Français 602 – 604 Lecture analytique
Séquence 4 : L’importance de la mise en scène chez Beckett
Objet d’étude : Le théâtre, texte et représentation.
Le tragique des personnages – Le rôle du langage
Le tragique évoque le destin implacable qui conduit l’homme à la souffrance et à la mort. La
pièce de Beckett évoque ainsi la déchéance physique de l’homme, la vieillesse qui ruine peu à peu son
corps et son esprit et la mort à laquelle il ne peut en fin de compte échapper. En cela, ces deux
personnages relèvent du registre tragique.
Cette situation tragique est alors accentuée par la souffrance et la solitude qui viennent
s’ajouter à l’impossibilité d’échapper à ce destin. Hamm veut fuir vers le sud mais il sait que cela est
impossible. Il tâche de faire souffrir Clov, mais ce dernier ne semble pas réagir suffisamment. Il
exprime enfin son désir de mourir, mais Clov lui refuse cette possibilité. Ainsi, dans tous les cas,
Hamm ne peut échapper à sa condition d’homme. On peut remarquer, sur ce point, la comparaison
initiale avec les mammifères qui assimile les hommes à des animaux, donnant de ce fait une vision
dégradée et tragique de la condition humaine.
La condition tragique des personnages est de même perceptible dans le lexique employé dans
la longue tirade de Hamm qui tyrannise Clov avec volupté, allant même jusqu’à lui subtiliser sa propre
possibilité de s’exprimer, en utilisant le je de Clov, Un jour tu te diras, Je suis fatigué…Nous trouvons
ainsi les termes, aveugle, perdu, vide, noir, fatigué, mur, mort, infini qui rendent compte, à la fois, de
la dimension pathétique et tragique de la situation et des personnages. Confrontés à la souffrance, au
néant et à la mort, il ne leur reste que le plaisir de se faire souffrir. Vision très négative et tragique de
la condition humaine que l’on peut résumer dans l’allégorie de la condition humaine qui clôt la tirade
de Hamm, L’infini du vide sera autour de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités ne le
combleraient pas, tu y seras comme un petit gravier au milieu de la steppe, allégorie traduisant
l’immense solitude et l’immense faiblesse de l’homme face à sa condition.
Concernant le personnage de Clov, ce dernier exprime une servilité et une lassitude qui disent
qu’il a renoncé à sa propre liberté, Tu ne peux pas nous quitter / Alors je ne vous quitterai pas. Ecrasé
par la tyrannie de Hamm, ce dernier va même jusqu’à lui refuser et lui nier son propre avenir en lui
prédisant les pires malheurs, Tu seras assis quelque part, petit plein perdu dans le vide, pour toujours,
dans le noir.
Le langage et la communication qui représentent l’humanité, la possibilité de comprendre une
situation et sur lesquels repose le genre théâtral, sont ici remis en cause et participent à l’expression du
tragique des personnages. En effet, comme dans toute l’œuvre, le caractère mécanique et répétitif des
répliques, ici la stichomythie, et le rejet de l’illusion théâtrale, Même réplique, ainsi qu’un certain
nombre d’expressions tautologiques, S’il y en a il y en aura, Tu ne peux pas nous quitter/Alors je ne
vous quitterai pas, Je ne pourrais pas t’achever/Alors tu ne m’achèveras pas, donnent l’impression
d’un langage qui suit l’agonie des personnages en perdant sa fonction de communication. Dans ces
conditions, parler revient simplement à meubler le silence, à combler L’infini du vide. Les deux
personnages sont « condamnés » à échanger des paroles en attendant la mort.
Prosaïsme, poésie, drame et symbole
L’œuvre de Samuel Beckett mêle différentes tonalités qui correspondent à la valeur
universelle du discours qu’elles véhiculent sur la représentation du monde et de l’Homme. Le tragique
de la condition humaine repose en effet sur l’incapacité de l’Homme à apporter de
véritables réponses aux questions qu’il se pose. Ainsi, condamné à errer avec ses semblables et
à les supporter, enfermé dans son monde étrange, tous les aspects de son existence peuvent représenter
la dimension tragique de sa condition. En particulier, la représentation du malheur et la négation des
valeurs qui fondent habituellement sa condition, et lui donnent un sens, se trouvent niées dans la vision
pessimiste de Beckett qui fait de la vie humaine un spectacle dont l’absurdité et le comique dérisoire
révèlent paradoxalement le tragique, Rien n’est plus drôle que le malheur, affirme Nell au début de la
pièce.