Cela pose le problème de l’origine de la propriété. Celle-ci doit respecter le critère de justice.
Comme l’origine de la propriété de la plupart des richesses ne peut-être établie simplement et
laisse souvent apparaître une spoliation ou une violence, il faut "tout remettre à plat".
Dans son exposé radical la pensée libertarienne implique une "mise à zéro des compteurs" :
l’expropriation généralisée suivie d’une distribution égalitaire avant de prendre un nouveau
départ. Après les hommes font ce qu’ils veulent de leurs vies en respectant les deux principes
énoncés plus haut.
Ce préalable "utopique" relève largement du décor permettant de rendre acceptable une
théorie qui en l’absence d’une redistribution initiale égalitaire repose entièrement sur l’idée
que l’exercice de la liberté ne bute pas sur l’opposition entre liberté formelle et liberté
réelle...On est très éloigné ici des raisonnements développés par Friedrich von Hayek même
si la conclusion est identique. Toute l’analyse économique de Hayek repose sur l’idée que
l’information est radicalement imparfaite, le monde est imprévisible. Si le marché est efficace
ce n’est pas parce qu’il met en scène des calculateurs omniscients parfaitement rationnels,
c’est parce que c’est un mécanisme de correction par essais-erreurs-essais.... Dans ces
conditions personne ne peut justifier sa réussite à partir de ses seuls mérites, il y a
nécessairement une part de "chance", l’état de la répartition ne traduit pas des récompenses
personnelles. Dans les sociétés complexes modernes, nul ne peut prétendre maîtriser
l’information et donner une explication de la situation de chaque individu. La notion de
"justice" ne peut pas renvoyer à des comportements repérables, il est même possible (probable
pour Hayek) que des interventions s’appuyant sur une appréciation des "utilités" pour corriger
les inégalités, conduisent à des effets pervers. Il faut simplement « ne concéder à personne le
privilège de la sécurité. » Le risque doit concerner tous les individus.
Un État minimal dont le rôle n’est pas de chercher à réduire les inégalités de revenus ou de
conditions sociales par une redistribution violant la liberté de faire ce que l’on veut de son
argent. Chacun peut librement aider les autres s’il le veut et chacun peut s’il veut se protéger
contre les risques recourir aux assurances fournies par le marché.
suite de cet article
[1] Les articles ou les livres traitant de la théorie axiomatique de la valeur sont souvent
difficiles mais les textes fondateurs sont accessibles en français :
- Kenneth J. Arrow, Choix collectifs et préférences individuelles, (1951 et 1963 pour l’édition
originale) Calmann Lévy (1974) réédité en poche Diderot éditeur (1997) et de larges extraits
dans L’économie politique, analyse économique des choix publics, textes réunis et présentés
par Jacques Généreux, Larousse Bordas 1996
- John C. Harsanyi, Bien être cardinal, éthique individualiste et comparaison interpersonnelle
de l’utilité, (1955) article traduit dans L’économie politique, analyse économique des choix
publics, textes réunis et présentés par Jacques Généreux, Larousse Bordas 1996. Dans cet
article Harsanyi introduit une procédure (la "procédure d’Harsanyi") d’élaboration d’une
fonction collective de bien-être très proche de celle utilisée plus tard par John Rawls : le voile
d’ignorance de Rawls est une des formes possibles de la contrainte d’impartialité d’Harsanyi
suivant laquelle les individus se comportent comme si tous les avenirs étaient équiprobables
(voir Éthique économique et sociale, Christian Arnsperger et Philippe Van Parijs, La
Découverte, 2000, pages 19 et 66) .
- Amartya Sen, De l’impossibilité d’être libéral et parétien, (1970), court article repris et
commenté dans L’économie politique, analyse économique des choix publics, textes réunis et
présentés par Jacques Généreux, Larousse Bordas 1996.
Voir aussi, Repenser l’inégalité (1992), Le Seuil 2000, Éthique et économie, PUF