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Guillaume Le Blanc, « penser la fragilité », Revue Esprit, Mars-Avril 2006, p.249-263. 
 
Philosophe , professeur à l'université Michel de Montaigne, Bordeaux 3. A récemment 
publié  «  La  vie  psychique  de  la  maladie  »,  Esprit,  janvier  2006  et  l'Esprit  des  sciences 
humaines, Paris, Vrin, 2005. 
 
Avec Judith Butler (Voir à ce sujet Vie précaire, Paris, Éd. Amsterdam, 2005 et Humain, 
inhumain,  Paris,  Êd.  Amsterdam,  2005),  nous  pouvons  penser  que  les  formes  mêmes  de 
définition des limites de l'humanité ne sont pas assurées et qu'il existe dès lors une précarité 
fondamentale  dans  le  fait  même  d'être  humain  qui  mérite  d'être  exhibée  au  lieu  d'être 
contournée  au  profit  d'une  seule  enquête  ontologiques qui  se  restreindré  à  l'analyse  de  la 
"phénoménologie  de  l'homme  capable"  (Parcours  de  reconnaissance,  Paris  Stock,  2004, 
chap.II).  
 
Questonné comme une "ontologie de l'être et de la puissance" (Ricoeur, Soi-même comme un 
autre,  paris,  Le  seuil  1990.  p.352.)  en  tant  "qu'investigation  de  l'être  du  soi  à  la 
réapropriation  des  quatres  acceptations  primitives  de  l'être  qu'Aristote  place  sous  la 
distinction de lacte et de la puissance. Toutes nos analyses invitent à cette exploration dans la 
mesure où elles font signe en direction d'une certaine unité de l'agir humain" (ibid., p.351).  
 
Cette entrée oblitère  la  variablité  de figures  de  l'entrée dan l'humain  et ne  permet  pas  de 
revenir  sur  la  fragilité  anthropologique  de  l'inscription  dans  l'humain.  Portée  à  son  point  
extrême, la précarité désigne la reconduction de toute vie à la mort comme horizon ultime 
(G. Canguilhem, « Les maladies », dans Écrits sur la médecine, Paris, Le Seuil, 2002, p 47) 
C'est précisément vers cette interrogation que nous convie Ricoeur dans son analyse de la 
naissance et de la mort. Dans Soi-même comme  un autre, Ricœur  a souligné, à la  suite de 
Heidegger, la contemporanëité des deux interrogations : la « vie finissante » et la « vie com-
mençante  »  peuvent  être  placées  dans  un  jeu  de  miroirs  proprement  anthropologique  qui 
concerne, dans un même mouvement, la précarité de la vie et la précarité de l'humain. 
 
Heidegger,  Être  et  temps,  Paris,  Gallimard,  1986.  §  72  “le  Dasein  factice  existe  à  l'état 
naissant et c 'est dans la naissance qu’il meurt déjà aussi au sens ou son être est d'être vers la 
mort  [..  ]  c’est  dans  l’unité  de  l’être  jeté  et  de  lêtre  vers  la  mort,  qu’il    la  fuie  ou  qu'il  y 
marche, que s'entretiennent naissance et mort à la mesure du Dasein" p.438 à 439 
 
La réflexion sur le « droit à la vie » de l'embryon et la méditation sur la « vérité due aux 
mourants  (Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p.313-315) » laissent entendre une 
fragilité  de  la  définition  de  l'humain  dans  la  double  limite  de  son  apparition  et  de  sa 
disparition. Ricœur propose ainsi de compléter une phénoménologie des « capacités humaines 
»  par  une  ontologie  des  seuils  d'actualisation  de  l'humain  (ibid.  P.316).  Ce  qui  est 
particulièrement intéressant, c'est que cette ontologie des seuils rouvre ce qu'une ontologie de 
l'être pourrait trop rapidement refermer : replacé dans une ontologie des seuils, l'humain se 
voit repensé en sa précarité originelle, celle-là même qui affleure dans l'ambiguïté de toute 
apparition liée à l'engendrement et dans la violence de la disparition. 
Contre  toute  fermeture  ontologique  trop  rapide,  il  importe  de  considérer,  sur  un  plan 
également ontologique, que la vie humaine est précaire. Reprenant Canguilhem sur ce point 
pour  qui  «  l'existence  de  la  maladie  comme  fait  biologique  universel,  et  singulièrement 
comme épreuve existentielle chez l'homme, suscite une interrogation, jusqu'ici sans réponse