
Sucre et développement
La création de complexes sucriers intégrés dans certains PMA (Soudan, Mozambique, Malawi,
Ethiopie) tournés vers l’exportation, introduit une dépendance comparable. Or les faits montrent que
l’exportation de commodités primaires n’est pas un facteur de développement. Plus d’une
cinquantaine de pays en voie de développement dépendent, à hauteur de 20%, d’au maximum trois
commodités agricoles dans leur revenu à l’exportation. Il existe, dans le groupe des PMA, un lien
étroit entre l’incidence de l’extrême pauvreté et la dépendance à l’égard des exportations de produits
primaires : 69 % de la population dans les PMA exportateurs de produits autres que les combustibles
vivaient avec moins de 1 dollar par jour au cours de la période 1997-99 (ce pourcentage était de 63 %
pour la période 1981-83). Le problème des PMA est moins le degré de leur intégration dans
l’économie mondiale que la forme de cette intégration, dont les modalités actuelles ne favorisent pas
une croissance économique soutenue et la réduction de la pauvreté. De fait, pour de nombreux PMA,
les relations commerciales et financières extérieures font totalement partie de l’engrenage de la
pauvreté. Les prix réels, instables, des produits primaires, et le sucre en est un parfait exemple, n’ont
cessé de diminuer. Entre 1970 et 2000 les prix à l’exportation de commodités agricoles comme le
sucre, le coton, le cacao ou le café ont chuté de 30 à 60% (en dollars constants).
A ces risques réels s’ajoutent les caractéristiques propres de la canne à sucre, qui la distinguent
d’autres cultures tropicales d’exportation (coton, bananes ou palmier à huile par exemple). La canne à
sucre a une longue histoire derrière elle d’esclavage, d’exploitation, de faim et de pauvreté. On ne peut
guère trouver dans l’histoire et aujourd’hui (sauf l’exception mauricienne) de pays où la culture de la
canne ait été à l’origine d’un véritable développement économique et au contraire on peut parler d’un
« piège sucrier » pour des pays tentés par la monoculture de la canne. La canne à sucre présente
pourtant au départ bien des avantages : elle est une véritable usine à transformer l’énergie solaire en
sucre, elle peut être productrice d’énergie et elle nécessite une main d’œuvre importante, créant ainsi
de nombreux emplois. Mais ces aspects positifs ont également des revers négatifs, exacerbés par le
développement de plantations intégrées au sein de complexes sucriers. L’Afrique et le Brésil en sont
de bons exemples.
Dans un contexte de monoculture intensive, au sein de complexes sucriers intégrés et irrigués, la
culture et l’exploitation de la canne à sucre dans les pays en voie de développement n’offrent pas des
intérêts agronomiques ou économiques leur permettant véritablement de se définir comme
«soutenable» et «durable». La sucrerie est une industrie lourde, d’une forte intensité en capital et basée
en général dans ces pays sur une technologie importée. La taille des investissements envisagés est
considérable. La canne est essentiellement cultivée et gérée au sein d’un complexe sur des plantations
irriguées de plusieurs dizaines de milliers d’hectares, avec toutes les difficultés et les conséquences qui
y sont liées, au détriment des exploitations familiales (c’est le cas au Soudan, au Mozambique, en
Tanzanie). Le développement d’une communauté rurale est limité. Si on ne peut nier la dimension
sociale de ces complexes (sauf dans le cas du Brésil où les dérapages en matière de conditions de
travail sont nombreux), les « poches de richesse » ainsi créées dans des zones souvent sous-
développées, ne présument en rien d’un développement à plus large échelle. Un développement
soutenable et durable de la culture de la canne nécessite également des pratiques culturales
rigoureuses. La question est de savoir si de telles pratiques seront mises en œuvre dans les PMA, où la
création et l’extension des complexes seront soumises à une forte pression de rentabilité dans un
contexte où les préoccupations environnementales et sociales ne seront pas prioritaires.
Certes, la question d’une alternative à l’utilisation de tels capitaux, en terres et en hommes pour les
pays concernés demeure et mérite d’être étudiée. Mais cette analyse montre qu’un développement de
la canne à sucre pour l’exportation n’a pas été, n’est pas et ne sera sans doute pas un puissant moteur
de développement dans les PMA.
Dans ce cadre quel peut être le rôle de l’UE ? Le défi des négociations commerciales à l’OMC,
comme au niveau de l’UE, en ce qui concerne l’évolution de l’OCM Sucre, est d’arriver à concilier à
la fois le développement des échanges et le caractère durable et soutenable de l’industrie du sucre dans
les pays en voie de développement et en Europe. Or la culture de la canne à sucre pour l’exportation
dans les pays du Sud ne favorise pas en général un développement équilibré pour ces pays. Et les
systèmes de préférences, comme la libéralisation des marchés, ont leurs limites.