LE DESIR PEUT-IL SE SATISFAIRE DE LA REALITE ? « Le plaisir imaginé s’appelle désir » a écrit Paul Ricœur dans sa Philosophie de la volonté. Ainsi, il apparaît certain que de son avis, le désir est éveillé par l’imagination, et nous pousse à rechercher le plaisir par l’acte d’appropriation. Eveillé par l’imagination, certes. Et encore, est-ce toujours vrai ? Ne peut-on pas dire que tel désir a été éveillé par la réalité et depuis se nourrit d’elle, mais que tel autre est n’existe que grâce à l’imagination et par celle-ci ? Et dans ce cas, peut-on dire qu’il existe plusieurs désirs ? Quels seraient leurs différences, dans ce cas ? Et à quoi nous serviraient-ils ? Et, en premier lieu, qu’est-ce que le désir ? Différentes questions qui vont nous servir pour répondre à cette interrogation-ci : « Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ? Pour essayer d’élucider ce mystère, il nous faudra définir quatre termes : qu’entend-on lorsque l’on parle de « désir », de « besoin », de « réalité » et de « satisfaire » ? Que veulent dire ces mots, dans le contexte qui nous intéresse ? Le désir est le résultat d’une réflexion, consciente ou non. Il faut aussi savoir que le désir fait partie de l’homme : il est créateur de lui, et de ses réalités. Ainsi, personne ne peut s’exempter du désir sans un travail préalable : c’est là une des tragédies de l’homme. En effet, le désir nous réduit en esclavage par sa nature : un manque. C’est l’idée de Platon, qui voit le désir comme une nostalgie d’un monde où l’on avait tout, soit l’endroit d’où viennent les hommes et vers où ils repartent après leur court passage sur Terre. Le désir fait, dans ce cas, partie de nous, car il est le résultat de notre départ de ce monde idéal. Tel un chef tyrannique, il recrute l’imagination, qui représente alors la satisfaction virtuelle, le jugement, qui distingue les moyens d'acquérir cette satisfaction, ainsi que la volonté, qui met en œuvre le projet menant à la satisfaction finale. Nous pouvons donc définir le désir comme le compagnon de toujours de l’être humain, qui est aussi son compagnon d’infortune, en quelque sorte… La réalité est, pour le commun des mortels, l’ensemble des choses qui sont, c'est à dire qui ont une existence constatable (on peut les toucher et s’en servir). En philosophie, par contre, il s’agit de l’être véritable des choses, et non pas de leur seule apparence, parfois trompeuse. Plus précise, la philosophie sait bien que l’habit ne fait pas le moine : derrière une apparence peut se cacher quelque chose de tout à fait différent. C’est ce qu’à voulu exprimer Platon avec ses « idées » : il existe pour lui deux types de choses : l’Idée de l’objet (qui existe en elle-même, précède l’objet et a une réalité indépendante de notre esprit, ce n’est pas une simple invention) et l’objet lui-même (qui est une réalisation imparfaite de l’Idée). De plus, la réalité désigne aussi le caractère de ce qui ne constitue pas qu’un concept mais aussi une chose. Le sens courant du besoin est une exigence ou nécessité naturelle ayant une cause physiologique : lorsque nous avons faim ou soif, nous avons besoin de manger ou de boire. Le besoin est aussi un sentiment de manque (qui peut être justifié ou non) de quelque chose qui nous est nécessaire : on peut alors parler d’un besoin affectif ou d’un besoin de parler, par exemple. Le siège du besoin est le corps. Il faut différencier besoin et désir : les premiers sont naturels et indispensables, et les seconds ne sont ni l’un, ni l’autre : superflus, en réalité. En outre, le désir n’a pas d’objet qui lui soit assigné d’avance, il peut prendre des formes multiples et inattendues, ce qui n’est pas le cas du besoin. Malgré cela, il se peut qu’un besoin devienne un désir, ce dont nous nous servirons plus tard. Enfin, le mot satisfaire peut vouloir dire contenter, suffire. Ainsi, lorsque l’on demande si le désir peut se satisfaire de la réalité, il serait plus juste de dire se demander si la réalité peut suffire au désir. Un autre sens de ce verbe est « assouvir », « apaiser »… « remplir ou contenter un besoin ». Mais les besoins ne sont pas les seuls qui peuvent être satisfaits : les désirs peuvent l’être aussi. Ces définitions serviront à nous plonger au cœur de l’argumentation : est-ce que le désir peut se satisfaire de la réalité ? Il existe des cas où la réalité est suffisante pour le désir, qui s’en nourrit avec joie sans rien demander de plus. Quels sont-ils ? Ces cas sont déterminés par des conditions qui sont tout d’abord liées à la société. Parlons ici d’économie et de sociologie. Pour que le désir puisse se satisfaire de la réalité, il faut que l’objet de ce désir (ou de ces désirs !) soit réel ou faisable. Si je souhaite pouvoir transformer tout ce que je touche en or, mon désir ne sera jamais repu, étant donné qu’il est chimérique et réalisable seulement en rêve. Un désir qui se satisfait de la réalité est soit un désir matériel (désir d’argent ou d’un objet en particulier), soit un désir auquel la société ou l’homme peut accéder (désir de voyager, entre autres). Il se peut aussi que ce désir soit en réalité un besoin. Un ermite qui a froid et faim aura besoin de manger et de se réchauffer, mais cela sera aussi pour lui une envie. Mais ce cas est assez peu répandu, étant donné que besoin ne peut devenir désir que lorsque certaines conditions économiques et sociales sont réalisées. Ainsi, dans les foyers de la classe moyenne ou riche de notre hémisphère Nord, fortunée et développée, il est très rare de voir une personne pour qui un besoin est aussi un désir : nous avons nourriture en suffisance, abri, argent, loisirs… Par contre, dans les pays les moins développés du Sud, comme les pays africains ou l’Inde, pour une personne qui vit pauvrement, manger est un désir aussi bien qu’un besoin. Cette personne se satisfera certainement de la réalité, puisque pour elle, pouvoir manger quelque chose est déjà énorme. Ainsi, nous voyons que la société influe sur notre façon de satisfaire nos désirs (ici, en les faisant correspondre avec la réalité) Il y a aussi d’autres cas, qui, eux, ne sont plus des phénomènes de masse liés à la société qui nous entoure, mais bel et bien à la façon de penser de chacun d’entre nous : il existe aussi certaines personnes pour qui le désir peut se contenter de la réalité. Tout d’abord, voyons le cas de l’éternel satisfait. Cette personne pense avoir tout ce dont elle a besoin pour réussir sa vie, et est pleinement satisfaite de son existence. Par conséquent, faute d’avoir à désirer, elle ne voudra rien d’autre ni même n’y songera (que demander de plus lorsqu’on a tout ?) Dans ce cas, tous ses désirs auront été réalisés, ce qui implique qu’ils étaient réels ! Puisque cette personne est satisfaite de sa condition, nous pouvons donc dire qu’elle a été contentée par la réalité. Il y a aussi la personne qui ne désire pas (grâce à un travail d’ascète qu’il a effectué auparavant.). Celle-ci a su éliminer ses désirs, et, parce qu’elle ne veut plus rien, a su se contenter de la réalité telle qu’elle se présentait à ses yeux. La personne qui considère que posséder quelque chose est déjà beaucoup, autrement dit la personne qui ne rêve pas de transcender sa condition se rapproche de la précédente. Elle a des désirs simples qui sont ancrés dans la réalité, et qui sont assez faciles à satisfaire. Elle ne rêve pas de chimères ni de quoi que ce soit d’irréalisable. La réalité lui apporte tout ce dont elle a besoin, et cela lui convient parfaitement. Nous voyons donc que la manière d’être de certaines personnes amène cette caractéristique du désir, qui est de se contenter de l’existence réelle, et par extension, de ce qu’ils ont. En conséquence, nous pouvons constater qu’il arrive que le désir sa satisfasse de la réalité. Mais est-ce bien toujours vrai ? Nous avons vu que parfois, le désir parvient à se satisfaire de la réalité. Mais il existe aussi d’autres situations où il n’en va pas toujours de même. Ainsi, en psychanalyse, et notamment avec Freud, il paraît impossible que le désir puisse se satisfaire de la réalité. Tout simplement parce que, pour la psychanalyse de Freud, tout désir est désir sexuel, car expression d’un fantasme inconscient. C’est par l’interdit que naît le désir. Et si le désir naît de l’interdit, n’est-il pas désir de quelque chose que l’on ne peut avoir ? Et dans ce cas, n’en devient-il un fantasme ? Un fantasme est une production de l’imagination par laquelle le moi cherche à échapper à l’emprise de la réalité. Par conséquent, si le désir est un fantasme, il ne peut être ancré dans la réalité, ni se satisfaire d’elle. Le désir serait donc une chimère crée par notre esprit pour échapper à la réalité. Mais à quoi bon échapper à celle-ci, vu qu’on ne peut s’y soustraire que par la mort et l’imagination ? Echapper à la vie grâce à son imagination signifie s’entourer d’illusions, de mirages qui nous éloignent de la réalité aussi sûrement que pernicieusement. Si le désir signifie mourir ou vivre dans un monde que l’on s’est inventé, comment ne pas devenir fou ? Le désir ne peut être un sentiment aussi pessimiste. Mais la vérité est, qu’en ces cas-là, il ne peut se suffire de la réalité. Tout comme dans le cas de l’éternel insatisfaction. Lorsqu’on veut toujours plus que ce que l’on a, voire plus que la réalité ne peut nous offrir, quand on rêve de perfection, quand on trouve toujours quelque chose qui ne va pas, qui choque, qui contraste… alors que ce que l’on a en ravirait plus d’un, c’est que notre désir vise plus haut qu’il ne peut atteindre. Et que, certainement, il ne pourra jamais atteindre. Car ici, le désir est une entité qui dirige son « propriétaire », sans lui laisser le choix. Se laisser guider par quelque chose d’aussi subjectif que le désir ne permet pas de prendre du recul, ni de se satisfaire de ce qu’on a, étant donné que le désir ne peut presque jamais être repu : un désir satisfait entraîne dix autres désirs à contenter, telle est l’opinion de Schopenhauer. Ainsi, le désir de l’éternel insatisfait ne peut être contenté… et par-là, ne peut se satisfaire de la réalité, où de ce qu’il a entre les mains. Ainsi voyons-nous que le désir, dans certaines conditions, ne peut entièrement ni pleinement se satisfaire de la réalité ni de ce qu’elle apporte. En conclusion, après avoir étudié plusieurs mots et notions qui nous ont aidés à mieux comprendre notre interrogation : « Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ? », et après avoir pesé le pour et le contre, nous pouvons dire qu’il est des cas où le désir peut se satisfaire de la réalité, par contrainte due à la société ou par un travail sur soimême. Mais il existe aussi d’autre cas, peut-être moins nombreux et plus rare, peut-être aussi plus dangereux, où le désir ne peut en aucuns cas se laisser satisfaire par une réalité qu’il juge sans doute insipide et inutile. Par conséquent, nous pouvons donc conclure que la réalité ne peut suffire à toutes les formes du désir, mais seulement à certaines d’entres elles.