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Transcription Motte – séquence b
Changement de décor à vue et appareillage pour la Corne de l’Afrique.
Ici, la menace et la riposte sont d’une tout autre ampleur. La région se
caractérise par sa grande pauvreté et par la déliquescence de ses Etats,
notamment en Somalie, où la guerre civile sévit depuis un quart de siècle.
Les pêcheurs y sont réduits à la misère par la concurrence des pays
industrialisés et par les déchets toxiques que certains réseaux mafieux
déversent dans leurs eaux. Quant aux garde-côtes, ils ne perçoivent plus de
salaires depuis des années. Armées de fusils d’assaut et de lanceroquettes, ces deux catégories de la population ont donc réactivé une
vieille tradition locale, la piraterie, qui a littéralement explosé depuis
le milieu des années 2000.
Au début, les pirates attaquaient surtout les navires du Programme
alimentaire mondial ravitaillant les côtes somaliennes. Mais ils ont
progressivement élargi leurs activités vers la haute mer, s’aventurant
aujourd’hui jusque vers les Seychelles au Sud et les côtes pakistanaises ou
indiennes à l’Est. En superficie, leur zone d’action représente deux fois
celle de l’Union européenne et revêt un intérêt économique majeur, puisque
30 % des flux mondiaux de pétrole brut y transitent. Capturant les
bâtiments de tous tonnages et leurs équipages, les pirates en ont tiré 1200
rançons oscillant de 150.000 dollars à plus de 5 millions entre 2008 et
2012.
Par la taille de la zone concernée comme par la gravité de l’enjeu, la
menace pirate exigeait une réponse internationale.
En décembre 2008 a donc débuté la mission Atalante, première opération
maritime conduite par l’Union Européenne. Toujours en cours aujourd’hui,
elle aligne entre 14 et 13 bâtiments de combat selon les périodes, plus des
hélicoptères, des avions de patrouille maritime et des équipes de
protection embarquées à bord des bâtiments du Programme alimentaire
mondial, avec pour base Djibouti. Les bâtiments d’Atalante travaillent de
conserve avec ceux de l’opération Ocean Shield, lancée par l’OTAN à la
demande des Nations-Unies en août 2009. D’autres nations participent à la
lutte contre la piraterie, dont la Russie, l’Inde et la Chine.
Même si l’armement des pirates et la nature de leur activité implique
un niveau de violence plus haut que celui déployé en Guyane, de nombreuses
contraintes éthiques, juridiques et médiatiques pèsent sur la conduite des
opérations. Tout d’abord, la libération des otages implique des risques qui
doivent être pesés au plus juste : on se souvient de l’émotion soulevée par
la mort d’un skipper lors de l’assaut donné par les nageurs de combat
français au voilier Tanit le 10 avril 2009. L’alternative aurait été de
laisser les pirates ramener le bâtiment en Somalie, avec tous les risques
qu’impliquait pour les otages la détention dans cette zone chaotique :
plusieurs dizaines de marins raflés en mer y ont d’ailleurs péri. D’autre
part, comme en Guyane, il faut réunir des preuves formelles pour traduire
les pirates devant des tribunaux et les condamner à des peines réellement
dissuasives. Se pose enfin la question de la poursuite des pirates dans les
eaux territoriales somaliennes, voire à terre, qui est juridiquement très
encadrée.
Nonobstant ces difficultés, l’effort de lutte contre la piraterie
consenti par la communauté internationale semble porter ses fruits puisque
le nombre des otages aux mains des pirates somaliens est tombé de plus de
700 en 2010 à 49 seulement en 2013.
Les enjeux des opérations Tassergal et Atalante n’ont pas débouché sur
des confrontations majeures, mais ils ne sont pas pour autant secondaires.
Pour la France, défendre sa zone économique exclusive au large de la
Guyane, c’est aussi manifester sa détermination à défendre ses autres zones
économiques exclusives, celles du Pacifique notamment, qui lui confèrent le
deuxième domaine maritime mondial et contribuent donc à son rayonnement
international. Quant à la protection des flux maritimes devant la Corne de
l’Afrique, elle est très importante pour l’économie mondiale. Dans un cas
comme dans l’autre, des enjeux apparemment locaux ou régionaux ont une
portée véritablement stratégique.
Montons enfin d’un dernier cran dans les enjeux et évoquons les régions
dans lesquelles les controverses sur les eaux territoriales, les zones
économiques exclusives et la liberté des flux maritimes pourraient
entraîner des conflits de haute intensité. La plus préoccupante est l’Asie
du Sud-Est, où le ton se durcit entre la Chine, le Vietnam et le Japon. La
pression accrue sur les ressources halieutiques n’est pas seule en cause,
vous l’aurez deviné, s’y ajoutent les gisements de pétrole sous-marins et
la densité croissante d’infrastructures off-shore comme les éoliennes ou
les câbles sous-marins.
D’autre part, le nationalisme très vif des pays impliqués et l’envol de
leurs programmes d’armement accroissent la tension dans cette région du
monde.
Le ton monte aussi autour de l’Arctique, dont les ressources pétrolières
aiguisent les appétits des riverains.
Si un conflit venait à éclater dans l’une de ces zones, il risquerait de se
globaliser très rapidement par le jeu des alliances et aussi parce que
l’interruption temporaire des flux maritimes poserait des problèmes
gravissimes à l’ensemble d’une économie mondiale régie par le principe
d’interdépendance.
En somme, c’est la course au leadership planétaire de demain qui se
joue en mer. Pour des raisons économiques certes, mais aussi stratégiques
et même symboliques, la puissance maritime a toujours été considérée comme
une composante majeure de la puissance tout court et cette tendance
explique largement la maritimisation frénétique des puissances émergentes.
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