le lien entre l’eau du robinet est immédiatement montré comme un réflexe : à la différence
du vers 3, où veilleurs n’est rien, ni sujet, ni complément, aux vers 5-6 le bruit de l’eau du
robinet entraîner immédiatement la réaction de « un de mes veilleurs du dedans », comme si
un stimulus avait déclenché un processus
c’est aussi le déclenchement du processus de la création poétique
les strophes 3-4-5 montrent une eau vivante
vocabulaire des sensations, la vue « jour clair », l’eau que le vent « rebrousse », les
« espaces d’écume », le « remue-ménage », les couleurs « de plomb » et ‘d’asphalte », et
même l’image de l’eau qui « crible » l’eau
vocabulaire des sensations, l’ouïe, le « froissement doux », le « chuchotis », les
« vociférations », les « frissons de rire », les « tambours de la chaleur » désignant le tonnerre
vocabulaire du toucher, un jour « sans vent », l’évocation du toucher de l’eau sur la berge,
puisque ce mouvement est qualifié de « froissement doux », les vociférations « mouillées »,
les « frisons » de rire, « la chaleur »
toutes ces sensations se confondent et constituent un réseau bizarre, mais très riche, soit
parce que la mémoire est incertaine, soit plutôt parce que le souvenir recrée la complexité du
monde vivant et des émotions
en effet, il y a aussi des émotions qui sont attribuées à ces « voix de l’eau », soit que l’eau
elle-même soit capable de ressentir des émotions, soit qu’elle en inspire au poète : vers 10,
« sans se presser », qui caractérise plutôt le plaisir à voir couler l’eau, le chuchotis étonné »,
qui signifierait plutôt que le poète croit entendre parler la nature, ou ses éléments, entre eux,
les « vociférations » même marquant un état d’esprit, la colère, le cri, comme le « rire » au
vers suivant
ces voix sont dites des « paroles différentes » dans la strophe 6, et l’adjectif indéfini « toutes
les voix » laisse entendre, après trois exemples, qu’il y en a d’autres
le point commun à toutes ces évocations est l’impression de mouvement, paradoxalement
capté par un corps immobile et un cerveau en partie incapable de souvenir, car endormi
les rythmes mêmes de ces souvenirs constituent une sorte de respiration du poème, et les
différentes longueurs des vers doivent être prises comme un exemple de la variété vivante de
cette nature
l’image des « sacs remplis de sable » tout en rappelant que le souvenir est incomplet, donc
que la victoire est incomplète, montre un élément totalement opposé à l’eau, la terre, les sacs
de sable étant très différents du sable procuré par le marchand qui endort les enfants, même
si l’image est implicite : c’est avec des sacs de sable qu’on endigue les inondations, un
boudin de sable dans un sac est une arme, les grands cops » montrent une volonté
destructrice (bien qu’il s’agisse du travail bénéfique des anesthésistes et des médecins), et
cet élément est désagréable, il arrête les souvenirs
la reprise de l’image du robinet, au vers 24 rappelle bien cet échec, en rappelant le lieu réel
de cette évocation
mais la strophe finale, plus courte et qui répète le champ lexical de la tentative, a pour but de
faire comprendre l’essentiel : les sensations sont vivantes
et d’un point de vue poétique, cette dernière strophe permet de comprendre la fonction de la
poésie : remplacer le trivial (un robinet dans une chambre d’hôpital) par le rêve ou l’idéal (la
beauté, la puissance de la nature)
Proposition de conclusion
Donc, pour échapper à l’univers de la douleur, le poète se réfugie dans ses souvenirs, les écrit, fait
de l’écriture poétique un moyen de renaître, puisque les souvenirs ne sont pas morts.
Le texte est, pour le lecteur, une occasion de procéder à une sorte d’imitation.