Introduction - LYCEE MARC BLOCH Val-de

publicité
Français
Séquence 6 : Jean Genet, Les Bonnes, 1947.
Lecture analytique 3
604
Extrait 3 : « Hurlez si vous voulez ! »…. Jusqu’à « Claire, nous sommes perdues ». (p. 105 à 109 ; éd. folio)
Introduction
Cet extrait peut-être considéré comme le dénouement métaphorique de cette pièce de Jean Genet en un
acte. Solange tue Claire-Madame dans une projection imaginaire ou cérémonie théâtralisée du meurtre. Elle a
ensuite la vision de sa condamnation et de son exécution. Le meurtre réel de Claire, qui se produit dans la
continuité de cette scène fantasmée, renforce de fait l’effet de réalisme du véritable dénouement. Ce monologue
est ainsi l’expression d’un paroxysme qui confronte Solange à Madame et se réalise dans un flot de paroles qui
confirme la progression de la folie meurtrière des deux bonnes. L’extrait questionne également l’identité des
personnages et la fonction cathartique du théâtre.
Quelles sont les étapes de ce monologue, inscrites dans l’imagination de Solange ? Comment
Solange parvient-elle à faire fusionner le réel et l’imaginaire dans son exaltation face à Claire-Madame ?
I) – Les étapes du monologue de Solange.
Dans la première étape, lignes 1 à 71, on peut parler de meurtre métaphorique. La cérémonie est à son
paroxysme et Claire ne parvient pas à endiguer la violence verbale de Solange. Dans la seconde étape, lignes 72
à 109, qui constitue une mise en abyme dans la mesure où le personnage devient lui-même metteur en scène,
Solange réalise en paroles le fantasme de son exécution. A noter que ces deux étapes se trouvent séparées par
une didascalie qui indique une pause obligée dans la parole du personnage, Solange se dirige vers la fenêtre,
l’ouvre et monte sur le balcon.
De plus, dans cette étape s’opère une inversion des valeurs. Solange invite Madame à « rester assise »,
et cette dernière porte également « une robe noire ». Elle doit désormais appeler Solange « mademoiselle
Lemercier ». La didascalie Elle imite la voix de Madame donne la parole à Madame, qui se substitue à Solange.
Enfin, au moment des condoléances des domestiques, Solange signifie à Madame que, par son crime, elle a
changé de statut, « Je suis l’égale de Madame ».
Ensuite, Solange va s’adresser successivement à des personnages imaginaires. A l’inspecteur de police,
à Madame, à Monsieur puis enfin de nouveau à Madame (cf. texte). A partir de la réplique « Moi, j’ai ma
sœur », Solange rappelle sa nouvelle personnalité et son identité de criminelle, « Je suis l’étrangleuse ».
La seconde étape est annoncée par les paroles mêmes de Solange « Elle va sortir » qui mettent ainsi en
scène le contenu de son monologue. Elle se dirige alors vers le balcon où elle restera « le dos au public ». Le
cérémonial qu’elle décrit ensuite peut être ainsi assimilé à un fantasme qu’elle organise dans une description
théâtralisée parfois étrange. La vision suit alors les différents interlocuteurs auxquels elle semble s’adresser. A
elle-même tout d’abord, puis au public, « Mettez-vous au balcon… ». Elle prend ensuite sa sœur à témoin, « Le
bourreau m’accompagne Claire », puis utilise la troisième personne, « Elle sera conduite en cortège… » et enfin
la première personne, « Je suis pâle et je vais mourir. ». Mais, elle retourne bientôt dans la pièce pour constater
son échec et sa mort, « On lui fait un bel enterrement, n’est-ce pas ? Claire ! Tout ce qui précédait n’était
qu’une performance théâtrale. Elle proclame néanmoins à nouveau sa nouvelle identité, « Maintenant nous
sommes mademoiselle Solange Lemercier. La femme Lemercier. La Lemercier. La fameuse criminelle. Faut-il
y voir une allusion, par les échos sonores, à la Brinvilliers, « fameuse empoisonneuse » du XVIIe siècle.
Français
Séquence 6 : Jean Genet, Les Bonnes, 1947.
Lecture analytique 3
604
II) – La fusion du réel et de l’imaginaire.
On peut dire, dans un premier temps, que ce monologue se déroule à la façon d’un rêve qui n’est pas
exempt d’incohérences, faisant fusionner des personnages, et des références temporelles disparates. Traduction
de la folie de Solange et de sa sœur, cette exaltation est également une libération du personnage par la parole.
En premier lieu, dans la réplique précédent son monologue, elle marche sur sa sœur « pour en finir avec une
fille aussi lâche », qu’elle ne confond pas avec Madame. Juste après, c’est à Madame qu’elle attribue le cri « au
secours ». Des lignes 72 à 108, Solange superpose son identité à celle de Claire-Madame, « Il est midi. Elle
porte… », s’agit-il ici de Claire ou de Solange ? Madame est ensuite superposée à Solange au moment où elle
déplore le deuil de sa bonne, « On lui a fait un bel enterrement, n’est-ce pas ? Claire ! Mais assez vite, Solange
retrouve son statut de domestique pour s’opposer à Madame, « Inutile Madame, j’obéis à la police. ». Ainsi, on
peut se demander si l’enterrement évoqué est celui de Claire ou de Solange. De fait, cette ambiguité permet de
brouiller les identités et d’opérer une fusion entre Claire et Solange. Cet élément est d’ailleurs confirmé lorsque
Solange affirme sa nouvelle identité, « Maintenant, nous sommes mademoiselle Solange Lemercier ». Le
pronom « nous », ici, a-t-il une valeur de pluriel de majesté qui traduirait la fierté de Solange ou est-il la marque
de cette fusion opérée par les deux sœurs et réalisée par le crime ?
Cette fusion entre réel et imaginaire concerne également la temporalité. Dès le début du monologue on
peut remarquer la variété de la conjugaison des verbes, qui fait se succéder présent, passé et futur. Par la suite,
c’est Solange qui mêle le passé de l’enterrement à son moment présent et futur (cf. texte). Là encore, cette
confusion peut être la traduction de la folie du personnage qui, en échappant à toute rationnalité, échappe de
même à son statut de domestique pour acquérir une autre dimension et un autre statut.
La confusion des époques, également présente par un certain nombre d’éléments faisant notamment
allusion au Moyen Age, « les pénitents noirs» ou à l’Ancien Régime, « les laquais en culotte courte et bas
blancs » permet à la vision d’échapper à tout réalisme et de s’inscrire dans une esthétique théâtrale renforçant
l’impression d’artifice et d’échec faisant suite au retour à la réalité de Solange.
Conclusion
Cet extrait de l’œuvre de Jean Genet est un drame à l’intérieur d’un drame. Par la parole, Solange réalise
son crime imaginaire et acquiert un statut de criminel. Il s’agit également de l’aboutissement d’une
« cérémonie » qui vise aussi à questionner l’identité de l’être et son rapport à l’autre. Cette dimension peut-être
rapprochée du parcours même de Jean Genet qui par la parole acquiert un statut d’écrivain en quête de son
identité. Cependant l’auteur questionne également le théâtre, tout d’abord en renouvelant le monologue
classique habituellement centré sur un débat de conscience d’un personnage, puis en nous confrontant à la
complexité de l’esprit humain, à la violence, à la folie dont le théâtre peut nous donner à voir et à méditer les
manifestations et les conséquences.
Téléchargement