66_AE0_calpaine RMGH FINAL

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Dystrophie musculaire des ceintures de type 2A : rapport d’une nouvelle mutation du gène
CAPN3 chez un patient syrien.
Eliane Chouery 1, Martin Krahn 2, J. Andoni Urtizberea 3, Rafaelle Bernard 2, Nicolas Levy 2,
André Mégarbané,1
1
Unité de Génétique Médicale et laboratoire associé INSERM à l’Unité UMR_S 910.
Faculté de Médecine, Université Saint-Joseph, Beyrouth, Liban.
2
Departement de genetique médicale, Hopital de la Timone et INSERM UMR_S 910,
Marseille, France.
3
Centre de Référence neuromusculaire GNMH, Hôpital Marin, APHP, 64500 Hendaye,
France.
* Correspondance:
André Mégarbané, M.D., Ph.D. Unité de Génétique Médicale. Faculté de Médecine,
Université Saint-Joseph. 42, rue de Grenelle. 75007 PARIS, FRANCE
Fax: 961 1 421 023 ; E-mail: [email protected]
Résumé :
Le cas d’un jeune homme syrien âgé de 19 ans et atteint de dystrophie musculaire des ceintures
de type 2A est rapporté ici. Les premiers signes remontent à l’âge de 4 ans avec une accélération
franche du déficit musculaire vers l’age de 16 ans. Lors de l’examen clinique à l’âge de 19 ans,
un déficit musculaire très net au niveau des fixateurs d’omoplate, des fléchisseurs de coude et
des psoas-iliaque et des muscles ischio-jambiers, un signe de Gowers positif ainsi qu’un signe du
tabouret étaient notés. Le patient arrivait difficilement à étendre et lever les bras et à monter les
escaliers. Le taux des créatine-phosphokinases était près de 15 fois supérieur à la normale.
L’étude du gène CAPN3 a permis de mettre en évidence une nouvelle variation de séquence à
l’état homozygote dans l’intron 21 : c.2264-3C>A, localisée à proximité du site accepteur
d’épissage. L’analyse bio-informatique de cette mutation a prédit un effet délétère sur l’épissage
normal par altération du site accepteur d’épissage de l’intron 21. Il s’agit ainsi du premier cas de
LGMD 2A prouvée en biologie moléculaire chez un patient syrien.
Mots-Clés : Calpainopathie, Muscle, Myopathie, LGMD 2A
Abstract:
A young Syrian man aged 19 years with a Limb-Girdle Muscular Dystrophy (LGMD) type 2A is
reported. The story of his illness began at age 4 years with a surge of muscle weakness around
the age of 16. At clinical examination, a muscle weakness mostly at the scapulae fixers, elbow
flexors and iliopsoas and hamstring muscles is noted. He had a positive Gowers sign and a
positive sign of the stool. He had difficulties to extend and raise his arms and to climb stairs. The
CPK was almost 15 times higher than normal. The CAPN3 gene study has highlighted a new
sequence variation at the homozygous state in intron 21: c.2264-3C> A, located near the splice
acceptor site. The bioinformatics analysis of this mutation predicted a deleterious effect on the
normal splice acceptor site of intron 21. This is the first patient described from Syria with a
LGMD2A.
Mots-Clés : Calpainopathie, Muscle, Myopathie, LGMD 2A
Introduction
Les dystrophies musculaires des ceintures (LGMD pour Limb-girdle muscular
dystrophy en langue anglaise) constituent un groupe de maladies neuromusculaires qui affectent
essentiellement les muscles volontaires situés autour des épaules et de la région pelvienne, et
plus rarement les muscles du coeur et de l’appareil respiratoire (Richard et al., 1997). La
prévalence dans le monde serait de 1/15.000 à 1/123.000. Mais il existe de grandes variations
géographiques (van Der Koi et al., 1996).
L’âge de leur manifestation clinique, leur gravité, le rythme de progression, ainsi que leur mode
de transmission varient d’un type de maladie à l’autre dépendamment du gène impliqué. A ce
jour, 22 gènes semblent être responsable de LGMD, dont 18 sont déjà identifiés.
(http://www.musclegenetable.org/).
Il existe deux modes de transmission de la maladie : le mode autosomique dominant
(LGMD 1) avec 7 sous-types différents et le mode autosomique récessif (LGMD 2) regroupant
14 types différents. Ces dernières sont de loin les plus fréquentes. Le type 2A (OMIM 253600)
est le plus fréquent des LGMD autosomiques récessives, représentant selon les études et les
populations concernées, jusqu’à 40% de l’ensemble des LGMD. La LGMD 2A ou
calpainopathie primaire est dûe à des mutation du gène CAPN3 situé sur le chromosome 15 en
q15.1-q21.1 (OMIM 114240). Ce gène comporte 2466 paires de bases, réparties en 24 exons
codant l’enzyme protéolytique calpaïne 3 (protéine activée par le calcium de type 3)
(Baghdiguian et al., 1999 ; Richard et al., 1995). Plus de 300 mutations du gène CAPN3 ont ete
rapportées à ce jour (Blasquez et al., 2008).
Nous rapportons le premier patient syrien atteint de dystrophie de type 2A avec mutation
prouvée du gène CAPN3.
Matériels et Méthodes
Patients
K.A. est un jeune homme de 21 ans habitant Damas, la capitale de la Syrie. Il est le plus
âgé de la fratrie. Ses parents sont cousins au 1er degré. Il a un autre frère cadet de deux ans plus
jeune, en parfaite santé. Il n’existe pas d’antécédents neuromusculaires dans la famille.
L’histoire de sa maladie remonte à l’âge de 4 ans quand le patient commence à se
plaindre de douleurs articulaires et que ses parents notent un certain degré de faiblesse
musculaire. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans que l’augmentation rapide du déficit musculaire amène
le patient à re-consulter. Un diagnostic de myopathie de Becker est alors évoqué alors mais
aucune investigation étiologique spécifique n’est entreprise à l’exception du taux des CPK.
Le patient est vu par nous à l’âge de 19 ans, consultant pour un deuxième avis concernant
sa myopathie. Assez corpulent, sa marche était dandinante. Le patient arrivait difficilement à
étendre et lever les bras et à monter les escaliers. L’examen neurologique a permis de déceler un
déficit musculaire très net au niveau des fixateurs d’omoplate (donnant un aspect de scapula
alata), des fléchisseurs de coude et des psoas-iliaque. Les muscles ischio-jambiers étaient eux
aussi atteints comparativement aux quadriceps. Des rétractions étaient présentes seulement au
niveau des tendons d’Achille. Le Gowers était positif ainsi que le signe du tabouret. Les CPK
étaient à près de 15 fois supérieures à la normale.
Etude moléculaire
Au vu de l’histoire et de la présentation clinique, le diagnostic était très évocateur d’une
dystrophie des ceintures de type calpainopathie (LGMD 2A), une étude du gène CAPN3 a été
entreprise. Après la signature du consentement libre et éclairé par le malade, l’analyse
moléculaire du gène CAPN3 a été effectuée suivant un protocole pré-établi (Krahn et al., 2006).
Après criblage de l'ensemble des exons codants de CAPN3 et de leurs bornes introniques
par DHPLC, 3 fragments présentant un profil de type hétéroduplex ont été analysés par
séquençage direct après PCR. Une variation de séquence à l’état homozygote dans l’intron 21 :
c.2264-3C>A, non rapportée au préalable, localisée à proximité du site accepteur d’épissage a été
mise en évidence dans le gène CAPN3. L’analyse bio-informatique par Human Splicing Finder
(Desmet et al., 2009 ; www.umd.be/HSF/) de cette mutation prédit un effet délétère sur
l’épissage normal par altération du site accepteur d’épissage de l’intron 21.
DISCUSSION
Nous rapportons ici le premier cas syrien de calpainopathie primitive (LGMD 2A). Ce
type de myopathie des ceintures se caractérise par une faiblesse musculaire progressive et
symétrique des muscles des ceintures scapulaire et pelvienne. Il existe parfois une variabilité
phénotypique au sein d’une même famille ce qu’il n’a pas été possible de juger ici. Certains
patients, comme celui rapporté dans notre observation, ont un début de la maladie assez précoce.
Chez d’autres, les symptômes musculaires surviennent classiquement lors de la deuxième
décennie. De manière générale, la perte de la marche survient 20 à 30 ans en moyenne après les
premiers signes cliniques.
De manière générale, la LGMD de type 2A évolue lentement et sans véritable fluctuation
perceptible. Les personnes atteintes pourront avoir l’impression d’une aggravation subite de leur
état dès lors qu’apparaîtra une perte de motricité. Chez notre patient, c’est la démarche
dandinante causée par l’affaiblissement progressif des muscles pelviens ajouté à une prise de
poids excessive à l’adolescence vers 16 ans, qui a été le premier signe d’appel de la maladie.
Après une nouvelle période de relative stabilité, les difficultés pour se relever de la position
assise et l’apparition de signes au niveau des membres supérieurs (lever un bras pour se coiffer),
ont inquiété le malade et son entourage le poussant à de plus amples investigations. Ce
phénomène, d’aggravation des signes suivi d’une stabilité et puis à nouveau d’aggravation est
appelé « effet d’escalier ». Lorsque la force musculaire tombe au dessous du degré minimal
nécessaire pour accomplir une tâche, l’évolution de la maladie peut paraître plus rapide.
Lorsqu’une myopathie des ceintures se déclare au cours de l’enfance, l’affaiblissement des
muscles survient alors même que le corps s’alourdit et grandit, ce qui peut donner l’impression
d’une évolution rapide de la maladie.
La formule clinique présentée par ce patient était très évocatrice d’un déficit en calpaine
3. On note en effet dans cette myopathie l’association d’un décollement marqué des omoplates,
d’une atteinte de la loge postérieure de cuisse et des muscles fessiers, le tout s’accompagnant
d’un taux très élevé de CPK. Dans cette forme, les rétractions sont généralement modérées et
prédominent aux tendons d’Achille. A la différence d’autres myopathies des ceintures (LGMD
2C, 2D, 2E, 2F et 2I), on ne note pas de pseudohypertrophie au niveau des muscles des mollets
et/ou de la langue. L’absence de complications cardiopulmonaires est également en faveur du
diagnostic. C’est donc l’ensemble du tableau clinique qui a incité à étudier directement le gène
CAPN3 en biologie moléculaire , faute de pouvoir disposer d’une biopsie musculaire dans de
bonnes conditions techniques (l’immunohistochimie sur coupe musculaire et le Western Blot ne
sont pas disponibles en Syrie). L’immunocytochimie permet de s’assurer de l’intégrité des
protéines musculaires membranaires. L’imagerie musculaire (par scanner ou résonance
magnétique) peut, dans ce contexte, être très utile et confirmer la grande sélectivité de l’atteinte
musculaire.
Parmi les myopathies des ceintures, la LGMD 2A n’a pas le plus mauvais des pronostics
à long terme. Il existe une grande variabilité en matière de pronostic de marche. En revanche, il
n’y a pas de complications cardio-respiratoires dans cette affection, sauf exception. Il reste
toutefois important et conseillé de vérifier régulièrement le système cardiorespiratoire des
personnes atteintes tout au long de leur évolution.
L’étude moléculaire reste donc essentielle pour confirmer un diagnostic suspecté
cliniquement. La sensibilité de cette dernière technique n’est toutefois pas de 100% (Saenz et al.,
2005; Krahn et al., 2006; Blasquez et al., 2008) et la recherche de mutations peut s’avérer
fastidieuse même si le développement de DNA-chips devrait rémédier, pour partie, à ce
problème..
Une revue de la littérature nous a permis de retrouver 2 familles libanaises rapportées
avec une LGMD de type 2A. Deux mutations homozygotes avaient été retrouvées : c.257C>T
(p.Ser86Phe) et c.717delT (p.Phe239LeufsX14). Chez notre patient, une nouvelle variation de
séquence, non rapportée au préalable, a été identifiée à l’état homozygote dans l’intron 21 :
c.2264-3C>A. Bien que l’effet délétère n’a pas pu être validé par une analyse transcriptionnelle
(échantillon non disponible pour l’analyse), l’analyse bio-informatique par Human Splicing
Finder (Desmet et al., 2009; www.umd.be/HSF/) de cette variation de séquence prédit clairement
un effet délétère sur l’épissage normal par altération du site accepteur d’épissage de l’intron 21,
ce qui nous a conduit à retenir son caractère pathogène.
. A la différence d’autres groupes ethniques ou géographiques (habitants de l’Ile de La Réunion,
communautés Amish ou basques), ceci montre à ce jour l’absence d’un effet fondateur pour le
LGMD 2A dans la région du Moyen-Orient. Cette hypothèse n’est toutefois pas complètement
exclue car l’exploration spécifique des patients neuromusculaires en Syrie, et de manière
générale au Moyen-Orient, reste encore embryonnaire.
Il serait intéressant de rapporter d’autres cas de LGMD en générale afin de mieux
déterminer la fréquence de ces maladies dans le monde arabe et aider à un meilleur diagnostic et
meilleur suivi des malades.
Bibliographie
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Legende
Fig.1 : Photographie du patient montrant le déficit musculaire au niveau des fixateurs
d’omoplate donnant un aspect de scapula alata.
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