economie, histoire et constitution

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Préambule :
Qu’est-ce que l’économie ?
Il y a deux conceptions de l’économie.
Pour certains, l’économie est la « science
économique », « science des choix », - c’est la
définition de Stigler, qui reprend l’ancienne
formation de Lionel Robbins pour qui
« L'Économie est la science qui étudie le
comportement humain en tant que relation
entre les fins et les moyens rares à usages
alternatifs ». Cf. Essai sur La nature et la
signification de la science économique, Paris
Librairie Médicis 1947.
Source :http://lemennicier.bwmmediasoft.com/article.php?ID=104&limba=fr.
Karl Polanyi qualifie de « formelle » cette
définition. Dans ce sens, il s’agit d’étudier
l’usage optimal des moyens qu’on se donne ou
qui sont disponibles pour réaliser une finalité,
supposée
donnée.
L’acte
est
donc
« économique » s’il y est « rationnel ». Pour
d’autres, les économistes classiques du siècle et
les économistes « hétérodoxe » contemporains,
l’économie doit être comprise comme
« économie politique », science de la
production, de la circulation et de la répartition
des richesses sociales. À la différence des
néoclassiques, l’économie n’est une science que
d’un domaine de la vie sociale et de son
interaction avec l’environnement matériel. Karl
Polanyi qualifie de « substantive » cette
définition, qu’il a en commun avec Karl Marx
ou Alfred Marshall.
Ainsi, au chapitre 2 d’Avez-vous lu
Polanyi (par J. Maucourant, La dispute, 2005),
cette double signification de l’économie est
ainsi présentée : « Polanyi qualifie de
“ substantif ”, l’économie [qui] “ tire son origine de
la dépendance de l’homme par rapport à la nature
et à ses semblables pour assurer sa survie. [Ceci]
renvoie à l’échange entre l’homme et son
environnement naturel et social ” [et] permet
d’appréhender les phénomènes économiques pour
toutes les sociétés afin de réaliser des études
comparées. En revanche, la conception de
l’économie propre à la société de marché est très
différente. Polanyi la qualifie de “ formelle ” : “ le
sens formel dérive du caractère logique de la
relation entre fins et moyens, comme le montrent les
expressions “processus économique” ou “processus
qui économise les moyens”. Ce sens renvoie à une
situation bien déterminée de choix, c’est-à-dire entre
les usages alternatifs des différents moyens par suite
de la rareté des moyens ” […] Ainsi, l’économie
d’échange économique généralisé confond ces deux
sens de “ l’économique ” […] “Comme l’expliquait
Menger, l’économie comportait deux “directions
élémentaires”
l’une
était
la
“direction
économisante”, provenant de l’insuffisance des
moyens, tandis que l’autre, celle qu’il appelait
“direction technico-économique”, provenait des
exigences physiques de la production sans égard à
l’abondance ou l’insuffisance des moyens ”. L’acte
économique en général […] se distingue de sa
conception formelle […] Il faut ici distinguer la
finitude, le fait que le monde est fini, de la rareté,
état social où les choix émergent à cause de
l’insuffisance de moyen : “ Le sens substantif
implique ni choix ni insuffisance. La subsistance de
l’homme peut entraîner ou non le besoin de choisir.
La coutume et la tradition, en général, éliminent le
choix et, si choix il y a, il n’a pas besoin d’être
causé par les effets limitants d’une quelconque
“rareté” des moyens ». Ainsi, pour des économies
qui ne sont pas dominées par le Marché, la
“ situation de rareté ” n’est pas la règle qui
détermine globalement le fonctionnement de
l’économie ; il existe d’autres contraintes que nous
qualifions pour ces sociétés, de “ politique ”,
“ religieuse ” ou “ éthique ” – qui structurent
l’économie. Ces contraintes ne peuvent pas être
analysées en fonction de la logique coût-bénéfice,
sauf à supposer que les acteurs sociaux déterminent
les normes socioéconomiques en fonction de ce type
de considération ».
Cf. : http://www.scienceshumaines.com/avez-vous-lupolanyi_fr_5570.html
Dans le cadre « substantif », ce sont les
moyens institutionnalisés de la « subsistance de
l’homme », et, plus généralement, le cadre
même de la vie humaine qui est l’objet de la
science. Or, nombre de peuples ne conçoivent
pas l’économie selon le critère de la
maximisation. Il ne s’agit pas de faire
systématiquement « au mieux » mais d’utiliser
les moyens, compte-tenu de contraintes
sociales : les hommes n’ont pas toujours été des
entrepreneurs capitalistes. Il faut se débarrasser
de l’idée d’économie comme activité
systématiquement basée sur la maximisation.
AVERTISSEMENT - Ces notes ont été prises par des étudiants : elles n’engagent pas l’enseignant.
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1
Introduction :
Méthodologies de l’économie
§1. L’individualisme méthodologique (IM)
§2. Le holisme méthodologique (HM)
L’ IM est un principe d’explication qui
consiste à analyser un phénomène économique
ou social comme étant le résultat des
comportements individuels. La microéconomie
se fonde ainsi sur cet individualisme
méthodologique. Il existe également une
sociologie qui se veut aussi individualiste dans
sa méthode que la microéconomie : la
« sociologie compréhensive » de Max Weber.
En pratiquant la compréhension du sujet social,
« en se mettant à sa place », on tente d’en
arriver à une explication des comportements
collectifs. Cette méthode serait propre aux
sciences sociales car si on ne peut pas faire
d’expérience sur les hommes, en général, nous
sommes des hommes. On explique donc les
comportements humains au niveau collectif en
se fondant sur une logique des comportements
individuels : il suffit d’attribuer aux individus
certaines finalités, comme maximiser le profit
monétaire, selon un mode de conduite : celui du
comportement rationnel. On en examine, alors,
les conséquences du fait que les individus
poursuivent leurs objectifs. Il s’agit de rendre
compte de la naissance des phénomènes
collectifs (« supra individuels ») qu’on explique
par des interactions des comportements
individuels. On se méfie de certains concepts si
l’on est partisan de l’IM. La « société » est ainsi
une notion floue. Tout doit s’expliquer par des
comportements individuels (Hayek parle donc
de « supra individuel » au lieu de société).
Comprendre
l’action
humaine
présuppose la rationalité de celle-ci, bien
évidemment ! Certes, l’homme n’est pas
toujours rationnel. Mais, dans le cadre d’une
économie de marché en situation de
concurrence, les individus irrationnels peuvent
être évacués de l’analyse : ainsi un entrepreneur
fondamentalement irrationnel fait faillite … La
concurrence comme fait collectif est l’aiguillon
de la rationalité individuelle. Toutefois, les
êtres humains ont des déterminations
culturelles, extrêmement fortes : on a du mal à
se mettre « à leur place » sans dommage ! Sauf
à projeter violemment certains types de
rationalité et d’image du monde social sur les
acteurs du système étudié.
Le holisme est un principe selon lequel
les comportements individuels s’expliquent par
référence aux structures sociales et au milieu
dans lequel se situent les individus. Nous avons
ainsi besoin de recourir aux « concepts
« sociaux » (Wesley Mitchell) pour comprendre
une réalité humaine qui est sociale. La
microéconomie peut, certes, être utile sur
quelques sujets : mais, à elle seule, c’est une
fausse piste qui éloigne la science de son seul
objet sérieux : la réalité. En effet, dans la
réalité, les consommateurs et producteurs
s’inscrivent dans des cadres sociaux,
historiquement construits, qui modèlent les
comportements des acteurs. Si l’on ne retient
que l’épure rationnellement reconstruite de
l’homo œconomicus, sans passé, sans influences
sociales ni objectifs sociaux généraux, on risque
de fabriquer une économie à faible contenu
empirique. Le HM veut donc prendre au sérieux
la richesse des contextes sociaux contre le
« rationalisme » propre la méthode très abstraite
de l’IM.
Ainsi, on ne veut pas partir, dans le
cadre de l’HM, de seules caractéristiques
prétendues des individus ; certaines règles
expriment des logiques du Tout sur les Parties
de la société. Ainsi, Marx estime qu’il importe
de découper la société en classes sociales pour
expliquer
les
comportements,
car
le
comportement individuel ne peut se comprendre
sans la logique de classe, sans les conflits entre
groupes humains liés au processus économique.
La contradiction entre classes permet de
comprendre
la
dynamique
historique
d’ensemble (le tout) qui anime une société
divisée entre propriétaires des moyens de
production et les non propriétaires (les parties).
Néanmoins, Marx reste lucide : sans sentiment
d’appartenir à une classe, sans conscience de
classe, il n’y a pas de classe sociale, même si
les fondements matériels de la classe existent
économiquement. Pour Marx, sans le sentiment
subjectif d’être membre d’une classe,
l’objectivité de l’économie n’est pas un moteur
décisif de l’histoire.
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§3. Les institutions entre individualisme et
holisme
Évoquons
maintenant
les
« institutionnalistes
américains »,
comme
Commons ou Mitchell, très célèbres dans
l’entre-deux Guerres, dont l’ambition était
d’améliorer le capitalisme et non de le
remplacer. Ils ont suggéré de fonder la science
économique sur l’étude des comportements
collectifs appelés « institutions », car les faits
collectifs déterminent largement les conduites
individuelles. Il peut s’agir de la propriété
privée, de l’État, de la monnaie etc. Plus
précisément, le concept d’institution renvoie à
l’ensemble de normes explicites, aux habitudes
et aux représentations partagées structurant la
vie sociale, assignant ce qui est légitime pour la
société et sanctionnant les déviances. Dans le
sens général, que nous prenons ici, outre la
propriété privée déjà citée, le langage, le don –
l’échange de réciprocité – sont des institutions.
Du point de vue analytique, l’institution désigne
en fait une notion très générale qui permet de
faire le lien entre le tout et les parties.
D’ailleurs, dans certaines sociétés, la
circulation de richesses et la motivation à les
produire se fait surtout par l’institution du don.
Le sociologue français Marcel Mauss a même
estimé que cette institution – qui renvoie à
obligation de donner, de recevoir et de rendre –
est le fondement même de l’interaction sociale.
A cet égard, dans certaines sociétés, quand on
accepte un cadeau, on doit le rendre, voire plus,
pour montrer qu’on est un homme de valeur,
généreux et digne. C’est la naissance d’un
cercle ouvert car il faut rendre à nouveau.
Celui qui ne peut plus redonner est dévalorisé
socialement. La circulation économique des
biens et services est donc le résultat de jeux
sociaux ; les transactions sont sociales et
économiques. La question du don renvoie à
l’alchimie de la société, l’alliance qui fait de
l’ennemi un ami. Le « symbole (symbolon) »,
qui est à l’origine, en grec ancien, un objet que
l’on casse pour sceller l’alliance de deux
groupes, va même désigner, sous la plume de
Platon, l’argent qui circule. L’économie est
encastrée dans la société et l’homme produit
des liens sociaux pour vivre. Il ne fait pas que
produire des biens pour vivre : l’homme,
animal social, est immergé dans un univers
symbolique.
Pour ce qui intéresse les économistes,
les institutions que l’humanité a créées pour
régler la société, c’est-à-dire les institutions
économiques, sont le don, la redistribution par
l’État, les marchés libres ou non, la propriété
privée, étatique ou sociale, la monnaie, la
finance, etc. Ces règles sociales, qui sont les
institutions mêmes, rendent les comportements
humains prévisibles, selon Commons (18741950), l’inspirateur du New Deal. C’est cette
prévisibilité des comportements sociaux qui
rend possible l’économie comme « science du
comportement humain » (Mitchell). Sans
institutions, pas de science possible donc !
C’est ainsi parce que c’est un « esprit
institutionnalisé » qui habite l’homme que
l’économie est possible.
La question essentielle est la suivante :
il n’est donc pas possible de faire comme si les
institutions n’existaient pas : un individualisme
méthodologique de type « psychologique » est
irréaliste. C’est le très libéral Hayek qui a
tellement tenu compte de l’évolution sociale, de
la sélection des groupes sociaux, qu’on l’a
qualifié d’« individualiste institutionnel ».
Certains en ont déduit que l’IM est en fait une
contradiction dans les termes …
On peut considérer les holistes comme
des « institutionnalistes radicaux ». L’œuvre de
Veblen illustre ce cas : cet auteur, qui en
appelait à une révolution des techniciens et des
ingénieurs contre le capitalisme, a voulu
construire une théorie évolutionniste de la
production et de répartition des richesses. L’
« industrie » et la « finance » était pour lui des
institutions antagoniques – topos très actuel dont
la
contradiction
même
était
révolutionnaire, la quête du profit monétaire
étant l’effet d’un moment singulier de
l’évolution de l’humanité.
Alors, quelle méthode pour quelle
science ? L’Individualisme méthodologique, de
Smith
à
Hayek ?
Ou
un
holisme
méthodologique de Veblen à Marx ?
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Chapitre 1
Aux fondements de la politique
néolibérale
Les principes de l’analyse de
Hayek
§1. Sur la Biographie de Hayek (1899-1992),
le libéral radical, et son œuvre originale
Hayek publie Prix et production en
1931 et s’oppose à Keynes, qui a écrit en 1930
La théorie de la monnaie. Mais, si la bataille est
perdue contre Keynes durant les années 19301946, sa théorie monétaire de la « structure de
production » est redécouverte à la fin des
années 1970. Durant cette éclipse, il se lance
dans l’examen des fondements philosophiques
de l’économie et théorise une alliance de l’IM
avec l’approche compréhensive. Il approfondit
l’héritage de l’économie « autrichienne » de son
maître, Carl Menger. Sa philosophie
économique est dite « subjectiviste » contre
l’« objectivisme » de Durkheim ou de Marx.
Le subjectivisme hayekien, qui
s’affirme à partir des années 1940, insiste sur la
spécificité de la science sociale : on ne peut
faire d’expérience sur la société. Mais, ce n’est
pas une difficulté ! Le physicien qui ne peut se
mettre à la place des atomes n’a pas la chance
de l’économiste qui peut se mettre à la place
d’un individu … D’ailleurs, on ne peut
assimiler la société à une machine. Il n’y a pas
de dessein immanent à la société qui, d’une
certaine, façon, n’existe pas : si l’homme veut,
la société ne « veut » pas : les structures
sociales ne sont que des émergences issues des
interactions humaines. Le holisme ne serait
donc pas possible car il n’est pas possible – à
partir de la seule perception subjective – de
connaître directement la totalité (la société) qui,
, peut être considérée comme un leurre
anthropomorphique. L’hypothèse de rationalité
des comportements humains est – notons-le - la
pierre angulaire du subjectivisme à la Hayek,
même si la rationalité considérée est limitée.
Il s’éloigne ainsi de plus en plus de
l’approche économique traditionnelle des
néoclassiques, dont il était proche, et critique la
mathématisation à outrance de l’économie. On
peut dire qu’il rejette l’approche néoclassique
de l’équilibre général, le concept de « tendance
vers l’équilibre ». Il devient finalement le
prophète de la contre-révolution libérale qui
commence en 1979-1980 dans le monde anglo-
saxon, ce néo-libéralisme ne triomphant
vraiment, en France, que peu de temps avant sa
mort, en1992. Mais, à la fin des années 90, c’est
le retour des critiques contre son libéralisme.
Hayek, bien que partisan de l’IM, veut
que les théories économiques soient vérifiées et
inspirées par l’histoire : à la différence de
Mises, il est plus empiriste et tente de marier la
logique et l’histoire. Il est, d’une certaine façon,
« individualiste institutionnel », voulant rendre
compte de l’émergence du cadre institutionnel
et
des
mécanismes
de
l’interaction
interindividuelle dans le cadre d’institutions
données.
§2. Le marché comme institution
La théorie de l’émergence institutionnelle
La question est de savoir d’où
proviennent les institutions. C’est la question de
l’émergence : « Aux yeux de Hayek elles ne sont
jamais que le fruit d’un processus
évolutionniste d’essais et d’erreurs par lequel
les groupes humains sélectionnent peu à peu les
règles collectives de comportement les plus
aptes à promouvoir la coopération sociale de
leurs membres, comme c’est le cas pour le
langage » (Lepage [1980]).
Cette référence à l’évolutionnisme
signifie que les institutions comme la monnaie,
le droit, la propriété privée n’ont pas été
inventées par un individu : les hommes les ont
utilisées car ils se sont rendu compte qu’ils
s’enrichissaient plus qu’avec une autre
méthode. Plus encore, les groupes qui suivaient
ces règles plus efficaces ont triomphé des autres
par leur richesse et leur nombre dans le
processus de lutte pour la survie. Hayek
combine donc une théorie de la sélection des
individus à une théorie de la sélection de
groupes : son IM est donc « institutionnel ».
C’est Adam Ferguson (mort en 1823),
qui a inspiré Menger puis Hayek, par son
hypothèse que « les institutions sont le produit
de l’action des hommes et non de leurs
desseins ». Les travaux d’Hayek tentent alors
d’expliquer l’émergence du marché au cours
des âges. Son individualisme méthodologique
est complexe, car il est conscient qu’il est
difficile d’expliquer les mouvements sociaux
par la seule logique des comportements
individuels. Il essaye d’incorporer une
explication prenant en compte partiellement les
institutions. Les hommes produisent l’évolution
sociale mais ils sont obligés d’obéir à des règles
qui leur semblent injustes. Pour Hayek, les
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règles abstraites, qui favorisent le bien de tous,
n’ont pas pour objet de protéger un seul
individu mais expriment quelque chose
d’indifférent aux individus. Les règles de la
Grande Société ne donne aucun dessein, aucun
projet, mais édicte ce que l’on ne peut pas faire.
Il y a alors contradiction entre mérites
individuels et règles sociales.
L’institution spontanée du marché
Son objectif est expliquer le marché
comme ordre spontané. Le marché est un
acquis de l’évolution humaine : Hayek
transpose le modèle de l’évolution biologique
sur la société. Rappelons les deux facteurs de
l’évolution de l’espèce selon Darwin :
adaptation au milieu et fécondité différentielle.
Dans le processus d’évolution, les hommes se
trompent, des groupes disparaissent, d’autres
s’adaptent deviennent dominants. Les « gènes »
de la théorie évolutionniste en biologie ici sont
les règles sociales. Qu’est ce que la perspective
évolutionniste permet d’expliquer ? Comment
les hommes sont organisés ? la croissance
démographique ? la prolifération de l’espèce
humaine ? On peut dire que si les biologistes
sont spécialistes du vivant les économistes sont
eux les scientifiques du marché.
Certes, soutient Hayek, les hommes sont
moyennement intelligents car leur rationalité est
limitée : le cerveau limité de l’homme borne
considérablement sa raison. Sa principale
qualité est l’imitation ! L’homme n’est pas
assez intelligent pour trouver sans gêne ou sans
coût les informations pertinentes, qui sont, par
nature, dispersées. N’oublions pas que les
informations – ou « connaissances » - dont
nous disposons sont rares : elles ont donc un
prix. Finalement, le point de vue de Hayek se
fonde sur le caractère limité et coûteux de la
connaissance et, enfin, sur le constat que les
informations sont dispersées. C’est là le
problème crucial de l’action humaine.
Pour Hayek, le marché est un fruit
supérieur
d’une
évolution
économique
multiséculaire. Cet « ordre étendu de la
coopération humaine » qui permet de dépasser
les limitations primitives de l’ère tribale.
Simonnot peut ainsi dire de Hayek que, selon
lui : « Les mystères du marché nous
dépassent. ». Rien ne peut remplacer la
discipline du profit, la propriété privée, la
concurrence, et les prix.
§3. Le marché
découverte
comme
procédure
de
Le marché est une construction
humaine, fruit de l’évolution, qui permet aux
individus d’avoir des informations. La
définition classique du marché comme « lieu
abstrait où se rencontre une offre et une
demande de biens ou services », c’est-à-dire
comme mécanisme de répartition de la pénurie,
ne prend suffisamment pas en compte cet aspect
décisif. Dans la définition de Lepage, qui
reprend Hayek, le marché est « un instrument
dynamique de mobilisation, de production, et
de diffusions des informations et connaissances
qui sont nécessaires à la vie des sociétés
complexes ». Selon Hayek, le marché est ainsi
un « processus » c'est-à-dire « une procédure de
découverte des informations » Pour que le
marché fonctionne, il faut dès lors des
procédures essais/erreurs. Les faillites ou le
chômage sont des choses régulatrices, qui
permettent d’éviter un gaspillage durable des
ressources rares. Pour que ce processus soit
opératoire, il faut que l’institution du marché
fonctionne avec l’institution de la propriété
privée. La loi du profit fait survivre les
entreprises qui s’adaptent aux nécessités de
l’économie
L’inspirateur de Hayek est ici Adam Smith,
qui écrit en 1776 : « quel capital peut-on
financer dont le produit sera susceptible de la
plus grande valeur ? […] chaque individu,
c’est évident, peut là ou il se trouve, en juger
bien mieux que tout homme d’État ou
législateur ». Ce sont les gens qui doivent
assumer les conséquences de leurs actes, si on
les laisse libres d’accéder aux informations
nécessaires. Pour Mises, dès 1920 : Le
« commerçant identifie son intérêt avec l’intérêt
de l’entreprise, d’où l’efficacité de la propriété
privée ». Si le marché est efficace, c’est bien
qu’il nous permet de transférer, via le système
des prix, les informations que les entrepreneurs
ont trouvées. Et ceux-ci les ont obtenues parce
qu’il était leur intérêt de trouver ces
informations pertinentes.
L’idée du marché comme processus
s’oppose à l’idée d’équilibre. Pour Hayek, les
processus des marchés produisent une tendance
vers l’équilibre, la science économique tentant
de comprendre comment l’économie tend vers
cet équilibre (supposé). La référence à un
quelconque point d’équilibre des marchés est
une abstraction, qui peut induire en erreur, car
la rationalité des individus est limitée. Parfois
même, les institutions sont mauvaises et
contrecarrent cette tendance vers l’équilibre,
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qui est le trait spontané des mécanismes
marchands. Ainsi, notamment, à cause de nos
systèmes bancaires, il est rare que le système
économique engendre des prix corrects
fonctionnant comme des signaux efficaces.
Pour un bon fonctionnement du marché, il
faut accepter les faillites des entreprises qui
sont autant de sanctions que le marché envoie
comme signaux aux agents. La concurrence,
moteur même du marché, doit être libre. Hayek
dit en substance ceci : c’est parce que « je »
veux gagner de l’argent sur le dos des autres
que « je » vais produire de l’information
nécessaire pour moi et pour les autres. Sans
immixtion de l’État donc, les prix de marché
nous donnent de bons vecteurs d’information,
indiquant de degré de rareté relative des biens.
Le mécanisme de circulation de
l’information est lié au mécanisme de
production. S’il n’y avait pas ce mécanisme
marchand, le volume de production serait
moindre. Ex : le prix du pétrole. S’il augmente,
cela montre qu’il y a une pénurie de pétrole
donc une mauvaise répartition des ressources,
compte tenu des exigences actuelles de la
société. C’est un signal qui permet à ceux qui
l’utilisent de mieux le gérer. On va donc
produire avec moins de pétrole, mais
l’augmentation du prix du pétrole implique que
les entrepreneurs vont comparer, à nouveau, la
profitabilité de leurs investissements selon les
secteurs. Ce mécanisme de réallocation du
capital en fonction de la profitabilité, c’est-àdire de la demande du marché, permettra de
satisfaire ceux qui sont prêts à payer plus cher
le prix de cette matière première. En ce sens, le
marché ne fait pas qu’indiquer l’état de la
pénurie, il incite les agents à promouvoir
l’abondance.
Donc,
les
entrepreneurs
concourent au bien être social, à un nouvel
équilibre. In fine, plus de ressources pétrolifères
seront exploitées ou, à tout le moins,
l’utilisation de cette ressource devenue plus rare
sera affectée à ceux qui sont prêts à donner
plus
en
échange.
Par
ce
système
d’investissement par le profit, le gaspillage est
vaincu, un ordre économique optimal pour la
société fonctionne.
§4. Contre la dite « justice sociale »
Pour Hayek, rappelons-le une loi ne
doit pas viser une finalité en particulier,
« sociale » ou non. Il ne veut que des lois
portant sur les maximes générales de conduite :
délimiter les libertés des uns et des autres dans
la société moderne.
D’où le fait que la « justice sociale »,
qui permet aux gens qui ont échoué de prélever
des richesses a ceux qui ont réussi, ne soit que
mensonge. Pire, c’est une illusion car les effets
pervers existent et rendent néfaste toute volonté
redistributive.
Exemples : 1 / on garantit à des paysans
le prix du lait ; leur revenu augmente et ils sont
incités à investir dans ce domaine. D’où
surproduction. Par conséquent, l’État est obligé
de racheter le surplus … 2/ l’imposition de
salaire oblige les patrons à payer les salariés audelà de leur productivité. D’où inflation ou
chômage et allocation chômage, d’où encore
plus de chômage ! Finalement, la société tout
entière paye des revenus sans utilité sociale
(« parasitisme » selon Hayek). La meilleure
façon d’aider les pauvres est donc de ne pas les
aider …
Ces interventions successives visant à
la « justice sociale » vont entraîner la mainmise
de l’État sur toute la société : le totalitarisme !
Il est vrai que le système démocratique
classique, qui établit des majorités contrôlant
des minorités, porte en lui cette dérive
totalitaire. La tyrannie de la majorité, c’est la
fin de la liberté ! Contre les potentialités
dangereuses du principe démocratique, il faut
tempérer la démocratie. Certains ont donc
proposé de systématiser des majorités qualifiées
(2/3 voire 3/4).
§5. Critiques de la social-démocratie et de
l’économie planifiée
Hayek estime que la social-démocratie,
qui combine système capitaliste, démocratie et
« justice sociale » est donc un système
dangereux : en déséquilibrant les marchés,
l’État va intervenir partout, comme l’affirmait
déjà Mises. Reprenant aussi une partie de la
critique de celui-ci sur la planification
centralisée, il soutient que l’abolition du marché
conduit au totalitarisme et au désordre, car il est
impossible à un organisme de gérer tout.
L’homme n’est pas assez intelligent pour gérer
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les mécanismes économiques de façon planifiée
ou délibérée ! L’économie ne peut pas être
organisé comme une machine.
Or, les hommes sont présomptueux (cf.
l’ouvrage la PRESOMPTION FATALE) et
croient pouvoir se passer d’une institution
sélectionnée par l’évolution. La seule
possibilité est en réalité de laisser faire le
marché : le marché a des mystères qu’il faut
respecter, comme on l’a vu ….
Hayek critique d’ailleurs la théorie
économique traditionnelle, qui suppose des
connaissances « données » - connues en fait du
seul théoricien -: ceci est une fausse piste qui
justifie la planification centralisée. En réalité,
les connaissances particulières ne sont pas
données spontanément à un centre omniscient :
elles sont dispersées. La concurrence permet au
système des prix de faire circuler les
connaissances – ou informations–, alors qu’un
un plan corrompt la qualité et détruit la quantité
des informations décentralisées. Rappelons que
l’entrepreneur, seul, a les connaissances utiles à
la société car son intérêt personnel est de faire
des profits. Comme le marché ne fonctionne
bien que si les gens sont libres de chercher leur
profit, dérégulons …
§ 6. Critiques de Hayek
L’Etat-Providence
n’est-il
pas,
pourtant, lui-même, un produit de l’évolution
sociale ? Et même si la société n’est pas une
« machine »,
on
peut
faire
des
expérimentations. Cf. POPPER - un libéral ! –
qui est partisan de la « technologie sociale
fragmentaire ». Par ailleurs, le marché a
« tendance » à trouver un équilibre, selon
Hayek, ce qu’il ne démontre à aucun moment.
Enfin, la question que Hayek ne pose
pas est celle de l’autonomie des peuples. Il
existe des contradictions entre marchés libres et
exigence de protection sociale et écologique,
entre autonomie et la totale ouverture
économique aux flux internationaux de la
finance etc. Les économistes comme Hayek
négligent le concept de souveraineté populaire,
dévoilant l’opposition principielle entre
démocratie sociale et écologie, d’une part, et
néolibéralisme, d’autre part.
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Chapitre 2
Le cycle économique
selon l’école autrichienne
(Böhm-Bawerk, Mises, Hayek et
Kirzner)
§1. La problématique autrichienne
Dans les années 1930, Hayek élabore
une théorie des crises qui est une alternative à
l’explication produite par Keynes, notamment
dans sa Théorie générale. Il est possible
d’affirmer qu’Hayek produit une des synthèses
les plus achevées de l’école qui domine alors la
science économique, avant le triomphe de la
révolution keynésienne. On a coutume de
qualifier la théorie d’Hayek d’ « autrichienne »
parce qu’elle emprunte beaucoup de ses
éléments à Menger, Böhm-Bawerk et Von
Mises. À la différence d’un autre grand
économiste orthodoxe britannique, Pigou,
Hayek suppose ainsi que la monnaie n’est pas
neutre et que la production doit être considéré
comme un processus qui prend du temps : il y a
une structure temporelle de l’organisation du
système productif. Cette analyse relativement
originale sera balayée par les écrits keynésiens
mais redécouverte durant la crise inflationniste
des années 1970, car, à ce moment, les
politiques keynésiennes ont semblé devenir
inefficaces. Nous allons donc nous attacher à
décrire cette doctrine qui trouve l’origine des
crises du capitalisme dans les incohérences du
système de crédit, l’existence d’une politique
monétaire et les interventions de l’État.
Signalons que de proches conseillers de l’actuel
président de la Réserve Fédérale américaine
sont très imprégnés par la problématique
autrichienne et, plus généralement, de cette
idée selon laquelle les marchés libres sont
fondamentalement autorégulateurs et que le
monde ne souffre pas d’un excès de capitalisme
mais d’un manque.
Les éléments de l’analyse
Tout agent économique, voire tout
système économique a, au moment d’effectuer
un choix productif de valeur, deux méthodes
pour satisfaire ses objectifs. Soit il utilise les
facteurs originels, que sont la terre et le travail,
pour contenter au plus vite ses désirs, soit il
accepte de détourner une partie de ces facteurs
originels, vers la production de biens qui, à
terme, permettront de satisfaire plus amplement
ses objectifs économiques. La stratégie
« travaillistique » s’oppose donc à la méthode
« capitalistique ».
Il
existe
une
« robinsonnade », selon l’ironique mot de
Marx, qui rend compte de l’opposition entre les
deux stratégies que nous venons de décrire.
Reprenons l’apologue dû à Böhm-Bawerk
(1851-1914) et imaginons un Robinson allant
satisfaire sa soif en transformant son temps
loisir en temps travail directement, c’est-à-dire
en allant chercher, à chaque fois que nécessaire,
de l’eau située à quelques distances de son
habitation. Toutefois, il peut aussi construire un
système de canalisation, ce qui implique, toutes
choses égales par ailleurs, une diminution de
son niveau de satisfaction exprimé en termes de
jouissance des biens présents, l’apaisement de
la soif ou le pur loisir. Ce faisant, la
mobilisation de terre et de travail a permis de
produire du « capital », entendu comme un
« bien servant à fabriquer d’autres biens ».
Dans ce cas de figure, on peut également
remarquer le nombre « stade » du « processus
productif » a augmenté, que la production a été
détournée vers la constitution de biens
intermédiaire, afin d’augmenter la productivité
du travail.
Un exemple possible d’une société, qui
agirait ainsi, serait la décision d’un
gouvernement qui décide de réduire la
production de biens de consommation, en
dirigeant ses travailleurs des industries de la
consommation finale vers la production de
capital (appelé parfois « de biens de
production »). Seule la fabrication de capital
productif supplémentaire peut augmenter la
productivité
des
processus
productifs,
l’ajournement d’une part de la consommation
présente étant la condition sine qua non d’une
plus grande consommation future. On peut
analyser la politique de Staline dans les années
1930 comme étant une illustration de cette idée
du « détour de production », même si
l’allocation des ressources rares en vue de la
création d’une industrie moderne n’a pas résulté
des mécanismes spontanés du marché. À cet
égard, on comprend pourquoi Kirzner, un ténor
de l’école néoautrichienne, qui est importante
aux Etats-Unis aujourd’hui, insiste souvent sur
le fait que les concepts de l’analyse
autrichienne ne sont pas spécifique à la seule
économie fondée sur les marchés libres. Dans
une telle économie, c’est la baisse du taux de
l’intérêt, comme la sanctionne le marché du
capital, qui aurait permis une production
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croissante de capital. Néanmoins, pareil
phénomène ne résulte pas de l’arbitraire du
pouvoir mais d’une moindre préférence pour le
présent exprimé librement (supposent les
Autrichiens) par les agents économiques.
On peut résumer les éléments de
l’analyse à trois idées :
1- Que l’investissement est un
« détour de production » ;
2- Que c’est le taux d’intérêt qui règle
la « longueur » de ce détour ;
3- Que toute hausse de la production
nécessite une hausse préalable de
l’épargne,
seul
mécanisme
permettant de produire les biens
qui, à terme, permettront de
produire plus de biens destinés à
être vendus.
§2. La crise politique du capitalisme
À ces trois éléments, il convient de
rajouter un quatrième qui est impliqué, à savoir
que la monnaie n’est pas neutre : l’action sur
taux d’intérêt, en modifiant la structure de
production - entre production pour le présent
immédiat (la consommation) et pour le futur
(l’investissement) a des conséquences qui sont
réelles et pas seulement monétaires.
Pour expliquer le cycle économique,
Hayek va supposer que se produit, pour une
raison la plupart du temps politique, une baisse
des taux d’intérêt orchestré par la Banque
Centrale. Cette baisse des taux d’intérêts
implique un déséquilibre, car, à l’origine, le
taux d’intérêt1 exprimait un équilibre sur le
marché du capital.
C’est en général pour augmenter le
niveau de l’emploi que les taux d’intérêts sont
manipulés politiquement à la baisse, car un
écart positif entre le taux de profit et le taux
d’intérêt incite les entrepreneurs à investir, ce
qui stimule, à court terme, la croissance
économique. On oublie simplement, selon
Hayek et les néolibéraux que, spontanément, les
marchés tendent à l’équilibre et que, si les
1
Ce taux pouvait être grosso modo interprété
comme la « productivité marginale du capital » dans
le langage spécialisé des économistes de l’école
suédoise (Wicksell, Cassel) et autrichienne (Mises,
Hayek), le phénomène décrit se traduit comme le fait
que le « taux monétaire de l’intérêt » devient
inférieur au « taux naturel de l’intérêt », celui-ci
étant une façon de mesurer le taux de profit.
travailleurs sont au chômage, c’est que,
fondamentalement, ils le veulent bien ou que
les syndicats refusent un ajustement des salaires
nominaux à la baisse. Toutefois, à partir du
moment où le taux de l’intérêt baisse, les
entrepreneurs sont effectivement incités à
investir alors que les ménages n’épargnent pas
plus. Dans ce nouvel état des choses, il se
développe une différence de profit entre les
stades de production : la hausse de
l’investissement rend profitable la production
de machine, plus généralement, de « biencapitaux ». Nous avons affaire à un « boom »
dans ce secteur, ce qui implique que les
entrepreneurs vont demander plus de travail
ainsi que des biens « non spécifiques » c’est-àdire des biens qui sont mobilisables à tous les
niveaux du processus production.
Évidemment, cette hausse des prix, que
l’on peut constater sur le marché des biens de
production va se transmettre, au bout d’un
certain temps, sur le marché des biens de
consommation. En effet, les consommateurs ont
continué de consommer pareillement : il n’y pas
eu d’épargne supplémentaire préalable et il est
évident que la dépense de revenus salariaux
supplémentaires déséquilibre le marché des
biens de consommation en faisant hausser leur
prix. On peut même penser que la production de
certains biens de consommation a pu baisser, à
certain moment du cycle économique, parce
que, quand les entrepreneurs disposaient de
beaucoup de ressources pour fabriquer des
biens-capitaux, ils ont détourné un certain
nombre de travailleurs et de ressources qui
étaient affectés à la production d’un certain
nombre de biens de consommation. Ce qui se
passe donc au cours du cycle économique est
une succession de pénuries affectant
progressivement tous les marchés.
Nous
pouvons constater, dès lors, que le boom
devient inflationniste, au sens où la hausse des
prix devient générale. Cette inflation a un
corollaire : l’ « épargne forcée ».
En effet, la hausse des prix des biens de
consommation implique que le niveau de vie
baisse, comme si les agents économiques
avaient plus épargné. Il est possible de dire que
les investissements, qui ont été permis par
l’aisance monétaire, ont « forcé l’épargne », en
diminuant la consommation par l’inflation.
L’épargne forcée est, pour Wicksell ou pour
Hayek, une nécessité, car en l’absence
d’épargne préalable, l’inflation est la seule
façon de financer les investissements.
L’exemple le plus connu dans le domaine
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historique est l’émission de papier monnaie « à
cours forcé », durant la Révolution française :
pour financer les dépenses militaires, alors
qu’on refusait d’augmenter les impôts, on a
réussi à fabriquer plus de canons grâce à une
inflation vertigineuse, qui a réduit la
consommation populaire : du beurre ou des
canons, telle est la question !
Or, selon les économistes autrichiens,
l’épargne
forcée
induit
un
équilibre
foncièrement instable, car à partir du moment
où les prix des biens de consommation
flambent, il redevient rentable de mobiliser des
ressources, économes en capital permettant de
satisfaire cette demande nouvelle. A ce moment
du cycle économique qui correspond à une
entrée en crise, les entrepreneurs essayent de
mobiliser du travail et des biens non spécifiques
pour accélérer la production de biens de
consommation. N’oublions pas que la
différence des niveaux de profit qui s’était
créée, entre
les stades du processus de
production de la société, vient progressivement
de changer, au détriment du secteur qui produit
des biens de consommation. Il n’y a donc pas
de crises de surproduction, pour Hayek, mais
simplement le fait que les industries qui avaient
été favorisées par le boom inflationniste ne sont
plus rentables et qu’il faut toujours du temps
pour
que
les
travailleurs
soient
avantageusement employés à la production des
biens spécifiques qui permettront de produire
plus de biens de consommation.
Hayek affine l’analyse en remarquant, en
tout état de cause, que la baisse des salaires
réels, qui se produit nécessairement, à un
certain moment du boom, a une conséquence
décisive : les entrepreneurs sont incités à
utiliser des méthodes moins intensives en
capital, parce que la baisse du prix du travail
incite, en bonne logique économique, à utiliser
plus de travail et moins de capital. La
substitution du travail au capital, donc de la
demande de biens d’investissements, implique
une baisse du rapport entre le capital de la
société et sa production, ce qui signifie que la
longueur de la période de la production a
baissé. Inversement, quand les prix chutent
pendant une période de dépression, l’élévation
des salaires réels implique que les entrepreneurs
utilisent des processus de production plus
économes en travail. De cette façon,
l’investissement est stimulé de façon spontanée.
On a qualifié d’ « effet d’accordéon » cette
conception que développe Hayek, selon
laquelle le cycle économique pourrait être
caractérisé par un allongement ou
contraction du processus de production.
une
§3. Le capitalisme réellement existant souffret-il réellement d’un manque de capitalisme ?
L’analyse de Hayek on le voit, est une
justification de la supposée indépendance des
banques centrales ou des systèmes d’étalon-or.
C’est aussi une critique des politiques
keynésiennes qui auraient été à l’origine de la
crise des années 1970 : ce moment fut celui
d’un ralentissement de la croissance
économique, accompagné d’une accélération
remarquable du taux d’inflation. Mais, son
analyse est contestable pour plusieurs raisons.
Remarquons, d’abord, que Hayek suppose que
les marchés connaissent une tendance à
l’équilibre, ce qui est plus un postulat qu’un fait
démontré. En particulier, le raisonnement, que
nous illustrons, suppose le plein emploi des
facteurs de production : Keynes contestait le
bien fondé de cette hypothèse.
Plus encore, pour expliquer les cycles
économiques, et notamment le fait que les
politiques keynésiennes des années soixante
auraient entraîné la stagflation des années
1970, il faut supposer des délais fort longs,
étonnants, entre la hausse de la demande de
travail, qui serait le résultat du boom
« artificiel »
du
secteur
des
biens
d’investissement, et la hausse des revenus
salariaux. Il faut aussi supposer que les
agents économiques font des anticipations
systématiquement peu raisonnables …. Sans
compter un autre délai entre cette hausse des
revenus salariaux et la flambée des prix des
biens de consommation … ! En réalité, si on
supposait un court délai entre la chute du taux
de l’intérêt et la hausse des prix des biens de
consommation, il ne se produirait pas cet effet
d’accordéon, qui pour Hayek, est la raison
même du cycle économique.
Enfin, ce qui semble faire problème, pour
Hayek, ce sont uniquement les chocs
monétaires « exogènes », c’est-à-dire dus
finalement à une intervention politique. Hayek
ne suppose jamais que les chocs « endogènes »,
c’est-à-dire liés au fonctionnement du système
de marchés ne constituent pas des problèmes
aussi graves que des interventions politiques.
Supposons en effet qu’il existe une hausse
brutale de la « préférence des agents
économiques pour le présent ». Dans cette
hypothèse où les agents épargnent plus, il se
produira des ajustements aussi douloureux et
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10
chaotique, en terme de modification de la
structure de production, que si nous avions
connus une politique de restriction monétaire,
c’est à dire de hausse délibérée du taux
d’intérêt. Dans les deux cas, la déflation pose
autant de problème …
Finalement, la science économique
néolibérale n’est-elle pas une manifestation de
l’« idéologie », ce processus par lequel se
constituent les évidences du temps, qui ne sont
rien d’autres que des idées dominantes,
expression même de la classe dominante2. On a
pu écrire à ce sujet :
« Les pensées de la classe dominante
sont aussi, à toutes les époques, les pensées
dominantes, autrement dit la classe qui est la
puissance matérielle dominante de la société est
aussi la puissance dominante spirituelle. La
classe qui dispose des moyens de la production
matérielle dispose, du même coup, des moyens
de la production intellectuelle, si bien que, l’un
dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont
refusés les moyens de production intellectuelle
sont soumises du même coup à cette classe
dominante. […] Les individus qui constituent la
classe dominante possèdent, entre autres
choses, également une conscience, et en
conséquence ils pensent ; pour autant ils
dominent en tant que classe et déterminent une
époque historique dans toute son ampleur ; il
va de soi que ces individus dominent dans tous
les sens et qu’ils ont une position dominante,
entre autre, comme êtres pensants aussi,
comme producteurs d’idées, qu’ils règlent la
production et la distribution des pensées de leur
époque ; leurs idées sont donc les idées
dominantes
de
leur
époque ».
Cette
interrogation demeure une simple hypothèse ….
2
Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie
allemande, Paris, Éditions sociales, 1977.
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11
GLOSSAIRE (1)
Constructivisme
Dans le sens d’Hayek, c’est l’idée qu’il est possible de construire une société
comme on construit une machine. Or, une machine est construite téléologiquement : elle
est technologiquement déterminée selon un but précis. Mais, une société ne fonctionne
pas grâce à un « super esprit », un esprit omniscient qui aurait « fabriqué » la société,
c’est-à-dire conçu selon une intention préalable. En fait, la société ne résulte pas d’une
action collective délibérée. La société – comme ses règles, les « institutions » - résulte
d’un processus « inconscient » (ce mot n’est pas utilisé au sens de Freud), qui s’est
imposé à nous grâce à la sélection des bonnes conduites dans le processus de l’évolution
sociale. Hayek reprend Adam Fergusson : le résultat global des actions humaines n’est
pas recherché en tant que tel par l’homme, même si celui-ci est positif pour tous. Le
« scientisme », maladie des ingénieurs, est de croire que la société puisse être expliquée
en référence à l’image de la machine ; c’est cette croyance qui est à l’origine du
« planisme » selon laquelle la planification est nécessaire à une société développée.
On cherche à déterminer ici un « vecteur prix équilibre », ensemble des prix tels
Équilibre général
que
l’offre
égale la demande sur chaque « marché ». Les théoriciens de l’équilibre
(principes)
général essaient de trouver les conditions suffisantes pour que l’économie connaisse un
« équilibre général » des « marchés ». La question est donc de savoir quelles sont les
conditions auxquelles doit répondre une économie pour assurer cet équilibre.
Équilibre général le problème de la « connaissance dispersée »
(critiques)
Même les néolibéraux peuvent rejeter la conception encore dominante du
marché comme « lieu » où se rencontrent l’offre et la demande relatives à ce bien. En
effet, le « marché » néoclassique ne correspond pas du tout au marché de notre
expérience quotidienne. Dans la théorie néoclassique, on suppose qu’un « individu » - le
« commissaire-priseur » est chargé d’équilibrer l’offre et la demande sur chaque marché.
Ce qui suppose une institution qui supervise: une économie de marché, dans les faits, ne
suppose pas sur une telle centralisation de l’information. Comment en effet concilier
cette idée d’un « commissaire-priseur », chargé de faire équilibrer l’offre et la demande
sur les marchés selon des procédures de « tâtonnement », avec notre expérience des
marchés ? La théorie néoclassique est ainsi hors sujet pour ce qui est de comprendre le
marché ! Cette idée d’une centralisation des connaissances est contradictoire avec le
principe même d’une économie de marché. La théorie néoclassique est en réalité une
théorie de la planification, ce que démontrent dans les années 1930 aussi bien le libéral
Schumpeter que Lange, l’économiste partisan du « socialisme de marché ».
Pour Hayek, les théoriciens de l’équilibre général se trompent, car ils n’ont pas
compris ce qu’est l’économie de marché. Pour lui, le marché un ensemble de
mécanismes qui permet une procédure efficace de découverte de l’information dans une
économie décentralisée. Le problème social central est celui de la recherche des
informations pertinentes guidant l’action individuelle. Chaque acteur économique
s’informe sur les moyens les plus économes pour arriver à ses fins. Ainsi, dans son
entreprise, l’ingénieur, construisant une machine, peut considérer les prix comme un fait
objectif : le prix est une donnée extérieure. Pas de temps à perdre pour à connaître les
raisons de l’évolution des prix. Le marché est ce système - qui est le moins inefficace
que l’humanité ait expérimenté - faisant circuler les informations, grâce à la concurrence,
car les prix de marchés sont ces signaux permettant d’élaborer des plans, de les rectifier
pour arriver à nos fins. Seules les infos sont détenues par des particuliers qui ont un
intérêt à les découvrir, pas par une autorité centrale ! Tout problème réside dans la
capacité d’un mécanisme social à diffuser le plus largement possible ces connaissances
(informations) dans la société. Le marché est donc ce mécanisme produisant
naturellement - ou spontanément - une coordination entre des individus qui ne se
proposent nullement, a priori, d’établir une quelconque concertation : c’est la « main
invisible ». Le thème hayékien par essence est ainsi celui de la « connaissance
dispersée » La preuve de l’efficacité de celle-ci serait donnée par l’histoire.
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12
GLOSSAIRE (2)
Évolutionnisme
Les institutions comme la monnaie, le droit, la propriété privé n’ont pas été
inventées par un individu : les hommes les ont utilisées car ils se sont rendu compte
qu’ils s’enrichissaient plus qu’avec une autre méthode. Les groupes qui suivaient ces
règles plus efficaces ont triomphé des autres par leur richesse et leur nombre dans le
processus de lutte pour la survie. D’où un avantage par rapport aux groupes ignorant ou
méprisant le marché. Ainsi, comme la monnaie, le droit, la propriété privée, le marché
n’a pas été inventé par un individu mais par le mécanisme aveugle de l’évolution. Hayek
combine donc une théorie de la sélection des individus (les gagnants au processus de
marché) à une théorie de la sélection des GROUPES ?: son IM est donc
« institutionnel ».
Marché : le plan contre le marché comme processus
Dans une société où vivent de nombreux individus, il n’y a qu’un seul
mécanisme qui permet de coordonner EFFICACEMENT – DE LA FACON LA MOINS
MAUVAISE POSSIBLE - les activités, c’est le marché. Il coordonne, car il envoie des
signaux (ex : le taux d’intérêt qui indique la rareté du capital). TOUT LE MONDE peut
comprendre le sens des variations de prix pour arriver à des fins. En respectant la
propriété privée, les faillites, ces « signaux » que sont les prix ne seraient pas faussés.
La seule méthode alternative au marché : qu’on se réunisse et que l’on planifie,
décide de la consommation et des quantités consommées des produits, autrement dit, que
l’on crée un organisme planificateur. Pourtant ce système est IMPOSSIBLE car les
hommes disposent de trop de chiffres et d’informations à chaque étape. AUCUN homme
n’est capable de savoir ce qui est le mieux pour les autres. La direction planifiée est
moins efficace que la direction par marché car elle favorise systématiquement la perte
d’information et donc un mauvais usage des ressources. Le secret du marché est d’être
une institution sélectionnée par l’évolution culturelle afin de résoudre LE PROBLÈME
SOCIAL ESSENTIEL qui est que la connaissance est dispersée.
Prix : l’exemple du taux de l’intérêt
Pour Hayek, les processus sociaux sont « intersubjectifs » (relations entre les
sujets). Le prix, qui est un fait social – ou plutôt « supra individuel », peut changer en
fonction des décisions subjectives des individus. Ex. si ces derniers décident d’épargner
plus – de consommer moins - le taux d’intérêt baisse. Ceci incite les entrepreneurs à
adopter des modes de production plus « capitalistique » qui permettront un surcroît de
consommation de richesse dans le futur. Le taux d’intérêt indique donc les préférences
subjectives des consommateurs qui peuvent changer : ici, la baisse du taux manifeste une
moindre préférence pour le présent. Les taux en tant que prix sont des abstractions
efficaces - même si elles sont grossières - pour guider le plus harmonieusement possible
l’action d’individus séparés.
Socialisme et social-démocratie
C’est l’idée que l’État peut intervenir dans l’économie pour promouvoir des
objectifs sociaux. Or, la planification n’est possible que pour des sociétés où ne vivent
pas de nombreux individus. Dans la GRANDE SOCIÉTÉ, la société de marché, seul le
mécanisme du marché permet de coordonner les activités d’individus nombreux aux
besoins multiples, complexes et changeants. Mais, si la propriété privée n’est pas
respectée, et que les faillites ne jouent pas leur rôle régulateur, ou si les prix sont dirigés,
les prix deviennent des signaux pervertis qui expliquent les crises du capitalisme. L’État,
ou le principe du monopole d’émission de la monnaie, est la cause des crises.
Hayek a du socialisme une conception particulière. Celui-ci désigne la simple
social-démocratie, où peut exister une propriété publique, une sécurité sociale obligatoire
etc. c’est-à-dire dès qu’il y a des moyens politiques visant à satisfaire un objectif
collectivement déterminé. Le socialisme est donc une conséquence du point de vue de
l’ingénieur qui assimile la société à une machine. Or, si celui-là sait tout de la machine
quand il la conçoit et la produit, il ne peut rien de savoir de tel de la société, sauf à être
dans une « présomption fatale ».
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