qu’autrui ne joue à nos yeux le rôle d’un procureur ou d’un juge, d’un tyran, d’un maître
dominateur ou qu’on le conçoive comme être à assujettir. Autrui peut représenter un « objet »
d’amour, de haine, d’estime, d’admiration. Par rapport à une propriété, une qualité, un statut
dont il est détenteur, autrui peut être objet d’envie ; par rapport à un tiers, il peut être objet de
jalousie.
Fondamentalement, autrui est un être en trop, dès que sa présence oblige au partage de l’objet
que le sujet veut être le seul à connaître ou retrouver, pour en conserver l’exclusivité, lorsqu’il
ne sait jouir que par celle-ci.
Enfin, cet autre peut représenter ce que l’on voudrait être et devenir ou ce que l’on veut avoir.
Or, comme cet autre-là, ce grand Autre, hors des états d’extase, d’aveuglement amoureux ou
de délire messianique, n’existe pas, l’autre réel est forcément décevant.
Problématique de l’être et de l’avoir et rapport au pouvoir
Il y a ceux qui vivent plutôt selon la problématique de l’être et qui assument, sans se sentir
amoindris, les différences de sexe, d’âge, de génération, de statut social, de savoir théorique
ou de compétence active. Pour ceux-là, le travail de confrontation à l’altérité, de transmission
et d’apprentissage est stimulant ; vivre et grandir en valent la peine.
Il y a ceux qui vivent selon la problématique de l’avoir et qui ressentent toute différence
comme incompréhensible et injuste, car ils se conçoivent comme grands avant d’avoir grandi.
Pour ceux-là, celui qui a quelque chose qu’ils n’ont pas ne peut l’avoir acquis que par la ruse
et ne le détient que par vol ou recel.
Pour ceux-là, l’autre n’est pas, il n’est que par l’objet détenu et réifié. Dès lors, le vol et la
spoliation sont permis. Ceux-là fonctionnent sur le fantasme d’une toute puissance imaginaire
de l’autre acquise par le seul recel de l’objet. Ainsi fabriqué, l’autre est intéressant, puisqu’en
le spoliant ou le dévorant on peut fantasmatiquement s’approprier ses qualités et être à son
tour un nanti. Pour atteindre ce but, il suffit d’organiser un lynchage, puis un repas totémique,
sans scrupule, car l’objet, bien que convoité, est curieusement réduit à une chose sans
importance en même temps que l’on dépouille de son humanité celui que l’on assimile à un
simple conteneur de l’objet. Dans cette conception, où l’autre est réduit à un rapport de
détention de l’objet sans qualité en soi, ce qui est important, c’est que l’autre n’ait pas,
puisque, bien sûr, l’objet est inaccessible dans la seule logique psychique de l’avoir. Apaiser,
très provisoirement, le manque à être est permis en retirant à l’objet et à autrui toute qualité.
Pour se donner l’illusion d’être plus, il suffit que l’autre soit moins. Nous sommes là en pleine
destructivité. C’est pourquoi l’interdit anthropophagique et de tuer ainsi que celui de l’inceste
sont au fondement de la société et de l’Etat de droit.
L’autorité, le pouvoir, la parole, font partie de ces « objets » fortement convoités. N’entend-
on pas dire couramment dans les groupes « prendre le Pouvoir » ou « prendre la Parole », ou
« prendre la Place de » comme si exercer une influence, tenir un discourt, s’asseoir sur un
fauteuil ou parler dans un groupe, étaient prendre la chose à quelqu’un qui en aurait depuis
toujours l’exclusivité ? C’est comme si l’on ne pouvait pas prendre simplement un pouvoir, le
sien, une parole ou une place, la sienne, ou comme s’il n’y avait jamais nulle part de place
pour plus d’un.
Il s’agit là de deux logiques psychologiques hétéronomes : celle de l’être et de l’effort pour
apprendre par un véritable travail psychique et culturel de transformation ou d’altération
personnelle et d’échange et celle radicalement différente du prendre et de l’avoir, où l’on
accumule sans se transformer, sans donner en retour, où l’on ne doit rien à personne, où l’on
ne fait que stocker en soi des enveloppes vides, prendre des apparences censées conduire au
prestige, parce que l’on ne peut rien contenir, quoi que l’on mette dedans.
La théorie d l’unicité de la place sociale enviable