troubles de voisinage - Association Henri Capitant

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1
Troubles de voisinage. Synthèse
Observation liminaire
1. Troubles de voisinage. Synthèse et actualités. La présente contribution n’a en effet pas la
prétention de faire le point sur la théorie des troubles de voisinage 1, et encore moins de
référencer toutes les décisions publiées en ce domaine : le sujet serait trop vaste. Nous avons
davantage ciblé nos propos sur les questions ou difficultés qui reviennent fréquemment à
l’heure actuelle en jurisprudence, qui divisent parfois aussi la doctrine, en tentant de les
resituer dans la trame de la matière 2.
Section 1. Les fondements de la théorie des troubles de voisinage
2. Les fondements de la théorie des troubles de voisinage, telle qu’ébauchée en 1949
finalement consacrée dans les arrêts jumeaux du 6 avril 1960
4
3
et
sont l’article 544 du Code
civil, la tradition et le principe général consacré notamment par l’article 11 alors, aujourd’hui
16, de la Constitution. L’on connaît les discussions et critiques mais aussi les mutations dont
ces divers fondements ont fait et font encore aujourd’hui l’objet, spécialement lorsque les
inconvénients résultent de travaux publics 5. Certaine doctrine, tout en préconisant la
1
Voy., pour cet exercice, il y a quelques années déjà, J. HANSENNE, « Le point sur la théorie des troubles de voisinage »,
Ann. Dr. Lg., 1985, pp. 141 et s.
2 Voy., pour une chronique de jurisprudence en la matière, F. WILMET, Droits réels, Chronique de jurisprudence 19982005, Les dossiers du Journal des tribunaux, Dossier n° 63, sous la direction de J.-Fr. ROMAIN, Bruxelles, Larcier, 2007,
pp. 71 à 104 ; nous utiliserons aussi largement l’article que nous avons rédigé lors du dernier recyclage organisé par les
Facultés catholiques, P. LECOCQ, « Troubles de voisinage : qui, comment et pourquoi ? » in Les troubles de voisinage,
Quatre points de vue, Actes du colloque du 22 novembre 2007, Recyclage en droit, Centre des Facultés universitaires
catholiques pour le recyclage en droit, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2007, pp. 7 à 45.
3 Voy. Cass., 7 avril 1949, R.C.J.B., 1949, p. 209 ; voy. aussi, pour le rappel d’une large application en pratique de la théorie
par les juridictions de fond, bien avant les deux arrêts du 6 avril 1960, S. STIJNS et H. VUYE, « Rechtsmisbruik en
burenhinder : evenwichtsoefeningen op weg naar een evenwichtsleer » in Liber Amicorum Walter van Gerven, Deurne,
Kluwer, 2000, n°s 3 et s.
4 Voy. Cass., 6 avril 1960, Pas., I, p. 915 et conclusions de M. l’avocat général P. MAHAUX.
5 Voy., sur ce point, F. WILMET, Droits réels, Chronique de jurisprudence 1998-2005, Les dossiers du Journal des
tribunaux, op. cit., n°s 68 et 69; J.-Fr. ROMAIN, « La théorie des troubles de voisinage : un principe général du droit en
équilibre, mais non en expansion, reconsidéré à la lumière de la théorie des principes généraux du droit », note sous Cass., 24
avril 2003, R.C.J.B., 2006, pp. 735 et s., spécialement n° 9 ; S. BOUFFLETTE, « La théorie des troubles de voisinage : de
l’équilibre entre protection et limitation », in Contrainte, limitation et atteinte à la propriété, sous la direction de P. LECOCQ
et P. LEWALLE, Commission Université-Palais, vol. 78, avril, 2005, pp. 211 à 262, spécialement les n°s 9 à 15 ; H. VUYE,
« Fundamentele regels en recente tendensen inzake burenhinder », in Aansprakelijkheidsrecht. Actuele tendensen, édité par
M. DEBAENE et P. SOENS, Bruxelles, Larcier, 2005, pp. 1 à 27, spécialement pp. 13 à 15 ; S. STIJNS et H. VUYE,
Beginselen van belgisch privaatrecht, V, Zakenrecht, Boek IV, Burenhinder, Antwerpen, Story-Scientia, 2000, n°s 1 à 81 ; J.
2
référence en toutes hypothèses à l’article 544 du Code civil, tente d’ailleurs de démontrer que
la théorie des troubles de voisinage doit être analysée en un principe général de droit 6.
A. La particularité des travaux réalisés par des pouvoirs publics
3. La question a été traitée en détail dans la contribution précitée de S. BOUFFLETTE lors de
la dernière CUP consacrée au droit des biens 7. Nous retiendrons simplement à cet égard que
lorsque les inconvénients résultent de travaux réalisés par les pouvoirs publics, le juge
judiciaire est compétent puisque les tribunaux de l’ordre judiciaire sont compétents pour juger
d’une atteinte à un droit subjectif civil et que le droit à compensation en raison d’un trouble de
voisinage est un droit civil 8. Dès 1960, l’un des arrêts de la Cour de cassation concernait
d’ailleurs des travaux publics. Néanmoins, certains ont critiqué la référence à l’article 544 du
Code civil en pareille hypothèse et ont préconisé l’appel exclusif au principe d’égalité devant
les charges publiques.
La Cour de cassation, s’inspirant de ses premiers arrêts qui invoquaient aux côtés de l’article
544 du Code civil, le principe d’égalité consacré dans la Constitution et la tradition, a
peaufiné toujours un peu plus le fondement de la théorie et finalement confirmé que l’intérêt
collectif constitue bien la norme de mesure en cas de trouble causé par un pouvoir public,
quelque soit le fondement invoqué et ce sans pouvoir exiger une quelconque spécialité du
dommage 9. Elle a d’ailleurs ajouté dans un arrêt du 23 novembre 2000
10
que les charges que
HANSENNE, Précis, Les Biens, Liège, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1996, t. II, n°s 822, 832 et
833.
6 Voy. J.-Fr. ROMAIN, « La théorie des troubles de voisinage : un principe général du droit en équilibre, mais non en
expansion, reconsidéré à la lumière de la théorie des principes généraux du droit », op. cit.
7 Voy. S. BOUFFLETTE, « La théorie des troubles de voisinage : de l’équilibre entre protection et limitation », op. cit., n°s 9
à 15.
8
Voy., not. P. LEWALLE, Contentieux administratif, Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège, Bruxelles,
Larcier, éd. 2002, n° 258 ; sur les difficultés à départager les compétences entre juridictions administratives et juridictions
ordinaires, voy. M. PÂQUES et L. DONNAY, « Juridiction ordinaire et juridiction administrative en droit belge », in
Chroniques de droit public, 2007/1, pp. 73 et s. ; voy. aussi Ph. COENRAETS, « L’existence d’un droit subjectif comme
condition de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire », note sous Civ. Namur (réf.), 24 juillet 1996, J.L.M.B., 1997,
p. 1247 ; voy. en jurisprudence, not., Mons, 15 avril 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1215 ; Bruxelles, 12 décembre 2002, R.J.I.,
2003, p. 166 ; Bruxelles, 15 janvier 2004, R.G.A.R., 2007, n°14257 ; Cass., 4 mars 2004, N.J.W., 2004, p. 983 ; Gand, 1er
octobre 2004, Bull. Ass., 2005, p. 566 ; Civ. Namur, 28 octobre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 738 ; Anvers, 17 février 2005, R.W.,
2007-2008, p. 283 ; Bruxelles, 27 mars 2006, Res Jura Imm., 2006, p. 214 ; Liège, 14 décembre 2006, J.L.M.B., 2007,
p. 1553.
9 Voy., dans un premier temps, Cass., 1 er octobre 1981, J.T., 1982, p. 41 et, ensuite, Cass. (3ème ch.), 28 janvier 1991,
J.L.M.B., 1991, p. 1027, obs. P. HENRY, « Travaux publics et troubles de voisinage : deux poids, deux mesures »; R.C.J.B.,
1992, p 177, note de J. HANSENNE, « Sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage et l'évaluation du dommage
excessif » ; Cass. (1ère ch.), 23 mai 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1029, obs. P. HENRY ; voy. encore, entre autres, Cass., 24
novembre 1994, Pas., 1994, I, 1009 ; Cass., 9 mars 1995, Pas., 1995, I, 296.
3
tout citoyen doit supporter dans l’intérêt collectif sont déterminantes non seulement dans
l’appréciation du caractère excessif du trouble invoqué, mais également dans l’évaluation du
montant dû à titre de compensation
11
. On observera que certains auteurs, minoritaires,
considèrent que l’analyse de la Cour de cassation constitue une anomalie, la théorie des
troubles de voisinage concernant l’équilibre entre les droits respectifs des fonds, peu
important le type d’intérêts (privés ou publics) en présence 12.
4. Mentionnons aussi la loi du 3 décembre 2005 instaurant une indemnité compensatoire de
pertes de revenus en faveur des travailleurs indépendants victimes de nuisances dues à la
réalisation de travaux sur le domaine public, entrée en vigueur partiellement au 1er juillet 2006
et entièrement au 1er janvier 2007. Pour une analyse détaillée de cette nouvelle législation,
nous nous permettrons de renvoyer le lecteur, notamment, à une contribution de D. DEOM et
C. MOSTIN
13
. L’on y lit que cette loi, destinée à aider les travailleurs indépendants mais
uniquement lorsque l’entreprise, nécessairement de petite taille et en contact direct avec les
clients, ferme temporairement ses portes du fait des nuisances, est assez lourde à mettre en
œuvre et quelque peu discriminatoire. Selon ces auteurs, le régime minimaliste qu’elle met en
place et la modicité de sommes octroyées au travailleur pourraient en outre la rendre peu
attractive.
B. Questions de compétence et de procédure
5. Nous l’avons dit, s’agissant d’une atteinte portée à un droit subjectif civil, le juge judiciaire
est certainement compétent, que la personne assignée soit un particulier ou un pouvoir public
14
. Ainsi, la Cour d’appel de Gand rappelle-t-elle une fois de plus que l’article 544 du Code
civil est aussi d’application à l’égard de l’autorité, en l’espèce une commune dans laquelle
10
Voy. Cass., 23 novembre 2000, R.G.D.C., 2001, p. 380. Voy., pour des applications de cette nouvelle précision, Liège, 5
mai 2003, J.L.M.B., 2004, p. 236 et Civ. Arlon, 21 mai 2002, J.L.M.B., 2003, p. 435.
11 Voy., dans le même sens, Anvers, 28 juin 2005, R.W., 2007-2008, p. 1374 à propos des inconvénients générés par un parc à
conteneurs ; voy. pour un commentaire, F. WILMET, Droits réels, Chronique de jurisprudence 1998-2005, Les dossiers du
Journal des tribunaux, op. cit., n° 70, qui note le caractère hasardeux de l’application du principe en pratique.
12 Voy. S. STIJNS et H. VUYE, « Burenhinder, openbare werken, overheden, het « beginsel van de gelijkheid voor de
openbare lasten » en de verplichting tot compensatie : meanders in de rechstpraak van het Hof van Cassatie », R.G.D.C.,
2001, pp. 329 et s.
13 Voy. D. DEOM et C. MOSTIN, « Travaux publics et indemnisation du dommage économique », in Les troubles de
voisinage, Quatre points de vue, op. cit., pp. 47 et s.
14 Voy. supra n° 3, note (10).
4
s’était déroulée une randonnée en vélo, prétendument troublante
des fêtes
16
15
, organisée par un comité
. De la même façon, il est admis que le pouvoir judiciaire puisse condamner à
compensation le titulaire, perturbant, d’une autorisation administrative 17.
Mentionnons ensuite, quoique dans un autre registre, l’éventuelle compétence de notre Cour
constitutionnelle, intervenant pour annuler telle ou telle norme législative. C’est ainsi que les
riverains de l’aéroport de Liège-Bierset ont attaqué, sans succès toutefois, en annulation totale
ou partielle un décret de la Région wallonne relatif à la création et à l’exploitation des
aéroports relevant de la Région wallonne
18
. Sans recevoir de compensation, le trouble
pourrait-il ainsi au moins cesser pour l’avenir, tout comme certaines mesures en nature sont
ordonnées au titre de la compensation pour faire disparaître le trouble. De l’annulation de la
norme à la disparition du trouble, il y a toutefois de la marge, reconnaissons-le.
Reste enfin la possibilité d’une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme, dans la
mesure, notamment, où celle-ci rattache le droit à un environnement sain à l’article 8 de la
Convention instaurant le droit au respect de la vie privée et familiale ; cette Cour a eu ainsi à
trancher d’importants litiges en matière d’atteintes à l’environnement, qu’il s’agisse de
nuisances sonores dues à la présence d’un aéroport, d’émanations en provenance d’une station
d’épuration, etc …
19
. Ce qu’il nous paraît important d’observer dans le cadre de la présente
contribution, c’est l’intérêt que portent nos magistrats à la jurisprudence de la Cour lorsqu’aux
côtés de l’article 544 du Code civil et de la théorie des troubles de voisinage, ils ont à juger de
l’éventuelle violation de normes supérieures, telles, précisément, l’article 8 de la C.E.D.H. 20.
15
Voy. infra le n° 20, à propos du trouble et de l’inconvénient en résultant en l’espèce.
Voy. Gand, 9 février 2005, Bull. Ass., 2006, p. 118.
17 Voy., not. D. DEOM, note sous Mons, 20 février 1990, R.R.D., 1990, p. 389 ; D. DEOM et B. PÂQUES, « Les permis et
autorisations administratives et la réparation des dommages causés à des tiers », Amen., 1995, p. 47 ; J. HANSENNE, Précis,
Les biens, op. cit., n° 838 ; F. BAUDONCQ, « Van GSM-manie naar mobilofobie ? », note sous Civ. Bruges, 4 février 2002,
R.G.D.C., 2003, p. 508, spécialement p. 517 ; S. BOUFFLETTE, « Troubles de voisinage et environnement : une histoire
d’antagonismes et de complémentarités », in Entreprises, responsabilités et environnement, sous la coordination de Xavier
THUNIS et François TULKENS, Mechelen, Kluwer, 2004, pp. 7 à 39, spécialement n° 13 ; voy. encore, Cass., 27 novembre
1974, Pas., 1975, I, 341 (à propos toutefois de l’article 1382 C. civ., mais s’exprimant en termes larges) ; J.P. Leuven, 29 juin
1999, R.G.D.C., 1999, p. 672 ; Bruxelles, 10 juin 2003, R.W., 2006-2007, p. 450 ; Civ. Bruges, 18 juin 2003, R.A.B.G., 2004,
p. 79 ; Civ. Liège, 30 octobre 2003, inédit, à propos d’un permis de bâtir régulièrement délivré; Mons, 15 septembre 2003,
R.G.D.C., 2006, p. 424, note C. MOSTIN, à propos de l’autorisation d’affectation d’un lieu à une aire de stationnement
public.
18 Voy., not., C.A., 30 avril 2003, N.J.W., 2004, p. 231.
19 Voy., not., sur cette question, S. BOUFFLETTE, « Troubles de voisinage et environnement : une histoire d’antagonismes
et de complémentarités », op. cit., n°s 27 à 30 ; J. BODART, « La protection de l’environnement par le biais du droit au
respect de la vie privée et familiale et du domicile », Amen., 2003/4, p. 211 ; M. PÂQUES, « L’environnement, un certain
droit de l’homme », A.P.T., 2006/1, p. 38.
20 Voy. ainsi Civ. Liège, 9 février 2001, Amen., 2001, p. 247, réformé par Liège, 29 juin 2004, N.J.W., 2004, p. 987,
précisément sur la portée à donner au droit à l’environnement sain.
16
5
6. Revenons à notre juge judiciaire. A quel juge s’adresser ? Il est généralement admis –
même si certaine doctrine le déplore
21
- que les troubles de voisinage n’entrent pas dans la
compétence spéciale du juge de paix visée à l’article 591, 3°, du Code judiciaire. Il s’agit
effectivement, dans cette disposition, des servitudes et autres obligations légales, concernant
des fonds contigus, et non de la théorie des troubles de voisinage
22
. Le Tribunal civil de
Hasselt a rappelé cette règle dans une décision du 22 février 2001, en ajoutant que le juge de
paix peut évidemment être saisi sur la base de sa compétence générale, en vertu de l’article
590 du Code judiciaire
23
. C’est ce que décide le Juge de paix de Tournai, le 18 novembre
2003, en affirmant que la demande fondée sur les articles 1382 et 544 du Code civil pour
troubles et dommages résultant de l’exploitation d’un terrain de football relevait de sa
compétence générale telle que fixée par l’article 590 du Code judiciaire, la demande initiale
portant sur l’octroi de dommages et intérêts de 1500 euros ; le magistrat précise que
l’indemnité supplémentaire de 500 euros réclamée en cas d’organisations de manifestations
entre vingt-et-une heures et huit heures s’assimile à une astreinte et doit être écartée pour la
vérification de la compétence matérielle
24
. Le même juge confirme sa position dans une
décision du 9 mars 2005 25.
Le tribunal de commerce pourrait aussi être amené à trancher une affaire de trouble de
voisinage pour peu que l’activité perturbatrice constitue un acte de commerce, que le
défendeur, à tout le moins, soit commerçant et que le litige porte sur un montant de plus de
1860 euros
26
, de même que le président du tribunal statuant en référé, au provisoire, si
l’urgence le requiert 27.
21
Voy., not., E. VAN DE VELDE, « Welke rechter is de « man of de vrouw des vredes » inzake burenhinder », note sous
Anvers, 3 avril 2000, R.G.D.C., 2003, pp. 503 et s.
22 Voy., en ce sens, not., C. MOSTIN, Les troubles de voisinage, Diegem, Kluwer, 1998, n° 173 et les références, déjà
anciennes, citées ; S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 153 qui plaident pour que cette compétence soit accordée
au juge de paix d’ailleurs (voy. ces mêmes auteurs en note 363 qui mentionnent quelques références en sens contraire); voy.,
dans le même sens que S. STIJNS et H. VUYE, E. VAN DE VELDE, « Welke rechter is de « man of de vrouw des vredes »
inzake burenhinder », note sous Anvers, 3 avril 2000, R.G.D.C., 2003, pp. 503 et s.
23 Voy. Civ. Hasselt, 22 février 2001, R.G.D.C., 2002, p. 181 ; voy. aussi Civ. Arlon, 21 mai 2002, J.L.M.B., 2003, p. 435,
affirmant sa compétence, la somme réclamée pour trouble s’élevant à 42.141,90 euros en principal.
24 Voy. J.P. Tournai, 18 novembre 2003, J.L.M.B., 2004, p. 1110.
25 Voy. J.P. Tournai, 9 mars 2005, J.J.P., 2008, p. 52.
26 Voy. Civ. Hasselt, 8 mai 1996, A.J.T., 1996-1997, p. 305, note S. SNAET.
27 Voy., not., Civ. Bruges (réf.), 25 février 2004, J.J.P., 2006, p. 376.
6
7. Fonder l’action pour troubles du voisinage sur l’article 544 du Code civil et non sur l’article
1382 du même Code, c’est aussi s’interroger sur les rapports qui peuvent exister entre ces
deux actions lorsque la situation perturbatrice peut être qualifiée de fautive, les deux actions
n’ayant ni les mêmes conditions d’application, ni les mêmes résultats. Si la théorie des
troubles de voisinage est certes apparue pour combler une lacune, lorsque précisément
l’inconvénient ne résultait pas d’une faute, son caractère subsidiaire n’a finalement été
défendu que peu de temps. Au stade de la Cour de cassation, le caractère autonome de l’action
fondée sur l’article 544 du Code civil est déjà affirmé, fût-ce de façon implicite, dans un arrêt
du 14 juin 1968
28
; il se trouve aujourd’hui largement défendu tant en jurisprudence qu’en
doctrine 29. La victime peut ne choisir qu’une des deux actions, intenter parallèlement l’une et
l’autre 30, ou encore l’une à titre principal et l’autre à titre subsidiaire 31.
En jurisprudence, on relèvera une décision rendue par la Cour d’appel d’Anvers selon laquelle
les appelants peuvent, en vertu de l’article 807 du Code judiciaire, applicable en degré
d’appel 32, étendre ou modifier leur demande si les conclusions se fondent sur un fait ou un
acte invoqué dans la citation. En l’espèce, les parties maintiennent les faits invoqués devant le
premier juge mais fondent désormais leur demande aussi sur la rupture de l’équilibre entre
fonds voisins. Elles invoquent donc à l’appui de leur appel, tant l’article 1382 que l’article
544 du Code civil 33.
Ce caractère d’autonomie par rapport aux autres régimes de responsabilité explique aussi que
la victime puisse intenter contre le voisin – à l’origine du trouble - qui a rompu l’équilibre une
action fondée sur l’article 544 du Code civil lors même que le dommage a pour origine la
faute d’un tiers, comme l’a rappelé clairement la Cour de cassation dans un arrêt du 24 avril
2003 34. Dans la même perspective, il peut advenir que des personnes, tels des copropriétaires
28
Voy. Cass., 14 juin 1968, R.C.J.B., 1968, p. 387 , note J. DABIN.
Voy., entre autres, S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 143 ; C. MOSTIN, Les troubles de voisinage, op. cit.,
n°s 92 et 93 ; J. HANSENNE, Précis, Les biens, op. cit., n° 825 ; voy. en jurisprudence, parmi tant d’autres, Mons, 8
novembre 2000, R.G.D.C., 2001, p. 501, particulièrement explicite ; Civ. Namur, 28 octobre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 738.
30 Voy. J.P. Tournai, 18 novembre 2003, J.L.M.B., 2004, p. 1110 ; Mons, 17 mai 2001, Cah. Dr. imm., 2001/5, p. 9 ; voy.
aussi, invoquant en outre l’article 1384, al. 1er, C. civ., J.P. Leuven, 29 juin 1999, R.G.D.C., 1999, p. 672; Bruxelles, 15
janvier 2004, R.G.A.R., 2007, n° 14257.
31 Voy. J.P. Charleroi, 21 février 2000, J.J.P., 2002, p. 205.
32 Voy. quant à la demande nouvelle, not., G. de LEVAL, Eléments de procédure civile, 2ème éd., Collection de la Faculté de
droit de l’Université de Liège, Bruxelles, Larcier, 2005, n° 25.
33 Voy. Anvers, 3 mars 2003, R.G.D.C., 2005, p. 411 ; voy. aussi, auparavant, Mons, 8 novembre 2000, R.G.D.C., 2001, p.
501.
34 Voy. Cass., 24 avril 2003, R.C.J.B., 2006, p. 735, note J.-Fr. ROMAIN ; Civ. Dendermonde, 30 janvier 2004, R.G.D.C.,
2005, p. 286 ; voy. aussi infra le n° 12.
29
7
d’un immeuble bâti, soient tenues sur la base de l’article 544 du Code civil en même temps
que le gardien – un autre copropriétaire - en vertu de l’article 1384, al. 1er, du même Code 35.
Section 2. Les acteurs du procès pour troubles du voisinage
A. Des voisins
8. Particuliers ou pouvoirs publics, mais voisins : nul autre qu’un voisin ne peut intenter une
action sur la base de la théorie des troubles de voisinage. Selon J.-FR. ROMAIN, dans
l’ancien droit, l’on envisageait une certaine responsabilité des désagréments causés entre
voisins, responsabilité issue précisément de la relation de voisinage, qui, par la suite, dans le
Code civil n’a plus été appréhendée que sous l’angle des servitudes ou encore de la
responsabilité générale à base de faute. Si l’on ne doit certainement pas en déduire une
condamnation de la théorie des troubles de voisinage, ces considérations impliquent que la
théorie soit en tout cas limitée à sa raison d’être initiale : le voisinage 36. Une décision rendue
par la Cour d’appel de Bruxelles, le 5 février 2002 37, rappelle ainsi que le propriétaire d’une
voiture qui gare celle-ci à proximité d’un bien immobilier n’a pas de relation de voisinage
avec le propriétaire de ce bien immobilier et ne peut, dès lors, prétendre au bénéfice de la
théorie des troubles de voisinage. La même idée avait été défendue, auparavant, dans un arrêt
de la Cour d’appel d’Anvers selon lequel le propriétaire d’un véhicule garé sur la voie
publique et endommagé par l’incendie d’un immeuble ne dispose d’aucun droit en relation
avec le voisinage. Tel n’aurait pas été le cas, avait précisé la Cour, si le propriétaire avait été
un habitant du quartier, auquel cas le stationnement de son véhicule constituerait alors la
jouissance de son habitation, nous en reparlerons 38.
35
Voy. Anvers, 3 mars 2003, R.G.D.C., 2004, p. 138, note B. WEYTS, « Het aansprakelijkheidsvraagstuk en de samenloop
van verzekeringen bij schade veroorzaakt door een zaak in mede-eigendom ».
36 Voy. J.-Fr. ROMAIN, « La théorie des troubles de voisinage : un principe général du droit en équilibre, mais non en
expansion, reconsidéré à la lumière de la théorie des principes généraux du droit », op. cit., n°s 17 à 20 ; voy. aussi S. STIJNS
et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 163. Le terme « voisin » est présent dans les plus vieux arrêts de la Cour de cassation,
en ce compris dans l’arrêt du 7 avril 1949, Pas., 1949, I, 273.
37 Voy. Bruxelles, 5 février 2002, R.G.D.C., 2004, p. 225.
38 Voy. Anvers 14 janvier 1986, R.W., 1987-1988, 1035. Voy. aussi, admettant le jeu de la théorie des troubles du voisinage
pour le dommage causé par le dégagement de substances chimiques d’une usine à un véhicule, garé sur la voie publique mais
propriété d’un habitant du quartier, Civ. Anvers, 30 mars 1966, Entr. et Dr., 1974, p. 24.
8
9. Qui dit voisinage, ne dit cependant pas forcément contiguïté, au sens de « état de ce qui
touche à une autre chose »
39
. Selon la Cour d’appel de Bruxelles
40
, la notion de voisinage
s’entend, non d’une contiguïté, mais d’une proximité suffisante pour qu’un évènement se
produisant sur un fonds puisse avoir sur l’autre une répercussion directe. C’est ainsi que le
Juge de paix de Tielt a affirmé que l’habitant d’un appartement situé sur la place du marché
de Tielt et le carillonneur du Beffroi de cette localité devaient être considérés comme voisins
au regard de la théorie des troubles de voisinage
41
. Dans une affaire soumise au Tribunal de
Bruges, une association de copropriétaires avait loué le toit de l’immeuble en copropriété à un
opérateur de téléphonie mobile pour y placer des antennes de GSM, ce dont se plaignaient les
voisins de l’immeuble. Avec l’annotateur de cette décision
42
, on relèvera que le tribunal
attribue sans hésitation la qualité de voisin à l’association de copropriétaires qui a loué le toit
de l’immeuble à un opérateur de téléphonie, le tribunal insistant sur l’attribut du droit de
propriété exercé par cette dernière. En réalité, on le voit, l’exigence de la relation de voisinage
est considérée implicitement comme remplie par le fait que les immeubles sont situés l’un à
côté de l’autre (« ernaast » selon la décision) et c’est, davantage, sur l’exercice d’un attribut
du droit de propriété que le tribunal se concentre 43. La Cour de cassation évoque également,
dans son arrêt du 17 octobre 2003
44
, des travaux publics réalisés à proximité du restaurant,
victime des inconvénients. Récemment, la Cour d’appel de Bruxelles a précisé que le trouble
dépassant les inconvénients normaux du voisinage peut se manifester « à distance » mais
obligatoirement d’un fonds sur un autre fonds, s’agissant d’un chantier se situant à plus ou
moins 400 mètres de l’immeuble victime 45.
D’un point de vue pratique et actuel, on relèvera sur ce point les nombreuses décisions
rendues en matière de bruit provoqué aux alentours d’un aéroport. L’on admet le plus souvent
que l’immeuble victime ne doit point être contigu mais se trouver aux alentours de l’aéroport,
39
Voy. les nombreuses références citées par S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 164, notes 97 à 99 ; voy.
encore J.P. Termonde, 29 décembre 1998, T.G.R., 1999, p. 114.
40 Voy. Bruxelles, 24 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, p. 332, reprenant une formulation du Tribunal civil de Liège dans une
décision du 25 février 1969 (Entr. et Dr., 1971, p. 225) ; voy. également sur ce point, J. HANSENNE, « Le point sur la
théorie des troubles de voisinage », Ann. Dr. Lg., 1985, p. 141 et s., spécialement n° 15.
41 A la condition de décider que le carillonneur disposait d’un attribut du droit de propriété sur le Beffroi (voy. infra n°s 11 et
12).
42 Voy. Civ. Bruges, 4 février 2002, R.G.D.C., 2003, p. 508, note de F. BAUDONCQ, « Van GSM-manie naar
mobilofobie ? », spécialement le n° 4.
43 Voy. encore, à propos de cette décision, S. BOUFFLETTE, « Troubles de voisinage et environnement : une histoire
d’antagonismes et de complémentarités », op. cit., spécialement n° 56.
44 Disponible sur le site de la Cour de cassation : http://www.juridat.just.fgov.be.
45 Voy. Bruxelles, 12 septembre 2007, J.T., 2008, p. 140 ; la décision ajoute toutefois étonnamment qu’il n’est aucunement
démontré que l’origine du trouble anormal invoqué (à savoir un charroi important de camions lourds) réside dans un travail
quelconque réalisé sur le site même sur lequel étaient réalisés les travaux d’aménagement du TGV et qu’il ne s’agit donc pas,
selon la Cour, d’un usage effectif de ce fonds qui aurait été générateur d’inconvénients anormaux.
9
étant entendu au surplus que l’exploitation de l’aéroport nécessite l’usage de l’espace aérien
46
. On observera à ce dernier égard que la Cour d’appel de Bruxelles a décidé de façon
minoritaire que, l’espace aérien ne constituant pas un immeuble, les intimés, riverains de
l’aéroport, ne pouvaient se voir reconnaître la qualité de voisins 47.
B. Des personnes ayant la jouissance d’immeubles voisins
10. La théorie suppose le voisinage d’immeubles. Quid d’un inconvénient causé à un meuble
ou par un meuble ? Ainsi, nous l’avons vu
48
, la Cour d’appel d’Anvers aurait fait jouer la
théorie au profit du propriétaire, habitant du quartier, d’une voiture garée sur la voie publique.
En réalité, comme l’ont déjà remarqué bien d’autres auteurs
49
, nombre de décisions sont
rendues sur la base de la théorie des troubles de voisinage alors que c’est un meuble qui
« cause » ou « subit » le dommage. Combien de litiges en la matière ne sont-ils pas générés
par des chiens, des chats, des coqs, etc …, en dehors même de toute idée d’exploitation et
donc en dehors même d’une possible qualification en immeubles par destination
économique ? Qui ne se souvient de ces célèbres affaires où furent décimées par centaines
poules ou abeilles 50 ? Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 1972, il n'est pas
requis que le trouble soit dû à l’aménagement du bien immobilier d'où il provient ou qu'il
consiste en la dégradation matérielle du bien voisin ; il suffit que, en raison de l'usage du
premier de ces biens, le trouble excède les inconvénients ordinaires du voisinage 51. La théorie
s’applique alors naturellement lorsque le meuble, troublant ou troublé, se situe sur la propriété
immobilière concernée. A défaut, les magistrats tentent de trouver un autre lien de
rattachement du meuble à l’immeuble, quitte à faire de (trop ?) subtiles distinctions.
Personnellement, nous craignons que cet assouplissement du lien de rattachement entre le
meuble et l’immeuble ne conduise dans certains cas à l’arbitraire et nous nous interrogeons
sur le sentiment d’injustice que pourrait ressentir, par exemple, le propriétaire d’une voiture
46
Voy. Gand, 17 novembre 2006, NJW, 2007, p. 372, à propos, notons-le, non d’un inconvénient sonore, mais de dégâts
causés au toit d’une habitation par un avion en voie d’atterrissage ; voy. aussi Bruxelles, 24 janvier 1997, J.L.M.B., 1997,
p. 332, cité ci-dessus ; Bruxelles, 15 janvier 1998, J.L.M.B., 1998, p. 268, parlant d’habitations se situant dans les diverses
communes avoisinant l’aéroport ; Liège, 29 juin 2004, NJW, 2004, p. 987, visant la « proximité » d’un aéroport.
47 Voy. Bruxelles, 21 juillet 1991, Amen., 1991, p. 32.
48 Voy. supra n° 8.
49 Voy. J. HANSENNE, Précis, Les Biens, op. cit., t. II, n° 837 ; C. MOSTIN, Les troubles du voisinage, op. cit., n° 150 ;
S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 183 ; certains préconisent d’ailleurs une extension de la théorie des troubles
de voisinage aux meubles (voy. H. BOCKEN, Het aansprakelijkheidsrecht als sanctie tegen de verstoring van het leefmilieu,
Bruxelles, Bruylant, 1979, n° 160).
50 Voy., not., Civ. Namur, 25 juin 1980, R.R.D., 1981, p. 38, note M. COIPEL.
51 Voy. Cass., 19 octobre 1972, J.T., 1974, p. 114, note B. DE CLIPPEL.
10
endommagée, garée sur la voie publique à côté d’un autre véhicule pareillement endommagé,
le premier se voyant refuser le bénéfice de la théorie du voisinage au motif qu’il n’habite pas
le quartier, tandis que le second, occupant d’un immeuble voisin, pourrait, lui, obtenir
compensation pour l’inconvénient excessif subi 52.
11. Si la théorie a été fondée originairement sur l’article 544 du Code civil relatif au droit de
propriété, il est très rapidement apparu qu’il n’était aucunement exigé qu’auteur ou victime du
trouble soient propriétaires des immeubles concernés. La Cour de cassation interprète très
largement l’article 544 du Code civil comme étant en l’occurrence une référence à la relation
de voisinage
53.
La formule s’est affinée au fil du temps, visant « celui qui en raison d’un
droit réel ou personnel accordé par le propriétaire dispose à l’égard dudit bien d’un des
attributs du droit de propriété »54, peu important que « ce droit réel ou personnel trouve son
origine dans une convention ou dans une disposition légale »
55.
De nombreuses décisions
tranchent ainsi des litiges initiés par ou dirigés contre un locataire 56, un emphytéote 57 … Des
hypothèses plus complexes peuvent surgir, spécialement lorsqu’il s’agit de personnes
morales, de droit public le cas échéant, et c’est véritablement la recherche de l’attribut du
droit de propriété qui guide les magistrats, peu important finalement la qualification du droit
en question
58.
Ainsi, celui qui a reçu des sous-locataires un fonds de commerce en apport,
apport dans lequel sont inclus les contrats de location concernant ce fonds de commerce,
dispose effectivement d’un droit de jouissance lui permettant d’invoquer à son profit la
théorie des troubles de voisinage 59. Le Tribunal civil de Verviers, dans une décision, à notre
connaissance inédite, du 14 juin 2004, décide que l’association intercommunale ayant pour
objet statutaire l’exploitation du circuit de Spa-Francorchamps ne peut être assignée sur la
52
Voy. pour une autre analyse, S. STIJNS et H. VUYE (Burenhinder, op. cit., n° 183 ) qui suggèrent dans cette dernière
hypothèse de ne pas recourir à la différence proposée par la Cour d’appel d’Anvers, à savoir le fait d’habiter ou non le
quartier, et d’appliquer dans les deux cas la théorie des troubles de voisinage en utilisant les règles relatives à la domanialité
et à la jouissance qu’ont tous les citoyens, sans distinction, de la voie publique.
53 Voy. Cass., 10 janvier 1974, Pas., 1974, I, 1163. La Cour d’appel de Gand a pareillement énoncé que l’article 544 du Code
civil concerne en effet les relations entre biens immobiliers et non la qualité des parties (Gand, 1 er octobre 2004, Bull. Ass.,
2005, p. 566).
54 Voy. Cass., 31 octobre 1975, Pas., I, 276 ; voy. aussi Civ. Namur, 31 janvier 2001, J.L.M.B., 2001, p. 1517, à propos d’une
action dirigée contre l’Etat belge, dans un premier temps, et contre la Régie des bâtiments dans un second temps.
55 Voy. Cass., 9 juin 1983, Pas., 1983, I, p. 1145 ; voy. aussi Bruxelles, 5 novembre 1998, J.L.M.B., 1999, p. 637 ; Liège, 24
avril 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13738 ; Gand, 12 septembre 2000, R.G.D.C., 2000, p. 681, à propos d’une autorité qui agit
comme constructeur en vertu d’une mission légale ; Anvers, 17 février 2005, R.W., 2007-2008, p. 283 à propos d’une
commune titulaire d’un droit réel ou d’un droit d’usage sur le sous-sol où se trouve un réseau d’égouts.
56 Voy. Bruxelles, 5 novembre 1998, J.L.M.B., 1999, p. 637 ; Civ. Hasselt, 12 septembre 2002, R.G.D.C., 2003, p. 87 ;
Bruxelles, 1er mars 2000, R.G.A.R., 2000, n° 13287 ; Anvers, 6 septembre 1999, R.G.D.C., 2000, p. 560.
57 Voy. Civ. Namur, 15 septembre 2000, J.L.M.B., 2001, p. 643.
58 Voy., sur ce point, S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 155.
59 Voy. Anvers, 9 novembre 1998, R.G.D.C., 1999, p. 667.
11
base des troubles de voisinage car c’est une autre personne morale qui organise le Grand Prix
lors duquel des spectateurs ont causé des dommages à des parcelles avoisinantes. Lorsque des
voisins se plaignent d’inconvénients en provenance d’un terrain de football – nuisances
sonores, circulations, égarements de ballons, etc … - c’est aux dirigeants du club de football,
ayant la garde juridique et matérielle de lieux, qu’ils doivent s’adresser
60.
Notons encore la
décision rendue par le Juge de paix d’Anvers, le 24 avril 2003, qui relève que si l’abonné à la
Compagnie anversoise des eaux est bien le propriétaire de la vanne principale entre le conduit
mère et son immeuble, il n’a aucun accès à cette vanne, ni davantage le contrôle de son bon
fonctionnement; le droit de propriété de l’abonné est ainsi vidé de sa substance et seule peut
dès lors être actionnée la Compagnie sur la base des trouble de voisinage 61.
12. Il suffit donc de disposer de tout attribut du droit de propriété
62
, fût-ce, selon les
interprétations diverses d’arrêts de notre Cour de cassation, par la conclusion d’un acte
juridique ou par le consentement donné à des travaux en pleine connaissance de cause
63
.
Cette conception relativement large, adoptée souvent en jurisprudence, peut évidemment
conduire, du côté de l’auteur du trouble, à une pluralité de débiteurs, condamnés alors in
solidum 64 .
Tout n’est cependant pas permis.
Ainsi, pas question d’assigner le père du propriétaire de l’immeuble « auteur » du trouble qui
n’est ni le propriétaire dudit immeuble, ni la personne qui y a fait exécuter les travaux 65.
60
Voy. J.P. Tournai, 18 novembre 2003, J.L.M.B., 2004, p. 1110.
Voy. J.P. Anvers, 24 avril 2003, J.J.P., 2003, p. 370.
62 Mais faut-il encore en disposer : voy. sur ce point la critique de la décision du Juge de paix de Zelzate annotée par
J. KOKELENBERG, “Gods (afval)water over Gods akker laten lopen : erfdienstbaarheid, burenhinder of geen van beiden?”
note sous J.P. Zelzate, 27 avril 2006, R.G.D.C., 2007, p. 537.
63 Voy. Cass., 5 mars 1981, Pas., 1981, I, 728 ; Cass., 28 avril 1983, Pas., 1983 , I, 965 ; voy. encore récemment, Civ.
Namur, 28 octobre 2004, J.L.M.B., 2006, p. 747 qui retient la responsabilité pour troubles de voisinage de la Ville de
Charleroi qui, titulaire d’un droit réel sur un site, a confié la gestion de celui-ci à une personne privée qui y a implanté un
stade de football ; voy. aussi Mons, 28 février 2007, J.L.M.B., 2007, p. 170, qui décide que le propriétaire d’un immeuble est
obligé de compenser « (…) le trouble anormal de voisinage (c’est-à-dire le dommage) causé par le fait positif ou le
comportement personnel d’un tiers dûment autorisé à accomplir un travail dans son jardin, qui est la cause du feu » ; on
notera toutefois que cette décision fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation.
64 Voy. Liège, 9 octobre 2006, inédit à notre connaissance ; Bruxelles, 30 septembre 1999, Entr. et Dr., 2000, p. 146 ; voy.
aussi Bruxelles, 23 février 1999, R.W., 2000-2001, p. 128, condamnant tant la Région flamande, propriétaire de la parcelle,
que la commune qui utilise cette parcelle pour y placer un abribus.
65 Voy. Bruxelles, 23 avril 2004, R.J.I., 2005, p. 71.
61
12
Même si quelques voix dissidentes se sont fait entendre, pas question non plus à l’heure
actuelle, sauf clause contractuelle spécifique, d’assigner sur la base de la théorie des troubles
du voisinage entrepreneurs, architectes et autres professionnels de la construction qui
n’exercent pas pour leur propre compte un attribut du droit de propriété en vertu d’une
relation de voisinage, ces derniers pouvant toutefois être assignés sur le fondement de l’article
1382 du Code civil en cas de faute commise
66
. La question de la mise en cause des
professionnels de la construction et des recours possibles a fait couler beaucoup d’encre ;
nous renvoyons le lecteur curieux aux contributions citées en note; depuis la dernière
contribution à la Commission Université palais en matière de troubles de voisinage
67
, nous
insisterons simplement sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 avril 2003 qui énonce
clairement que « la victime peut intenter contre le voisin qui a rompu l’équilibre une action
fondée sur l’article 544 du Code civil lors même que le dommage à pour origine la faute d’un
tiers », à savoir celle de l’entrepreneur 68.
Pas question enfin d’assigner la personne disposant d’un attribut du droit de propriété si le
trouble causant l’inconvénient ne lui est pas - lâchons le mot – imputable 69. Il s’agit toutefois
là d’une vaste question touchant tout à la fois à la personne assignée et à la nature du trouble.
Nous nous permettrons dès lors d’en reporter l’examen après avoir précisément étudié ce qui
peut être constitutif d’un trouble, et d’un inconvénient en résultant, au sens de la théorie 70.
C. Des personnes tenues ou indemnisées personnellement
13. Malgré quelques hésitations doctrinales, la Cour de cassation a en effet clairement décidé
que c’est au véritable auteur du trouble qu’il convient de s’adresser et non au propriétaire
actuel ou ultérieur du bien, et ce même si le trouble n’apparaît qu’après la revente de ce
66
Voy. pour une synthèse de cette question, P.-P. RENSON, « Théorie des troubles de voisinage et professionnels de la
construction », in Les troubles de voisinage, Quatre points de vue, op. cit., pp. 89 à 132 ; voy. aussi J.-Fr. ROMAIN, « La
théorie des troubles de voisinage : un principe général du droit en équilibre, mais non en expansion, reconsidéré à la lumière
de la théorie des principes généraux du droit », note sous Cass., 24 avril 2003, R.C.J.B., 2006, p. 135.
67 Voy. S. BOUFFLETTE, avec la collaboration de P. LECOCQ, « La théorie des troubles de voisinage : de l’équilibre entre
protection et limitation », in Contrainte, limitation et atteinte à la propriété, sous la coordination de P. LECOCQ et
P. LEWALLE, CUP, vol. 78, 2005, pp. 211 et s.
68 Voy. Cass., 24 avril 2003, R.C.J.B., 2006, p. 735, note, J.-Fr. ROMAIN, « La théorie des troubles de voisinage : un
principe général du droit en équilibre, mais non en expansion, reconsidéré à la lumière de la théorie des principes généraux
du droit », op. cit., n°s 25 à 29 ; voy. dans le même sens, encore qu’inédit à notre connaissance, Liège 9 octobre 2006 ;
Anvers, 17 février 2005, R.W., 2007-2008, p. 283.
69 Voy., parmi d’autres, sur l’énoncé de cette exigence, Civ. Dendermonde, 30 janvier 2004, R.G.D.C., 2005, p. 286.
70 Voy. infra le n° 19.
13
bien 71. Le Tribunal civil de Bruxelles énonce ainsi que « (…) c’est à l’époque même où est
née la cause du trouble qu’il faut se reporter pour connaître le débiteur éventuel de la
compensation même si cette cause n’a produit ses effets que plus tard ; que compte tenu du
caractère personnel de cette obligation, la recevabilité de la demande n’est nullement
subordonnée à la condition que le défendeur soit encore propriétaire » 72.
Ceci dit, il peut parfaitement advenir que le nouveau propriétaire soit également tenu à
compensation, si, personnellement, depuis qu’il a acquis le bien, il cause pareillement un
trouble. Le cas est fréquent en cas de trouble continu, d’autant que l’on admet depuis 1992
que la simple omission peut conduire à indemnisation
73
. Ainsi, les propriétaires d’un jardin
peuvent-ils être condamnés sur la base de la théorie des troubles de voisinage parce qu’ils
refusent de couper des arbres, plantés certes par un ancien propriétaire, qui génèrent, par
exemple, une ombre manifestement excessive au voisin. Dans un arrêt de la Cour d’appel de
Mons du 26 septembre 2006
74
, il est envisagé – même si non admis finalement
75
- que les
actuels propriétaires de l’immeuble soient tenus pour responsables du trouble résultant de
l’effondrement d’un mur de parement et d’un mur mitoyen, murs construits par leurs auteurs,
dans la mesure où ils se seraient abstenus « (…) de prendre les mesures de sauvegarde
élémentaire qu’imposait l’état manifestement dangereux de leurs bâtiments » 76.
14. L’idée est la même du côté de l’occupant lésé : le droit à compensation est pareillement
personnel. Il importe peu dès lors que la victime ne soit plus propriétaire ou, plus
généralement, titulaire d’un attribut du droit de propriété, lorsqu’elle intente son action
71
77
.
Voy., au stade de la Cour de cassation, Cass., 23 décembre 1971, non publié mais repris in extenso par
Y. HANNEQUART, Le droit de la construction, Bruxelles, 1974, pp. 221 et 222, et Cass., 20 juin 1975, Pas., 1975, I, 1014 ;
voy. encore, plus récemment, Comm. Hasselt, 7 mars 1995, R.W., 1998-1999, p. 55, note ; Liège, 9 juin 1998, R.G.D.C.,
1998, p. 668.
72
Voy. Civ. Bruxelles, 13 décembre 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1067 ; voy. aussi Civ. Bruxelles, 15 janvier 1985, T. aann.,
1987, p. 145, note R. HOTERMANS, commenté par S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 180.
73 Voy. Cass., 7 décembre 1992, Pas., 1992, I, 1339.
74 Voy. Mons, 26 septembre 2006, J.T., 2006, p. 812.
75 Voy. infra le n° 19, spécialement la note (110).
76 Que l’on fonde d’ailleurs ou non cette solution sur un arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 1995 (J.L.M.B., 1997,
p. 274) selon lequel un manquement pourrait être reproché à l’acquéreur ultérieur d’un bien qui a, par son fait, causé un
dommage en ne prenant pas les dispositions pendant plus de 10 ans pour empêcher les dégradations d’un mur mitoyen mis à
nu à la suite de la démolition d’un bâtiment par l’auteur de l’acquéreur (voy., en ce sens le sommaire de la J.L.M.B cité à la
note précédente ; C. MOSTIN, Les troubles de voisinage, op. cit., n° 130 ; N. VERHEYDEN-JEANMART, Ph. COPPENS et
C. MOSTIN, « Examen de jurisprudence (1989-1998). Les biens », R.C.J.B., 2000, pp. 59 et s. et pp. 291 et s., spécialement
n° 123 ; voy. contra S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 124).
77 Voy., en ce sens, S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n°s 115 et 179 ; C. MOSTIN, Les troubles de voisinage,
op. cit., n° 131 ; J. HANSENNE, Précis, Les biens, op. cit., n° 830 ; J. HANSENNE, « La protection du voisinage et les
troubles du voisinage », In Droit de la construction, Act. Dr., 1992, p. 147.
14
C’est ce qu’a décidé notre Cour de cassation dans un arrêt du 28 juin 1990 selon lequel on ne
peut déduire de la circonstance que le demandeur, victime du trouble, n’était plus propriétaire
de l’immeuble au moment où l’action est intentée, que ce dernier n’aurait plus d’intérêt à
l’action 78.
Section 3. Le trouble et l’inconvénient : l’origine, la source, la cause … du procès
15. Avant toutes choses, il convient de préciser ici la terminologie que nous allons employer.
Le terme « trouble » peut en effet signifier tant l’activité ou le comportement perturbateur que
l’état qui en résulte
79
. Ainsi, J.-Fr. ROMAIN, dans son article relatif à la condition de
l’imputabilité dans la théorie des troubles de voisinage
80
, énonce les trois conditions de la
théorie des troubles de voisinage : il faut un trouble, en tant que fait non fautif, un dommage
et un lien causal entre ce trouble et ce dommage, visant donc par trouble le comportement
perturbateur et par dommage l’inconvénient excessif subi. En revanche, le Procureur général
DUMON, dans ses conclusions précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 1981
81
,
écrivait : « il faut évidemment et nécessairement que la personne obligée à compenser le
trouble ait, personnellement ou par personne interposée, provoqué le dommage, c’est-à-dire
le trouble de voisinage dont on se plaint, par un fait, une omission ou un comportement
quelconque, … », assimilant en quelque sorte trouble et dommage. Dans les pourvois ayant
donné lieu aux arrêts de notre Cour de cassation de 1960, l’on peut constater que troubles et
dommages sont mis sur un pied d’égalité (« (…) troubles ou dommages prétendument
occasionnés à la propriété ») et l’arrêt de 1949, précurseur des arrêts de 1960 précités
quoique rendu en matière de responsabilité aquilienne, s’exprimait en termes de « (…)
dommage dépassant la mesure normale des inconvénients du voisinage ». Personnellement,
nous utiliserons le terme trouble pour désigner l’événement perturbateur de l’équilibre entre
les fonds et celui d’inconvénient pour viser le résultat du trouble dont se plaint la victime.
78
Voy. Cass., 28 juin 1990, Pas., 1990, I, 1243 ; R.W., 1990-1991, 1402, note E. DIRIX.
Voy., en ce sens aussi, J.-P. VERGAUWE, Les relations du voisinage, Bruxelles, Larcier, 2008, spécialement p. 162, qui
considère le terme « trouble » comme souvent affecté d’amphibologie.
80 Voy. J.-Fr. ROMAIN, « Réflexion au sujet de la condition de l’imputabilité dans la théorie des troubles de voisinage (et
extension du raisonnement à la théorie de l’apparence )», op. cit.
81 Voy. les conclusions du Procureur Général DUMON avant Cass., 5 mars 1981, Pas., I, 1981, p. 728.
79
15
A. Le trouble
16. A l’origine, l’événement perturbateur sanctionné consistait en des travaux d’aménagement
d’un immeuble causant, comme inconvénient, des dégradations matérielles à l’immeuble
voisin ; notons cependant que, déjà dans un des deux arrêts du 6 avril 1960, à savoir la célèbre
affaire Jamblinne de Meux, l’inconvénient dont se plaignait le voisin n’était pas la
dégradation ou la destruction de son immeuble mais le fait que l’exhaussement du mur
mitoyen par le voisin avait provoqué l’étouffement du tirage de sa cheminée
82
. Aujourd’hui,
la théorie a évolué et son champ d’application s’est élargi tant au niveau du trouble commis
qu’à celui de l’inconvénient subi : l’on vise toute utilisation de l’immeuble engendrant un
inconvénient excessif dans la jouissance de l’immeuble voisin et dépassant donc les
inconvénients normaux du voisinage.
17. Du côté du trouble, la construction, au sens large, englobant toutes sortes de travaux
immobiliers, est évidemment visée qu’il s’agisse d’édifications d’immeubles courants ou de
travaux de plus grande envergure comme la réalisation d’un canal, d’une station de métro, de
travaux de voirie divers, … Au-delà, ce sont toutes les différentes activités que l’on peut
déployer sur son fonds 83, qu’elles soient professionnelles ou privées, qui pourront être mises
en cause : entreprises commerciales ou industrielles, exploitations agricoles et rurales,
aéroports, détention d’animaux (chiens, chats, gallinacés en tous genres, abeilles, …),
utilisation d’instruments de musique ou de carillons, possession de plantations généralement
quelconques, activités sportives ou d’agrément, … bref, tout ce qui fait que la vie est vie et
peut causer du désagrément à autrui 84.
18. La panoplie d’évènements à prendre en considération n’a donc cessé de s’agrandir mais
tout en restant, du moins jusqu’en 1992, de l’ordre du fait positif. En effet, rappelons que dans
les premiers arrêts de la Cour de cassation, la théorie des troubles de voisinage régissait
uniquement la rupture d’équilibre entre fonds voisins causée par un fait positif, une action. Or
dans un arrêt du 7 décembre 1992, la Cour de cassation offrit une nouvelle dimension à la
82
Voy. Cass., 6 avril 1960, Pas., 1960, p. 931.
Voire, selon certaine jurisprudence, en rapport avec la jouissance du fonds (voy. supra le n° 10).
84 Voy. pour un relevé intéressant des différentes sortes de troubles en fonction des inconvénients engendrés, C. MOSTIN,
Les troubles de voisinage, op. cit., spécialement n°s 26 à 89.
83
16
responsabilité pour troubles de voisinage : l’obligation de compenser incombe à celui qui a
provoqué l’inconvénient excessif, non seulement par un fait, mais désormais également par
une omission ou un comportement quelconque ; elle condamna dès lors au paiement d’une
juste et adéquate compensation en raison de l’abstention de pomper des eaux souterraines
ayant provoqué l’inondation de bâtiments voisins
85
. La Cour de cassation a, depuis lors,
fermement maintenu sa position 86.
19. Le professeur Jacques HANSENNE a, dès le début, condamné cette extension de la
théorie des troubles de voisinage
87
. Visionnaire, il avait probablement perçu les difficultés
qu’allait engendrer cette extension, spécialement en cas d’évènements accidentels. En effet,
dès lors que l’on admet l’abstention, l’omission, comme étant la source de l’inconvénient
subi, il va falloir déterminer ce qui permettra de rattacher cet évènement, fut-il négatif, à la
personne qui dispose d’un des attributs du droit de propriété, évoquée ci-dessus, afin de
pouvoir engager sa responsabilité objective. Celle-ci ne peut être condamnée que si elle est
bien à l’origine du trouble (au sens d’évènement perturbateur) ayant provoqué l’excès de
gêne. Il s’agit, osons le mot, de la fameuse condition d’imputabilité qui divise doctrine et
jurisprudence belges, certains parlant aussi de causalité intrinsèque, voire de causalité
intrinsèque inhérente 88 .
Un mot d’explication : consciente, semble-t-il, du champ d’application désormais très large de
la théorie, la Cour de cassation a tenté de cerner l’omission d’abord dans un arrêt du 3 avril
1998, ensuite dans deux arrêts de 1999, respectivement du 12 mars et du 18 novembre
89
, en
posant – sinon expressément du moins implicitement - l’exigence d’imputabilité : « nul ne
peut être obligé de compenser un trouble anormal du voisinage, que si ce trouble a été causé
par un fait, une omission ou un comportement qui lui est imputable » 90. Il s’agissait dans les
trois cas d’inconvénients excessifs causés par la propagation d’un incendie à un immeuble
voisin, incendie d’origine inconnue. Les commentaires de ces arrêts ont fleuri dans les revues
85
Voy. Cass., 7 décembre 1992, J.T., 1993, p. 473, obs. D. VAN GERVEN.
Voy., not., Cass., 17 novembre 1995, J.L.M.B., 1995, p. 274 ; Cass., 3 avril 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1334, note
P. LECOCQ ; Cass., 12 mars 1999, Larcier cass., 1999, p. 95 ; Cass., 18 novembre 1999, R.W., 2000-2001, p. 15.
87 Voy. ainsi J. HANSENNE, Droit des biens, CUP, vol. V, 10 novembre 1995, spécialement n° 26.
88 Voy. J.-Fr. ROMAIN, « La théorie des troubles de voisinage : un principe général du droit en équilibre, mais non en
expansion, reconsidéré à la lumière de la théorie des principes généraux du droit », op. cit., n°s 29 et 30 .
89 Voy. les références citées à la note (96) ; voy. aussi, sur cette condition d’imputabilité, Cass., 24 avril 2003, R.C.J.B., 2006,
p. 735, note J.-Fr. ROMAIN.
90 Voy. Cass., 12 mars 1999, Larcier cass., 1999, p. 95.
86
17
et ouvrages juridiques et il ne convient pas d’en refaire ici une énième fois l’analyse
91
.
Rappelons simplement que les auteurs semblent unanimes pour distinguer deux choses : d’une
part, le lien de causalité entre l’événement perturbateur et le « dommage »
92
et, d’autre part,
l’imputabilité de l’événement perturbateur à la personne assignée sur base de la théorie, à
savoir le lien entre un fait juridique et un sujet de droit
93
. Et c’est précisément dans la
détermination de ce que l’on admet être le lien entre l’événement perturbateur et l’auteur que
réside le noeud du problème.
Tant que l’origine de l’événement perturbateur ne pouvait être qu’un fait positif, s’interroger
sur l’imputabilité ne consistait finalement qu’à déterminer celui qui dans l’exercice de la
jouissance de l’immeuble, attribut du droit de propriété, était l’auteur de ce fait créant des
inconvénients excessifs au voisin. Le débiteur de compensation n’est en effet pas toujours
aisément identifiable ; une hésitation peut survenir lorsque plusieurs individus exercent sur un
même bien divers attributs du droit de propriété. Dans les arrêts de 1998 et 1999 où la Cour
utilise sinon le mot du moins l’idée d’imputabilité, il ne s’agissait pas de faits réalisés à
l’initiative de plusieurs personnes mais d’un incendie d’origine inconnue ayant causé des
« dommages ». Et la Cour de décider, répétons-le, que « en admettant l’existence d’un trouble
anormal de voisinage sans constater qu’il trouve son origine dans le comportement du
demandeur, le jugement ne justifie pas légalement sa décision de condamner le demandeur
sur la base de l’article 544 du code civil »
94
ou encore que « nul ne peut être obligé de
compenser un trouble anormal du voisinage, que si ce trouble a été causé par un fait, une
omission ou un comportement qui lui est imputable » 95.
91
Voy., not., P. LECOCQ, note sous Cass., 3 avril 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1334 ; D. DE MAESENEIRE, note sous Cass., 3
avril 1998, Bull. Ass., 1999, p. 89 ; N. VERHEYDEN-JEANMART, Ph. COPPENS et C. MOSTIN, « Examen de
jurisprudence (1989-1998) », R.C.J.B., 2000, pp. 309 et s., n°132 ; J. KOKELENBERG, Th. VAN SINAY, H. VUYE,
« Overzicht van rechtspraak (1994-2000). Zakenrecht », T.P.R., 2001-2, p. 837 et s., spécialement n° 74; S. STIJNS et
H. VUYE, « Pas de fumée sans feu ? Analyse critique des arrêts de la Cour de cassation du 3 avril 1998 et du 12 mars 1999
en matière de troubles de voisinage et d’incendie d’origine inconnue », in Liber amicorum Lucien SIMONT, Bruylant,
Bruxelles, 2002, pp. 479 et s. ; J.-Fr. ROMAIN, « Réflexion au sujet de la condition de l’imputabilité dans la théorie des
troubles de voisinage (et extension du raisonnement à la théorie de l’apparence )», in Zakenrecht/Droit des biens, Collection
Droit et Entreprise, éd. P. LECOCQ, B. TILLEMAN et A. VERBEKE, Brugge, la Charte, 2005, pp. 139 et s. ;
S. BOUFFLETTE, avec la collaboration de P. LECOCQ, « La théorie des troubles de voisinage : de l’équilibre entre
protection et limitation », in Contrainte, limitation et atteinte à la propriété, sous la coordination de P. LECOCQ et P.
LEWALLE, CUP, vol. 78, 2005, pp. 211 et s., les n°s 26 à 36.
92 Voy. infra le n° 22.
93 Voy. J.-Fr. ROMAIN, « Réflexion au sujet de la condition de l’imputabilité dans la théorie des troubles de voisinage (et
extension du raisonnement à la théorie de l’apparence) », op. cit., n°s 2 à 5.
94 Voy. Cass., 3 avril 1998, op. cit.
95 Voy. Cass., 12 mars 1999, op. cit.
18
Certains auteurs entendent interpréter ces arrêts comme suit : le trouble peut être imputé au
gardien de la chose où il naît, sans devoir désigner l’origine exacte du trouble ; en d’autres
termes, le gardien du bien générateur du trouble est obligé de compenser le dommage, sans
que l’on doive vérifier que son comportement est réellement à l’origine du trouble et sauf à
prouver l’existence d’une cause étrangère libératoire
96
. Cette conception très large des
troubles de voisinage, permettant de désigner presque à tous coups un responsable, n’est pas
partagée par tous. Ainsi J.-Fr. ROMAIN considère que pareille position opère un glissement
du contentieux des troubles de voisinage vers celui de la responsabilité du gardien et une
confusion entre ces deux régimes et prône une vision plus restrictive du lien de
rattachement 97. Fr. WILMET estime également que cette forme de présomption
d’imputabilité abstraite dans le chef du gardien « (…) revient à une absence d’imputabilité
concrète et n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle requiert
une imputabilité réelle et objective, établie dans les faits de la cause »
98
. C’est pareillement
notre avis 99. Nous relèverons à cet effet que dans l’arrêt du 12 mars 1999, l’un des moyens se
réfère à l’imputabilité en énonçant que le fait, l’omission ou le comportement causant le
trouble doit être imputable à une personne qui dispose d’un des attributs du droit de propriété
sur l’immeuble qui provoque le trouble en ajoutant que « (…) c’est à tort que le juge d’appel
considère que la question de savoir si la rupture de cet équilibre résulte de l’exercice que la
demanderesse aurait fait de son droit de propriété est dénuée de pertinence » ou encore
« (…) qu’il ne peut être déduit de la simple circonstance que l’incendie s’est déclaré sur le
fonds de la demanderesse qu’un « fait » ou un comportement non fautif ou une omission non
fautive lui est imputable » (traductions fournies sur le site de la Cour).
Depuis un arrêt du 3 avril 2009 100, concernant (de nouveau) un incendie à l’origine inconnue,
il nous semble que les choses sont encore plus claires : la Cour d’appel d’Anvers avait décidé
que la problématique de l’imputabilité du trouble de voisinage surgit seulement lors de la
96
Voy. S. STIJNS et H. VUYE, « Pas de fumée sans feu ? Analyse critique des arrêts de la Cour de cassation du 3 avril 1998
et du 12 mars 1999 en matière de troubles de voisinage et d’incendie d’origine inconnue », op. cit., n° 16 ; voy. dans le même
sens, évidemment, J. KOKELENBERG, Th. VAN SINAY, H. VUYE, « Overzicht van rechtspraak (1994-2000),
Zakenrecht », op. cit., n° 74; voy. aussi S. VEREECKEN, « Burenhinder uit evenwicht bij gebrek aan bewezen vestoring
door verweerder als oorzaak van de schade », note sous Civ. Anvers, 3 juin 2004, R .A.B.G., 2006, p. 767, critiquant
d’ailleurs cette décision sur ce point; voy. encore J. KOKELENBERG, “Gods (afval)water over Gods akker laten lopen :
erfdienstbaarheid, burenhinder of geen van beiden?”, note sous J.P. Zelzate, 27 avril 2006, R.G.D.C., 2007, p. 537.
97 Voy. J.-Fr. ROMAIN, « Réflexions au sujet de la condition d’imputabilité dans la théorie des troubles de voisinages (et
extension du raisonnement à la théorie de l’apparence) », op. cit., n°s 22 à 29.
98 Voy. F. WILMET, Droits réels, Chronique de jurisprudence 1998-2005, Les dossiers du Journal des tribunaux, Dossier n°
63, sous la direction de J.-Fr. ROMAIN, op. cit., n° 82.
99 Voy., notre contribution à l’article de S. BOUFFLETTE, « La théorie des troubles de voisinage : de l’équilibre entre
protection et limitation », op. cit., n°s 26 à 36.
100 Cass., 3 avril 2009, R.G.D.C., 2009, p. 469.
19
désignation d’un gardien obligé à compensation, qu’en l’espèce le défendeur est tant
propriétaire habitant que gardien de l’immeuble cause du dommage et que donc le trouble
excessif et le dommage en résultant lui sont imputables. La Cour de cassation estime que, ce
faisant, la cour d’appel n’a pas constaté que le trouble pouvait être imputé à un fait, une
omission ou un comportement quelconque du défendeur et n’a donc pas justifié sa décision en
droit : bref mais clair.
B. L’inconvénient
20. On l’a dit, à l’origine, du côté de l’immeuble « victime », l’on songeait essentiellement à
des dégradations matérielles subies par un immeuble du fait du voisinage d’un autre
immeuble 101 mais la liste s’est très vite allongée dès lors qu’aux côtés des inconvénients dits
matériels, l’on a admis les inconvénients sensoriels
l’humidité
105
102
, tels que le bruit
103
, les odeurs
104
,
, les poussières, fumées et émanations diverses, la perte de luminosité ou
d’ensoleillement ou encore les inconvénients commerciaux. A ce dernier égard, citons une
décision originale rendue par la Cour d’appel de Gand le 9 février 2005 où le demandeur se
plaignait d’un préjudice commercial résultant de la cessation de la ponte d’œufs par des mères
autruches effrayées par des cyclistes à l’occasion d’une randonnée familiale organisée par le
comité des fêtes d’une commune 106.
Au-delà, c’est la question de la prise en compte de l’inconvénient moral qui surgit. Certaines
décisions ont en effet accepté de prendre en considération le dommage moral excessif subi, ce
que l’on peut qualifier de trouble psychologique. Ainsi, la Cour d’appel de Mons a admis que
soit indemnisé l’état dépressif sérieux de la victime du trouble dû à l’absence de règlement du
litige né de travaux réalisés par les pouvoirs publics
101
107
. Faut-il encore que cet inconvénient
Voy., pour l’effondrement d’un mur sur le terrain du voisin, Mons, 26 septembre 2006, J.T., 2006, p. 812.
Voy. Cass., 19 octobre 1972, J.T., 1974, p. 114 ; voy. aussi, rappelant ce principe, J.P. Uccle, 12 décembre 2002, J.J.P.,
2004, p. 33.
103 Voy., pour des cris de coqs et d’oies, J.P. Namur, 25 octobre 2005, J.L.M.B., 2007, p. 1491 ; voy., pour une activité
musicale, Civ. Bruxelles, 25 novembre 2004, Res Jura Imm., 2006, p. 274 ; Bruxelles, 23 septembre 2004, Res Jura Imm.,
2005, p. 190.
104 Voy., à propos des déjections de chiens, Civ. Bruxelles, 25 novembre 2004, Res Jura Imm., 2006, p. 274.
105 Voy., récemment, pour l’inondation d’une cave, Anvers, 17 février 2005, R.W., 2007-2008, p. 283.
106 Voy. Gand, 9 février 2005, Bull. Ass., 2006, p. 118.
107 Voy. not. Mons, 15 avril 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1215 ; voy. aussi Bruxelles, 10 juin 2003, R.W., 2006-2007, p. 450,
évoquant le paiement d’une somme au titre de compensation du dommage moral ; voy., approuvant cette prise en compte du
dommage moral, H. VUYE, « Fundamentele regels en recente tendensen inzake burenhinder », op. cit., pp. 21 et 22.
102
20
moral soit démontré et, à cet égard, si dans l’espèce soumise à la Cour d’appel de Mons, le
dommage moral, psychologique, était sérieusement établi et attesté par des experts, dans une
affaire de placement d’une antenne GSM à quelques mètres seulement de la limite des fonds,
le Tribunal civil de Bruges ordonne une compensation pour des troubles psychologiques, non
autrement démontrés, et qui résulteraient, en outre, d’un risque seulement possible aux dires
de certains scientifiques
108
. Mais c’est là encore une autre problématique, celle du risque,
nous en reparlerons 109.
21. Quelle que soit sa nature, l’inconvénient ne sera pris en considération et ne pourra donner
lieu à une compensation que s’il est excessif, que s’il dépasse les inconvénients normaux du
voisinage. D’ailleurs, la compensation n’est pas l’indemnisation qu’une victime pourrait
recevoir sur le fondement de l’article 1382 du Code civil : la réparation doit viser à
indemniser tout le dommage subi, elle doit être intégrale, tandis que la compensation ne doit
servir qu’à rétablir l’équilibre rompu, ne doit servir donc qu’à compenser le caractère excessif
de l’inconvénient subi 110.
Comment juger du caractère excessif ? Tout est évidemment question d’appréciation de fait
par le juge du fond. En synthèse, le concept de préoccupation individuelle qui permet au
premier occupant d’une région ou d’un quartier d’imposer aux futurs arrivants un certain
mode de vie soit en les obligeant à supporter certains désagréments sans mot dire, soit en leur
interdisant toute activité perturbatrice est controversé en doctrine et généralement rejeté en
tant que tel en jurisprudence. Ceci dit, il s’agit d’un élément de fait qui, parmi d’autres, peut
emporter la conviction du juge, puisque cet élément va contribuer, ne fut-ce qu’incidemment,
à déterminer la nature de la préoccupation collective
111
. Cette dernière en effet, reposant sur
l’équilibre existant entre les propriétés d’une rue, d’un quartier ou d’une région et constituant
le milieu de vie, résidentiel, industriel, commercial, urbain, rural, …, tel qu’établi par la
communauté qui s’y trouve, est le critère le plus généralement appliqué en jurisprudence. Elle
108
Voy. Civ. Bruges, 4 février 2002, R.G.D.C., 2003, p. 508, note F. BAUDONCQ.
Voy. infra les n°s 23 à 27.
110 Voy. J. HANSENNE, Précis, Les biens, op. cit., n°s 825 et 838 ; C. MOSTIN, Les troubles de voisinage, op. cit., n°s 132
et 133 ; S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n°s 135 et 276 ; S. STIJNS et H. VUYE, « Burenhinder, openbare
werken, overheden, Het « beginsel van de gelijkheid voor de openbare lasten », en de verplichting tot compensatie :
meanders in de rechtspraak van het Hof van Cassatie », R.G.D.C., 2001, p. 329, spécialement n°s 24 et s. ; S. VEREECKEN,
« Burenhinder uit evenwicht bij gebrek aan bewezen vestroring door verweerder als oorzaak van de schade », note sous Civ.
Anvers, 3 juin 2004, R .A.B.G., 2006, p. 767 ; J. KOKELENBERG, « Burenhinder ? Kan U dat bewijzen en bent U misschien
geen overgevoelig type ? », R.G.D.C., 2007, p. 267, spécialement le n° 5.
111 Voy. M. BOES, « Burenhinder en de leer van eerstingebruikneming », T.M.R., 1996, p. 222.
109
21
permet au juge de déterminer avec plus d’objectivité ce qui est tolérable ici et ne l’est pas là
112
, tout en respectant le droit de chacun à un environnement sain consacré par l’article 23 de
la Constitution et protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme
en vertu d’une interprétation extensive de celui-ci 113.
Dans le droit fil des enseignements qui précèdent, relevons, en jurisprudence récente, la
décision rendue par le Juge de paix de Grâce-hollogne le 14 mars 2006, selon lequel
« l’aménagement d’un quartier, la situation des lieux, la conception d’un lotissement sont à
prendre en considération pour évaluer le caractère excessif d’un trouble du voisinage » 114. Le
même magistrat rappelle d’ailleurs, dans une autre espèce concernant les préjudices
essentiellement esthétiques résultant de la présence de colombiers sur le fonds voisin, que
« l’élevage de pigeons est, à certains endroits, une tradition populaire enracinée, dont les
nuisances sont généralement tolérées de façon très pacifique » 115. Le Juge de paix de Namur
décide quant à lui que des cris de coq et d’oies poussés dès l’aurore peuvent constituer une
nuisance excessive dans un quartier résidentiel, en dehors de la ville
116
, tandis que le Juge de
paix de Waremme considère que la présence d’un chien, en milieu rural, dans une maison
pourvue d’un jardin, sans aboiement intempestif, ne constitue pas un trouble excessif du
voisinage 117.
22. En toutes hypothèses, si, comme nous l’avons vu
118
le trouble doit être imputable à une
personne jouissant d’un attribut du droit de propriété sur le fonds « auteur », l’inconvénient,
lui, doit être dû au trouble. Doit donc obligatoirement exister un lien de causalité entre
l’événement perturbateur et l’inconvénient excessif subi ; la Cour de cassation a ainsi énoncé
dans son arrêt du 18 janvier 1990 qu’« en rejetant la demande pour les motifs qu’il
mentionne, sans constater que le dommage, tel qu’il s’est réalisé, se serait aussi produit sans
les troubles précités, l’arrêt viole l’article 544 du Code civil » 119.
112
Voy., pour une prise de mesure du bruit provoqué par une chaudière, Bruxelles, 23 septembre 2004, Res Jura Imm., 2005,
p. 190 ; voy. aussi en matière de convois ferroviaires, Bruxelles, 15 janvier 2004, R.G.A.R., 2007, p. 14257.
113 Voy., sur la question, S. BOUFFLETTE , « Troubles de voisinage et environnement : une histoire d’antagonismes et de
complémentarités », op. cit., pp. 20 et s.
114 Voy. J.P. Grâce-Hollogne, 14 mars 2006, J.L.M.B., 2007, p. 1491.
115 Voy. J.P. Grâce-Hollogne, 14 juin 2005, J.L.M.B., 2007, p. 1491.
116 Voy. J.P. Namur, 25 octobre 2005, J.L.M.B. 2007, p. 1491.
117 Voy. J.P. Waremme, 30 juin 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1240.
118 Voy. supra le n° 19.
119 Cass., 18 janvier 1990, Pas., 1990, I, 591.
22
Une question en guise de conclusion : le risque
23. Comme l’écrivait Sophie BOUFFLETTE dans la dernière contribution de la Commission
Université Palais consacrée aux troubles de voisinage, « la science a permis l’avènement de
nouvelles nuisances mais reste parfois incapable d’en déterminer l’impact dommageable
réel »
120
. C’est la question du risque. Nous avons volontairement choisi de traiter de cette
problématique après avoir examiné le trouble et l’inconvénient parce qu’effectivement il est
parfois malaisé de distinguer le risque d’une activité perturbatrice et le risque d’inconvénient
excessif, ils se confondent quelque peu. Voyons.
24. La question peut d’abord se présenter comme suit : l’événement perturbateur pourrait se
réaliser, il n’y a donc qu’un risque de trouble ; mais si le trouble se produit, alors il y aura très
probablement un inconvénient subi. Il nous paraît que relevait de cette catégorie l’affaire
soumise au Juge de paix d’Uccle
121
: en l’espèce, un arbre de plus de 18 mètres de haut,
planté en respectant les distances légales, présente, selon le demandeur, un risque de chute
pour son habitation et devrait donc selon lui être sinon coupé, du moins élagué. Il semblerait
effectivement, au vu de la situation des lieux, que si l’arbre litigieux tombait, il
endommagerait nécessairement la propriété du demandeur. Toutefois, selon le rapport d’un
expert non remis en cause, l’arbre présentait un état phytosanitaire et physiologique très
satisfaisant. Dès lors, le magistrat, s’exprimant en terme de dommage, décide qu’il n’y a
qu’un risque de dommage et donc pas de dommage établi actuel. Or, toujours selon le
magistrat, la théorie des troubles de voisinage suppose l’existence d’un dommage « né et
actuel ».
Sur ce point, l’annotatrice de la décision fait observer que, en matière de responsabilité
délictuelle, le dommage doit effectivement être certain, même s’il peut être futur. Elle note
aussi que la jurisprudence de la Cour de cassation n’aborde pas formellement ces exigences
relatives à l’inconvénient comme elle le fait en matière de responsabilité basée sur l’article
1382 du Code civil. Mais lorsque l’on discute de la compensation résultant d’un trouble de
120
Voy. S. BOUFFLETTE, « La théorie des troubles de voisinage : de l’équilibre entre protection et limitation », op. cit.,
n° 4.
121 Voy. J.P. Uccle, 12 décembre 2002, J.J.P., 2004, p. 331, note C. MOSTIN.
23
voisinage, on estime qu’elle ne doit réparer que l’excès de dommage subi. On se réfère donc à
la notion de dommage et l’on pourrait dès lors être tenté de penser que l’inconvénient excessif
subi doit être, à tout le moins comme le dommage, certain pour déclencher le système 122.
Le Juge de paix d’Uccle précise encore que « (…) il existe en germe dans quasiment toutes
les situations de voisinage un « risque de dommage » ; qu’il s’agit là d’un inconvénient
ordinaire de voisinage » et que, même si l’on devait décider qu’un risque de dommage puisse
donner lieu à compensation, il faudrait à tout le moins que ce risque paraisse imminent et très
important pour pouvoir être considéré comme un trouble dépassant la mesure des
inconvénients ordinaires de voisinage, quod non en l’espèce. En revanche, le Président du
Tribunal civil de Bruges, statuant en référé, a estimé que la présence d’une grue au-dessus du
fonds des plaignants constituait un danger menaçant de chute qui n’était pas simplement
hypothétique et théorique et connaissait de fameux précédents. Le sentiment d’insécurité qui
en découle doit être considéré comme sérieux, spécialement si la grue a été placée à l’endroit
litigieux de façon inutilement prématurée, et constitue une situation de risque anormalement
gênante, justifiant l’enlèvement d’urgence de l’engin sous astreinte 123.
25. Légèrement différente est, à notre avis, l’hypothèse que le Tribunal de Bruges a eu à
trancher : une association de copropriétaires avait loué le toit de l’immeuble en copropriété à
un opérateur de téléphonie mobile pour y placer des antennes de GSM, ce dont se plaignaient
les voisins de l’immeuble. Notons immédiatement que dans cette affaire, les plaignants
n’invoquaient aucun inconvénient d’ordre sensoriel, qu’il soit sonore ou esthétique, qui aurait
pu être considéré comme certain, actuel et peut-être excessif. Ils invoquaient comme
inconvénient la perte de valeur de leur immeuble en raison du risque pour la santé que
causaient les antennes. Le tribunal a considéré que constituait un trouble de voisinage excessif
- emportant notamment, selon les demandeurs, une perte de valeur de leur immeuble - le
placement d’une antenne GSM à quelques mètres seulement de la limite des fonds, antenne
qui, aux dires de certains scientifiques, créait un risque pour la santé
124
. Dans ce cas, on
pourrait analyser les choses comme suit. L’évènement prétendument perturbateur est réalisé,
122
Voy. C. MOSTIN, note sous J.P. Uccle, 12 décembre 2002, J.J.P., 2004, p. 331.
Voy. Civ. Bruges (réf.), 25 février 2004, J.J.P., 2006, p. 376 ; voy. déjà Mons, 3 mai 1988, Ann. Dr. Liège, 1988, p. 402,
note R. VIGNERON, qui décidait que la présence d’une grue au-dessus de l’immeuble du voisin crée un danger tellement
sérieux qu’il excède les inconvénients du voisinage.
124 Voy. Civ. Bruges, 4 février 2002, R.G.D.C., 2003, p. 508, note F. BAUDONCQ, précité ; voy. aussi J.P. Ostende, 29 juin
2000, A.J.T., 2000-2001, p. 197, note P. DE SMEDT ; Civ. Bruges, 21 décembre 2001, T.B.B.R., 2002, p. 306.
123
24
les antennes ont été placées, mais c’est sur les conséquences de cet évènement que l’on est
hésitant ; il y a ou il y aura peut-être un inconvénient en résultant mais ce n’est pas certain. En
réalité, le tribunal, s’inspirant de décisions rendues par le Conseil d’Etat
125
, applique en
l’affaire le principe de précaution, issu du droit de l’environnement, à des cas de
responsabilité civile, attribuant ainsi une compensation correspondant à un risque pour la
santé 126.
26. Qu’en penser ? Les auteurs sont manifestement partagés sur cette question du risque dans
la théorie des troubles de voisinage 127, certains étant plus favorables que d’autres à la prise en
considération ici aussi du risque créé 128
129
. Une façon de contourner la difficulté est peut-
être, comme le fit le Tribunal de Bruges dans l’affaire précitée, d’invoquer dans le chef des
victimes des conséquences psychologiques importantes et, sous-entendu, actuelles. C’est
peut-être aussi ce à quoi songeait le plaignant dans l’affaire soumise au Juge de paix d’Uccle
évoquée ci-avant lorsqu’il invoquait que l’arbre litigieux constitue pour lui « une menace
permanente (qui) engendre une charge anormale qu’il doit supporter du fait du
voisinage » 130. L’inconvénient psychologique, on le sait, a déjà été pris en compte en
jurisprudence
131
mais faut-il encore qu’il soit sérieusement établi et démontré, au risque, à
défaut, de verser dans l’arbitraire.
Une récente affaire soumise au Tribunal civil de Bruxelles illustre parfaitement cette tendance
actuelle 132. Un chien, de race Rottweiler, manifestait beaucoup d’énervement et d’agressivité
dès qu’une personne se trouvait dans le jardin du voisin, situation dont celui-ci se plaint en
justice sur la base de l’article 544 du Code civil. Les magistrats ont décidé en appel, tout
125
Voy. C.E., 6 mars 2000, n° 85.836, J.L.M.B., 2000, p. 670.
Voy., sur ce principe de précaution, not., M. PÂQUES, « Antennes GSM, urbanisme, préjudice et précaution dans la
jurisprudence du Conseil d’Etat », in Le point sur le droit des biens, Cup, ULg, vol. 42, p. 419, M. PÂQUES, « Le Conseil
d’Etat et le principe de précaution : chronique d’une naissance annoncée », J.T., 2004, pp. 169 et s.
127 Voy. critiquant la décision du Tribunal de Bruges citée au texte, F. BAUDONCQ, « Van GSM-manie naar
mobilofobie ? », op. cit., n° 5 ; S. BOUFFLETTE, « Troubles de voisinage et environnement : une histoire d’antagonismes et
de complémentarités », op. cit., n° 57.
128 La théorie du risque créé est en effet mise à profit dans d’autres branches du droit de la responsabilité (voy., sur ce point,
J.-F. NEURAY, « La théorie des troubles de voisinage est-elle bonne pour l’environnement ? », in Mélanges offerts à M.
HANOTIAU, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 199 et s., spécialement n° 4 et les références citées). En France, dans le cadre de
l’article 544 C. civ., la théorie du risque est appliquée exceptionnellement en jurisprudence, mais non consacrée de façon
générale (voy. J.-L. BERGEL, Chronique "Propriété et droits réels", Rev. Dr. Imm., 1982, pp. 353 et s., spécialement pp. 355
et 356; A. WEILL, F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, DALLOZ, 1985, n° 314).
129 Voy. S. STIJNS et H. VUYE, Burenhinder, op. cit., n° 245 ; voy. aussi Gand, 22 novembre 1995, T.G.R., 1996, p. 48 ;
voy. aussi l’allusion à cette décision dans nos propos, P. LECOCQ, note sous Cass., 3 avril 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1334.
130 Voy. J.P. Uccle, 12 décembre 2002, J.J.P., 2004, p. 331.
131 Voy. supra le n° 20.
132 Voy. Civ. Bruxelles, 15 juin 2006, Res Jura Imm., 2007, p. 195.
126
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comme le juge de première instance, que le danger potentiel que représentait le chien d’un
voisin constituait en soi un trouble emportant un inconvénient excessif existant, à savoir la
peur actuelle légitime que la clôture ne suffise pas à retenir un chien potentiellement très
dangereux, peur telle que de nombreux visiteurs en souffraient aussi personnellement et que
les enfants du plaignant n’osaient plus jouer dans le jardin et faisaient régulièrement des
cauchemars.
27. Chaque fois que l’on croit avoir atteint les limites de la théorie des troubles du voisinage,
que l’on pense en avoir cerné, même approximativement, les contours, que l’on espère avoir
apprivoisé quelque peu cette œuvre jurisprudentielle monumentale, une nouvelle affaire, une
nouvelle demande, une nouvelle décision, nous emmènent un peu plus loin et … tout est à
refaire.
Pascale LECOCQ
Professeur ordinaire à l’ULg
Maître de conférences à l’ULB
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