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cette phrase : « il pourrait ne rien y avoir ». Vous verrez que vous avez affaire à des mots,
nullement à des idées, et que « rien » n'a ici aucune signification. « Rien » est un terme du
langage usuel qui ne peut avoir de sens que si l'on reste sur le terrain, propre à l'homme, de
l'action et de la fabrication. « Rien » désigne l'absence de ce que nous cherchons, de ce que
nous désirons, de ce que nous attendons. À supposer, en effet, que l'expérience nous présentât
jamais un vide absolu, il serait limité, il aurait des contours, il serait donc encore quelque
chose. Mais en réalité il n'y a pas de vide. Nous ne percevons et même ne concevons que du
plein. Une chose ne disparaît que parce qu'une autre l'a remplacée. Suppression signifie ainsi
substitution. Seulement, nous disons « suppression » quand nous n'envisageons de la
substitution qu'une de ses deux moitiés, ou plutôt de ses deux faces, celle qui nous intéresse ;
nous marquons ainsi qu'il nous plaît de diriger notre attention sur l'objet qui est parti, et de la
détourner de celui qui le remplace. Nous disons alors qu'il n'y a plus rien, entendant par là que
ce qui est ne nous intéresse pas, que nous nous intéressons à ce qui n'est plus là ou à ce qui
aurait pu y être. L'idée d'absence, ou de néant, ou de rien, est donc inséparablement liée à
celle de suppression, réelle ou éventuelle, et celle de suppression n'est elle-même qu'un aspect
de l'idée de substitution. Il y a là des manières de penser dont nous usons dans la vie pratique ;
il importe particulièrement à notre industrie que notre pensée sache retarder sur la réalité et
rester attachée, quand il le faut, à ce qui était ou à ce qui pourrait être, au lieu d'être accaparée
par ce qui est. Mais quand nous nous transportons du domaine de la fabrication à celui de la
création, quand nous nous demandons pourquoi il y a de l'être, pourquoi quelque chose ou
quelqu'un, pourquoi le monde ou Dieu existe et pourquoi pas le néant, quand nous nous
posons enfin le plus angoissant des problèmes métaphysiques, nous acceptons virtuellement
une absurdité ; car si toute suppression est une substitution, si l'idée d'une suppression n'est
que l'idée tronquée d'une substitution, alors parler d'une suppression de tout est poser une
substitution qui n'en serait pas une c'est se contredire soi-même. Ou l'idée d'une suppression
de tout a juste autant d'existence que celle d'un carré rond – l'existence d'un son, flatus vocis, –
ou bien, si elle représente quelque chose, elle traduit un mouvement de l'intelligence qui va
d'un objet à un autre, préfère celui qu'elle vient de quitter à celui qu'elle trouve devant elle, et
désigne par « absence du premier » la présence du second. On a posé le tout, puis on a fait
disparaître, une à une, chacune de ses parties, sans consentir à voir ce qui la remplaçait : c'est
donc la totalité des présences, simplement disposées dans un nouvel ordre, qu'on a devant soi
quand on veut totaliser les absences. En d'autres termes, cette prétendue représentation du
vide absolu est, en réalité, celle du plein universel dans un esprit qui saute indéfiniment de
partie à partie, avec la résolution prise de ne jamais considérer que le vide de sa dissatisfaction
au lieu du plein des choses. Ce qui revient à dire que l'idée de Rien, quand elle n'est pas celle
d'un simple mot, implique autant de matière que celle de Tout, avec, en plus, une opération de
la pensée.
J'en dirais autant de l'idée de désordre. Pourquoi l'univers est-il ordonné ? Comment la
règle s'impose-t-elle à l'irrégulier, la forme à la matière ? D'où vient que notre pensée se
retrouve dans les choses ? Ce problème, qui est devenu chez les modernes le problème de la
connaissance après avoir été, chez les anciens, le problème de l'être, est né d'une illusion du
même genre. Il s'évanouit si l'on considère que l'idée de désordre a un sens défini dans le
domaine de l'industrie humaine ou, comme nous disons, de la fabrication, mais non pas dans
celui de la création. Le désordre est simplement l'ordre que nous ne cherchons pas. Vous ne
pouvez pas supprimer un ordre, même par la pensée, sans en faire surgir un autre. S'il n'y a
pas finalité ou volonté, c'est qu'il y a mécanisme ; si le mécanisme fléchit, c'est au profit de la
volonté, du caprice, de la finalité. Mais lorsque vous vous attendez à l'un de ces deux ordres et
que vous trouvez l'autre, vous dites qu'il y a désordre, formulant ce qui est en termes de ce qui
pourrait ou devrait être, et objectivant votre regret. Tout désordre comprend ainsi deux