infrastructures urbaines, et par les interactions qui s’y déroulent. Le refus d’une
approche écologique et dispositionnelle, en particulier, conduit l’auteur à négliger,
d’une même mouvement, la matérialité spécifique de l’environnement urbain et la
« logique de la pratique » (Bourdieu, 1980) propre aux interactions citadines.
Selon Rancière, les relations et les positions sociales se constitueraient
historiquement à partir d’effets sensibles structurants, immédiatement perçus par les
agents dans le contexte de leurs « occupations » respectives et exclusives. Ainsi, les
temps et les lieux de nos activités sociales, en fixant par anticipation l’étendue de
notre expérience sensible, nous assigneraient a priori une « part » et une « place »
particulière dans les échanges matériels et symboliques : c’est ce que l’auteur
nomme « la police » (1991, 1998). L’éventualité de notre participation à l’activité
sociale et politique serait donc prédéterminée par la double condition de notre
expérience sensorielle (la perception quotidienne de l’espace et du temps) et la
perceptibilité de notre statut social et symbolique (« visible » ou « invisible »,
« parole » ou « bruit »). L’intervention politique consisterait alors à reconfigurer
l’ordre sensible des places et des manières d’être défini par la « police » existante.
Cependant, la tentative d’appliquer ces thèses au contexte urbain pose davantage
de problèmes qu’elle n’en résout. Sauf à perdre tout à fait ce qui la distingue d’autres
types d’espace et à devenir un système clos, la ville n’est pas qu’un arrangement
policier des lieux et des conduites. Il s’agit de prendre en compte la dimension
matérielle de l’environnement urbain, d’une part, et la spécificité des interactions qui
s’y déroulent, d’autre part ; mais aussi et surtout, la relation entre les deux, plus
rarement interrogée (Whyte, 1980 ; Lofland, 1998). Il devient possible, à cette
condition, de contester le caractère fermé du « partage du sensible » en lui opposant
trois caractéristiques de la perception dans les espaces publics urbains : sa part
d’indétermination perspectiviste, liée à la mobilité des individus et au pluralisme des
usages et des conduites ; le caractère relationnel et non substantiel de ces
expériences spatiales ; et la coopération minimale entre inconnus, précisément
assurée par leur visibilité mutuelle à distance (Goffman, 1971). En détaillant ces trois
caractéristiques esthétiques, j’envisagerai pour finir le potentiel politique des
configurations urbaines : parce qu’elle implique une forme permanente de
participation et de coproduction de l’expérience, la vie sociale des lieux publics
urbains incarne la vie civile, condition de possibilité du civisme démocratique.