Entre conscience et non conscience : la mémoire implicite Michel

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Entre conscience et non conscience : la mémoire implicite
Michel DELAGE, Psychiatre, Thérapeute familial.
Consultations familiales, Hôpital d’Instruction des Armées Sainte Anne – Toulon.
Association " Vivre en Famille " La Seyne sur Mer.
Dans ce qu’on appelle la " psychologie naïve ", la mémoire repose sur le souvenir conscient, ce
dont nous sommes capables de nous rappeler si nous sommes interrogés sur notre passé. Cette
mémoire dite déclarative, explicite fait l’objet de nombreuses études, d’autant plus que c’est
elle dont nous redoutons les altérations et défaillances.
Mais on a tendance à laisser pour compte une autre forme, ou plutôt d’autres formes de
mémoire qui n’ont pas besoin de souvenirs pour se manifester, ou d’intention de se souvenir
pour apparaître. C’est pourquoi elles sont appelées implicites.
Nous les partageons en grande partie avec les animaux. Ce sont en somme des mémoires de
base. Elles constituent le socle de notre identité parce que depuis le début de notre existence
nous gardons imprimées les traces des expériences que nous vivons et des interactions avec
l’environnement, même si ces traces ne sont pas organisées en souvenirs conscients. Il est en
somme question d’une mémoire cachée. Mais nous pouvons la révéler, un peu comme nous
révélons une image sur une plaque photographique, pour peu que nous fassions un effort pour
l’observer et que nous puissions disposer d’outils pour la rendre visible.
A l’origine, c’est à partir de la testologie que cette mémoire implicite a été désignée comme
telle. Il s’agit d’une amélioration de la performance à une tâche, après l’exposition à une
information. Il y a donc une récupération inconsciente de ce qui a été mis en mémoire. Il suffit
qu’un objet ou un mot ait été préalablement présenté à un sujet pour que sa perception ou son
utilisation ultérieure soit favorisée. C’est ce qu’on désigne par amorçage.
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On dit aussi de cette mémoire qu’elle est non déclarative par référence à une remémoration
consciente, verbalisée, apprise et décomposée en mémoire épisodique et mémoire sémantique.
Je vais donc étudier les principaux aspects de cette mémoire qu’il vaut mieux appeler nonconsciente, pour la dégager de toute ambiguïté avec la notion d’inconscient, très connoté par la
théorie analytique. Plus précisément il va s’agir d’étudier les rapports de la mémoire implicite
avec différentes formes d’inconscients.
I – Mémoire implicite et inconscients :
A/ Le terme inconscient est aujourd’hui fortement connoté par l’approche psychanalytique.
FREUD a conçu toute sa théorie et sa pratique à partir de l’invention d’un inconscient,
notamment rempli de souvenirs refoulés, c’est-à-dire rejetés hors du champ de la conscience,
refoulés car liés à des contenus non acceptables, en rapport au début avec la sexualité infantile.
L’inconscient Freudien est un ensemble complexe où se jouent des forces contradictoires, des
conflits à partir de la pulsion, de la représentation et des mécanismes défensifs.
Les souvenirs, les traces du passé ne sont pas accessibles directement à la conscience. Ils se
manifestent sous une forme transformée, à travers les lapsus, les actes manqués et dans cet état
particulier de conscience modifiée qu’est le rêve. C’est pourquoi le psychanalyste tente
d’interpréter ces manifestations qui donnent accès à l’inconscient. Remarquons par ailleurs que
dans cette conception, de nombreux éléments constituent un inconscient primaire (c’est ce que
FREUD appellera plus tard le ça) rassemblant un ensemble de contenus à jamais inaccessible à
la conscience. L’inconscient des conflits et du refoulement est un inconscient secondaire qui se
construit principalement à partir de l’œdipe.
Finalement, dans ce qu’il est convenu d’appeler la première topique, FREUD a opposé la
conscience et l’inconscient. Mais il a placé entre les deux le système préconscient-conscient.
Le préconscient est alors ce qui rassemble des éléments non conscients mais directement
accessibles à la conscience sans avoir à subir des processus de transformation. Il s’agit en
somme de souvenirs en attente, en stock, mais qui ne sont pas actualisés tant que nous n’en
avons pas besoin. Mais ils sont disponibles, et lorsque nous le souhaitons, nous pouvons aller
les chercher librement. Ils sont non exprimés et par conséquent implicites. Ils peuvent
redevenir explicites grâce à ce que les psychanalystes ont nommé le processus associatif.
Celui-ci sans doute s’apparente à ce que la neuro-psychologie désigne comme un phénomène
d’amorçage.
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Je donne un exemple : voilà que je rencontre quelqu’un que je n’avais pas vu depuis mes
années d’Université. Ensemble, nous évoquons le passé. Cette personne évoque
l’amphithéâtre, où se déroulaient les cours. Surgissent alors en moi des impressions, des
images de camarades, d’enseignants, l’atmosphère de l’époque. Il ne s’agit pas de souvenirs
qui avaient été censurés, refoulés. Ils avaient simplement été mis de côté. Je n’en avais plus
besoin dans ma vie présente. Mais ils étaient en réserve, prêts à se manifester. Leur retour à ma
conscience a été amorcé par les retrouvailles avec mon camarade d’université et ses
évocations. Les souvenirs se sont remis à vivre dans le champ de ma conscience.
C’est ce genre de mémoire qui est à l’œuvre chez des patients ALZHEIMER lorsque la
mémoire qu’ils peuvent mobiliser de façon volontaire est très défaillante, tandis que peuvent
leur venir en tête des pans de souvenirs à l’occasion de certaines évocations, par exemple les
paroles d’une chanson, quand on commence à fredonner la mélodie.
Voilà donc un premier niveau de mémoire implicite. Les contenus de cette mémoire sont
susceptibles de resurgir explicitement dans la mémoire consciente sans efforts conscients de
remémoration, même si dans un deuxième temps, et pour peu que l’ensemble de la mémoire
fonctionne bien, la mémoire explicite puisse prendre le relais, et que dans l’exemple donné,
j’entreprenne de chercher le nom de tel ou tel camarade, ou de tel ou tel enseignant.
B/ Mais, depuis ces 20 ou 30 dernières années, un autre inconscient a émergé et pris sa place
dans les travaux scientifiques. Il s’agit de l’inconscient cognitif. On entend par là des processus
mentaux, déterminant nombre de nos comportements et pensées sans que nous en ayons
conscience, et dont les scientifiques s’efforcent de déterminer les substrats cérébraux. Les
neuro-sciences ont permis des avancées considérables dans la connaissance. On sait
notamment tous les apports de l’imagerie cérébrale fonctionnelle.
Mais soulignons que de cette manière on étudie le fonctionnement cérébral et qu’il existe un
écart phénoménologique irréductible entre ce fonctionnement et celui de l’esprit, même si des
efforts sont faits aujourd’hui, surtout dans les pays anglo-saxons pour fonder une neuropsychanalyse.
Donc, si nous restons dans le champ cognitif, nous pouvons par exemple retenir la mémoire
liée aux phénomènes de conditionnement. C’est grâce à cette mémoire que je sais faire du vélo.
Je n’ai pas besoin de réfléchir à la mémoire d’en faire. C’est automatique. J’ai appris de
manière conditionnée à coordonner mes mouvements et à me tenir en équilibre.
3
Je rappelle au passage, qu’il existe deux formes de conditionnement :

le classique, bien connu depuis PAVLOV lorsqu’un rapport s’établit entre un
stimulus neutre et un stimulus signifiant,

l’opérant que l’on doit à SKINNER lorsque le comportement est modifié, renforcé
notamment, par les compétences reçues par l’environnement.
Notons que c’est surtout à partir de la deuxième année de l’existence que de tels
conditionnements peuvent se mettre en place, que le traitement cognitif de l’expérience se
développe conjointement à l’apparition du langage et à la maturation des aires cérébrales
frontales et préfrontales.
Cette mémoire automatique est une mémoire solide, et d’autant plus qu’elle repose sur des
apprentissages précoces. Ainsi chez des patients à la mémoire déclarative très altérée, il est
possible que certains conditionnements soient conservés et leurs permettent certaines actions,
pour peu qu’ils soient sollicités à les accomplir.
Donc nous évoquons ici un ensemble de procédures (on parlera de mémoire procédurale),
d’habiletés acquises par apprentissage et qui nous permettent des comportements
automatiques, n’utilisant pas le contrôle conscient.
Mais il existe des formes plus rudimentaires d’expériences vécues avant la deuxième année, et
faisant également l’objet d’une mise en mémoire. On peut évoquer ici une mise en mémoire
des perceptions, des mécanismes d’imitation, d’habituation et de sensibilisation, tout un
ensemble d’informations traitées par un cerveau immature dont les mécanismes de pensée sont
rudimentaires et qui ne possèdent pas encore le langage. Dans ces conditions l’information est
traitée de manière analogique. Elle porte sur un niveau de connaissance immédiat et global,
traitée au dessous du seuil de la conscience et procédant par approximation et association.
Cette mémoire liée aux interactions précoces est spécialement importante à connaître. En effet,
on pourrait croire que l’apparition des formes supérieures de pensée et du langage la rend
obsolète, mais il n’en est rien. Il est question ici d’une forme de mémoire qui continue à
fonctionner en dessous du seuil de la conscience tout au long de l’existence.
Cela me conduit à évoquer maintenant une mémoire implicite en rapport avec une autre forme
d’inconscient.
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C/ L’inconscient biologique et la mémoire des émotions :
Certaines activités neuronales et cérébrales sont régies par deux grands systèmes :

le système d’alerte déclenché par la menace, le stress, les émotions négatives. On sait
l’importance de l’adrénaline et de l’axe H.H.S.

le système de récompense activé par les émotions positives. C’est la
dopamine
qui est spécialement concernée.
Il est donc question d’une régulation des émotions, d’une modulation entre ces deux grands
systèmes. Cette modulation à visée adaptative prend une orientation particulière en fonction de
la nature des expériences émotionnelles vécues. La manière de se comporter dans le présent
est largement déterminée par les traces émotionnelles des expériences passées, conservées
dans certains circuits, structures et métabolismes cérébraux, sans que nous gardions le
souvenir conscient des expériences auxquelles se réfèrent ces traces émotionnelles.
Ce qui est ainsi régulé et conservé participe à la construction de l’attachement. " Des formes
de vitalité " nous dit D. STERN associant l’émotion, le mouvement et l’intention produisent
des comportements stables, répétitifs, prévisibles, apaisants et sécures lorsque l’attachement,
dans les interactions précoces, se construit sur un mode sécure.
Évidemment cet ensemble d’émotions, de comportements et d’actions est beaucoup plus
problématique lorsque les attachements se construisent sur un mode insécure.
C’est donc dans les interactions avec les figures de soin que ces formes sont conservées en
mémoire procédurale. Il est toujours question nous dit D. STERN de la construction "d’une
manière d’être avec" reposant, à ce niveau non-verbal des interactions précoces, sur une intercorporéité. Les neurones miroirs jouent sans doute ici un rôle majeur.
La mémoire émotionnelle est en même temps une mémoire relationnelle. En fait, je découpe
artificiellement différentes formes de conservation d’expériences qui se déroulent au dessous
du seuil de la conscience, mais en réalité toutes liées entre elles.
Ainsi s’associent en une appréhension globale de l’expérience, les perceptions, des formes
comportementales liées aux interactions avec les autres, notamment les figures de soin, le vécu
émotionnel spécifique à ces interactions.
Les expériences répétées de syntonisation entre mère et enfant, produisent des réponses
interactives adéquates et favorisent donc la régulation et le contrôle des états émotionnels,
l’amplification des états positifs. C’est cela qui constitue la base des Modèles Internes
Opérents de l’attachement, conservés dans la mémoire implicite.
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Quand, dans l’intersubjectivité des personnes échangent entre elles, la mémoire implicite est
mise en jeu à deux niveaux.

il y a d’abord ce que FOGEL a nommé la " mémoire implicite régulatrice ". C’est en
somme celle qui donne la tonalité des échanges. Elle est responsable de l’expression
d’un climat, d’une ambiance, de ce qui donne sa coloration à l’expérience. Elle
conditionne dans les échanges les attitudes entre les partenaires, qui sont pour
chacun, à la fois des réponses données à autrui, et des informations sur son propre
état. Cette mémoire est à l’œuvre dans les interactions précoces, mais tout autant
dans les interactions qui jalonnent l’ensemble de l’existence entre proches. Par
exemple dans un couple, se créé au début de sa constitution un ensemble
d’ajustements interactionnels automatiques, une plus ou moins grande capacité à
s’accorder à la gestuelle et aux attitudes de l’autre, à mettre en place des routines, des
habitudes, un ensemble de comportements effectués par les partenaires,
machinalement, sans y penser. Des " schémas transactionnels automatisés " qui
confèrent une "connaissance relationnelle implicite".
La mémoire implicite qui régule ici les échanges est en rapport avec une
connaissance "sémiotique du monde".

" La mémoire implicite participative " implique quant à elle des connexions avec les
autres formes de mémoire, celles qui relèvent d’une " connaissance sémantique du
monde " grâce à la médiation du langage. Il s’agit ici notamment de la mise en jeu de
ces souvenirs pré-conscients déjà évoqués plus haut. Une ambiance particulière, les
éléments d’une conversation, un ensemble de données perceptives, un contexte
particulier, certaines circonstances réactivent des souvenirs et expériences du passé.
Il peut arriver qu’une telle réactivation soit émotionnelle et comportementale, sans
pour autant que des souvenirs conscients puissent être évoqués. Ce qui est alors
réactivé ne repose pas sur une articulation entre mémoire épisodique et mémoire
implicite (articulation qui repose sur la fonctionnalité des aires corticales droite et
gauche). La réactivation utilise ici une voie réflexe sous corticale, et concerne des
éléments qui, dans un traumatisme précoce n’ont pas pu faire l’objet d’un traitement
cortical.
Je donne un exemple de la mise en jeu de l’implicite et de ses connexions avec la
mémoire, avec l’extrait d’une séance de thérapie familiale :
Au détour de la conversation, comme incidemment, une mère évoque avec le
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thérapeute sa surprise à constater que son fils, âgé de 14 ans, au sujet duquel la
consultation familiale est entreprise, à tendance le soir à s’isoler pour pleurer. Ce
garçon, instable, désobéissant, volontiers grossier et insultant, avec d’importants
problèmes scolaires est depuis le début de la consultation avachi dans le fauteuil, les
jambes écartées devant lui. Et voilà qu’on apprend qu’il pleure le soir, tout seul dans
son coin. Invité à s’exprimer, il indique se faire beaucoup de soucis pour son père.
Celui-ci a été victime, il y a quelques mois, d’un grave accident cardiaque. Le
pronostic vital a été engagé. L’adolescent a pensé que son père allait mourir. Pendant
qu’il parle, il se redresse dans son fauteuil. Son visage se crispe. Il est tendu,
manifestement ému et mal à l’aise. Le père, assis à côté de lui, le regarde
attentivement en se frottant la poitrine du côté du cœur. La mère et la sœur aînée ne
manifestent aucun changement apparent dans leurs propres attitudes émotionnelles.
Ainsi en deçà des mots de la conversation, des souvenirs émotionnels sont fortement
mobilisés chez le fils et son père. La thérapeute, elle-même mal à l’aise, ne cherche
pas à prolonger cet échange. Elle passe à un autre sujet et aborde certains éléments
factuels de la vie quotidienne en s’intéressant à l’échec au Baccalauréat de la sœur.
Mais pendant ce temps, l’adolescent demeure prostré, recroquevillé. Il se tient la tête
dans les mains, penché vers le sol, manifestement en proie à un vécu émotionnel
intense. Son père continue de se frotter la poitrine en surveillant parfois son fils du
coin de l’œil, mais paraissant le plus souvent " absent ", " ailleurs ".
Puis, au bout d’un assez long moment, l’adolescent se redresse, reprend sa position
nonchalante du début, manifestement libéré en partie de ce qu’il vient de vivre. Le
père pousse un soupir, arrête de se frotter la poitrine, et pour la première fois
s’intéresse à la conversation des femmes.
On peut évoquer ici une séance au cours de laquelle une partition s’est jouée à
plusieurs voix, verbale et non-verbale.
La mémoire implicite a mobilisé, au plan non-verbal des émotions à la fois
personnelles et interactives, liées au risque de mort et de perte, échangées entre père
et fils, esquivées par la mère, la fille et le thérapeute.
Si je donne cet exemple, c’est pour montrer l’intérêt thérapeutique que revêt le
repérage de certains aspects de l’expérience intersubjective où la mémoire implicite
est mise en jeu. Ceux-ci sont alors susceptibles de faire l’objet d’un travail de
mentalisation et d’intégration à la vie psychique consciente. Nous allons voir dans
quelques instants ce que nous pouvons en faire chez l’âgé.
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D/ Mais nous avons d’abord besoin d’évoquer encore une autre dimension de la mémoire
implicite à laquelle nous introduit la mémoire relationnelle : il s’agit de l’implicite collectif et
de ses connexions avec la mémoire sémantique.
Il est question ici d’un passage entre mémoire individuelle et mémoire collective. Notre
mémoire personnelle fonctionne et se construit grâce à la mémoire des autres. Ce que nous
retenons et ce que nous oublions nous viennent pour une part des autres, sans que nous en
soyons conscients. Ainsi par exemple, sans que personne ne nous disent quoi que ce soit, nous
savons comment nous devons raconter certaines choses dans une famille, et aussi comment
nous devons éviter de raconter certaines choses. Collectivement certains souvenirs sont
retenus, organisés pour constituer une histoire familiale, et au-delà sociale, tandis que d’autres
sont oubliés. Pour nous souvenir, nous puisons sans le savoir dans le stock des représentations
collectives qui ont trait aux expériences collectives accumulées en un savoir sémantique ou
chacun puise pour alimenter sa mémoire personnelle. Cela se fait de manière automatique, non
intentionnelle.
On peut retenir en somme une mémoire contextuelle. Elle peut porter sur des lieux, des objets,
des documents de diverses natures susceptibles d’alimenter de manière implicite la mémoire
de chacun. Il en est de même pour de grands événements constitutifs de l’histoire d’une
communauté, d’une nation, qui alimentent et organisent la mémoire de chacun.
II – Les systèmes mnésiques :
Nous venons donc sommairement de rappeler les principaux aspects de la mémoire implicite,
les différentes formes de mémoire non conscientes. Nous pouvons maintenant mieux situer
leur place au sein des systèmes mnésiques.
Nous pouvons avoir recours à deux modèles différents.
A/ Nous pouvons adopter un modèle développemental, une compréhension diachronique de la
mémoire, comme le fait TULVING, en considérant un système mnésique hiérarchisé
progressivement mis en place par la sélection de l’évolution au cours de la phylogenèse, et
dans l’ontogenèse.
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Ainsi :

la mémoire procédurale apparaît comme la mémoire de base, le socle, la mémoire de
l’aube de l’espèce comme celle du début de la vie. C’est par conséquent une
mémoire très solide.

la mémoire à court terme apparaît avec les effets d’amorçage perceptifs. Elle est en
somme dérivée de la précédente.

puis la mémoire sémantique, celle qui permet d’insérer l’expérience dans le contexte
des connaissances générales sur le monde est un sous-système de la mémoire
procédurale apparue plus tardivement au cours de la phylogenèse, comme au cours
de l’ontogenèse, car elle suppose des capacités de représentions et des relations de
sens et de significations dans les expériences vécues.

puis la mémoire épisodique apparaît, encore plus tardivement, comme un soussystème spécialisé de la mémoire sémantique. Elle suppose une connaissance autonoétique, l’organisation de récits à partir de situations, d’événements caractérisant la
singularité de l’existence de chacun. Remarquons qu’il faut attendre l’âge de 6-7 ans
pour qu’un enfant soit en capacité d’organiser son existence en récit dans une
mémoire autobiographique.
Ce modèle nous permet de comprendre une complexification progressive de la
mémoire au fur et à mesure de l’évolution et du développement.
B/ Mais nous pouvons maintenant retenir le modèle de SQUIRE : celui-ci est synchronique et
nous permet de saisir le fonctionnement en parallèle de la mémoire déclarative, explicite,
verbale, consciente ; et de la mémoire non-déclarative, non-verbale, non-consciente, implicite.
Si nous croisons avec le modèle précédent, nous pouvons dire qu’au cours de l’ontogenèse,
nous allons de l’implicite à l’explicite, mais le mode de fonctionnement de la mémoire
implicite ne disparaît pas avec le fonctionnement explicite ; il se poursuit, de sorte que
l’explicite et l’implicite, coexistent et entretiennent entre eux des rapports complexes
susceptibles d’ailleurs d’évoluer avec l’âge.
On retiendra que la mémoire déclarative repose sur la connaissance verbale du monde et nous
permet une approche analytique et raisonnée de notre expérience que nous pouvons transmettre
aux autres. Nous construisons notre futur grâce à notre mémoire. Mais nous devons retenir
aussi une mémoire silencieuse, née d’une connaissance du monde différente de la précédente
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mais qui l’accompagne en permanence. Elle est appuyée, non pas sur l’organisation des
souvenirs, mais sur les remémorations automatiques, la conservation de connaissances nonverbales, analogiques, globales, les traces émotionnelles des expériences vécues, notamment
dans la vie intersubjective.
On a tendance aujourd’hui à considérer que c’est cette appréhension diffuse et implicite du
monde conservée en mémoire qui alimente la pensée et façonne le langage.
Cette manière de voir nous conduit à des perspectives intéressantes concernant le Soi et la
construction de l’identité.
Si d’un côté le Soi s’alimente constamment des interactions avec l’environnement, il réalise
d’un autre côté une permanence, une stabilité, en même temps qu’une singularité.
Celle-ci est sans doute permise par ce qui se conserve de l’expérience vécue sans que nous
ayons à y réfléchir.
Le proto-soi (DAMASIO) correspond aux espaces les plus stables de la structure physique de
l’organisme. C’est en somme le corps senti dans ses états primordiaux. Puis DAMASIO a
nommé le " Soi noyau ", celui qui correspond en somme aux " formes dynamiques " de vitalité
dont parle D. STERN, conservées en mémoire implicite à un niveau sous-cortical.
C’est sur les bases de ce "Soi-noyau", fortement tributaire de la qualité des interactions avec
les figures de soins, que se construit un "Soi narratif " ou "Soi autobiographique", à partir de la
capacité consciente d’organiser en récit des expériences vécues qui, du même coup prennent
sens.
La construction du Soi est donc tributaire de la hiérarchisation et de la complexification de la
mémoire, puis d’un fonctionnement sur les deux scènes simultanées de l’explicite et de
l’implicite. Un couplage fonctionnel s’établit entre ces deux scènes lorsque la régulation
émotionnelle et relationnelle est suffisamment cohérente et de bonne qualité comme celle qui
conduit à l’attachement sécure.
Ce couplage est plus problématique dans les attachements insécures. Il devient même
franchement dysfonctionnel dans le traumatisme et dans l’attachement désorganisé, au point
sans doute que puisse s’opérer un découplage et que la conscience se trouve alors envahie par
des éprouvés tellement intenses que celui qui les vit est soudainement coupé de son
environnement externe comme on peut le constater lors d’une expérience dissociative.
On observe aussi un découplage entre mémoire explicite et mémoire implicite dans les
altérations neuro-dégénératives de la mémoire. C’est de cette manière que dans la maladie
d’Alzheimer, la mémoire déclarative se trouve altérée et laisse place à certaines résurgences
d’un passé conservé en mémoire implicite.
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III – Mémoire implicite et interactions tardives :
Ce que je viens de dire peut recevoir diverses applications dans la pratique clinique lorsqu’il
est question du traitement des conséquences traumatiques de certaines situations, dans la prise
en charge de certaines difficultés chez les enfants et les adolescents en panne de mentalisation,
dans l’abord thérapeutique des personnalités " États-limites ", dans les thérapies familiales. Je
ne m’arrêterai pas sur ces diverses situations. Je me consacrerai à ce qui est en jeu dans les
" interactions tardives ". je rappelle qu’avec A. LEJEUNE et B. CYRULNIK nous désignons
par là des interactions qui de manière comparables aux interactions précoces mais pour
d’autres raisons privilégient le monde non-verbal.
Lors des interactions précoces l’appétence intersubjective du nourrisson entraîne ses figures de
soins dans les échanges. Celles-ci en général se montrent sensibles à l’expression de ses
besoins et n’éprouvent pas de difficultés majeures à répondre dans le registre non-verbal, tout
en accompagnant les gestes par des mots qui les désignent ainsi que les émotions qui les soustendent. C’est de cette manière que l’enfant entre peu à peu dans le monde du langage au fur et
à mesure du développement de ses capacités cognitives.
Chez l’âgé, et à plus forte raison, un âgé aux capacités cognitives altérées, les compétences
intersubjectives ont besoin d’être stimulées par l’engagement de proches capables
d’accompagner l’expression verbale, par des gestes, des attitudes, une corporéité soutenante et
invitant au partage, tout un ensemble susceptible d’activer, de mobiliser le monde analogique,
non-verbal.
Dans ces conditions la mémoire implicite est spécialement sollicitée, de 3 manières :

la résurgence par les expériences du présent d’une histoire déjà écrite, mais qui tend
à être oubliée dans le registre explicite.

la réactivation de formes de mémoire impliquées dans les expériences sensorielles et
affectives du passé.

le maintien de capacités de mémorisation en mémoire implicite, de certaines
expériences vécues dans la vie présente.
A/ La résurgence ou la reviviscence d’une histoire écrite mais oubliée :
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Chez le jeune enfant, les expériences qu’il vit permettent de retenir, " d’écrire " une histoire
émotionnelle sous forme de traces conservées en mémoire implicite.
Tandis que chez l’âgé, l’histoire est écrite grâce à la forme langagière qu’ont prises les
expériences vécues. Les déficits plus ou moins marqués de la mémoire déclarative conduisent
à des difficultés à retrouver volontairement les éléments de cette histoire. C’est un peu comme
s’ils étaient déposés dans un lieu auquel il ne serait plus possible d’accéder parce qu’on aurait
perdu la clef. Mais des expériences du présent viennent parfois remobiliser ce qui demeure
ainsi enfoui du passé, permettant des comportements adaptés, des expressions pertinentes, des
évocations inattendues de souvenirs chez des personnes pourtant gravement atteintes.
On a pu ainsi décrire des phénomènes de résurgence lorsque surgissait dans la conscience,
indépendamment de toute volonté des événements traumatiques du passé, des fragments
d’expérience qui font irruption, de manière tenace, des images flash, dans un contexte
émotionnel envahissant et accompagnées d’effets désorganisateurs. Le terme de résurgence
comme l’on dit à propos d’une rivière après un parcours souterrain invisible semble ici
spécialement approprié. Peut être pourrait-on réserver le terme de reviviscence, pour désigner
plus particulièrement ce qui se remet à vivre dans une mémoire endormie pourvu que des
interactions l’animent à nouveau. Il ne s’agit pas alors du surgissement intrusif d’expériences
émotionnelles à caractère traumatique. C’est plutôt que certains aspects des expériences
passées reprennent des couleurs par un effet d’amorçage lié aux expériences du présent. L’âgé
retrouve les paroles d’une chanson, une histoire. La plupart du temps c’est dans une interaction
positive et stimulante avec un interlocuteur que cela se produit ; et la plupart du temps les
paroles sont accompagnées d’une réactivation de l’expression corporelle, d’une gestuelle,
d’une attitude susceptibles de dire autant que les mots.
Mais remarquons ici combien les alternatives à la parole prennent de l’importance, et d’autant
plus si nous considérons des personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives.
B/ La réactivation de la mémoire non-verbale :
Il s’agit ici d’un aspect majeur, encore insuffisamment développé dans les pratiques soignantes
et donnant accès au monde de l’âgé et aux échanges avec lui.
Dans les établissements d’accueil et de soins on développe des activités ou plutôt des
animations. Ces dernières ont surtout le plus habituellement, une visée occupationnelle. C’est
toujours mieux d’avoir un atelier musique ou chanson, ou danse, ou autre chose que de laisser
les personnes inertes et passives dans leur fauteuil. Mais il me semble qu’il est souhaitable
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d’être plus ambitieux et d’avoir une visée plus thérapeutique en stimulant notamment la
mémoire implicite des personnes concernées. L’utilisation de certains objets médiateurs dans
les échanges avec l’âgé est alors susceptible de prendre une signification particulière, pour tel
ou tel, compte tenu de son histoire personnelle. L’objet est alors l’occasion d’une réactivation
dont on peut situer sans doute l’importance en ayant recours à ce que WINNICOTT a nommé
aire transitionnelle dans l’interaction mère-enfant.
Développer une activité cuisine peut n’avoir aucun intérêt pour une femme qui, autrefois, avait
horreur de préparer les repas. Il n’en va pas de même pour une cuisinière.
Faire du jardinage avec quelqu’un qui a passé toute sa vie en appartement peut être l’occasion
d’une découverte, pour peu qu’il dispose encore d’assez bonnes capacités cognitives et d’un
esprit curieux. Mais le plus souvent, et pour peu qu’il ait des déficits cognitifs marqués, il lui
sera difficile de s’intéresser à une activité inconnue pour lui.
En tous cas, dans l’optique qui nous intéresse aujourd’hui, toute une série d’objets médiateurs,
peuvent être utilisés avec la visée d’une remise en connexion avec le passé ; moyen, alors de
réanimer un âgé dont la pente naturelle est de se désanimer.
1/ Ainsi si nous prenons la musique :
Il s’agit là d’une forme sensorielle et expressive qui permet une expérience globale activant un
monde de représentations, d’émotions, d’images, de rythmes, de mouvements, un partage en
deçà et au-delà des mots, un vécu interactionnel de première importance. Mais on peut
l’utiliser de différentes manières.

ce peut être seulement pour créer un climat, une ambiance, en permettant à la fois un
éveil et un apaisement.

ce peut être une visée d’animation,

mais elle peut être bien davantage lorsqu’elle mobilise ce qui a déjà été entendu,
ressenti dans le passé, y compris dans les premières étapes de l’enfance. Certains
souvenirs, certaines expériences émotionnelles peuvent être réactivées. La musique
peut alors aider un soignant attentif à reconnecter la personne avec son passé, à le
relier à nouveau à son histoire. L’échange avec lui prend un sens. Avec le sens le
patient prend une nouvelle consistance identitaire.
Ainsi différentes mémoires perceptives peuvent être mises en mouvement, et avec
elles des pans de l’histoire singulière de chacun.
2/ L’olfaction, par exemple, fait aujourd’hui l’objet de certains travaux. L’odeur fait partie des
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expériences contextuelles qui accompagnent les événements du passé. Nous avons en général
une bonne aptitude à conserver une mémoire vivace (sans doute parce qu’en place très
précocement) des odeurs et des saveurs acquises dans l’enfance. L’odeur accompagne les
premières expériences d’attachement. Ainsi le rappel des souvenirs est facilité par la
présentation d’odeurs. On commence à utiliser des séances olfactives à visée thérapeutique.
PIERRON-ROBINET pratique des rencontres à médiation olfactive au cours desquelles le
patient est invité, individuellement à sentir " à l’aveugle " différentes essences naturelles grâce
à des mouillettes. L’auteur tente ici de lier verbalement avec le patient les contenus évoqués
(sensation-couleur-effluves) dans une représentation imagée. Il devient ensuite possible de
raconter une histoire à propos de cette odeur, et on peut accompagner cette histoire par un
modelage et un dessin.
3/ L’activité gustative est une autre manière de mobiliser la mémoire implicite. On sait la place
qu’a prise, dans son souvenir, la madeleine de PROUST. Ce dernier écrivait notamment :
" l’odeur et la saveur restent encore longtemps sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir,
l’édification immense du souvenir ". On sait aussi aujourd’hui l’engouement pour la cuisine
dans notre pays. Il est singulier que jusqu’à maintenant, on n’ait pas davantage utiliser cette
dimension pour médiatiser les échanges avec les personnes âgées. Au lieu de leur présenter des
repas insipides et sans saveur, ayant par ailleurs toutes les garanties hygiéniques que procurent
les plateaux lyophilisés, il y a sans aucun doute place pour des séances à visée thérapeutique,
au cours desquelles la présentation de plats cuisinés ou la reconnaissance de saveurs, ainsi que
la participation à la confection de repas peut mobiliser des impressions-sensations-émotions
susceptibles d’aider à la réanimation de souvenirs personnels et familiaux, d’événements du
passé jusque là enfouis.
Une nouvelle fois des reprises verbales sont alors possibles, permettant de nouvelles
inscriptions dans des rapports de sens et de significations.
4/ On peut évoquer la mémoire du toucher. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la mémoire de Mr
ANGOTTI sur l’approche haptopsychothérapique.
On peut penser que ce qui dans cette technique est appelé " contact thymotactile " vise à
recueillir, au niveau des parties touchées, une mémoire implicite, où se mêlent au niveau des
corps les plaisirs et les meurtrissures, sans doute une mémoire globale, liée à " ces formes de
vitalité " dont parle D. STERN, ranimées par ce que les praticiens de cette technique nomment
" l’appel affectif " suscité par le contact.
Au fond, il est toujours question dans ces approches utilisant la sensorialité et la perception
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d’une mobilisation de ce monde implicite global évoqué depuis le début, c’est-à-dire où les
différentes formes de la connaissance sont associées, amalgamées ensemble.
On s’en aperçoit tout spécialement lorsqu’on utilise dans cette même visée médiatrice que je
viens d’évoquer, cet objet très particulier qu’est l’animal.
5/ On fait tout et n’importe quoi avec l’animal. On fait des choses qui sont susceptibles de faire
mal à l’animal et qui sont sans intérêt pour les patients.
Dans l’optique qui nous intéresse l’utilisation du chien présente un intérêt particulier, pour peu
qu’il s’agisse d’un travail bien pensé dans une optique thérapeutique.
Ainsi TIBET introduit auprès de patients ALZHEIMER un chien ayant connu auparavant deux
ans d’apprentissage au sein de l’Association Nationale d’Éducation des Chiens d’Assistance
aux Handicapés. Il s’agit de séances hebdomadaires de 30 minutes, au cours desquelles le
contact physique avec le chien, les caresses, mobilisent la communication émotionnelle, un
certain plaisir à échanger dans le triangle constitué par le patient, l’animal et le soignant. Non
seulement l’animal éveille le patient aux émotions, mais par là même il facilite l’échange entre
soignant et patient. Des bribes d’histoire, des souvenirs resurgissent liés à des expériences
enfouies en mémoire procédurale et réactivées par les expériences sensori-motrices et
perceptives expérimentées dans la relation avec le chien.
Ce que nous montrent toutes ces initiatives thérapeutiques, c’est la possibilité de réactivation
de la mémoire implicite à partir de mobilisations émotionnelles, ce qui dans un deuxième
temps permet des reprises verbales et la remise en jeu d’une mémoire auto-biographique même
très altérée.
Mais il nous reste encore à évoquer un 3ème aspect.
C/ Le fonctionnement actuel des mécanismes de mémorisation :
La mise en mémoire de la vie présente demeure possible. C’est une mise en mémoire implicite
qui fonctionne à l’insu de celui qui est concerné.
On a toujours tendance à porter l’attention sur la réactivation de souvenirs implicites liée à un
passé ancien. Mais qu’en est-il du juste passé. Chez un patient à la mémoire très altérée reste-til quelque chose de ce qu’il vit au quotidien. La réponse est non si on considère la mémoire
explicite dans ses différentes formes, et à plus forte raison pour la mémoire de travail. C’est
précisément ces pertes de mémoire qui orientent vers le diagnostic d’ALZHEIMER.
Mais la réponse est oui si on considère la mémoire implicite ou en tous cas certains de ces
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aspects. Il existe une mémoire implicite à court terme, mise en fonctionnement notamment par
les émotions et les interactions dans l’intersubjectivité.
Dans ces cas le contenu de l’expérience est oublié. Mais la forme ou quelque chose de la forme
reste. Il n’y a plus rien dans le flacon, mais le flacon demeure, et cela revêt une grande
importance pour la suite des échanges.
J’en ai eu récemment la preuve par la constatation faite par deux étudiantes du DU
D’ÉTHOLOGIE que nous animons avec B. CYRULNIK à TOULON. Ces deux étudiantes ont
entrepris de rencontrer des malades d’ALZHEIMER et de mettre en évidence les phénomènes
de reviviscence à partir des amorçages suscités au cours d’échanges verbaux. Elles ont passé
beaucoup de temps avec les patientes en les rencontrant à plusieurs reprises. Elles étaient
accueillies par des sourires, l’expression d’un certain contentement, même après un intervalle
de 15 jours ou 3 semaines. Une familiarité se dégage de l’accueil qui n’existait pas au début.
Ces patientes ne reconnaissaient pas ces personnes, mais elles savaient sans le savoir qui elles
étaient. On peut dire que les échanges au quotidien avec des malades ALZHEIMER font
traces. Il en reste des impressions, des sensations, une connaissance diffuse conservée en
mémoire implicite et procédurale, pourvu que ces échanges soient suffisamment chargées
émotionnellement. Ainsi les expériences interactionnelles satisfaisantes et positives laissent en
mémoire une tonalité agréable réactivée lors de la prochaine rencontre. Il est alors beaucoup
plus possible que s’opère des reprises verbales mobilisant des pans de mémoire
autobiographiques. Les expériences interactionnelles négatives vont laisser en mémoire une
tonalité désagréable peut mobilisatrice lors de rencontres ultérieures. Quant aux expériences
neutres, on peut faire le pari qu’elles ne laissent rien en mémoire. La mémoire ne conserve que
ce qui fait saillance, ce qui prend forme sur le fond.
En fait, les choses sont encore probablement un peu plus complexes, car ce qui se met en
mémoire de l’expérience présente vient rencontrer ce qui est conservé de plus ancien, de même
que ce passé plus ancien oriente pour une part les interactions du présent, je dis pour une part,
car une autre part tient aux caractéristiques de l’interlocuteur du présent.
Ces réflexions me conduisent à terminer sur des considérations concernant l’attachement.
IV – Conclusion : la place de l’attachement :
Les qualités particulières de l’attachement construit par les personnes repose sur le socle de la
mémoire procédurale, celle qui est liée à l’expression corporelle et comportementale des
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interactions précoces.
Le vieillissement est l’occasion de la réactivation dans le présent des besoins d’attachement
liés au contexte d’insécurité souvent ressenti par l’âgé. Mais cette réactivation des besoins
dans le présent réactive en même temps ce qui a été construit dans le passé. Ainsi, quand dans
les M.I.O qui caractérisent les représentations d’attachement, il ne reste plus grand chose des
mémoires épisodiques et sémantiques altérées, c’est le registre implicite qui demeure, le socle
procédural qui s’exprime. Ainsi ce sont des besoins infantiles que le patient est susceptible
d’exprimer sur un mode non-verbal, besoins infantiles de contacts, de proximité physique, de
présence, besoins infantiles dans des situations clefs comme le lever, le coucher, la toilette,
l’alimentation.
Dans ces conditions les interactions actuelles sont susceptibles d’être pour une part orientées
par la réactivation du socle procédural des interactions anciennes. Mais les réponses actuelles
apportées par le CAREGIVER laisse des traces qui viennent rencontrer celles déjà existantes.
C’est de cette manière, me semble-t-il, qu’une soignante peut être prise par un patient pour sa
mère, ou qu’un enfant est pris pour le parent de son parent, ou plus généralement pour une
figure d’attachement de l’enfance du sujet.
Dans ce cas de figure un parent âgé est conduit à manifester des besoins à un enfant devenu
son parent. Il risque alors de formuler ses attentes selon des modalités construites dans sa
propre enfance, tandis que l’enfant s’il est insécurisé par la situation, est susceptible de son
côté d’activer ses propres besoins d’attachement, des attentes en tous cas, qui peuvent se
conflictualiser avec les nécessités du CAREGIVING exigées par la situation actuelle.
Nous devons donc nous souvenir explicitement, pouvons nous dire que les interactions
actuelles avec les âgés, et tout spécialement quand leur mémoire déclarative est altérée,
laissent trace dans leur mémoire implicite, traces susceptibles :

d’une part d’orienter les relations futures entre eux et nous,

d’autre part de se connecter aux traces d’un passé plus ancien. Nous avons à en tenir
grand compte si nous voulons sécuriser les attachements insécures qui peuvent être
réactivés.
Cela
nécessite
que
nous
sachions
avec
l’âgé
mentaliser
les
expériences qu’il vit, compte tenu de ce que nous connaissons de lui et de son passé,
ravivé par le fonctionnement de sa mémoire implicite.
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