Que Vlo-Ve? Série 3 No 1 janvier-mars 1991 pages 28-30
Comptes rendus READ, MERCIER et DECAUDIN
© DRESAT
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COMPTES RENDUS
Alberto MORAVIA, Le Voyage à Rome, traduit de l'italien pu René de Ceccarty. Paris,
Flammarion, 1989.
Pendant le vol, j'ai ouvert au hasard le recueil de poèmes de Guillaume
Apollinaire; mes yeux sont tombés sur un vers : «Te voici à Rome assis sous un néflier
du Japon»; et je me suis mis à rêvasser : pourquoi un néflier du Japon? Quel rapport cet
arbre asiatique pouvait-il bien avoir avec Rome? El puisque Apollinaire était mon modèle
et mon guide, que pourrait signifier dans mn existence, une fois que je serais arrivé à
Rome, le néflier du Japon?
Ainsi commence Le Voyage à Rome. roman qui figure parmi les derniers écrits d'Alberto
Moravia, décédé en septembre 1990? Mario, jeune poète parisien, retourne à Rome, où il a vécu
jusqu'à l'âge de cinq ans, afin d'y retrouver son père. Il s'y retrouve confronté plutôt au souvenir
d'une rencontre entre sa mère et un de ses amants, scène traumatisante dont il ne peut que
maintenant mesurer l'importance.
Le jeune homme s'estime poète, sans toutefois ressentir le besoin d'accoucher d'un seul
vers, car tous les poèmes qu'il aurait voulu écrire existent déjà, dans l'édition bon marché des
œuvres poétiques d'Apollinaire, qui ne le quitte jamais. Le récit de son retour vers les sources de
sa propre identité est donc émaillé de citations tirées de ce volume froissé et usé, paroles qui
viennent confirmer la correspondance déjà ressentie par Mario entre son esprit et celui de
Guillaume.
Dans cet hommage à Apollinaire, à la fois érotique et poétique, Moravia retrouve la voix
d'une garçon de vingt ans.
Peter READ
Gunnar HARDING, La Fabuleuse existence de Guillaume Apollinaire, traduit du suédois et
postface par Jacques Outin. Castelneau-le-Lez, Éditions Climats, 1990, avec le concoure du
Centre culturel suédois de Paris.
La «fortune» de l'oeuvre d'Apollinaire en Suède est un phénomène assez récent qui doit
beaucoup au poète-peintre-musicien Gunnar Harding, né en 1940, passionné de jazz, traducteur
et animateur de revues. Voici une biographie en trompe-l'œil, une suite de cinq chapitres qui
inscrivent dans l'imaginaire de l'auteur, plus que dans la linéarité historique, l'existence dite
fabuleuse de notre Poète. On a parlé d'une sorte de mimétisme dans la composition... Et il est
exact que Gunnar Harding nous raconte Apollinaire à la manière... d'Apollinaire, s'identifiant au
conteur, au chroniqueur et à l'amoureux. [28]
L'habileté et la séduction de ce texte doivent beaucoup à la poétique du fragment, sans
que le lecteur français en reçoive une impression de discontinuité, car tout en procédant par
juxtapositions (d'images, d'événements), Harding respecte la chronologie que nous connaissons.
Bien entendu, il en «rajoute» si l'on peut dire Supposer, par exemple, que l'éclat de schrapnell
qui atteignit au front Apollinaire avait pour initiateur - celui qui donna l'ordre de tir - «le
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caporal» qui deviendrait plus tard chancelier du IIIe Reich, le supposer si hardiment, c'est une
fantaisie, mais qui n'est peut-être pas sans arrière-pensée? Chacun sait que Adolf Hitler servait
comme vaguemestre et non comme artilleur! Mais Gunnar Harding paraît - à travers son sujet -
avoir un compte à régler avec l'Allemagne du nazisme. A propos de «La Rosé de Hildesheim»
(p. 33) et de l'irruption de Marie Laurencin, Hitler apparaît déjà en filigrane : «je suis peintre moi
aussi, s'écria le caporal de l'année allemande. Je suis le plus grand artiste du siècle! ich bin der
Zeitgeist! et il disparaît». J. Outin voit dans le «caporal allemand», quatre fois cité dans le livre,
une figure de Otto von Waetgen, le peintre qui épousa Marie Laurencin en 1914.
Selon la note 21 du traducteur Jacques Outin, l'exclamation «je suis l'esprit du temps» ne
serait pas sans rappeler l'esprit nouveau, défini comme tel par Apollinaire en 1917. Voire! (1) G.
Harding surprend par clins d'œil, par pieds de nez à l'Histoire et à la Légende. Ainsi (p. 39)
Apollinaire déclare-t-il, en son discours sur la poésie : «Voyez-vous, Messieurs, l'avenir, c'est le
jazz-hot!» Étrange rapprochement aussi que celui de l'Original Dixieland One Step avec la
«baraque en bois» du Douanier Rousseau...! (p. 38). On a compris que cette fausse - mais si
lyrique - biographie tient tout son charme des simultanéités subjectives, des télescopages entre
l'anecdotique et le fait divers. Un ouvrage pop-art dans le goût des fresques de l'Islandais G.
Erro. Merci au traducteur, toutes réserves émises sur quelques annotations.
Alain MERCIER
1. Si Hitler apparaît ici, c'est que le nazisme avait rejeté tout ce qui séduit G.
Harding : le cosmopolitisme, le jazz, l'art moderne (prétendument dégénéré). Né en 1940, dans
un pays neutre, le poète suédois n'a connu le modernisme qu'à posteriori.
Jean TARDIEU. Poèmes à voir. Paris, Gallimard, 1990.
Dans une brève et dense présentation, Jean Tardieu se réfère aux calligrammes
d'Apollinaire pour évoquer la trajectoire qui l'a conduit à composer ces pages dont le «but
essentiel est d'inviter le regard à balayer librement leur surface à la façon d'un projecteur
tournoyant sur un paysage» :
Cette surface est composée ou plutôt décomposée, déchirée, éclatée en fragments
épars, dont chacun a sa signification et sa place voulue, mais que l'esprit doit recomposer
pour en faire un tout, signifiant et allusif, perçu comme un tableau, comme un instant
fixé.
Les douze poèmes à voir répondent bien à cette analyse. À la différence de la plupart des
calligrammes d'Apollinaire, ils ne comportent pas d'élément figuratif et n'appellent pas un sens
de lecture; ce qu'ils demandent, c'est bien un balayage de leurs fragments épars amorçant une
recomposition. Le regard ne se [29]
pose pas sur eux comme sur un calligramme, où la forme d'abord nous retient et entraîne la
lecture, ni comme sur un tableau, que l'œil saisit dans son ensemble. L'opération est plus
complexe, s'attachant à des masses qui s'ordonnent en un ensemble, à la fois structures visuelles
et textes. La synthèse entre la figure et la parole est ici pleinement réalisée; Jean Tardieu n'a pas
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imité Apollinaire, il a poursuivi le chemin ouvert. «Ainsi un coup de gong répand ses ondes qui
vont au loin s'élargissant.»
Michel DÉCAUDIN
Annie SAUMONT, Moi les enfants j'aime pas tellement. Paris, Syros-Alternatives, 1990.
Onze petits textes d'une écriture vive, sèche, qui, tendres par prétention, cruels par leur
précision, étalent le dérisoire du quotidien, des rêves et des sentiments. Le dernier, «Vu des
jours» : une femme de ménage emmène ses enfants, des jumeaux, sur son lieu de travail. L'un a
un devoir d'anglais à faire, l'autre une dissertation sur Apollinaire. Des mots anglais, des vers
d'Alcools ponctuent la journée. C'est tout, et c'est une merveilleuse réussite.
M.[ichel] D[écaudin]
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