Que Vlo-Ve? Série 1 No 6 juillet 1975 pages 8-10 La Température: Une Collaboration d'Apollinaire et d'André Salmon DECAUDIN © DRESAT LA TEMPERATURE : UNE COLLABORATION D'APOLLINAIRE ET D'ANDRE SALMON Dans la «Deuxième Epoque» de ses Souvenirs sans fin, chapitre XI, Salmon passe en revue les pièces de théâtre qu'il écrivit, ou entreprit, en collaboration avec son ami Apollinaire. II y eut d'abord deux levers de rideau qu'avait reçus le directeur d'«un tout petit théâtre», mais qui ne furent pas joués, ledit théâtre ayant fermé ses portes un peu trop rapidement. «II m'apparaît, dit Salmon, que notre meilleur texte fut celui d'une vive facétie inspirée des événements dont Constantinople commençait d'être le théâtre : Omar ou les délices Becnadir. L'action se passait entre deux petites femmes et un Turc jeune, sinon déjà Jeune Turc, par une révolution de sérail haussé au rang de pacha. Guillaume voulut absolument ajouter un personnage de commissaire sous ce prétexte que dans les histoires des Mille et une nuits 'il y a toujours un portefaix'». Cette turquerie est perdue, mais non l'autre lever de rideau, intitulé 1a Température, dont un manuscrit, vraisemblablement établi par un copiste professionnel, a été déposé après la mort de Jacqueline Apollinaire à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Il n'a, selon toute apparence, jamais été représenté, hormis une diffusion à la radio française vers 1950. Toujours selon Salmon, Apollinaire en disait : «On se [8] serait donné un peu plus de peine, ça aurait pu faire de l'Henry Becque acceptable». A supposer que le mot soit exact, il ne devait pas avoir été prononcé sans une pointe d'ironie. Si en effet cette oeuvrette ne manque pas de savoir-faire, il faudrait beaucoup de présomption pour la rapprocher des Corbeaux, dont elle n'a pas la cruauté, ou de La Parisienne, qui est d'un comique autrement inquiétant. Il ne s'agit, en fait, que d'un sketch sans grande invention, ni psychologique, ni dramatique, fondé sur une anecdote simpliste : un convalescent s'attire les bonnes grâces de'son infirmière, maîtresse de son meilleur ami et emprunte à cet ami l'argent qui lui permettra de payer la jeune femme … Cet essai de jeunesse a du moins le mérite de nous rappeler la tentation du théâtre qui a constamment tenu Apollinaire. Il y avait eu A la cloche de bois, inspiré par l'aventure stavelotaine, qu'il avait espéré faire jouer en 1901, et qui a disparu. Il y a eu aussi, outre des projets qui, selon toute apparence, ne seront pas même amorcés, ou furent vite abandonnés, deux autres entreprises menées avec André Salmon. L'une, Le Marchand d'anchois, est une revue probablement écrite au début de 1906, dont nous avons deux actes de la main d'Apollinaire, pleins de fantaisie et de jeux verbaux. L'autre, une pièce sur Rousseau destinée à une représentation populaire lors des manifestations organisées en 1912 pour le bi-centenaire de sa naissance, dont Apollinaire a fait les actes I et III. Salmon l'avait-il achevée? Elle ne connut, en tout cas, ni les planches ni les tréteaux. Ce que nous connaissons du Marchand d'anchois est d'une veine purement apollinarienne, et il ne faut pas s'étonner que de nombreux passages en furent plus tard utilisés par le poète à des fins diverses. En revanche, les autres ébauches, tout autant que La Température, ne manqueront pas de surprendre -et peut-être de décevoir - les lecteurs des Mamelles de Tirésias et de Couleur du temps : mais ce serait oublier le caractère [9] 1 Que Vlo-Ve? Série 1 No 6 juillet 1975 pages 8-10 La Température: Une Collaboration d'Apollinaire et d'André Salmon DECAUDIN © DRESAT multiforme de l'esprit et de l'art d'Apollinaire. Michel DECAUDIN. [10] 2