Michael Oakeshott encore une fois

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Michael Oakeshott conservateur et sceptique.
Michael Oakeshott naît en Angleterre et a enseigné l’histoire moderne à Cambridge
dès 1920. Il remplace en 1949 le professeur Harold Laski à la chaire de science politique de la
London School of Economics. Son discours inaugural sur l’éducation politique témoigne de
son hostilité non seulement aux formes planificatrices du socialisme – que combattent aussi
les libéraux- mais plus largement à l’ensemble du « style de pensée » rationaliste issue de la
philosophie des Lumières. Figure achevée du Tory Dandyism, Oakeshott est à la fois un
historien profond, un philosophe extrêmement original, pour ne pas dire déconcertant,
oscillant entre Aristote, Montaigne et Hegel, et l’auteur d’un guide pratique sur sa passion, la
course de chevaux !
Faire de la politique.
La politique comme pratique est pour Oakeshott une activité qui a sa cohérence propre,
produisant et s’auto-ajustant à son propre mode de connaissances. Il se défend d’être
empiriste ou pragmatique, il rejette, comme pour le rationalisme, le style idéologique en
politique, qui consiste à croire qu’il suffit de suivre un plan prémédité et abstrait, une
hypothèse, pour que se réalise dans la pratique les fins politiques poursuivies. La politique
n’est concevable qu’au sein d’une même communauté transmettant et conservant un
vocabulaire, un langage commun, elle se rapporte à un type de conduite qui s’inscrit dans les
us et coutumes de la communauté elle-même, intelligible seulement rapportée à cette
communauté. La politique est pour Oakeshott l’activité qui consiste à répondre aux
arrangements généraux d’un groupe de population composant une communauté unique, et
cela en respectant la compréhension commune qu’elle a acquis sur la manière de répondre à
ces arrangements généraux. Les traditions, les coutumes, les conduites, l’expérience et les
habitudes de vie font partie intégrantes de l’activité politique, et elle ne être comprise sans
qu’on en appelle à eux. Un homme politique en France, qu’il soit réformateur ou libéral, pour
être sûr d’être entendu, devra parler une langue que son auditoire peut saisir et faire sienne, et
cela parce qu’elle appartient à un vocabulaire familier à la communauté politique française.
Les termes « égalité- liberté-fraternité », « volonté générale », « dictature de Salut Public »,
« 21 avril » parleront plus au citoyen français qu’à celui de Guinée Equatoriale, et cela parce
qu’ils renverront à une expérience politique commune transmise par le langage. En d’autres
termes, il est impossible de parler de politique sans être, dans sa démarche même,
conservateur et traditionaliste, sans adopter les traditions du pays transmises par le langage
politique.
La politique de la Foi, la politique du Scepticisme.
L’équivocité du vocabulaire politique a fait porter le regard du philosophe sur
l’ensemble de la tradition politique européenne moderne. D’une même matrice langagière,
celle de la philosophie des Lumières, est née deux styles de politique différents, la politique
de la Foi et la politique du Scepticisme, qui irriguent nos manières de comprendre et d’exercer
la magistrature suprême. La politique de la Foi comprend l’activité de gouverner comme
participant de la perfection humaine, la perfection elle-même étant entendue comme ne
dépendant que des conditions matérielles et ne reposant que sur les seuls efforts humains. Le
rôle du gouvernement dans la politique de la Foi s’intéresse à tous les domaines d’activité de
ses sujets, et a été rendu possible par la montée en puissance de la science qui donne l’illusion
à partir du 16ème siècle que l’humanité s’engage dans un processus d’accumulation sans
limites de connaissances. La technique moderne a rendu possible un plus grand contrôle, de
plus grande possibilité d’organisation de la société, ce qui se traduit politiquement par une
centralisation accrue et économiquement par l’interventionnisme. La politique du Scepticisme
naît des mêmes circonstances que celle de la Foi, mais pour elle, l’exercice du pouvoir n’a
qu’une faible répercussion sur les activités des sujets. Oakeshott caractérise ce style de
politique comme cherchant à maintenir l’ « ordre superficiel de la communauté » :
« Gouverner [pour la politique du Scepticisme] apparaît non comme la fondation des
conditions du monde ou la promotion d’un Salus Populi indéfini par des moyens préétablis,
mais comme l’activité, encadrée par une loi fondamentale, de protection des droits établis ;
(…) La discussion politique y est représentée, non à l’occasion de déclarations d’inspiration
divine ou même comme moyen pour arriver à la « vérité », mais comme un effort pour
comprendre les différents points de vue et chercher un modus vivendi. » C’est plutôt dans
cette dernière tradition que se reconnaît Oakeshott, dans laquelle il classe John Locke,
Spinoza, Pascal, Hobbes, Hume, Montesquieu, Burke, Paine, Bentham, Coleridge, Calhoun et
McCaulay. Ceci l’amènera naturellement à se définir comme conservateur, ce qui, dans le
pays de Disraeli et Churchill, n’est pas si honteux que cela.
Etre conservateur
Dans une conférence qui reste l’une des références philosophiques du mouvement
conservateur anglo-américain, « On being Conservative », Oakeshott fait du conservatisme
une disposition et non une doctrine dont les caractéristiques générales seraient une propension
à utiliser et apprécier ce qui existe déjà plutôt que de désirer autre chose. Le conservateur,
contrairement aux révolutionnaires et aux libéraux, reconnaît l’héritage du passé comme un
don : « Etre conservateur, par conséquent, est préférer le familier à l’inconnu, préférer ce qui
a déjà été utilisé à ce qui ne l’a jamais été, préférer le fait au mystère, le vrai au possible, le
limité au flou, ce qui est proche plus que ce qui est distant, le suffisant à l’excédent, le
convenable au parfait (…). » Que ce soit en philosophie ou en politique, l’influence de
Oakeshott est énorme, et dépasse largement le milieu conservateur : si le Chief Justice
Rehnquist, l’un des juges les plus conservateurs de la cour Suprême des Etats-Unis le citait
parmi ses références intellectuelles premières, des philosophes comme John Rawls, Charles
Taylor, ou John Pocock s’y réfèrent régulièrement.
Il n’existe qu’un seul ouvrage traduit en français de Michael Oakeshott, mais qui est sans
doute le plus difficile et le plus déroutant (De la conduite humaine, PUF, 1995), il vaut donc
mieux se plonger en premier lieu dans ses livres non traduits.
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Rationalism in Politics and other Essays, Indianapolis, Liberty Fund, 1991.
The Politics of Faith and the Politics of Scepticism, Yale Univ. Press, 1996.
Experience and its Modes, Cambridge Univ. Press, 2002.
Perret (Quentin), Oakeshott. Le scepticisme en politique, Michalon, 2004.
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