Le niveau d`investissement optimal dans l`innovation agricole[1]

Le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole
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Johannes Roseboom, conseil en politique d’innovation, Pays-Bas
Les responsables politiques doivent non seulement prendre des décisions concernant la
nécessité d’un soutien gouvernemental, mais également se prononcer sur l’ampleur de
ce soutien et sa forme (déductions fiscales, subventions ou fourniture directe de
services).
La méthode la plus courante pour évaluer le niveau d’investissement gouvernemental
dans l’innovation agricole est celle du benchmarking. En dépit de son utilisation
extensive, le benchmarking est un outil assez médiocre car il n’a aucun fondement
théorique. Il tend à renforcer le statu quo, même si celui-là n'est pas optimal. Par
exemple, bon nombre d'économistes ont affirmé (en s’appuyant sur de nombreux
éléments tirés de centaines d’études ex post sur les taux de rendement de la recherche
agricole et les projets de vulgarisation) que l’innovation agricole souffre d’un grave
manque d’investissements.
En quête de la réponse théorique, il est possible d’utiliser ce simple modèle économique
pour déterminer le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole. Il
comporte trois étapes, à savoir :
1. Calculer, à l’aide d’une technique d’analyse classique coût-avantage, pour toutes
les propositions de projets d’innovation, le taux de rendement attendu. Pour une
série de propositions de projets liés à l’innovation agricole, la distribution de ces
taux prendra probablement la forme d’une courbe descendante seules quelques
propositions de projets possèdent un fort taux de rendement attendu tandis que
beaucoup présentent un taux faible ou négatif.
2. Sélectionner parmi les projets ciblant le même problème ou la même opportuni
celui qui présente le plus fort taux de rendement attendu (c’est-à-dire éliminer
toute redondance des efforts).
3. Parmi les projets restants, financer tous ceux dont le taux de rendement attendu
est supérieur au taux minimum (tel que fixé par le financeur public ou privé). Le
budget optimal peut alors être calculé comme la somme des budgets de tous les
projets dépassant le taux minimum.
Dans les faits, cependant, la sélection des projets d’innovation agricole se fait rarement
en adoptant cette méthodologie strictement rationnelle et économique. Dans le secteur
public (qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays développés), le calcul d’un
taux de rendement attendu pour chaque proposition de projet d’innovation agricole est
une pratique plutôt inhabituelle
2
. Les propositions de projets sont au mieux évaluées et
classées sur la base de critères multiples dont la plupart témoignent toutefois d’une
1
Il s’agit de la deuxième partie d’une série de trois articles. Voir également « Investir
dans l’innovation agricole : une perspective d’économie de marché » et « Optimiser les
investissements publics et privés dans l’innovation agricole : les implications en termes
de politique » du même auteur.
2
Les gens ont tendance à penser que le calcul du taux de rendement attendu d’un projet
d’innovation agricole est difficile et coûteux. Dans une large mesure, cela est dû à un
manque d’expérience et d’expertise vis-à-vis de ce type de calculs. Mais ceux-ci ont
l’avantage d’imposer une quantification des variables pertinentes. Cela permet de révéler
les hypothèses et les incertitudes sous-jacentes. Dans le secteur privé, le recours à
l’analyse coût-avantage et la sélection de projets (d’innovation) sur la base du taux de
rendement attendu sont une pratique beaucoup plus répandue.
certaine forme de rationalité économique. Le classement des propositions de projets qui
en découle n’est pas parfait, mais peut tout de même être accepté comme un
rapprochement raisonnable du classement économique. Le problème majeur reste qu’un
tel classement ne propose pas de ligne de démarcation claire. C’est en effet le budget
disponible qui détermine le nombre de projets pouvant être financés et l’on ne sait pas si
ce budget répond aux objectifs, ni s’il est en dessous ou au-dessus du niveau
d’investissement optimal.
Un autre problème que l’on retrouve souvent consiste à s’écarter du classement afin
d’obtenir un éventail politiquement acceptable de projets sélectionnés couvrant
différentes matières premières, thèmes, zones géographiques et organismes
d’exécution. Avec cette méthode, les propositions figurant en haut du classement sont
abandonnées au profit de projets moins bien classés, ce qui réduit la rentabilité globale
de la série de projets sélectionnés.
Différence entre optimum public et privé
Selon que l’évaluation d’une série de propositions de projets est menée dans une
perspective publique ou privée, le résultat (en termes de projets sélectionnés et de
dotation budgétaire optimale) sera différent. Deux facteurs sont à l’origine de cette
différence :
1. Le taux de rendement minimal utilisé par le secteur privé (de l’ordre de 15 à
20 %) est sensiblement plus élevé que le taux utilisé par l'État (environ 6 % dans
les pays développés et 12 % dans les pays en développement). Cela peut
s’expliquer par le fait que l’emprunt de fonds revient généralement plus cher au
secteur privé. De plus, ce dernier ajoute une marge bénéficiaire conséquente en
complément du taux d’intérêt.
2. Dans le calcul du taux de rendement attendu d’un projet d’innovation, le flux
d'avantages tel que déterminé par le secteur public comprend à la fois les
avantages pour le producteur et le consommateur, tandis que le flux d'avantages
tel que déterminé par le secteur privé (ou par un organisme agissant en son
nom) ne prend en compte que les avantages pour le producteur. Les coûts des
projets sont les mêmes dans les deux cas de figure. Par conséquent, le même
projet d’innovation présente un taux de rendement attendu plus élevé lorsqu’il
est évalué d’un point de vue macro-économique (celui du planificateur central)
que s'il est évalué d’un point de vue micro-économique (celui de l’entreprise
privée). De plus, le classement relatif des projets sera également affecté les
projets qui génèrent des avantages surtout pour le consommateur seront moins
bien notés dans le classement privé. L’un dans l’autre, on peut s’attendre à ce
que le niveau d’investissement privé optimal soit inférieur à celui du public. Cela
constitue un argument de poids en faveur de subventions pour l’innovation privée
dans une économie de marché. Du point de vue du secteur privé, de telles
subventions réduisent les coûts des projets d’innovation et augmentent donc leur
taux de rendement attendu. Ainsi, un nombre supérieur de propositions de
projets dépassera le taux de rendement minimal privé, ce qui réduira l’écart entre
les niveaux d’investissement optimaux du privé et du public.
L’offre de projets d’innovation
La sélection économique de propositions de projets d’innovation agricole telle que nous
venons de la présenter ne s’applique qu’aux propositions qui sont soumises pour
évaluation. À cet égard, l’optimum calculé est celui qui est fondé sur la capacité
d’innovation humaine (en termes de chercheurs, de spécialistes de la vulgarisation, etc.)
et physique existante. Les décisions concernant le développement de cette capacité ne
peuvent être guidées par des projets individuels, mais relèvent du long terme et de la
stratégie. Par exemple, pour qu’un pays puisse tirer parti de la biotechnologie dans
l’agriculture, il doit réaliser un investissement de départ considérable dans les ressources
humaines et l’infrastructure physique avant qu’un quelconque projet concret de
biotechnologie ne voie le jour. De tels investissements exigent une capacité de prévision
stratégique exceptionnelle pour comprendre quelle direction prendra le développement
de la science et comment l’appliquer au profit du pays. Le montant des ressources qu’un
pays peut se permettre d’investir dans sa capacité d’innovation (agricole) dépend en
grande partie de son niveau de développement économique. Une aide financière
provenant de donateurs peut contribuer dans une certaine mesure à limiter le problème.
Cependant, il existe en parallèle divers facteurs structurels (souvent liés au niveau de
développement économique) qui influencent la rentabilité globale de l’innovation agricole
et donc la taille de l’investissement optimal. Comprendre ces facteurs structurels peut
aider à cerner et à mettre en œuvre des politiques susceptibles de les améliorer.
Certains des facteurs structurels les plus importants sont notamment :
1. Le niveau de connaissance technologique au sein du système d’innovation
agricole. Les politiques capables d’améliorer ce facteur comprennent
l’investissement dans la science fondamentale, l’éducation (tant au niveau
académique que pratique) et l’accès au savoir (par exemple l’investissement dans
l’infrastructure TIC).
2. Le niveau de risque et d’incertitude. Pour réduire le risque et l’incertitude, les
politiques doivent être axées sur : (a) une stabilité macroéconomique et politique
globale ; (b) un souci de clarté et de cohérence concernant les droits de propriété
intellectuelle, les normes en matière d’éthique, de produits et d’environnement
ainsi que toute autre mesure réglementaire pertinente ; et (c) le développement
de la capacité à anticiper les évolutions futures (études de veille technologique,
scénarios, feuilles de route, etc.).
3. De faibles économies d'échelle. Les politiques susceptibles d’avoir un impact
positif sur ce facteur sont notamment : (a) le renforcement de l’action collective
au sein du secteur agricole et des chaînes de valeur agricoles par le biais d’un
soutien législatif et financier ; et (b) une collaboration supranationale.
4. Une efficience et une efficacité faibles. Il conviendrait d’adopter des politiques
visant à améliorer la gestion et l’organisation des acteurs clés (recherche
agricole, vulgarisation, organisations d’agriculteurs, etc.) du système d’innovation
agricole.
5. Des comportements monopolistiques. Il manque aux monopoles d’État ou privés
l’intérêt économique (c’est-à-dire la concurrence) les poussant à innover. Les
politiques menant à l’ouverture des marchés d’intrants et d’extrants agricoles
doivent doter le système d’une concurrence nécessaire pour que l’innovation
décolle.
6. Des institutions et des infrastructures rurales faibles. Le manque de crédits et de
marchés ainsi que des coûts de transport élevés sont souvent pointés du doigt
lorsqu’on parle d’innovation agricole dans les pays en développement. Les
politiques qui tentent de remédier à ces problèmes contribuent à renforcer la
rentabilité des activités d’innovation agricole. Il est important d’agir
simultanément dans tous ces domaines afin de créer la plus grande synergie
possible.
Le point commun de tous ces facteurs structurels est qu’ils tendent à être liés au niveau
de développement économique. Plus l’économie est avancée, plus ces facteurs
structurels sont favorables. En d’autres termes, le budget d’innovation agricole optimal
n’est pas le même pour tous les pays (par exemple lorsqu’il est exprimé en pourcentage
du PIB agricole), mais a tendance à croître avec le développement économique. Cela
laisse à penser que se contenter d’investir de grosses sommes dans la capacité
d’innovation agricole à un stade précoce du développement économique (en espérant
que de nombreuses opportunités d’innovation rentables se présenteront) ne résoudra
pas le problème. Il est indispensable que les facteurs structurels fassent également
l’objet d’améliorations.
Conclusion
Dans cette partie, nous avons montré comment le niveau d’investissement optimal dans
l’innovation agricole peut être calculé à l’aide d’un modèle relativement simple. Ce
niveau optimal ne s’applique qu’aux activités d’innovation dont l’objectif principal est
l’impact économique (ce qui concerne la grande majorité des investissements). La
recherche fondamentale sort bien sûr du cadre de cette définition car son but premier
est de faire progresser les connaissances fondamentales.
Pour utiliser ce modèle économique, il est nécessaire d’effectuer une analyse coût-
avantage (et de la poursuivre avec un calcul du taux de rendement) pour chaque
proposition de projet. Dans la réalité des faits, cette pratique n’est pas (encore)
répandue dans le secteur public et notre relative ignorance persiste concernant le niveau
d’investissement optimal dans l’innovation agricole.
Les méthodes de sélection utilisées à l’heure actuelle (par exemple, celle qui recourt aux
critères multiples) sont loin d’être parfaites, mais devraient nous orienter vers une
sélection des projets d’innovation les plus prometteurs.
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