Que Vlo-Ve? Série 3 No 1 janvier-mars 1991 pages 28-30
Comptes rendus READ, MERCIER et DECAUDIN
© DRESAT
caporal» qui deviendrait plus tard chancelier du IIIe Reich, le supposer si hardiment, c'est une
fantaisie, mais qui n'est peut-être pas sans arrière-pensée? Chacun sait que Adolf Hitler servait
comme vaguemestre et non comme artilleur! Mais Gunnar Harding paraît - à travers son sujet -
avoir un compte à régler avec l'Allemagne du nazisme. A propos de «La Rosé de Hildesheim»
(p. 33) et de l'irruption de Marie Laurencin, Hitler apparaît déjà en filigrane : «je suis peintre moi
aussi, s'écria le caporal de l'année allemande. Je suis le plus grand artiste du siècle! ich bin der
Zeitgeist! et il disparaît». J. Outin voit dans le «caporal allemand», quatre fois cité dans le livre,
une figure de Otto von Waetgen, le peintre qui épousa Marie Laurencin en 1914.
Selon la note 21 du traducteur Jacques Outin, l'exclamation «je suis l'esprit du temps» ne
serait pas sans rappeler l'esprit nouveau, défini comme tel par Apollinaire en 1917. Voire! (1) G.
Harding surprend par clins d'œil, par pieds de nez à l'Histoire et à la Légende. Ainsi (p. 39)
Apollinaire déclare-t-il, en son discours sur la poésie : «Voyez-vous, Messieurs, l'avenir, c'est le
jazz-hot!» Étrange rapprochement aussi que celui de l'Original Dixieland One Step avec la
«baraque en bois» du Douanier Rousseau...! (p. 38). On a compris que cette fausse - mais si
lyrique - biographie tient tout son charme des simultanéités subjectives, des télescopages entre
l'anecdotique et le fait divers. Un ouvrage pop-art dans le goût des fresques de l'Islandais G.
Erro. Merci au traducteur, toutes réserves émises sur quelques annotations.
Alain MERCIER
1. Si Hitler apparaît ici, c'est que le nazisme avait rejeté tout ce qui séduit G.
Harding : le cosmopolitisme, le jazz, l'art moderne (prétendument dégénéré). Né en 1940, dans
un pays neutre, le poète suédois n'a connu le modernisme qu'à posteriori.
Jean TARDIEU. Poèmes à voir. Paris, Gallimard, 1990.
Dans une brève et dense présentation, Jean Tardieu se réfère aux calligrammes
d'Apollinaire pour évoquer la trajectoire qui l'a conduit à composer ces pages dont le «but
essentiel est d'inviter le regard à balayer librement leur surface à la façon d'un projecteur
tournoyant sur un paysage» :
Cette surface est composée ou plutôt décomposée, déchirée, éclatée en fragments
épars, dont chacun a sa signification et sa place voulue, mais que l'esprit doit recomposer
pour en faire un tout, signifiant et allusif, perçu comme un tableau, comme un instant
fixé.
Les douze poèmes à voir répondent bien à cette analyse. À la différence de la plupart des
calligrammes d'Apollinaire, ils ne comportent pas d'élément figuratif et n'appellent pas un sens
de lecture; ce qu'ils demandent, c'est bien un balayage de leurs fragments épars amorçant une
recomposition. Le regard ne se [29]
pose pas sur eux comme sur un calligramme, où la forme d'abord nous retient et entraîne la
lecture, ni comme sur un tableau, que l'œil saisit dans son ensemble. L'opération est plus
complexe, s'attachant à des masses qui s'ordonnent en un ensemble, à la fois structures visuelles
et textes. La synthèse entre la figure et la parole est ici pleinement réalisée; Jean Tardieu n'a pas