histoire. AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 2 §3. Les institutions entre individualisme et holisme Évoquons maintenant les « institutionnalistes américains », comme Commons ou Mitchell, très célèbres dans l’entre-deux Guerres, dont l’ambition était d’améliorer le capitalisme et non de le remplacer. Ils ont suggéré de fonder la science économique sur l’étude des comportements collectifs appelés « institutions », car les faits collectifs déterminent largement les conduites individuelles. Il peut s’agir de la propriété privée, de l’État, de la monnaie etc. Plus précisément, le concept d’institution renvoie à l’ensemble de normes explicites, aux habitudes et aux représentations partagées structurant la vie sociale, assignant ce qui est légitime pour la société et sanctionnant les déviances. Dans le sens général, que nous prenons ici, outre la propriété privée déjà citée, le langage, le don – l’échange de réciprocité – sont des institutions. Du point de vue analytique, l’institution désigne en fait une notion très générale qui permet de faire le lien entre le tout et les parties. D’ailleurs, dans certaines sociétés, la circulation de richesses et la motivation à les produire se fait surtout par l’institution du don. Le sociologue français Marcel Mauss a même estimé que cette institution – qui renvoie à obligation de donner, de recevoir et de rendre – est le fondement même de l’interaction sociale. A cet égard, dans certaines sociétés, quand on accepte un cadeau, on doit le rendre, voire plus, pour montrer qu’on est un homme de valeur, généreux et digne. C’est la naissance d’un cercle ouvert car il faut rendre à nouveau. Celui qui ne peut plus redonner est dévalorisé socialement. La circulation économique des biens et services est donc le résultat de jeux sociaux ; les transactions sont sociales et économiques. La question du don renvoie à l’alchimie de la société, l’alliance qui fait de l’ennemi un ami. Le « symbole (symbolon) », qui est à l’origine, en grec ancien, un objet que l’on casse pour sceller l’alliance de deux groupes, va même désigner, sous la plume de Platon, l’argent qui circule. L’économie est encastrée dans la société et l’homme produit des liens sociaux pour vivre. Il ne fait pas que produire des biens pour vivre : l’homme, animal social, est immergé dans un univers symbolique. Pour ce qui intéresse les économistes, les institutions que l’humanité a créées pour régler la société, c’est-à-dire les institutions économiques, sont le don, la redistribution par l’État, les marchés libres ou non, la propriété privée, étatique ou sociale, la monnaie, la finance, etc. Ces règles sociales, qui sont les institutions mêmes, rendent les comportements humains prévisibles, selon Commons (18741950), l’inspirateur du New Deal. C’est cette prévisibilité des comportements sociaux qui rend possible l’économie comme « science du comportement humain » (Mitchell). Sans institutions, pas de science possible donc ! C’est ainsi parce que c’est un « esprit institutionnalisé » qui habite l’homme que l’économie est possible. La question essentielle est la suivante : il n’est donc pas possible de faire comme si les institutions n’existaient pas : un individualisme méthodologique de type « psychologique » est irréaliste. C’est le très libéral Hayek qui a tellement tenu compte de l’évolution sociale, de la sélection des groupes sociaux, qu’on l’a qualifié d’« individualiste institutionnel ». Certains en ont déduit que l’IM est en fait une contradiction dans les termes … On peut considérer les holistes comme des « institutionnalistes radicaux ». L’œuvre de Veblen illustre ce cas : cet auteur, qui en appelait à une révolution des techniciens et des ingénieurs contre le capitalisme, a voulu construire une théorie évolutionniste de la production et de répartition des richesses. L’ « industrie » et la « finance » était pour lui des institutions antagoniques – topos très actuel dont la contradiction même était révolutionnaire, la quête du profit monétaire étant l’effet d’un moment singulier de l’évolution de l’humanité. Alors, quelle méthode pour quelle science ? L’Individualisme méthodologique, de Smith à Hayek ? Ou un holisme méthodologique de Veblen à Marx ? AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 3 Chapitre 1 Aux fondements de la politique néolibérale Les principes de l’analyse de Hayek §1. Sur la Biographie de Hayek (1899-1992), le libéral radical, et son œuvre originale Hayek publie Prix et production en 1931 et s’oppose à Keynes, qui a écrit en 1930 La théorie de la monnaie. Mais, si la bataille est perdue contre Keynes durant les années 19301946, sa théorie monétaire de la « structure de production » est redécouverte à la fin des années 1970. Durant cette éclipse, il se lance dans l’examen des fondements philosophiques de l’économie et théorise une alliance de l’IM avec l’approche compréhensive. Il approfondit l’héritage de l’économie « autrichienne » de son maître, Carl Menger. Sa philosophie économique est dite « subjectiviste » contre l’« objectivisme » de Durkheim ou de Marx. Le subjectivisme hayekien, qui s’affirme à partir des années 1940, insiste sur la spécificité de la science sociale : on ne peut faire d’expérience sur la société. Mais, ce n’est pas une difficulté ! Le physicien qui ne peut se mettre à la place des atomes n’a pas la chance de l’économiste qui peut se mettre à la place d’un individu … D’ailleurs, on ne peut assimiler la société à une machine. Il n’y a pas de dessein immanent à la société qui, d’une certaine, façon, n’existe pas : si l’homme veut, la société ne « veut » pas : les structures sociales ne sont que des émergences issues des interactions humaines. Le holisme ne serait donc pas possible car il n’est pas possible – à partir de la seule perception subjective – de connaître directement la totalité (la société) qui, , peut être considérée comme un leurre anthropomorphique. L’hypothèse de rationalité des comportements humains est – notons-le - la pierre angulaire du subjectivisme à la Hayek, même si la rationalité considérée est limitée. Il s’éloigne ainsi de plus en plus de l’approche économique traditionnelle des néoclassiques, dont il était proche, et critique la mathématisation à outrance de l’économie. On peut dire qu’il rejette l’approche néoclassique de l’équilibre général, le concept de « tendance vers l’équilibre ». Il devient finalement le prophète de la contre-révolution libérale qui commence en 1979-1980 dans le monde anglo- saxon, ce néo-libéralisme ne triomphant vraiment, en France, que peu de temps avant sa mort, en1992. Mais, à la fin des années 90, c’est le retour des critiques contre son libéralisme. Hayek, bien que partisan de l’IM, veut que les théories économiques soient vérifiées et inspirées par l’histoire : à la différence de Mises, il est plus empiriste et tente de marier la logique et l’histoire. Il est, d’une certaine façon, « individualiste institutionnel », voulant rendre compte de l’émergence du cadre institutionnel et des mécanismes de l’interaction interindividuelle dans le cadre d’institutions données. §2. Le marché comme institution La théorie de l’émergence institutionnelle La question est de savoir d’où proviennent les institutions. C’est la question de l’émergence : « Aux yeux de Hayek elles ne sont jamais que le fruit d’un processus évolutionniste d’essais et d’erreurs par lequel les groupes humains sélectionnent peu à peu les règles collectives de comportement les plus aptes à promouvoir la coopération sociale de leurs membres, comme c’est le cas pour le langage » (Lepage [1980]). Cette référence à l’évolutionnisme signifie que les institutions comme la monnaie, le droit, la propriété privée n’ont pas été inventées par un individu : les hommes les ont utilisées car ils se sont rendu compte qu’ils s’enrichissaient plus qu’avec une autre méthode. Plus encore, les groupes qui suivaient ces règles plus efficaces ont triomphé des autres par leur richesse et leur nombre dans le processus de lutte pour la survie. Hayek combine donc une théorie de la sélection des individus à une théorie de la sélection de groupes : son IM est donc « institutionnel ». C’est Adam Ferguson (mort en 1823), qui a inspiré Menger puis Hayek, par son hypothèse que « les institutions sont le produit de l’action des hommes et non de leurs desseins ». Les travaux d’Hayek tentent alors d’expliquer l’émergence du marché au cours des âges. Son individualisme méthodologique est complexe, car il est conscient qu’il est difficile d’expliquer les mouvements sociaux par la seule logique des comportements individuels. Il essaye d’incorporer une explication prenant en compte partiellement les institutions. Les hommes produisent l’évolution sociale mais ils sont obligés d’obéir à des règles qui leur semblent injustes. Pour Hayek, les AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 4 règles abstraites, qui favorisent le bien de tous, n’ont pas pour objet de protéger un seul individu mais expriment quelque chose d’indifférent aux individus. Les règles de la Grande Société ne donne aucun dessein, aucun projet, mais édicte ce que l’on ne peut pas faire. Il y a alors contradiction entre mérites individuels et règles sociales. L’institution spontanée du marché Son objectif est expliquer le marché comme ordre spontané. Le marché est un acquis de l’évolution humaine : Hayek transpose le modèle de l’évolution biologique sur la société. Rappelons les deux facteurs de l’évolution de l’espèce selon Darwin : adaptation au milieu et fécondité différentielle. Dans le processus d’évolution, les hommes se trompent, des groupes disparaissent, d’autres s’adaptent deviennent dominants. Les « gènes » de la théorie évolutionniste en biologie ici sont les règles sociales. Qu’est ce que la perspective évolutionniste permet d’expliquer ? Comment les hommes sont organisés ? la croissance démographique ? la prolifération de l’espèce humaine ? On peut dire que si les biologistes sont spécialistes du vivant les économistes sont eux les scientifiques du marché. Certes, soutient Hayek, les hommes sont moyennement intelligents car leur rationalité est limitée : le cerveau limité de l’homme borne considérablement sa raison. Sa principale qualité est l’imitation ! L’homme n’est pas assez intelligent pour trouver sans gêne ou sans coût les informations pertinentes, qui sont, par nature, dispersées. N’oublions pas que les informations – ou « connaissances » - dont nous disposons sont rares : elles ont donc un prix. Finalement, le point de vue de Hayek se fonde sur le caractère limité et coûteux de la connaissance et, enfin, sur le constat que les informations sont dispersées. C’est là le problème crucial de l’action humaine. Pour Hayek, le marché est un fruit supérieur d’une évolution économique multiséculaire. Cet « ordre étendu de la coopération humaine » qui permet de dépasser les limitations primitives de l’ère tribale. Simonnot peut ainsi dire de Hayek que, selon lui : « Les mystères du marché nous dépassent. ». Rien ne peut remplacer la discipline du profit, la propriété privée, la concurrence, et les prix. §3. Le marché découverte comme procédure de Le marché est une construction humaine, fruit de l’évolution, qui permet aux individus d’avoir des informations. La définition classique du marché comme « lieu abstrait où se rencontre une offre et une demande de biens ou services », c’est-à-dire comme mécanisme de répartition de la pénurie, ne prend suffisamment pas en compte cet aspect décisif. Dans la définition de Lepage, qui reprend Hayek, le marché est « un instrument dynamique de mobilisation, de production, et de diffusions des informations et connaissances qui sont nécessaires à la vie des sociétés complexes ». Selon Hayek, le marché est ainsi un « processus » c'est-à-dire « une procédure de découverte des informations » Pour que le marché fonctionne, il faut dès lors des procédures essais/erreurs. Les faillites ou le chômage sont des choses régulatrices, qui permettent d’éviter un gaspillage durable des ressources rares. Pour que ce processus soit opératoire, il faut que l’institution du marché fonctionne avec l’institution de la propriété privée. La loi du profit fait survivre les entreprises qui s’adaptent aux nécessités de l’économie L’inspirateur de Hayek est ici Adam Smith, qui écrit en 1776 : « quel capital peut-on financer dont le produit sera susceptible de la plus grande valeur ? […] chaque individu, c’est évident, peut là ou il se trouve, en juger bien mieux que tout homme d’État ou législateur ». Ce sont les gens qui doivent assumer les conséquences de leurs actes, si on les laisse libres d’accéder aux informations nécessaires. Pour Mises, dès 1920 : Le « commerçant identifie son intérêt avec l’intérêt de l’entreprise, d’où l’efficacité de la propriété privée ». Si le marché est efficace, c’est bien qu’il nous permet de transférer, via le système des prix, les informations que les entrepreneurs ont trouvées. Et ceux-ci les ont obtenues parce qu’il était leur intérêt de trouver ces informations pertinentes. L’idée du marché comme processus s’oppose à l’idée d’équilibre. Pour Hayek, les processus des marchés produisent une tendance vers l’équilibre, la science économique tentant de comprendre comment l’économie tend vers cet équilibre (supposé). La référence à un quelconque point d’équilibre des marchés est une abstraction, qui peut induire en erreur, car la rationalité des individus est limitée. Parfois même, les institutions sont mauvaises et contrecarrent cette tendance vers l’équilibre, AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 5 qui est le trait spontané des mécanismes marchands. Ainsi, notamment, à cause de nos systèmes bancaires, il est rare que le système économique engendre des prix corrects fonctionnant comme des signaux efficaces. Pour un bon fonctionnement du marché, il faut accepter les faillites des entreprises qui sont autant de sanctions que le marché envoie comme signaux aux agents. La concurrence, moteur même du marché, doit être libre. Hayek dit en substance ceci : c’est parce que « je » veux gagner de l’argent sur le dos des autres que « je » vais produire de l’information nécessaire pour moi et pour les autres. Sans immixtion de l’État donc, les prix de marché nous donnent de bons vecteurs d’information, indiquant de degré de rareté relative des biens. Le mécanisme de circulation de l’information est lié au mécanisme de production. S’il n’y avait pas ce mécanisme marchand, le volume de production serait moindre. Ex : le prix du pétrole. S’il augmente, cela montre qu’il y a une pénurie de pétrole donc une mauvaise répartition des ressources, compte tenu des exigences actuelles de la société. C’est un signal qui permet à ceux qui l’utilisent de mieux le gérer. On va donc produire avec moins de pétrole, mais l’augmentation du prix du pétrole implique que les entrepreneurs vont comparer, à nouveau, la profitabilité de leurs investissements selon les secteurs. Ce mécanisme de réallocation du capital en fonction de la profitabilité, c’est-àdire de la demande du marché, permettra de satisfaire ceux qui sont prêts à payer plus cher le prix de cette matière première. En ce sens, le marché ne fait pas qu’indiquer l’état de la pénurie, il incite les agents à promouvoir l’abondance. Donc, les entrepreneurs concourent au bien être social, à un nouvel équilibre. In fine, plus de ressources pétrolifères seront exploitées ou, à tout le moins, l’utilisation de cette ressource devenue plus rare sera affectée à ceux qui sont prêts à donner plus en échange. Par ce système d’investissement par le profit, le gaspillage est vaincu, un ordre économique optimal pour la société fonctionne. §4. Contre la dite « justice sociale » Pour Hayek, rappelons-le une loi ne doit pas viser une finalité en particulier, « sociale » ou non. Il ne veut que des lois portant sur les maximes générales de conduite : délimiter les libertés des uns et des autres dans la société moderne. D’où le fait que la « justice sociale », qui permet aux gens qui ont échoué de prélever des richesses a ceux qui ont réussi, ne soit que mensonge. Pire, c’est une illusion car les effets pervers existent et rendent néfaste toute volonté redistributive. Exemples : 1 / on garantit à des paysans le prix du lait ; leur revenu augmente et ils sont incités à investir dans ce domaine. D’où surproduction. Par conséquent, l’État est obligé de racheter le surplus … 2/ l’imposition de salaire oblige les patrons à payer les salariés audelà de leur productivité. D’où inflation ou chômage et allocation chômage, d’où encore plus de chômage ! Finalement, la société tout entière paye des revenus sans utilité sociale (« parasitisme » selon Hayek). La meilleure façon d’aider les pauvres est donc de ne pas les aider … Ces interventions successives visant à la « justice sociale » vont entraîner la mainmise de l’État sur toute la société : le totalitarisme ! Il est vrai que le système démocratique classique, qui établit des majorités contrôlant des minorités, porte en lui cette dérive totalitaire. La tyrannie de la majorité, c’est la fin de la liberté ! Contre les potentialités dangereuses du principe démocratique, il faut tempérer la démocratie. Certains ont donc proposé de systématiser des majorités qualifiées (2/3 voire 3/4). §5. Critiques de la social-démocratie et de l’économie planifiée Hayek estime que la social-démocratie, qui combine système capitaliste, démocratie et « justice sociale » est donc un système dangereux : en déséquilibrant les marchés, l’État va intervenir partout, comme l’affirmait déjà Mises. Reprenant aussi une partie de la critique de celui-ci sur la planification centralisée, il soutient que l’abolition du marché conduit au totalitarisme et au désordre, car il est impossible à un organisme de gérer tout. L’homme n’est pas assez intelligent pour gérer AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 6 les mécanismes économiques de façon planifiée ou délibérée ! L’économie ne peut pas être organisé comme une machine. Or, les hommes sont présomptueux (cf. l’ouvrage la PRESOMPTION FATALE) et croient pouvoir se passer d’une institution sélectionnée par l’évolution. La seule possibilité est en réalité de laisser faire le marché : le marché a des mystères qu’il faut respecter, comme on l’a vu …. Hayek critique d’ailleurs la théorie économique traditionnelle, qui suppose des connaissances « données » - connues en fait du seul théoricien -: ceci est une fausse piste qui justifie la planification centralisée. En réalité, les connaissances particulières ne sont pas données spontanément à un centre omniscient : elles sont dispersées. La concurrence permet au système des prix de faire circuler les connaissances – ou informations–, alors qu’un un plan corrompt la qualité et détruit la quantité des informations décentralisées. Rappelons que l’entrepreneur, seul, a les connaissances utiles à la société car son intérêt personnel est de faire des profits. Comme le marché ne fonctionne bien que si les gens sont libres de chercher leur profit, dérégulons … § 6. Critiques de Hayek L’Etat-Providence n’est-il pas, pourtant, lui-même, un produit de l’évolution sociale ? Et même si la société n’est pas une « machine », on peut faire des expérimentations. Cf. POPPER - un libéral ! – qui est partisan de la « technologie sociale fragmentaire ». Par ailleurs, le marché a « tendance » à trouver un équilibre, selon Hayek, ce qu’il ne démontre à aucun moment. Enfin, la question que Hayek ne pose pas est celle de l’autonomie des peuples. Il existe des contradictions entre marchés libres et exigence de protection sociale et écologique, entre autonomie et la totale ouverture économique aux flux internationaux de la finance etc. Les économistes comme Hayek négligent le concept de souveraineté populaire, dévoilant l’opposition principielle entre démocratie sociale et écologie, d’une part, et néolibéralisme, d’autre part. AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 7 Chapitre 2 Le cycle économique selon l’école autrichienne (Böhm-Bawerk, Mises, Hayek et Kirzner) §1. La problématique autrichienne Dans les années 1930, Hayek élabore une théorie des crises qui est une alternative à l’explication produite par Keynes, notamment dans sa Théorie générale. Il est possible d’affirmer qu’Hayek produit une des synthèses les plus achevées de l’école qui domine alors la science économique, avant le triomphe de la révolution keynésienne. On a coutume de qualifier la théorie d’Hayek d’ « autrichienne » parce qu’elle emprunte beaucoup de ses éléments à Menger, Böhm-Bawerk et Von Mises. À la différence d’un autre grand économiste orthodoxe britannique, Pigou, Hayek suppose ainsi que la monnaie n’est pas neutre et que la production doit être considéré comme un processus qui prend du temps : il y a une structure temporelle de l’organisation du système productif. Cette analyse relativement originale sera balayée par les écrits keynésiens mais redécouverte durant la crise inflationniste des années 1970, car, à ce moment, les politiques keynésiennes ont semblé devenir inefficaces. Nous allons donc nous attacher à décrire cette doctrine qui trouve l’origine des crises du capitalisme dans les incohérences du système de crédit, l’existence d’une politique monétaire et les interventions de l’État. Signalons que de proches conseillers de l’actuel président de la Réserve Fédérale américaine sont très imprégnés par la problématique autrichienne et, plus généralement, de cette idée selon laquelle les marchés libres sont fondamentalement autorégulateurs et que le monde ne souffre pas d’un excès de capitalisme mais d’un manque. Les éléments de l’analyse Tout agent économique, voire tout système économique a, au moment d’effectuer un choix productif de valeur, deux méthodes pour satisfaire ses objectifs. Soit il utilise les facteurs originels, que sont la terre et le travail, pour contenter au plus vite ses désirs, soit il accepte de détourner une partie de ces facteurs originels, vers la production de biens qui, à terme, permettront de satisfaire plus amplement ses objectifs économiques. La stratégie « travaillistique » s’oppose donc à la méthode « capitalistique ». Il existe une « robinsonnade », selon l’ironique mot de Marx, qui rend compte de l’opposition entre les deux stratégies que nous venons de décrire. Reprenons l’apologue dû à Böhm-Bawerk (1851-1914) et imaginons un Robinson allant satisfaire sa soif en transformant son temps loisir en temps travail directement, c’est-à-dire en allant chercher, à chaque fois que nécessaire, de l’eau située à quelques distances de son habitation. Toutefois, il peut aussi construire un système de canalisation, ce qui implique, toutes choses égales par ailleurs, une diminution de son niveau de satisfaction exprimé en termes de jouissance des biens présents, l’apaisement de la soif ou le pur loisir. Ce faisant, la mobilisation de terre et de travail a permis de produire du « capital », entendu comme un « bien servant à fabriquer d’autres biens ». Dans ce cas de figure, on peut également remarquer le nombre « stade » du « processus productif » a augmenté, que la production a été détournée vers la constitution de biens intermédiaire, afin d’augmenter la productivité du travail. Un exemple possible d’une société, qui agirait ainsi, serait la décision d’un gouvernement qui décide de réduire la production de biens de consommation, en dirigeant ses travailleurs des industries de la consommation finale vers la production de capital (appelé parfois « de biens de production »). Seule la fabrication de capital productif supplémentaire peut augmenter la productivité des processus productifs, l’ajournement d’une part de la consommation présente étant la condition sine qua non d’une plus grande consommation future. On peut analyser la politique de Staline dans les années 1930 comme étant une illustration de cette idée du « détour de production », même si l’allocation des ressources rares en vue de la création d’une industrie moderne n’a pas résulté des mécanismes spontanés du marché. À cet égard, on comprend pourquoi Kirzner, un ténor de l’école néoautrichienne, qui est importante aux Etats-Unis aujourd’hui, insiste souvent sur le fait que les concepts de l’analyse autrichienne ne sont pas spécifique à la seule économie fondée sur les marchés libres. Dans une telle économie, c’est la baisse du taux de l’intérêt, comme la sanctionne le marché du capital, qui aurait permis une production AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 8 croissante de capital. Néanmoins, pareil phénomène ne résulte pas de l’arbitraire du pouvoir mais d’une moindre préférence pour le présent exprimé librement (supposent les Autrichiens) par les agents économiques. On peut résumer les éléments de l’analyse à trois idées : 1- Que l’investissement est un « détour de production » ; 2- Que c’est le taux d’intérêt qui règle la « longueur » de ce détour ; 3- Que toute hausse de la production nécessite une hausse préalable de l’épargne, seul mécanisme permettant de produire les biens qui, à terme, permettront de produire plus de biens destinés à être vendus. §2. La crise politique du capitalisme À ces trois éléments, il convient de rajouter un quatrième qui est impliqué, à savoir que la monnaie n’est pas neutre : l’action sur taux d’intérêt, en modifiant la structure de production - entre production pour le présent immédiat (la consommation) et pour le futur (l’investissement) a des conséquences qui sont réelles et pas seulement monétaires. Pour expliquer le cycle économique, Hayek va supposer que se produit, pour une raison la plupart du temps politique, une baisse des taux d’intérêt orchestré par la Banque Centrale. Cette baisse des taux d’intérêts implique un déséquilibre, car, à l’origine, le taux d’intérêt1 exprimait un équilibre sur le marché du capital. C’est en général pour augmenter le niveau de l’emploi que les taux d’intérêts sont manipulés politiquement à la baisse, car un écart positif entre le taux de profit et le taux d’intérêt incite les entrepreneurs à investir, ce qui stimule, à court terme, la croissance économique. On oublie simplement, selon Hayek et les néolibéraux que, spontanément, les marchés tendent à l’équilibre et que, si les 1 Ce taux pouvait être grosso modo interprété comme la « productivité marginale du capital » dans le langage spécialisé des économistes de l’école suédoise (Wicksell, Cassel) et autrichienne (Mises, Hayek), le phénomène décrit se traduit comme le fait que le « taux monétaire de l’intérêt » devient inférieur au « taux naturel de l’intérêt », celui-ci étant une façon de mesurer le taux de profit. travailleurs sont au chômage, c’est que, fondamentalement, ils le veulent bien ou que les syndicats refusent un ajustement des salaires nominaux à la baisse. Toutefois, à partir du moment où le taux de l’intérêt baisse, les entrepreneurs sont effectivement incités à investir alors que les ménages n’épargnent pas plus. Dans ce nouvel état des choses, il se développe une différence de profit entre les stades de production : la hausse de l’investissement rend profitable la production de machine, plus généralement, de « biencapitaux ». Nous avons affaire à un « boom » dans ce secteur, ce qui implique que les entrepreneurs vont demander plus de travail ainsi que des biens « non spécifiques » c’est-àdire des biens qui sont mobilisables à tous les niveaux du processus production. Évidemment, cette hausse des prix, que l’on peut constater sur le marché des biens de production va se transmettre, au bout d’un certain temps, sur le marché des biens de consommation. En effet, les consommateurs ont continué de consommer pareillement : il n’y pas eu d’épargne supplémentaire préalable et il est évident que la dépense de revenus salariaux supplémentaires déséquilibre le marché des biens de consommation en faisant hausser leur prix. On peut même penser que la production de certains biens de consommation a pu baisser, à certain moment du cycle économique, parce que, quand les entrepreneurs disposaient de beaucoup de ressources pour fabriquer des biens-capitaux, ils ont détourné un certain nombre de travailleurs et de ressources qui étaient affectés à la production d’un certain nombre de biens de consommation. Ce qui se passe donc au cours du cycle économique est une succession de pénuries affectant progressivement tous les marchés. Nous pouvons constater, dès lors, que le boom devient inflationniste, au sens où la hausse des prix devient générale. Cette inflation a un corollaire : l’ « épargne forcée ». En effet, la hausse des prix des biens de consommation implique que le niveau de vie baisse, comme si les agents économiques avaient plus épargné. Il est possible de dire que les investissements, qui ont été permis par l’aisance monétaire, ont « forcé l’épargne », en diminuant la consommation par l’inflation. L’épargne forcée est, pour Wicksell ou pour Hayek, une nécessité, car en l’absence d’épargne préalable, l’inflation est la seule façon de financer les investissements. L’exemple le plus connu dans le domaine AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 9 historique est l’émission de papier monnaie « à cours forcé », durant la Révolution française : pour financer les dépenses militaires, alors qu’on refusait d’augmenter les impôts, on a réussi à fabriquer plus de canons grâce à une inflation vertigineuse, qui a réduit la consommation populaire : du beurre ou des canons, telle est la question ! Or, selon les économistes autrichiens, l’épargne forcée induit un équilibre foncièrement instable, car à partir du moment où les prix des biens de consommation flambent, il redevient rentable de mobiliser des ressources, économes en capital permettant de satisfaire cette demande nouvelle. A ce moment du cycle économique qui correspond à une entrée en crise, les entrepreneurs essayent de mobiliser du travail et des biens non spécifiques pour accélérer la production de biens de consommation. N’oublions pas que la différence des niveaux de profit qui s’était créée, entre les stades du processus de production de la société, vient progressivement de changer, au détriment du secteur qui produit des biens de consommation. Il n’y a donc pas de crises de surproduction, pour Hayek, mais simplement le fait que les industries qui avaient été favorisées par le boom inflationniste ne sont plus rentables et qu’il faut toujours du temps pour que les travailleurs soient avantageusement employés à la production des biens spécifiques qui permettront de produire plus de biens de consommation. Hayek affine l’analyse en remarquant, en tout état de cause, que la baisse des salaires réels, qui se produit nécessairement, à un certain moment du boom, a une conséquence décisive : les entrepreneurs sont incités à utiliser des méthodes moins intensives en capital, parce que la baisse du prix du travail incite, en bonne logique économique, à utiliser plus de travail et moins de capital. La substitution du travail au capital, donc de la demande de biens d’investissements, implique une baisse du rapport entre le capital de la société et sa production, ce qui signifie que la longueur de la période de la production a baissé. Inversement, quand les prix chutent pendant une période de dépression, l’élévation des salaires réels implique que les entrepreneurs utilisent des processus de production plus économes en travail. De cette façon, l’investissement est stimulé de façon spontanée. On a qualifié d’ « effet d’accordéon » cette conception que développe Hayek, selon laquelle le cycle économique pourrait être caractérisé par un allongement ou contraction du processus de production. une §3. Le capitalisme réellement existant souffret-il réellement d’un manque de capitalisme ? L’analyse de Hayek on le voit, est une justification de la supposée indépendance des banques centrales ou des systèmes d’étalon-or. C’est aussi une critique des politiques keynésiennes qui auraient été à l’origine de la crise des années 1970 : ce moment fut celui d’un ralentissement de la croissance économique, accompagné d’une accélération remarquable du taux d’inflation. Mais, son analyse est contestable pour plusieurs raisons. Remarquons, d’abord, que Hayek suppose que les marchés connaissent une tendance à l’équilibre, ce qui est plus un postulat qu’un fait démontré. En particulier, le raisonnement, que nous illustrons, suppose le plein emploi des facteurs de production : Keynes contestait le bien fondé de cette hypothèse. Plus encore, pour expliquer les cycles économiques, et notamment le fait que les politiques keynésiennes des années soixante auraient entraîné la stagflation des années 1970, il faut supposer des délais fort longs, étonnants, entre la hausse de la demande de travail, qui serait le résultat du boom « artificiel » du secteur des biens d’investissement, et la hausse des revenus salariaux. Il faut aussi supposer que les agents économiques font des anticipations systématiquement peu raisonnables …. Sans compter un autre délai entre cette hausse des revenus salariaux et la flambée des prix des biens de consommation … ! En réalité, si on supposait un court délai entre la chute du taux de l’intérêt et la hausse des prix des biens de consommation, il ne se produirait pas cet effet d’accordéon, qui pour Hayek, est la raison même du cycle économique. Enfin, ce qui semble faire problème, pour Hayek, ce sont uniquement les chocs monétaires « exogènes », c’est-à-dire dus finalement à une intervention politique. Hayek ne suppose jamais que les chocs « endogènes », c’est-à-dire liés au fonctionnement du système de marchés ne constituent pas des problèmes aussi graves que des interventions politiques. Supposons en effet qu’il existe une hausse brutale de la « préférence des agents économiques pour le présent ». Dans cette hypothèse où les agents épargnent plus, il se produira des ajustements aussi douloureux et AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 10 chaotique, en terme de modification de la structure de production, que si nous avions connus une politique de restriction monétaire, c’est à dire de hausse délibérée du taux d’intérêt. Dans les deux cas, la déflation pose autant de problème … Finalement, la science économique néolibérale n’est-elle pas une manifestation de l’« idéologie », ce processus par lequel se constituent les évidences du temps, qui ne sont rien d’autres que des idées dominantes, expression même de la classe dominante2. On a pu écrire à ce sujet : « Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. […] Les individus qui constituent la classe dominante possèdent, entre autres choses, également une conscience, et en conséquence ils pensent ; pour autant ils dominent en tant que classe et déterminent une époque historique dans toute son ampleur ; il va de soi que ces individus dominent dans tous les sens et qu’ils ont une position dominante, entre autre, comme êtres pensants aussi, comme producteurs d’idées, qu’ils règlent la production et la distribution des pensées de leur époque ; leurs idées sont donc les idées dominantes de leur époque ». Cette interrogation demeure une simple hypothèse …. 2 Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1977. AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 11 GLOSSAIRE (1) Constructivisme Dans le sens d’Hayek, c’est l’idée qu’il est possible de construire une société comme on construit une machine. Or, une machine est construite téléologiquement : elle est technologiquement déterminée selon un but précis. Mais, une société ne fonctionne pas grâce à un « super esprit », un esprit omniscient qui aurait « fabriqué » la société, c’est-à-dire conçu selon une intention préalable. En fait, la société ne résulte pas d’une action collective délibérée. La société – comme ses règles, les « institutions » - résulte d’un processus « inconscient » (ce mot n’est pas utilisé au sens de Freud), qui s’est imposé à nous grâce à la sélection des bonnes conduites dans le processus de l’évolution sociale. Hayek reprend Adam Fergusson : le résultat global des actions humaines n’est pas recherché en tant que tel par l’homme, même si celui-ci est positif pour tous. Le « scientisme », maladie des ingénieurs, est de croire que la société puisse être expliquée en référence à l’image de la machine ; c’est cette croyance qui est à l’origine du « planisme » selon laquelle la planification est nécessaire à une société développée. On cherche à déterminer ici un « vecteur prix équilibre », ensemble des prix tels Équilibre général que l’offre égale la demande sur chaque « marché ». Les théoriciens de l’équilibre (principes) général essaient de trouver les conditions suffisantes pour que l’économie connaisse un « équilibre général » des « marchés ». La question est donc de savoir quelles sont les conditions auxquelles doit répondre une économie pour assurer cet équilibre. Équilibre général le problème de la « connaissance dispersée » (critiques) Même les néolibéraux peuvent rejeter la conception encore dominante du marché comme « lieu » où se rencontrent l’offre et la demande relatives à ce bien. En effet, le « marché » néoclassique ne correspond pas du tout au marché de notre expérience quotidienne. Dans la théorie néoclassique, on suppose qu’un « individu » - le « commissaire-priseur » est chargé d’équilibrer l’offre et la demande sur chaque marché. Ce qui suppose une institution qui supervise: une économie de marché, dans les faits, ne suppose pas sur une telle centralisation de l’information. Comment en effet concilier cette idée d’un « commissaire-priseur », chargé de faire équilibrer l’offre et la demande sur les marchés selon des procédures de « tâtonnement », avec notre expérience des marchés ? La théorie néoclassique est ainsi hors sujet pour ce qui est de comprendre le marché ! Cette idée d’une centralisation des connaissances est contradictoire avec le principe même d’une économie de marché. La théorie néoclassique est en réalité une théorie de la planification, ce que démontrent dans les années 1930 aussi bien le libéral Schumpeter que Lange, l’économiste partisan du « socialisme de marché ». Pour Hayek, les théoriciens de l’équilibre général se trompent, car ils n’ont pas compris ce qu’est l’économie de marché. Pour lui, le marché un ensemble de mécanismes qui permet une procédure efficace de découverte de l’information dans une économie décentralisée. Le problème social central est celui de la recherche des informations pertinentes guidant l’action individuelle. Chaque acteur économique s’informe sur les moyens les plus économes pour arriver à ses fins. Ainsi, dans son entreprise, l’ingénieur, construisant une machine, peut considérer les prix comme un fait objectif : le prix est une donnée extérieure. Pas de temps à perdre pour à connaître les raisons de l’évolution des prix. Le marché est ce système - qui est le moins inefficace que l’humanité ait expérimenté - faisant circuler les informations, grâce à la concurrence, car les prix de marchés sont ces signaux permettant d’élaborer des plans, de les rectifier pour arriver à nos fins. Seules les infos sont détenues par des particuliers qui ont un intérêt à les découvrir, pas par une autorité centrale ! Tout problème réside dans la capacité d’un mécanisme social à diffuser le plus largement possible ces connaissances (informations) dans la société. Le marché est donc ce mécanisme produisant naturellement - ou spontanément - une coordination entre des individus qui ne se proposent nullement, a priori, d’établir une quelconque concertation : c’est la « main invisible ». Le thème hayékien par essence est ainsi celui de la « connaissance dispersée » La preuve de l’efficacité de celle-ci serait donnée par l’histoire. AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 12 GLOSSAIRE (2) Évolutionnisme Les institutions comme la monnaie, le droit, la propriété privé n’ont pas été inventées par un individu : les hommes les ont utilisées car ils se sont rendu compte qu’ils s’enrichissaient plus qu’avec une autre méthode. Les groupes qui suivaient ces règles plus efficaces ont triomphé des autres par leur richesse et leur nombre dans le processus de lutte pour la survie. D’où un avantage par rapport aux groupes ignorant ou méprisant le marché. Ainsi, comme la monnaie, le droit, la propriété privée, le marché n’a pas été inventé par un individu mais par le mécanisme aveugle de l’évolution. Hayek combine donc une théorie de la sélection des individus (les gagnants au processus de marché) à une théorie de la sélection des GROUPES ?: son IM est donc « institutionnel ». Marché : le plan contre le marché comme processus Dans une société où vivent de nombreux individus, il n’y a qu’un seul mécanisme qui permet de coordonner EFFICACEMENT – DE LA FACON LA MOINS MAUVAISE POSSIBLE - les activités, c’est le marché. Il coordonne, car il envoie des signaux (ex : le taux d’intérêt qui indique la rareté du capital). TOUT LE MONDE peut comprendre le sens des variations de prix pour arriver à des fins. En respectant la propriété privée, les faillites, ces « signaux » que sont les prix ne seraient pas faussés. La seule méthode alternative au marché : qu’on se réunisse et que l’on planifie, décide de la consommation et des quantités consommées des produits, autrement dit, que l’on crée un organisme planificateur. Pourtant ce système est IMPOSSIBLE car les hommes disposent de trop de chiffres et d’informations à chaque étape. AUCUN homme n’est capable de savoir ce qui est le mieux pour les autres. La direction planifiée est moins efficace que la direction par marché car elle favorise systématiquement la perte d’information et donc un mauvais usage des ressources. Le secret du marché est d’être une institution sélectionnée par l’évolution culturelle afin de résoudre LE PROBLÈME SOCIAL ESSENTIEL qui est que la connaissance est dispersée. Prix : l’exemple du taux de l’intérêt Pour Hayek, les processus sociaux sont « intersubjectifs » (relations entre les sujets). Le prix, qui est un fait social – ou plutôt « supra individuel », peut changer en fonction des décisions subjectives des individus. Ex. si ces derniers décident d’épargner plus – de consommer moins - le taux d’intérêt baisse. Ceci incite les entrepreneurs à adopter des modes de production plus « capitalistique » qui permettront un surcroît de consommation de richesse dans le futur. Le taux d’intérêt indique donc les préférences subjectives des consommateurs qui peuvent changer : ici, la baisse du taux manifeste une moindre préférence pour le présent. Les taux en tant que prix sont des abstractions efficaces - même si elles sont grossières - pour guider le plus harmonieusement possible l’action d’individus séparés. Socialisme et social-démocratie C’est l’idée que l’État peut intervenir dans l’économie pour promouvoir des objectifs sociaux. Or, la planification n’est possible que pour des sociétés où ne vivent pas de nombreux individus. Dans la GRANDE SOCIÉTÉ, la société de marché, seul le mécanisme du marché permet de coordonner les activités d’individus nombreux aux besoins multiples, complexes et changeants. Mais, si la propriété privée n’est pas respectée, et que les faillites ne jouent pas leur rôle régulateur, ou si les prix sont dirigés, les prix deviennent des signaux pervertis qui expliquent les crises du capitalisme. L’État, ou le principe du monopole d’émission de la monnaie, est la cause des crises. Hayek a du socialisme une conception particulière. Celui-ci désigne la simple social-démocratie, où peut exister une propriété publique, une sécurité sociale obligatoire etc. c’est-à-dire dès qu’il y a des moyens politiques visant à satisfaire un objectif collectivement déterminé. Le socialisme est donc une conséquence du point de vue de l’ingénieur qui assimile la société à une machine. Or, si celui-là sait tout de la machine quand il la conçoit et la produit, il ne peut rien de savoir de tel de la société, sauf à être dans une « présomption fatale ». AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant. UNIVERSITE POPULAIRE LYON 2008 – Cours de JEROME MAUCOURANT 13